Sept pistes pour se rendre heureux

Arrêter de se gâcher la vie est le premier pas vers l’épanouissement personnel. Le psychiatre Christophe André nous propose un programme de désintoxication.

Psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, Christophe André dirige une unité spécialisée dans le traitement de l’anxiété et des phobies. Enseignant invité dans différentes universités françaises et étrangères, il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages destinés au grand public, dont L’Estime de soi et La Force des émotions, avec François Lelord (Odile Jacob, 2001), et La Peur des autres, avec Patrick Légeron (Odile Jacob, 2000).

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Réussir sa vie, c’est construire un édifice en trois dimensions : matérielle, relationnelle et émotionnelle. Autrement dit : atteindre ses objectifs, tout en préservant de bonnes relations et une bonne image, sans pour autant sacrifier son bien-être. Une réussite sociale qui nous laisserait malheureux n’est plus considérée par nos contemporains comme un idéal de vie réussie.

Mais autant les dimensions matérielles et relationnelles obéissent à une certaine logique, autant la dimension émotionnelle d’une vie réussie, avec ses aspects inconscients (nos névroses) et biologiques (notre tempérament) s’avère plus difficile à contrôler.

Les êtres humains savent depuis toujours la difficulté immense à atteindre le bonheur. Aristote enseignait ainsi que « le sage n’aspire pas au plaisir, mais à l’absence de souffrance ». Plus près de nous, Jules Renard écrivait dans son “Journal” (Gallimard, 2001) : « Le bonheur, c’est le silence du malheur. » Comment, alors, ne pas se rendre malheureux ? Voici sept conseils, sept directions plutôt, qui représentent déjà tout un programme…

1) Prendre la décision d’aller bien

Lapalissade ? Pas si évident. Le philosophe Alain avait coutume de dire : « Il faut vouloir être heureux et y mettre du sien. Si l’on reste dans la position du spectateur impartial, laissant seulement entrée au bonheur et portes ouvertes, c’est la tristesse qui entrera. » Il est toujours plus facile, moins coûteux en énergie psychologique, de se laisser aller au malheur. A l’inverse, faire durer le bien-être nécessite des efforts.

Pour expliquer cela, il y a d’abord des raisons personnelles : il existe des différences nettes entre les individus quant à leurs capacités à se sentir bien. Et des facteurs propres au genre humain : l’évolution semble avoir favorisé chez nous l’existence d’émotions négatives, dont la fonction est d’augmenter les chances de survie de l’espèce.

La peur favorise la fuite ou le combat, la colère intimide les adversaires ou les rivaux, la tristesse attire la compassion, etc. Mais la nature, si elle a eu le souci de notre survie, n’a guère eu celui de notre qualité de vie. Le spectre des émotions et humeurs positives est beaucoup plus restreint, plus labile, et d’accès plus coûteux en termes d’énergie psychologique.

2) Ne pas laisser trop d’espace au sentiment de malheur

dépression 2Si les émotions négatives sont occasionnelles, peu durables et perturbent moyennement notre quotidien, on peut attendre qu’elles disparaissent d’elles-mêmes. Mais flirter avec le malheur, valorisé notamment par le romantisme au XIXe siècle, comporte certains dangers que la psychologie commence à mieux étudier. Laisser libre cours à une émotion négative risque d’en prolonger la durée. On croyait auparavant à un certain effet cathartique : se plaindre permettait d’alléger sa souffrance, par exemple.

Il semble que cela soit souvent l’inverse : la plainte répétée et sans réponse peut transformer en victime de la vie. Et le malheur se nourrit de lui-même : plus on s’y laisse aller, plus on en prolonge la durée. De plus, s’abandonner au sentiment de malheur va faire passer peu à peu d’une émotion négative ponctuelle – on se sent malheureux – à une vision négative durable – on a une vie malheureuse. Enfin, cela prépare le retour des émotions négatives ultérieures : le phénomène est bien connu dans la dépression, qui a une très forte tendance à la récidive, et il a été démontré en ce qui concerne l’humeur triste quotidienne.

3) Prendre soin de soi, surtout quand on ne va pas bien

Encore une évidence ? Oui, mais mille fois contredite par l’observation. La plupart des anxieux et des déprimés font exactement l’inverse. Plus ils vont mal, plus ils se maltraitent (en ne voyant plus leurs amis, en ne pratiquant plus leurs loisirs préférés…) et plus ils se maltraitent, plus ils vont mal.

Le cercle vicieux est alors enclenché. Faire des choses agréables lorsqu’on ne va pas bien ne relève pas de l’évidence, car on n’en a pas envie. Or, tous les travaux disponibles montrent qu’il faut réamorcer cette envie par des efforts initiaux (telle la remise en marche d’un moteur qui a calé). Et qu’il ne faut pas se tromper d’objectif : lorsque l’on va mal, le but des activités agréables n’est pas de nous rendre heureux, mais d’empêcher le mal-être de s’aggraver ou de s’installer.

4) Pas de perfectionnisme ni d’obsession du bien-être

Flaubert, en parlant du bonheur, écrivait : « As-tu réfléchi combien cet horrible mot a fait couler de larmes ? Sans ce mot-là, on dormirait plus tranquille et on vivrait à l’aise. » (in Dictionnaire des idées reçues, Maxi-Livres, 2001) Inutile de prendre le cher Gustave à la lettre, mais tout de même…

La recherche du bien-être ne doit pas virer à l’obsession, et le droit au bonheur – inscrit par exemple dans la constitution américaine – ne doit pas se transformer en « devoir de bonheur », selon l’expression de l’écrivain Pascal Bruckner.

D’autant que le sentiment de malheur, qui fait partie de l’existence, peut parfois être utile, en nous faisant réfléchir ; ou nécessaire, en nous faisant ouvrir les yeux sur des réalités désagréables. Nous ne pouvons pas éviter sa rencontre, mais il est à notre portée d’en faire un bon usage.

5) Face aux soucis quotidiens, réfléchir, ne pas ruminer

L’étude du psychisme des anxieux montre qu’ils ont toujours des tracas en tête, mais que, paradoxalement, jamais ils ne les abordent efficacement : leurs ruminations ne leur apportent pas de solutions. C’est que la vocation du souci est d’être un signal d’alarme (attirer notre attention sur un problème) et non une façon de voir le monde ou de faire face à ses problèmes. Voilà pourquoi l’un des objectifs prioritaires des psychothérapies, notamment cognitives, est d’amener les personnes à considérer leurs malheurs comme des problèmes à résoudre et non comme des malédictions.

On utilise alors une démarche dite « socratique », qui consiste en un questionnement serré sur ces inquiétudes : qu’est-ce qui relève des faits et qu’est-ce qui relève de l’interprétation ou de l’anticipation ? Est-ce que continuer à me faire du souci m’apporte quelque chose ? Quel est mon scénario catastrophe ? Quelles sont les chances qu’il survienne dans ma vie ? Etc. Rude, mais instructif.

6) Ne pas nourrir d’émotions hostiles

Une grande part de notre malheur vient de la place exagérée que nous faisons aux émotions « hostiles ». Elles sont parfois intenses et tournées contre des personnes précises (rancœur, ressentiment, jalousie, etc.). Le plus souvent, elles prospèrent parce que nous privilégions notre besoin d’avoir raison (« Ils ont tort, ils doivent être punis ») à notre désir de nous sentir bien
(« J’en suis la première victime, autant réfléchir à ce que je peux faire d’utile et passer à autre chose. »).

Dans d’autres cas, ces émotions négatives relèvent de l’irritabilité envers les défauts du genre humain, et font poser un regard critique ou cynique sur le monde et ses habitants : « Celle-là, si elle se croit belle… » Le manque de bienveillance est souvent preuve de mal-être, et toujours source de malheur. Philippe Delerm, l’écrivain des « plaisirs minuscules » (La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Gallimard, 2002), disait pour sa part avoir « choisi de vivre en amitié avec les choses de la terre ».

7) Savourer les moments de bien-être

ARC EN CIEL

La meilleure des armes contre le malheur, et la plus agréable à utiliser, c’est sans doute de profiter encore mieux des bons moments que nous offre l’existence. Savourer le bien-être lorsqu’il est là, l’intensifier, le densifier représente un très bon vaccin contre le sentiment de malheur. Vous n’éviterez peut-être pas la maladie, mais ce sera sous une forme atténuée ! Comme toujours, ce n’est pas si facile que cela en a l’air.

Le philosophe André Comte-Sponville parle très justement de toute la difficulté qu’il y a d’être « heureux quand tout va bien ». N’attendons pas l’adversité pour nous rappeler que la vie peut être belle et pour regretter de ne pas en avoir mieux profité… Nous voici revenus au plus ancien et vénérable des conseils de la philosophie, le bon vieux « carpe diem » (« Mets à profit le jour présent »).

 

41 réflexions sur “Sept pistes pour se rendre heureux

  1. Un article qui se veut avant tout réaliste, merci Élisabeth pour ce beau partage
    J’ai le livre dans ma bibliothèque « La Force des émotions » , je l’avais trouvé dans un vide grenier. J’avais commencé à le lire, mais je n’ai jamais pris le temps de le terminer…
    Le voilà en ligne sur Google 🙂
    http://books.google.fr/books?id=ha-Mt3OqVtsC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

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  2. Je me suis arrêté sur la démarche dite « socratique » (point 5) où au lieu de ruminer éternellement, juste un questionnement (dit serré, ici) permettra d’endiguer le champ négatif ou noir. Il est vrai qu’en posant la ou les bonnes questions et mm sans qu’elles soient aussi serrées, çà permet de limiter le champ d’action de ses inquiétudes et de vivre sa vie sans le malheur qu’engendre ces inquiétudes, dans l’espace resté libre.
    Des questions simples genre qu’est ce qui souffre en moi ? De quoi ai-je besoin ? Y répondre objectivement et sans aller jusqu’à décortiquer les détails, on sent la respiration se stabiliser et concilier entre le bien être et les soucis sans que le champ de l’un envahisse celui de l’autre.

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    • Très belle démarche, Hassan, Socrate était un grand sage et cette méthode de distanciation nous permet de devenir un observateur conscient de ce qui nous traverse. Vos questions sont très justes et permettent d’identifier le problème, au lieu d’y plonger avec une certaine joie masochiste.
      Merci pour ce commentaire très éclairant

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  3. J’aime particulièrement la règle no 1 : Prendre la décision d’aller bien ….
    Je crois que le reste suivra …
    Sages conseils Elisabeth dans cet article…
    Merci pour ce partage tellement intéressant …!

    Bon weekend
    Tendresse

    Manouchka

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    • Maintenant, je l’aime aussi, bien qu’il y a encore quelque temps, j’avais du mal avec 😀
      Prendre la décision est poser un acte conscient, puis s’y tenir… et avec de la persévérance, le reste suit, effectivement…
      Toute ma tendresse et bon week-end à toi, chère Manouchka

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  4. Le bonheur, c’est aussi une quête…L’âme aspire au bonheur…Et le travail, la recherche de la connaissance, finit toujours par porter ses fruits. Et petit à petit, lentement mais sûrement, des étincelles de bonheur éclairent notre vie .C’est l’amour qui guide notre recherche. Mettre de l’amour dans tout ce que nous faisons, pensons disons…Un jour, d’étincelles en en étincelles, jaillira un grand feu…

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    • L’âme aspire au bonheur… c’est tellement beau Myriam. Je crois qu’elle garde le souvenir de sa plénitude originelle, qui la pousse vers cette quête. Comme d’habitude, ton commentaire est si inspiré et inspirant. Plein de beauté aussi…merci à toi

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  5. Pingback: Sept pistes pour se rendre heureux | Thomassonjeanmicl's Blog

  6. Oui, tes 7 conseils résument tout, il faut savourer l’instant présent, oublier les tracas et relativiser les chose, bref Carpe-Diem…
    Quand tu as un être cher malade par exemple, tu relativises les tracas et tu savoures plus les bons moments sans se prendre la tête avec des choses futiles…
    Biz et bonne semaine 🙂

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    • Merci, Loup Blanc pour la justesse de ton commentaire. Savoir relativiser est très important car, comme tu le dis, souvent on ne se rend compte de la valeur des choses que confrontés à un événement grave.
      Bisous et belle fin de semaine à toi.

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  7. J’aime beaucoup C. André. Le problème de nos jours, c’est que se plaindre est presque une mode 😦 et il faut se cacher si on est heureux. Et puis, je crois qu’il est utile aussi d’éviter ces personnes trop négatives. A force d’entendre les complaintes, on s’y perd soi même, non?
    Ces derniers temps, je me suis éloignée et sincèrement, ça m’a fait le plus grand bien 🙂
    Merci pour cet article.

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    • Je l’aime beaucoup aussi, c’est un homme d’une grande sagesse mais plein de simplicité.
      Tu as raison, Annawenn, montrer son contentement de la vie, suscite de l’étonnement, quand ce n’est pas de la jalousie.
      Et il est primordial d’éviter ceux qui se plaignent sans arrêt et sans véritable raison car ils nous « pompent » notre énergie et sapent notre moral.
      Ravie que ton éloignement te fait du bien et merci pour ton passage…

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  8. Oui, ces 7 conseils mènent à une vraie philosophie de vie, de responsabilité, de sagesse….et de bonheur au bout. A lire et à relire.
    « Carpe diem ». Savourer le moment présent, faire chaque geste en pleine conscience…pas toujours facile de mettre du coeur dans tous les gestes répétitifs du quotidien! Mais c’est une belle clef de bonheurs.
    Belle soirée, Elisabeth.

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    • Effectivement, Marylaure, il est bien question de prendre sa vie en main, en être responsable et savoir que nous contribuons grandement à ce qui nous arrive ou du moins à la façon dont nous réagissons face aux événements.
      Certes, il est difficile de mettre du cœur dans les tâches lassantes du quotidien mais quand nous y arrivons, elles nous paraissent tellement moins pénibles.
      Belle soirée à toi

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  9. Merci Elisabeth de tes bons conseils positiver moi c’est ma devise surtout maintenant que je me suis libérée de l’obséssion du quand dira t-on !maintenant je m’en tappe je me suis fais trop de mal cause de médisances maintenant je les emm… je vie ma vie sans contrainte a ma façon plaise ou non !!bisous mon amie bonne fin de journée

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