Thierry Janssen : Confidences …

Depuis de nombreuses années, je suis le parcours de Thierry Janssen. Ce qui me touche en premier lieu, c’est sa capacité à se remettre en question. En 1998 il quitte son métier de chirurgien urologue pour devenir psychothérapeute spécialisé dans l’accompagnement des patients atteints de maladies physiques ou comme il se plait à se nommer « chirurgien de l’âme ». En deuxième lieu, je suis stupéfaite de sa sincérité. Son nouveau livre Confidences d’un homme en quête de cohérence, éd.LLL, en est la preuve.

Comment êtes-vous venu à la spiritualité ?

Je suis tombé dans la spiritualité vers l’âge de six ans en découvrant la civilisation de l’Égypte ancienne. J’étais un enfant très sensible, je souffrais dans mon corps et j’avais peur des autres. Ma passion pour l’Égypte a été une sorte de refuge. De plus, elle m’a permis d’apprivoiser la mort. Car, à l’époque, ma mère a subi une intervention chirurgicale assez conséquente. Récemment, j’ai retrouvé des dessins où j’avais repré­senté ma famille en pleurs autour d’un cercueil dans lequel reposait ma mère.

Je réalise à quel point j’ai eu peur de la perdre. Ce n’est sans doute pas par hasard si, au moment où elle m’a présenté le chirurgien qui l’avait opérée, j’ai décidé qu’un jour j’exercerais ce mé­tier. Mon enfance a été nourrie par le désir de prati­quer la chirurgie, en même temps qu’elle était motivée par l’envie de devenir égyptologue.

Arpag Mekhitarian, dont je parle dans mes Confidences, m’a permis de suivre une série de cours d’égyptologie, tout au long de mon enfance. À dix-huit ans, habité par des inten­tions altruistes, j’ai opté pour la chirurgie mais je reste profondément relié à Égypte. C’est d’ailleurs sur les bords du Nil que j’ai écrit ce livre.

Les anciens Égyptiens considéraient la mort comme une prolongation de la vie. Leur pensée était inspirée par l’observation de la nature. Elle était remplie d’un bon sens qui a guidé ma réflexion à propos de l’es­prit des êtres et des choses. Au contact des images et des symboles de l’époque pharaonique, j’ai développé une compréhension de cet esprit. C’est cette com­préhension qui est la source de ma spiritualité.

Sans prétendre faire partie des mystiques, je crois pouvoir dire que j’étais un enfant inspiré. Je me sentais relié au sacré. Je passais mon temps à jouer au prêtre, j’éla­borais des cérémonies religieuses très sophistiquées dans le garage de la maison familiale dont j’avais cou­vert les murs de hiéroglyphes. L’imaginaire des enfants est étonnant. Il frôle parfois la psychose… ou bien la mystique. Cette mystique m’a fait comprendre que la vérité se situait au-delà des religions, en amont des croyances. J’ai grandi dans une famille catholique.

Mon grand-père paternel était un homme très reli­gieux. Il allait à la messe trois fois par
dimanche : une fois pour lui, une fois pour sa famille, une fois pour le monde. C’était un homme extrêmement bon à qui j’ai dédié mon livre Vivre en paix. Cependant, très jeune, j’ai refusé d’être enfermé dans une religion particulière. Je me souviens qu’à l’âge de neuf ans, lors d’un repas de Noël, j’ai expliqué à ma famille que les religions se valaient et qu’il n’y avait qu’un seul dieu. Pour moi ce dieu est à l’intérieur de chacun de nous et il s’appelle « la vie ».

Pensez-vous que la spiritualité égyptienne est encore adaptée à notre époque ?


Tout a fait ! Si l’on se donne la peine de décoder les images et les métaphores de l’Égypte ancienne on dé­couvre que celles-ci participent à une spiritualité aussi pertinente que la plupart des spiritualités contempo­raines. Peut-être même plus pertinente en ce sens que ses images et ses métaphores sont étroitement reliées à la nature. J’ai le projet d’écrire un livre destiné à ex­pliquer cela d’une manière très concrète.

Une lecture un peu subtile du mythe d’Isis et d’Osiris, par exemple, suffira à nous convaincre du bien-fondé psychologique et spirituel de la pensée égyptienne. Le message de l’Égypte ancienne est au moins aussi universel et in­temporel que celui de la Grèce ou de l’Inde, aussi puis­sant que le message chrétien.

La vraie tradition se perpétue toujours à travers une relation de maître à disciple.
Quels ont été vos maîtres ? Votre rencontre avec Arpag Mekhitarian s’inscrit-elle dans une relation de ce genre ?

Je n’ai pas eu de maître à proprement parler. Je me suis souvent demandé si cela voulait dire que je n’avais pas effectué un véritable chemin spirituel. J’avais neuf ans lorsque j’ai rencontré Arpag Mekhitarian. Il m’a in­vité au musée, il m’a expliqué comment devenir égyp­tologue et il m’a encouragé à suivre les cours le jeudi soir. Toutefois, notre relation est restée très superficielle. Mon véritable maître spirituel a été la vie et ses épreuves.

Quel enseignement vous a permis de vous connaître ?

Lorsque j’ai mis un terme à ma carrière de chirurgien, à l’âge de trente-cinq ans, j’ai été amené à me reposer toutes les questions de mon enfance. Je suis très reconnaissant à l’école de Barbara Brennan, cette guérisseuse américaine qui propose un enseignement inspiré des grandes spiritualités, de la psychanalyse jungienne, des approches psychocorporelles rei­chiennes et de la perception énergétique de la réalité telle qu’elle est décrite dans les médecines tradition­nelles de l’Inde ou de la Chine. Cependant, comme je l’explique dans mes Confidences, l’environnement de cette école était un peu trop « new age » pour un ex-chirurgien bercé de culture scientifique.

C’est pourtant là que ce que vous avez compris comment fonc­tionnait ce que vous appelez le Moi névrotique et le Soi apaisé.

Absolument. C’est grâce à cet enseignement que j’ai acquis les outils nécessaires pour dépasser les peurs et les défenses de mon ego, que j’appelle le Moi né­vrotique, et entrer en contact avec mon essence, le Soi apaisé. Cela m’a permis de connaître la véritable joie d’exister. Cela m’a aussi amené à mieux respecter la vie. Plus j’avance, plus je suis conscient d’avoir tout reçu en recevant la vie.

J’ai appris à ne plus regretter ce que je n’ai pas ou ce que je pourrais avoir. Je me réjouis de ce qui est et j’essaie d’en faire quelque chose qui sera au service de la vie. Car, ayant tout reçu en recevant la vie, il me semble que la seule chose à faire est d’aider la vie à rester vivante. J’es­saie donc de mieux comprendre ce qu’est la vie afin d’identifier ce qui est réellement nécessaire à son épanouis­sement.

Poser un regard apaisé sur le passé semble au cœur de vos préoccupations.

C’est une condition indispensable si nous voulons évoluer avec sagesse et maturité. Personnellement, je tiens un journal dans lequel, de manière quotidienne, je crée l’espace nécessaire pour prendre du recul, mieux comprendre qui je suis et retrouver la liberté de mes choix. Sur la première page de ce journal, je colle une photo de moi enfant car il me paraît important d’être le père bienveillant de notre « enfant intérieur ».

C’est cet enfant qui est notre vitalité, notre spontanéité et notre générosité. Objectivité et compassion sont les clés de la libération de ce potentiel. Tout voir et ne rien juger. Exercer ce que j’appelle l’ « intransigeance bien­veillante ». Accepter celui que nous sommes tout en l’encourageant à apprivoiser ses peurs, abandonner ses défenses et exprimer le meilleur de son essence.

Dans vos Confidences vous parlez de votre homosexualité. Pour­quoi ?

J’ai écrit ce livre avec une intention apocalyptique. L’Apocalypse signifie la levée du voile, la révélation, en grec. Je pense que c’est exactement ce dont notre époque a besoin. Arrêter de tricher, ne pas se cacher, dire la vérité. Accepter mon homosexualité a été une épreuve, un véritable chemin initiatique qui m’a appris l’amour inconditionnel envers moi-même et envers les autres.

Si j’avais à revivre une autre vie, je choisirais d’avoir à assumer une particularité aussi discriminante que ce type de sexualité. J’ai connu le jugement, le rejet et même la violence. Mais je n’en ai jamais voulu à qui que ce soit. J’ai compris que tout cela cachait beaucoup de peur et d’ignorance. J’essaie donc de combattre ces poisons, chez moi et chez les autres. Assumer celui que nous sommes me paraît être la seule attitude digne d’honorer la vie que nous avons reçue.

Quel projet vous anime ?

Vivre. Tout simplement. Devenir de plus en plus
co­hérent par rapport à mes besoins les plus essentiels. Exprimer le meilleur de moi, au service des autres et de la vie. J’ignore quelles formes cela prendra. Cela m’est égal. Je me laisse guider par mes intuitions et mes sensations. J’ai assez de confiance en la vie pour me laisser guider par elle. De­puis que j’ai arrêté de pratiquer la chirurgie, il y a bientôt quinze ans, je ne m’identifie plus à ce que je fais.

Ce qui m’importe c’est de savoir qui je suis quand je fais les choses, je cherche à discerner au service de quelle intention j’agis. Étant davantage conscient de moi-même, je sens immédiatement, physiquement, qui du Moi névrotique ou du Soi apaisé motive mes actions. Pour l’heure, je vais continuer à accompagner des personnes en souffrance lors de mes consul­tations, transmettre et enseigner ce qui me paraît essentiel à tra­vers l’écriture, des cours et des conférences, et essayer d’être plus présent auprès de ceux qui partagent ma vie.

Que manque -t-il pour que puissiez dire que vous avez réussi votre vie ?

Rien. J’ai cinquante ans. Je n’ai pas le sentiment d’avoir vécu des succès ou des échecs mais simplement d’avoir fait des expériences. J’ai vécu ce que j’avais à vivre avec la conscience que j’avais au moment où je l’ai vécu. Je n’ai aucun regret. Je n’ai pas d’attentes. Je vis le plus pleinement possible, le plus consciemment et le plus honnêtement que je peux. Cela me suffit.

Entretien par T.R. paru dans la revue Reflets

Confidences d’un homme en quête de cohérence  ÉditionLes Liens qui Libèrent, 2012

Sur le site : http://www.thierryjanssen.com/livres/livres-broches  vous pouvez lire les extraits de ce beau livre

A lire aussi sur ce blog :

https://tarotpsychologique.wordpress.com/2012/04/19/thierry-janssen-a-la-recherche-de-lesprit/

https://tarotpsychologique.wordpress.com/2012/04/17/thierry-janssen-un-psy-pour-le-corps/

21 réflexions sur “Thierry Janssen : Confidences …

  1. Je suis contente de rattraper mon « retard  » dans tes articles ! Encore une belle personnalité ! Cet article m’a fait un bien fou (un éclairage nouveau sur ma situation ) et je t’en remercie ! J’aime la dernière réponse de cet homme. (entre autre bien sur ! )

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    • Par mois ? Au moins huit et encore, je lis bien moins que dans le temps…à mon grand regret.
      Les livres que je cite ici, je les lis, bien évidemment, sinon, je ne pourrais pas en parler.
      Celui de Thierry Janssen est assez récent, je suis en train de le terminer et j’attends avec impatience l’arrivée de la biographie de Cohen.

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      • Waouh , tu prend le temps de lire en plus de ta connexion internet , tu dors pas la nuit ? ; au moins ce n’est pas des romans a l’eau de rose , ça t’apporte quelque chose sur le plan de la conscience
        Je suis allez écouter une vidéo que tu avais glissé dans un article et j’ai bien aimé , merci pour ces beaux partagent 🙂

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        • Oui, la lecture m’est vitale. Je me couche très tard, je lis aussi dans les transports et partout où je peux.
          Les romans à l’eau de rose 😀 ? Jamais tenté…
          Parfois je me fais plaisir avec des beaux romans psychologiques.
          Merci à toi d’avoir pris le temps d’explorer ce site, je vais voir si tu as publié quelque chose sur le tien, sinon, je relirai le bel article sur Isis.

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          • Non ! et tu va t’en apercevoir, je ne voudrais pas gavé mes lecteurs. Hier j’ai passé du temps a faire mes recherches , ensuite rajouter les liens dans l’article avant la publication et même après . J’en ai un autre à venir sur Cérès et Vesta , que je vais préparer. Cet après midi ma souris est tombée en panne , j’ai perdu du temps … je vais me faire un thé 🙂 bonne soirée et bonne lecture , si tu étais pas si loin je t’en aurais prêté 🙂

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  2. Coucou Eliza,

    Petit à petit je vais ratrapper mon retard, entre mon navigateur, et finalement
    Wordpress = bonjour !
    Paix et Sérénité, sont deux mots qui vont très bien ensemble 🙂 tout le monde ne trouve pas la « recette », mais cerains y arrivent, heureusement, c’est ainsi que l’on sait que Paix et Sérénité existent !
    Belle semaine Eliza – des gros bisous sans pluie aujourd’hui – lili

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    • Bonsoir Lili,
      Ravie que tes problèmes informatiques soient en train d’être réglés. Je ne crois pas qu’il y ait une recette, juste des exemples des parcours, comme celui de Thierry Janssen, homme pour lequel j’ai une grande admiration. Et si certains y arrivent, ce n’est pas un hasard ou une chance, juste un long et patient travail sur soi. Et ces états sont loin d’être permanents, il est inévitable de transcender son côté sombre.
      Alors, si lui y est arrivé, pourquoi pas nous ? Évidemment, si nous sommes prêts à nous engager sur ce chemin.
      Belle semaine à toi, chère Lili, oui, elle a débuté sous des rayons de soleil. Bisous

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  3. Re-bonjour…

    Je me suis attardée ici avec un plaisir certain …
    Oui !!! Qu’elle belle âme !!!

    Que j’aime ce passage…
    « assumer celui que nous sommes me paraît être la seule attitude digne d’honorer la vie que nous avons reçue…. »

    …C’est l’œuvre de toute une vie…on s’apprivoise toute la vie…et le contraire est aussi si dévastateur …

    J’adore l’idée d’être le gardien spirituel de mon enfant intérieur…

    Quelle immense sagesse…une richesse en soi…

    Merci de ce partage…

    Sorcière

    ps… »La mort …un prolongement de la vie… » Quel réconfort pour tout ceux qui ont a côtoyé la mort ..que ce soit de près ou de loin…

    Je me sauve !!! Merci encore…;-)

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    • Merci Sorcière, chacun de tes passage est une joie. Beaucoup de sagesse chez cet homme, c’est pour cela que j’aime à le lire et partager ces richesses. Et en tant que chirurgien, il a côtoyé la mort de près, il parle donc en connaissance de cause, comme pour le reste de ses expériences, rien de livresque, que du vécu.
      Belle soirée à toi…

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  4. C’est cette phrase qui m’inspire :

     » J’ai connu le jugement, le rejet et même la violence. Mais je n’en ai jamais voulu à qui que ce soit. J’ai compris que tout cela cachait beaucoup de peur et d’ignorance. J’essaie donc de combattre ces poisons, chez moi et chez les autres. Assumer celui que nous sommes me paraît être la seule attitude digne d’honorer la vie que nous avons reçue. »

    Bon dimanche à vous aussi Elisabeth !

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  5. Bonjour Elisabeth,
    J’aime vraiment beaucoup l’article que tu nous livres. Cela fait beaucoup de bien de le lire. De cet article, je retiendrai tout, mais une phrase de Thierry Janssen m’a particulièrement marqué : Mon véritable maître spirituel a été la vie et ses épreuves.

    Merci pour ton article.

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