La psychogénéalogie selon Anne Ancelin

A l’origine de la psychogénéalogie transgénérationnelle, la psychothérapeute Anne Ancelin-Schützenberger. Elle nous décrit les contours de cette méthode qu’elle a élaborée dans le cadre de son travail auprès de personnes atteintes de cancers.

Qu’est-ce que la psychogénéalogie clinique ?

Anne Ancelin-Schützenberger : C’est une étude psychologique de la généalogie transgénérationnelle, c’est-à-dire sur plusieurs générations. Ce qui est présent est transmis par l’inconscient de la mémoire familiale, qu’on le sache ou non. Pour le savoir, on travaille sur des périodes allant de trois à neuf générations, soit trois siècles. Je remonte à la révolution française – avec la terreur, la guillotine…

J’inclus la période Napoléonienne au tournant des XVIIIe et XIXe siècle, soit les souvenirs des grands-parents de nos arrières grands-parents. Cette période est toujours très présente. Deux exemples personnels : une de mes amies vient de retrouver dans le grenier de sa grand-mère les lettres que son arrière arrière grand-père, soldat de Napoléon, écrivait pendant la campagne de Russie à l’arrière grand-mère. Ma propre grand-mère me parlait de sa grand-mère qui lui parlait aussi des guerres de Napoléon.

Quel est l’apport de la dimension clinique de cette méthode ?

A.A.S. : Il y a des gens sans formation clinique qui font de la psychogénéalogie transgénérationnelle… Et ce n’est tout à fait pareil. En tant que cliniciens, nous apportons la dimension de la compréhension de l’inconscient. Freud disait que nous fonctionnons comme un iceberg: le conscient est la partie visible, et les deux tiers sont sous l’eau, invisibles; c’est ce qui fait la force et la dérive des icebergs et qui conduit notre inconscient.

Les événements familiaux heureux et malheureux, les secrets de familles, les traumatismes ont un impact qui se transmet de génération en génération. Généralement ce n’est pas su mais le corps y réagit comme si c’était su. Quelque chose se joue en nous et parle. Comme dit Freud, « ça parle sur l’autre scène ». Et c’est très important de comprendre comment cela parle et s’incarne dans le corps et comment la répétition vient nous rappeler les mêmes événements heureux et tragiques. Il m’arrive le plus souvent de travailler sur les événements tragiques et les répétitions désagréables.

Pourquoi travaillez-vous avec des groupes ?

A.A.S. : J’ai commencé en thérapie transgénérationnelle individuelle en particulier parce que je me déplaçais pour aller au chevet de malades à l’hôpital ou chez eux. Puis j’ai commencé à prendre les gens en groupe parce que je suis psychosociologue clinicienne et que j’ai l’habitude des groupes. Je travaille avec des groupes de quatre à six sur deux ou trois jours. Je me suis aperçue que dans un groupe les gens travaillent mieux. La mémoire des uns réveille la mémoire des autres.

Comment se passe cette exploration des arbres généalogiques ?

A.A.S. : On fait un arbre généalogique au tableau et on travaille au tableau, en inscrivant et en commentant. On fait en noir l’arbre généalogique, avec les naissances, les mariages, les morts, les fausses couches, les remariages. On indique les causes des morts. On indique par un lien vert les rapports affectifs positifs entre les gens. On voit très souvent que les gens sont nés ou morts le même jour – ou à des dates anniversaires.

On souligne en rouge les événements marquants et les répétitions ; c’est un lien visible de la répétition et de la loyauté familiale. Quand on travaille sur un arbre généalogique commenté, on s’aperçoit que cela fait revenir des choses à la mémoire. On a une image visuelle de la famille de ses rapports sur un siècle ou deux. C’est comme un résumé d’une psychanalyse ou d’une psychothérapie. Et ça se met en place autrement dans la tête.
Ça devient très parlant.

Comment éviter les répétitions désagréables liées à une transmission transgénérationelle ?

A.A.S. : On peut éviter l’issue de la répétition s’il elle est tragique, si l’on se rend compte par exemple qu’on peut être fidèle à un ancêtre et son histoire sans mourir de la même chose.

Le seul fait de comprendre une transmission jusque là inconsciente suffit donc à « guérir » ?

A.A.S. : Quand on arrive par exemple à partir d’un geste à remonter la mémoire et à trouver l’événement traumatisant psycho-historique, le symptôme disparaît. C’est très curieux. Il peut même disparaître immédiatement.

A vous entendre, la psychogénéalogie produit des guérisons spectaculaires et quasi miraculeuses…

Anne Ancelin-Schützenberger : Le charlatan et le guérisseur promettent de guérir : c’est dans le contrat. Le psychothérapeute promet de faire de son mieux : c’est dans le contrat. Aucun psychothérapeute ou analyste sérieux, comme aucun médecin ou chirurgien sérieux ne promet la guérison. Jamais. Freud disait qu’il se passe des choses et que la guérison vient parfois de surcroît. Il a mis en évidence la différence entre la compréhension corporelle interne qu’on appelle la catharsis, et la compréhension intellectuelle. Celle dernière sert à assouvir sa curiosité mais n’a jamais guéri ni enlevé l’angoisse de personne.

Pouvez-vous expliquer ce qu’est cette catharsis qui permet de changer en profondeur ?

A.A.S. : Ce qui change, c’est quand un être est secoué par ce que certains ont appelé « un éblouissement »; ce que St Paul et les Chrétiens ont appelé « La route de Damas » (la conversion foudroyante à la foi chrétienne de Paul, jusque là anti-chrétien, alors qu’il était sur le chemin de Damas); ce que les psychanalystes et les psychothérapeutes appellent « la catharsis avec perlaboration ». La traduction anglaise de « perlaboration » est bien meilleure : c’est « working through », qui signifie retravailler les choses.

C’est une compréhension totale psychocorporelle et psychosomatique. On en voit très souvent quand elle a lieu par des changements de couleur de peau, de rythme respiratoires, et quelquefois des manifestations qui changent le fonctionnement psychosomatique. J’ai donné des exemples de maladies de Reynaud: quand le froid disparaît, la peau violacée disparaît et en une seconde devient rose et normale.

C’est un cas où ça se passe comme ça. Mais ce n’est pas toujours immédiat. Il ne s’agit donc pas que d’une compréhension intellectuelle mais d’un changement total de comprendre les choses et de les ressentir dans son corps.
Une catharsis en perlaboration est comme une vomissure: le mal sort. Mais ce n’est pas pour ça que la maladie ou l’indigestion est guérie. Il faut retravailler dessus. Donc on ne promet jamais la guérison à personne.

 

 

16 réflexions sur “La psychogénéalogie selon Anne Ancelin

  1. Je me suis lancée dans « l’arbre » maternel, pour elles, mère et tantes. Et que de découvertes, d’abandons, de secrets, perpétués, des souffrances certainement qui me permettent de « les » comprendre et d’accepter. Mon arbre paternel, mes racines en fait, aucun élément… mais celui-ci ne me pose aucun problème, ni questionnement. Vous me disiez très dure avec les « hommes », non je suis très magnanime, au contraire. La mère « paternelle » fut une excellente femme. Je lui dois beaucoup d’avoir existé.

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    • Belle démarche, Frédérique, surtout parce qu’elle vous a permis, par la compréhension de ces événements douloureux d’accepter et peut-être de vous libérer de ce qui, à travers la lignée pèse sur vous.
      Jamais je ne vous ai dit dure avec les hommes, c’était juste une plaisanterie légère et je me rappelle bien avoir écrit « pas tendre avec les hommes 😀 » quand vous évoquiez le rôle de la femme. Désolée, si je me suis fait mal comprendre.
      N’empêche, que je sens chez vous, ce penchant pour ce que vous nommez La mère « paternelle » et c’est une excellente définition, surtout placée dans le contexte de nos autres commentaires.

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          • Nous nous comprenons, sur l’essentiel. En outre, à lire vos derniers articles, j’ai trouvé l’empreinte du « bon sens », non pas celui de l’érudit, du psy, mais de celui ou de celle qui a aimé sans rien attendre, espérer, recevoir, pas de retour, et qui a mené sa vie dans l’amour, en toute générosité. J’ai tant appris des « analphabètes », les pieds ancrés dans le sol, leur subsistance, mais le coeur si détaché de toutes les contingences matérielles.

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            • Alors c’est cela qui importe et j’en suis ravie, Frédérique.
              Nous disons bien « le bon sens populaire » et effectivement, nous avons beaucoup à apprendre de ces gens simples qui vivent en accord avec eux et en lien avec la Terre et dont les valeurs ne sont pas perverties par nos sociétés, dites modernes.
              Très émouvante la manière dont vous en parlez et cette tendresse se voit aussi dans vos photos

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  2. Oui, je trouve que c’est un sujet qui interpel et qui demande à être « potassé », même si on accepte son incarnation. Je vais devoir me concentrer…
    Myriam

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  3. Je te remercie Elisabeth ! Je viens d’avancer un peu plus avec cet article … Je me sens coincée dans ma vie depuis longtemps et je commence à en apercevoir certaines causes … Comme tu disais dans un autre article, il y a des flash qui se font …

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  4. Coucou Eliza,

    Pas le temps de lire, ma belle fille dans 1h00, week-end d’anniversaire pour la maman de mon mari qui fête ses 93 ans ! (bon pied, bon oeil et bonne tête)
    Je passe pour te souhaiter un bon week-end et te faire des bisous – lili

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