Le bonheur vrai n’est ni gentil, ni confortable

AnsembourgÀ peine parus, ses deux livres, Cessez d’être gentil, soyez vrai ! et Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable ont connu un grand succès et nous ont plu. Intrigués par ces titres narquois, nous avons eu envie de savoir qui se cachait derrière. Portrait d’un Bruxellois du XXI° siècle.

Aussi loin qu’il remonte dans ses souvenirs, Thomas d’Ansembourg a toujours éprouvé une immense tristesse à voir des gens en conflit. Sa famille était honnêtement catholique et aimante, et aucun traumatisme particulier ne pourrait expliquer cette sensibilité exacerbée. Toujours est-il que, pour lui, le choix professionnel ne fit pas un pli : il serait avocat, pour aider les humains à mieux s’entendre.

L’origine de la plupart des conflits lui semblait évidente : défaut de communication. Au barreau de Bruxelles il se fit les dents. Mais ses compétences l’entraînèrent vite vers le droit des affaires, où le bluff, l’esprit procédurier et la brutalité grossière, hypocritement camouflée sous des dehors polis, priment largement sur le désir de mieux communiquer.

Aussi s’engagea-t-il, parallèlement à son métier, dans un travail bénévole avec des jeunes en difficulté, dans une association de prévention spécialisée appelée « Flics et Voyous » et dirigée par un ami à lui, ancien avocat “défroqué”, devenu commissaire de police.

Mais réorienter la vitalité des jeunes délinquants vers des activités sportives (escalade, parachutisme, voyage dans le désert) n’allait curieusement pas de soi. Beaucoup restaient prisonniers de spirales suicidaires et renvoyaient le « gentil Thomas » à ses oignons.

Celui-ci avait vite repéré combien leur manque de vocabulaire les empêchait d’évoluer, mais il ne pouvait les aider et encaissait mal ses échecs. À la fin, il comprit ce que les jeunes lui signifiaient implicitement : qu’il commence par se soigner lui-même, pour s’arracher à ses propres marigots, avant de prétendre secourir autrui !

Six ans de psychanalyse. Classique. Freudienne. À une époque où l’on écrit des livres noirs sur la chose, Thomas la défendrait plutôt : « Toute approche a ses limites et il existe bien d’autres méthodes. Mais pour moi, ce fut très efficace, malgré ma rage contre les contraintes que ça représentait… ou grâce à elles !

Ce travail de fond débusqua mes automatismes et fit fondre les cloisonnements qui m’empêchaient de voir la réalité. Pour la première fois, j’ai compris que je n’étais obligé d’être gentil, que je pouvais me rebeller contre quelqu’un sans perdre son estime. »

Il est en fin de cure, quand il découvre Père manquant, fils manqué, le premier livre de Guy Corneau. Un choc. D’autant plus marquant que le fameux psy québécois donne justement un stage en Belgique. Thomas et son ami commissaire se souviendront toujours de ce week-end, qui leur laissera l’impression d’avoir « passé au tamis » tout ce qui coinçait dans leurs relations respectives.

Pendant le stage, les explosions ultra-émotionnelles des stagiaires (rien que des hommes) les laissent pantois : comment le thérapeute parvient-il à canaliser de pareilles tempêtes, à les rendre libératrices ? Bientôt Thomas y pense sérieusement : voilà le métier qu’il aimerait faire. Avec des jeunes en difficulté, ça pourrait s’avérer inespéré…

Trois stages plus tard, dont un très long au Maroc, Thomas devient l’assistant de Guy Corneau au plat pays. On est en 1993, il a 32 ans et son job d’avocat ne sera bientôt plus qu’un (très confortable) gagne-pain… Mais déjà se profile son second instructeur à l’horizon : Marshall Rosenberg.

 « Une pièce maîtresse manquait encore à mon puzzle et voilà qu’elle m’était offerte par cette étonnante synchronicité, qui se met en place sitôt que nous acceptons de nous ouvrir à la vie. » Marshall Rosenberg est l’homme qui, rescapé des camps de la mort, a inventé la CNV : communication-non-violente.

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« Tout tient en quatre mots, explique Thomas : les faits, les ressentis, les besoins, les demandes. Face à un conflit, il s’agit d’abord d’observer les faits sans juger. Puis de ressentir, le plus précisément possible, ce qu’ils suscitent en moi. Ensuite de traduire ces ressentis en besoins personnels exprimables. Enfin de demander satisfaction de ces besoins – au moins partiellement… car au fond, tout est négociable. »

De nouveau, c’est un travail en groupe, mais très différent. Hommes et femmes sont mélangés. Et il ne s’agit pas de thérapie – même si la première découverte que Rosenberg fait faire à d’Ansebourg (notamment par le biais de sortes de constellations familiales, qui débouchent sur le mystère transpersonnel, quand les protagonistes ont l’impression incroyable d’être différents visages d’une même conscience), c’est la violence énorme qu’il entretient… vis-à-vis de lui-même. Or, il faut s’aimer pour aimer l’autre.

Vis-à-vis de l’autre, justement, Marshall Rosenberg, comme Karl Rogers ou Eric Berne (bien prolongés en France par Jacques Salomé) parle du « tu qui tue » : dans un conflit, apprenons à dire « je » et à faire la part de ce qui revient à chacun.

Moyennant quoi, en peu d’années, la vie de Thomas va changer de fond en comble. Au point de lui donner le vertige. Un double vertige, affectif et professionnel : lui qui se voyait célibataire à vie, va accepter d’épouser une femme et d’avoir des enfants ; lui qui jouissait d’un revenu lucratif, va prendre le risque de tout lâcher, pour devenir thérapeute. C’est à cette époque qu’il découvre la différence entre bonheur et confort.

Car lâcher la sécurité – en particulier, dans son cas, risquer de perdre la maison qu’il s’est acheté et dont il raffole- vous creuse un trou dans l’estomac. « Je n’y serais pas arrivé sans ma femme, dit-il. Un jour, elle m’a demandé : “Et si nous perdions cette maison, ça serait vraiment si grave ?” d’un air tel que j’ai éclaté de rire.

Le bonheur doit se libérer du confort, dans le sens où il faut renoncer aux petits plaisirs pour en connaître de grands, bien sûr, mais aussi, plus profondément, parce que nous devons apprendre à ne pas toujours faire, faire, faire des choses, pour nous autoriser enfin à être.

Or, s’arrêter de faire, donc dire souvent non (aux autres et à soi) vous met dans des situations très inconfortables, remplies de reproches, de regards noirs, de remords, de culpabilité. On vous dit : “Tu as changé, tu es devenu égoïste !” Vous répondez : “J’apprends à être plutôt que faire.” Mais on ne vous comprend pas, du moins au début. Ça fait partie de l’apprentissage : l’estime de soi doit venir de nous, pas des autres. Elle seule autorise des choix conscients : exercer ma liberté d’aller sur tel chemin, c’est faire le deuil de tous les autres chemins. »

Thomas d’Ansembourg ne regrette pas d’avoir lâché le monde des affaires. Ses livres se sont très bien vendus (deux cent mille pour le premier, le second a déjà dépassé les quarante mille quelques mois après sa parution) et sa vie professionnelle se partage désormais entre ses propres stages et conférences.

Son truc le plus populaire : Changez votre vie en trois minutes trois fois par jour de vraie présence à soi ! « Si vous prenez vraiment ce temps, plaide-t-il, pour observer ce qui se passe en vous, sans juger, pour constater ce qui vous rend heureux et ce qui vous démolit, ce qui fiche en colère et ce qui vous nourrit, un processus extrêmement transformateur se met en route.

Malheureusement, beaucoup de gens ne supportent même pas ces trois fois trois minutes de silence. Dommage, c’est très puissant ! Ça ne permet pas de changer le cadre, mais la façon de vous mouvoir dans ce cadre. »

Quant à sa vie privée, regardez plutôt la photo : il croule sous les femmes !

Patrice van Eersel pour le magasine Clé

À lire : Cessez d’être gentil, soyez vrai ! et  Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable
Thomas d’Ansembourg, Editions de L’Homme.

À écouter le livre audio :

20 réflexions sur “Le bonheur vrai n’est ni gentil, ni confortable

  1. Merci pour ce texte très inspirant ! A chaque fois qu’un changement arrive dans ma vie, quel qu’il soit je ressens une profonde excitation et joie en moi… cela arrive avant même que j’ai le temps d’avoir peur. Je sais que c’est là ma vraie nature, toujours prête à accueillir le nouveau, mais les peurs viennent vite tout freiner, alors j’apprends à ne pas leur donner toute la place et m’accrocher à cette excitation première 😉 Il est effectivement par là-bas le bonheur!

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    • Merci à toi, Minsoa, heureuse que tu aies pu apprendre à préserver cette réaction car le changement (même pour le mieux) fait très peur à la plupart de nous. L’être humain préfère les certitudes, même illusoires et la peur freine les plus belles résolutions, alors que le changement, c’est la Vie, comme la Vie est un changement permanent.
      Et tu as pu découvrir ta vraie nature qui le sait et s’en réjouit, en ne laissant pas de place à la peur.

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  2. bonjour Elisabeth, j’ai un mauvais souvenir de ce livre, un de mes amis croyait qu’il était trop gentil et avait pris à la lettre le titre du bouquin ! Du coup, il était devenu execrable et avait développé un égo encore plus surdimensionné 😉 Bises (oups, je ne reçois toujours pas tes articles en boite mail)…

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    • Alors là, c’est la meilleure 😀 Je suppose qu’il ne s’est pas donné la peine de lire plus loin que le titre.
      Ton passage me fait tellement plaisir, j’ai fait une enquête, les abonnés disent me recevoir bien. Moi, je passe toujours par le lecteur mais effectivement, j’ai aussi eu des soucis avec mes abonnements.
      Le mieux est de te désabonner via le bouton « suivre » et te réabonner… désolée pour les soucis.
      Je te souhaite un bon dimanche

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  3. Au coeur de la tradition la quête n’est jamais le bonheur. En effet, ce dernier n’est jamais qu’une résultante parmi tant d’autres d’une quête authentique. On ne cherche pas le bonheur, il nous est donné par surcroît, comme un fruit. L’exigence de la quête spirituelle est même contraire à l’idée que généralement on se fait du bonheur ; elle est source de crises intérieures, de doutes, d’efforts et de transformations pas toujours faciles. Mais peu à peu, la sérénité fait sa place, le détachement en nous grandit, et de plus en plus, nous expérimentons des joies sans objet. En fait, l’attachement au bonheur et ses fausses conceptions est source de souffrance. On peut dire la même chose en ce qui a trait à l’amour.

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    • Musael, j’adore vos commentaires et de celui-là, je pourrai en écrire chaque mot, tant il reflète ma façon de penser.
      Cela se voit que vous parcourez le chemin depuis longtemps et que vous en avez saisi les méandres.
      Un très grand MERCI

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      • Pourtant, j’ai hésité avant d’intervenir. Je me sens trop souvent à contre-courant et pour cette raison j’en dit toujours moins que plus sur mes expériences ou ma perception des choses. Merci, Élisabeth, de la tribune que vous m’offrez. Grosse bise!

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        • Ne me remerciez pas, tous vos commentaires sont parfaitement en phase avec les articles de ce blog et de son orientation. Disons, que nous sommes tous à contre-courant, les autres ne viennent pas 😀
          Une de devises en est la citation de Krishnamurti : ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être adapté à cette société malade » et sans grandiloquence, nous cherchons juste à « faire notre part » comme dans la fable du colibris.
          Alors, sentez vous à l’aise, toutes les opinions qui respectent l’Autre sont les bienvenues.
          Grosse bise à vous ou plutôt à toi, Musael 😀

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  4. Bonjour Elisabeth ….

    Un parcours des plus inspirants …vraiment !
    J’ai été contente d’apprendre qu’il a travaillé avec Guy Corneau qui est très apprécié ici, au Québec…
    Je manque de vocabulaire Elisabeth pour te remercier de tout ce que tu nous partages ici…
    Des livres audio aussi intéressants, j’en prends à la tonne ( sourire )….
    J’ai souvent les yeux fatigués pour lire le soir …alors cet outil est parfait pour moi…

    Je te souhaite une très bonne semaine …
    Tendresse

    Manouchka

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    • Guy Corneau est apprécié depuis longtemps en Europe et ses livres et conférences ont changé la vie de nombreuses personnes. Je le porte en haute estime et il m’a tant appris…
      Toi, qui manques de vocabulaire, Manouchka… je n’y croirai jamais 😀 Et tu n’as pas à me remercier car je prends autant de plaisir à te lire…
      Effectivement, les livres audio sont précieux pour nos yeux fatigués et en plus, on peut les écouter en faisant autre chose.
      Excellente semaine et j’espère que j’aurai la joie de lire la suite de ton livre, il me tarde…
      Tendresses

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  5. excellent article ! un parcours très inspirant. et qui me conforte que lorsqu’on est sur le bon chemin. la vie nous envoie des signes pour nous encourager à nous libérer du superflu pour aller à l’essentiel, en profondeur. Merci elisabeth 🙂

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