L’intégration psychique par les contes

Si les contes font partie du patrimoine de l’humanité et semblent avoir été utilisés dans toutes les voies spirituelles sous des noms différents : « histoires » sufi, « paraboles » chrétiennes, « récits bibliques » juifs ou même, dans une certaine mesure « koan » zen, on peut y voir de nombreuses raisons.

Si vous dites tout à trac à quelqu’un qui trouve sa femme exécrable, ses conditions de vie insupportables et ses épreuves hors du commun, qu’il pourrait voir les choses autrement, il y a fort à parier que vos arguments se briseront sur le mur de sa logique et de ses résistances.

Par contre, si vous lui racontez qu’un prince vit sa promise se transformer en ravissante jeune fille, son royaume accéder à la prospérité et ses malheurs se révéler des bénédictions cachées, dès qu’il eut vaincu le sort d’une méchante sorcière, en sauvant la vie de petits animaux, en les enrôlant à son service et en développant des qualités nouvelles de courage et de bonté, il vous écoutera avec ce frisson de plaisir que procure toujours la formule « il était une fois », et se laissera pénétrer graduellement des vérités qui lui faisaient défaut.

Le conte passe là où les sermons trépassent

Mais comment ? Par son langage symbolique et ses images, le conte parle directement au cerveau droit, féminin et intuitif, sans encourir les foudres du cerveau gauche, masculin et normatif. Ou, en d’autres termes, il franchit en douceur la barrière du surmoi avec ses peurs et ses limitations, et s’adresse en secret au moi pour l’inspirer, le nourrir et le pacifier. Ceci dans un premier temps.

Dans un second temps, il entre en résonance avec l’être essentiel, qui n’est ni le cerveau gauche ni le droit, ni le surmoi ni le moi, mais les transcende. Il mène alors vers ce qui sert de support lumineux à l’individu, tout en étant sa véritable nature : le Vide, le Soi, la Nature de Bouddha, le Christ en soi, quel que soit le nom utilisé.

Cet être essentiel, l’Être tout court, est ce qui finira par régner « éternellement » sur un état prospère, autrement dit accédera au Paradis, au pays de Canaan, à la terre pure d’Amithaba, au Royaume des cieux, etc., comme c’est le cas des saints et des sages réalisés.

Du temps de l’épreuve au hors temps de la réalisation

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Les péripéties du conte se déroulent dans un temps qui, quoique non-historique, a cependant une chronologie et avance comme un axe, du début à la fin. Ce temps est celui des événements psychiques qui s’affrontent sous la forme de personnages variés. C’est le temps de l’épreuve.

Chaque aspect de l’individu y apparaît comme un acteur autonome : le prince peut être le moi, la sorcière son ombre refoulée, la princesse source d’inspiration, les animaux son corps et ses instincts, son père son surmoi, sa mère son karma, etc. Bien sûr, la grille d’interprétation varie à chaque fois. Par contre, la conclusion du conte débouche toujours sur un non-temps « éternel » perçu comme quasiment « statique ».

C’est celui du bonheur de la réalisation. La formule consacrée : « Dès lors ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants » est ici l’équivalent de la promesse que Dieu fit à Abraham : « Si tu m’es fidèle, tu deviendras le père de tout un peuple qui héritera de la terre promise pour la pérennité. » Elle concerne un état « symbolique ».

S’il en était autrement, s’il ne s’agissait pas là d’une métaphore spirituelle, tous ceux qui savent à quel point le vrai travail d’un couple commence après le mariage et comment rien dans une relation n’est jamais acquis, pourrait accuser le conte de tenir des propos mensongers… Dans les contes, le mariage idéal tient par conséquent la place du Paradis où il n’aura plus rien à faire sinon jouer de la harpe sur son nuage, comblé par la présence de « Dieu »… Il symbolise la réalisation.

Du moi au surmoi : la metanoïa

Ainsi, d’outil d’intégration psychique, le conte devient un véritable détonateur mystique. Après avoir montré comment résoudre les conflits de l’ego – haine des parents, peur de la souffrance de l’abandon, manque de confiance en soi, mépris des faibles, gourmandise, paresse et égoïsme -, après avoir renversé la situation pour libérer un moi neuf, il « retourne » à nouveau ce moi pour libérer le Soi.

Son message le plus caché s’attaque alors au conflit initial, à la dualité originelle cause de la
chute : bien/mal, blanc/noir, juger/ne pas juger… C’est ce conflit qui a séparé illusoirement le moi du monde, des autres et de « Dieu ». Du personnel à l’impersonnel et du « retournement » du moi au « retournement » du Soi, nous voyons donc dans le conte la vraie « metanoïa », autrement dit la conversion complète, l’éveil.

Une progression sur trois exemples

Parmi les contes à contenu (plutôt) psychologique, on peut citer « La belle et la bête » et « Le roi crapaud » qui forment un doublon assez surprenant. Dans les deux cas, à la suite de circonstances diverses, une belle jeune fille se trouve obligée d’épouser un être répugnant.

crapaud1Pourtant, et c’est là l’intérêt, le mari odieux se transforme en prince charmant de deux façons apparemment contradictoires : soit grâce à un baiser d’amour, soit grâce à une explosion de violence (la princesse jette de toutes ses forces le crapaud contre un mur).

Quel conte faut-il croire ? Et qu’en déduire ? Bien sûr que la bestialité du partenaire (de son corps et de sa sexualité) n’est qu’une projection négative de l’héroïne et que celle-ci cesse quand l’amour la guérit de sa peur et de son aveuglement. Mais, les deux princesses étant différentes, on peut aussi déduire qu’elle cesse quand la victime refuse son rôle, passe à l’action et affirme ses propres désirs.

Qu’il s’agisse d’une relation entre homme et femme où d’une relation entre les aspects féminins et masculin d’une seule personne, le conte indique clairement qu’en fonction des circonstances et des névroses en jeu, c’est tantôt la réconciliation, tantôt la fermeté qui sont nécessaires.

En d’autres termes, bien que l’amour véritable libère, il en existe des contrefaçons : la femme battue peut contribuer à faire de son mari un bourreau, quand une attitude ferme de sa part les guérirait tous deux. Le désir inconscient de souffrir basé sur la culpabilité n’est pas de la compassion.

Le même conte peut se trouver encore un cran au dessus. Il appartient à la tradition tibétaine :

« Alors que Naropa cherchait désespérément son maître, il rencontra une femme lépreuse couchée en travers de son chemin. Au lieu de s’arrêter pour l’aider comme il aurait dû le faire s’il avait réellement vécu les enseignements sur la compassion qu’il venait d’étudier, il l’enjamba. Celle-ci se transforma immédiatement en arc-en-ciel et dit : “ L’Ultime à l’intérieur duquel tout devient égal est libre des pensées et des limitations. Comment, si tu es toujours entravé par elles, peux-tu espérer trouver ton guru ? ” »

Cet épisode se répétera un grand nombre de fois jusqu’à ce que Naropa comprenne que c’est justement à l’intérieur de tout ce qu’il rejette, que se trouve la possibilité d’apprendre. Dans le bouddhisme tantrique, la dakini symbolise l’énergie intuitive menant à l’éveil. Celle-ci lui dit : « Attention, le maître chéri est partout, et pas seulement sous une forme humaine. » C’est lui qui vous pose un défi quand vous recevez des mauvaises nouvelles et constatez, pour couronner le tout, qu’on a crevé les quatre pneus de votre voiture pendant la nuit !

Donnons maintenant une dernière version de ce conte qui ne s’attaque qu’à la dualité originelle. Elle a été racontée par le maître Namkhai Norbu Rimpoche lors d’une retraite :
« Il était une fois un jeune homme qui était tombé follement amoureux d’une ravissante jeune fille. À chaque heure du jour et de la nuit, il ne pensait qu’à elle.

Quand enfin il se résolut à faire sa demande, elle lui dit qu’elle serait ravie de l’épouser. Il n’y avait qu’une seule condition, un vœu fait à sa vieille mère sur son lit de mort. Elle ne devait jamais se marier sans sa sœur jumelle. Ravi d’avoir deux épouses délicieuses au lieu d’une, le jeune homme ne fit aucune objection. Or quand vint le jour du mariage quelle ne fut sa stupéfaction de découvrir que la jumelle de sa promise était aussi repoussante que sa sœur était belle.

– Mais comment est-ce possible ?

– Justement, tu ne peux avoir l’une sans l’autre, répondit celle qui était jolie. »

Commentaire de Norbu : ici, le noir ne se transforme pas en blanc (grâce à la bonté et à la clairvoyance), les deux sont indissociables. La répulsion est le revers de l’attirance. On ne peut jamais prendre un seul terme de la dualité. Il faut l’admettre.

Ceci dit, ne résistons pas à une dernière histoire en guise de dessert : « Un jour, un homme poursuivi par un tigre tombe dans un précipice. Il se raccroche de justesse à une branche mais voit bientôt qu’elle est attaquée par deux souris… En dessous de lui un deuxième tigre guette. À la hauteur de son nez, soudain, il aperçoit une fraise. Il la cueille d’une main. Quel goût ! »

Quelle que soit sa forme, et ce d’autant plus qu’aujourd’hui, en réaction contre le langage stéréotypé de la science et des ordinateurs, le conte par sa richesse et sa brièveté nous semble jouer dans les épreuves de la vie le rôle de cette fraise délicieuse, dont le parfum nous emmène ailleurs… et ici…

Par Ariane Buisset

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22 réflexions sur “L’intégration psychique par les contes

  1. Bonjour Elisabeth,
    J’en retiendrai ceci, nous ne pouvons trier une vie, elle est complète, faite de noir et de blanc, de bien et de mal, parfois le chemin est moins facile et pourtant l’issue n’est pas si négative 😉
    Le conte est une façon imagé d’apprendre la vie sous ses différentes facettes;-)
    Merci à vous Elisabeth de tant de partage, un régal 😉 🙂

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  2. J’adore cet article ,,, si j’aime tant les contes c’est justement qu’il me parlent en images,
    ils me parlent dans des symboles.
    Moi les images me parlent , les fées et les princesses , les sorcières , et les chevaliers ,les sirènes .
    Et les paraboles les pêcheurs et les filets remplis, les semences et la moisson …
    Je ne veux pas que l’on m’enseigne ou que l’on me dise le message des histoires et d’ailleurs je pense que l’on n’y arriverais pas , quand j’en lis une le message que j’ai besoin d’entendre s’impose lui-même , il fait son chemin dans mon imaginaire … il est clair comme de l’eau de roche ou il le deviendras en son temps.
    merci pour tout ces partages …

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    • Je sais que tu les adores, en plus, tu sais si bien les écrire ! Tes histoires sont drôles, parfois déjantées et toujours pleines d’imagination. Leur lecture est une véritable joie.
      Enfant, je lisais surtout Andersen, j’ai racheté le livre d’ailleurs, et il m’arrive de le relire.
      Merci pour le lien vers Grimm, je m’en souviens moins bien.

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  3. Coucou ma chère Eliza,
    Les contes sont souvent une façon « ludique » de faire comprendre la vie, avec assez de « magie » pour faire avaler le message 😉 les gentils, les méchants, les héros, les survivants, bref, des états de crise qui un jour cessent… ouf ! 😉 heureusement tout prend fin un jour !

    Je ne reçois plus aucun abonnement de personne, ça ne marche plus – WP est en rade ????

    Belle fin de semaine bien au chaud, chère Eliza – des gros bisous – lili

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    • J’aime beaucoup le coup de magie « pour faire avaler le message 😉 »
      Merci pour l’extrait de ce film magnifique.
      Tu es la troisième à me le dire, comme je passe toujours par le lecteur, les nouveaux posts sont là mais effectivement, je crois qu’il y a encore un problème. Je vais le dire sur le forum, si tu as le temps, ça serait bien que l’on soit plusieurs à le signaler.
      Belle fin de semaine à toi et gros bisous.

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  4. Tous c’est contes correspondent a notre culture chrétienne, le hic, la société évolue et se laïcise doucement, est les contes ne serrons plus une référence pour notre nouvelle société, fini les méchantes belles-mères, a nous d’inventer de nouveaux contes et une nouvelles psychologie.

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  5. Le Temps de la Parole , au fil de longues veillées ,
    A cesser d’éclairer , la garde d’une vieille école ,
    Vivant sous Paraboles , un Monde d’images est né ,
    Au loin de sages Aînés , sommeillent nos herbes folles.
    ~
    NéO~
    ~
    Becs d’une branche d’Hors

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  6. Passionnant, merci Elisabeth.
    Le noir et le blanc, la lumière et l’ombre indissociables : l’un ne peux exister sans l’autre. A comprendre dans tant de situations quotidiennes de notre vie…

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  7. Super intéressant comme toujours Elisabeth ….
    J’avais déjà lu sur le sujet, mais il manquait des éléments de certains contes, que je retrouve ici.
    Je prends bonne note des liens afin de poursuivre …Merci…

    Bonne soirée à toi ma belle
    Tendresse
    Manouchka

    P.S. J’ai bien aimé ta conversation avec Chris sur le Quai 66….comme quoi les quais de gare sont propices à la conversation …( sourire )….xxx

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    • Merci, Manouchka, c’est vrai que c’est un si vaste sujet, que l’on peut explorer à l’infini…
      J’ai adoré cet épisode, il m’a tant fait rêver, alors j’étais un peu triste que l’on casse ce romantisme, dont nous avons tant besoin. En plus, comme tu le dis chez Chris, c’est du vécu et au fond je sais qu’il veut y croire, juste un peu déçu par ce qu’il voit au quotidien.
      Tendresse, ma douce, j’attends la suite avec grande impatience

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