Couple : Halte aux idées reçues

Nous rêvons tous devant ces couples au long cours qui se tiennent encore la main après une vie entière passée côte à côte. Devant nos interrogations – « Comment font-ils ? » –, eux nous regardent avec tendresse : « Comme on peut », semblent-ils nous répondre. Loin de la performance et des diktats…

Jadis, c’était facile. Je ne dis pas drôle ni exaltant, mais facile. Le couple n’était ni le synonyme espéré de l’amour, ni le lieu de l’épanouissement personnel. Il était l’espace dédié aux alliances familiales et patrimoniales, l’endroit de la procréation, le premier agent du bon ordre économique, religieux et social. Un point, c’était tout.

Sauf coup de chance, pas de frisson, pas de passion, mais éventuellement de l’affection. La preuve par la littérature, temple par essence de l’amour : « Il faut, je crois, qu’en se mariant, l’un des deux renonce entièrement à lui-même et fasse abnégation non seulement de sa volonté, mais même de son opinion, qu’il prenne le parti de se voir par les yeux de l’autre, d’aimer ce qu’il aime.

Quelle source inépuisable de bonheur quand on obéit ainsi à ce que l’on aime : l’on fait à la fois son devoir et son bonheur. » George Sand, qui a écrit ces lignes, (citée par Benoîte Groult in Mon évasion autobiographie (LGF, “Le Livre de poche”, 2010)) n’était pas spécialement un bas-bleu soumis. Vu de ce prisme, rien ne dit que madame de Rênal, Emma Bovary ou la princesse de Clèves aient été malheureuses avec leurs époux respectifs.

Jusqu’à ce que l’amour leur tombe dessus et fiche tout par terre… Dans ce bel et ennuyeux agencement séculaire du mariage, tout a basculé sous des coups successifs. D’abord, la légalisation du divorce (1884 tout de même), puis la première libération de la femme, celle entraînée par la guerre de 1914, puis la revendication du droit au plaisir, puis enfin la contraception…

Une idéalisation de l’amour

Dans le calcul d’indice de bonheur brut, le divorce est considéré comme l’épreuve la plus douloureuse, devant le décès d’un proche ou le chômage. Par ailleurs, 71 % des sondés pensent qu’ils vivront toute leur vie avec la même personne.

« Hier empêché, voici l’amour devenu impératif, écrit le philosophe Pascal Bruckner dans son décapant et incisif essai Le mariage d’amour a t- il échoué ? On est passé d’un dogme à l’autre : l’union d’affaires est désormais prohibée, hors de la réciprocité des émois, point de salut. La vie conjugale était une geôle, on a détruit les murs et nous portons désormais la prison en nous-mêmes, elle s’appelle l’amour parfait. »

Vieux couple

N’allez pas lire, ici, le vœu subliminal que tout revienne à l’heureux temps des mariages arrangés. Que saint Valentin nous en protège ! Mais le constat est simple : l’amour a introduit l’irrationalité, l’idéalisation, la projection dans le couple. Avec eux, le malaise : comment conserver cette alchimie puisque nous ne la maîtrisons pas ?

Et l’inquiétude s’aggrave quand on songe que cet amour-là est érigé aujourd’hui en unique mètre étalon de nos bonheurs. Que dis-je ? Que de lui dépend la réussite de notre vie tout entière ! Pour combler notre inquiétude, nous nous sommes mis à chercher des réponses auprès de tous ceux qui étaient prêts à nous les servir.

Donnez-nous des trucs, des recettes, livrez- nous les secrets, avons-nous supplié les philosophes, les romanciers, les psys… Nous voulons faire du couple un magnifique système qui tienne dans un joli cadre ? Ça tombe bien : tout ce monde-là est toujours disposé à nous faire croire qu’il a trouvé le Graal.

Des concepts psy mal compris

Nous cherchions un mode d’emploi ? Les psys, notamment, nous l’ont fourni. Un couple qui dure, nous ont-ils expliqué, passe par quatre étapes : la fusion, la différenciation, l’exploration, l’association. Et entre chaque «…ion », le spectre de la séparation. De ces concepts nuancés, nous avons fait des normes.

Comme dans les jeux vidéo, un moment d’inattention et, hop ! nous sommes morts. Ensuite, libre à nous d’essayer encore avec un nouveau partenaire. D’ailleurs, ça tombe bien, le monde entier ne cesse de nous pousser au zapping consumériste. « Inutile de rencontrer le premier venu si le deuxième est fait pour vous », assure ainsi la publicité d’un site de rencontres.

De cet amalgame entre concepts psy mal compris – mais soigneusement entretenus – et idéal du « nous » qui confond couple et jouissance permanente, des idées reçues à la vie dure sont devenues le socle d’un vade-mecum plus nocif qu’il n’y semble.

S’il veut durer, le couple ne doit pas être fusionnel, ne doit pas chercher à changer l’autre, doit constamment entretenir le désir sexuel, doit régulièrement parler de lui-même et veiller à ce que les enfants ne détruisent pas le lien. Et tout ça, s’il vous plaît, avec légèreté, profondeur, bonne humeur et honnêteté !

Eh bien non ! Nous répondent les témoins que nous avons choisis pour illustrer ce dossier. Loin de ces idées reçues, ils ont construit des couples qui défient le temps : vingt ans, trente-cinq ans, quarante-huit ans… Que nous disent-ils tous ? Qu’en s’affranchissant des recettes toutes faites, ils ont trouvé leur voie à eux.

Qu’elle vaut ce qu’elle vaut, mais que c’est la leur et qu’elle les emporte loin, à deux, main dans la main. Et vous savez quoi ? Les psys que nous avons rencontrés pour parler de ces drôles de héros du quotidien sont d’accord avec eux : c’est à chacun de créer sa propre alchimie ! Car le couple qui dure n’a qu’un secret à partager : il faut inventer les règles du jeu de son bonheur. En affichant la volonté de faire la peau à la plus torturante des idées reçues (merci Aragon !) : « Il n’y a pas d’amour heureux. » Chiche ?

Violaine Gelly

 

42 réflexions sur “Couple : Halte aux idées reçues

    • Très touchée par votre commentaire, j’adore mon prénom mais plutôt pour sa vibration et sa signification associée à La Maison Dieu, dans le Tarot…
      Qu’il veille également sur vous et vous couvre de ses bénédictions.

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  1. Encore un très bel article Elisabeth, merci 🙂 Je suis plus que d’accord pour dire que chaque couple a sa recette personnelle pour durer. Chéri et moi avons vécu des choses en 12 ans qui auraient séparé un tas de couple, à n’en pas douter. Et pourtant nous sommes toujours ensemble, parce que nous voyons la vie de la même façon, et que ce ciment de base n’a pas pu être détruit par des événements perturbateurs. Et puis, comme cela a été dit dans d’autres commentaires, l’Amour est le véritable socle. P

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    • Encore un magnifique témoignage, Biancat, merci à toi de l’apporter. En douze ans ensemble, effectivement, vous avez du en rencontrer des écueils, à te lire plus durs que la normale. Cette compatibilité vous l’avez en commun mais vous avez su la renforcer. Et préserver l’amour dans toutes les circonstances… Merci, c’est une telle joie de le lire…

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  2. To me…add the word..the emotion « Like »
    for love is always assumed to conquer and cure all…
    but to Like someone….you grow with them
    not against and away from them….keeps the love growing not stagnating or in suspension so to speak
    Amother good post Elisabeth…! I enjoyed!
    Take Care…
    )0(
    maryrose

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  3. ton article, comme souvent, tombe à pic
    Pookito et moi fêtons nos 9 ans et on se rend bien compte que l’amour ne suffit pas
    Il me manque parfois la sensation des débuts, c’est à dire de l’état amoureux et nous nous évertuons à le retrouver, à ne pas supposer tout savoir de l’autre, ne pas anticiper ses réactions, ses réponses, ses envies (et je ne parle pas « que » du sexe mais aussi de sexe)
    c’est du boulot, c’est un effort d’une certaine façon, de ne pas se reposer sur des lauriers somme toute périssables
    ça demande une vigilance bienveillante
    ça exige de se dire « le rechoissirais-je maintenant »? « me comporterais-je ainsi si je devais le séduire? »
    équilibrer l’amour et le sentiment amoureux pour que les partenaires de l’équipe ne se lassent pas
    cultiver la bienveillance surtout
    je vois trop de couples où un rapport de force – même léger – s’est installé et a fait naitre des frustrations, des rancœurs, une pourriture de l’étincelle originelle
    ps : je n’y parviens pas toujours et Lui non plus, mais on essaie et on se le dit.

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    • Neuf ans c’est super, surtout que vous avez dépassé la fameuse crise de 7 ans et que vous êtes jeunes. Non, l’amour ne suffit pas et si les gens s’en rendaient compte, il y aurait moins de divorces. C’est du sacré boulot, qui demande beaucoup de tolérance, d’acceptation et de vigilance bienveillante. Rien n’est acquis pour toujours, contrairement à ceux qui, convaincus que l’autre leur appartient ne font plus d’efforts et s’enlisent dans la routine qui tue ou dans ces luttes de pouvoir…
      Je crois que vous y parvenez tout de même, puisque vous en avez conscience et l’envie de continuer. Et la communication est essentielle aussi.
      Merci, Pooky pour ce témoignage, je te lis avec un plaisir immense…

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  4. pour le meilleur et pour le pire…
    on a trop tendance à oublier cette 2e partie.
    On voudrait qu’il n’y ait que du plus. Quand arrive le moins, on ne s’aide pas assez.
    Mais l’amour, c’est aussi cela.. être l’épaule de l’autre, vivre les moments durs ensemble.. ne pas se tirer dessus dans ces moments là, mais essayer de s’en sortir, main dans la main..

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    • Cette phrase rituelle, prononcée lors des mariages contient effectivement ces deux parties et, comme tu dis, c’est dans les moments difficiles que le couple est éprouvé… Et si l’amour est vrai et fort, on se comporte comme tu le décris et souvent, ces épreuves rapprochent les partenaires…
      Mais on dirait que peu de personnes sont prêtes à vivre ces moments.
      Merci, Muriel pour ton témoignage

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  5. Bonjour Élisabeth! Un super article, comme d’hab’… tout ce que je pourrais dire c’est que l’amour devient et se « confond » avec l’affection, à la longue et c’est normal, logique, humain… Tout couple est unique, quant à sa durée, la question qui se pose est: veux-tu vieillir avec moi, du moment que nous vivons déjà ensemble?!… 🙂 Il n’y pas de recettes-miracle, en ce qui me concerne mon couple dure depuis 35 ans dont 33 ans de mariage bientôt, ce qui ne nous rajeunit pas ma chère dame… 🙂 Mais je n’ai aucun souci ou problème avec les années!

    Notre relation de couple a été basée dès le début sur: amour-affection, confiance, dialogue, communication et respect réciproque. Évidemment que la vie intime est très importante, aussi… 🙂 Je pense que toute relation humaine à sens-unique, donc sans réciprocité, conduit tôt ou tard dans une impasse, un cul-de-sac…
    – – –
    Amitiés sincères, bonne journée et bonne chance dans tout ce que tu fais… à+!

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    • « Veux-tu vieillir avec moi ? », quelle touchante question, Mélanie. Merci pour ton témoignage qui est une si belle preuve que l’amour durable peut exister, surtout à l’époque où 2 couples sur 3 divorcent. Outre les bases que tu évoques, il y a sûrement eu beaucoup de travail pour surmonter les crises, inévitables. Cela me fait penser à une dame qui disait :  » à mon époque on réparait les choses, on ne les jetait pas… » et j’adore cette métaphore, puisque le « tout jetable » s’applique aussi aux mariages qui cassent à la première difficulté.
      Personne ne rajeunit mais non seulement cela ne te pose pas de problèmes mais en plus tu peux être fière d’avoir réussi ta vie, contrairement à ceux qui sont seuls ou trois fois divorcés, sans avoir rien appris.
      Je t’embrasse fort.

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  6. Très bel article Élisabeth,j’aime beaucoup la partie qui dit qu’il faut inventer les règles de son bonheur, car les époques changent et les personnalités sont différentes, le couple et le bonheur ne peuvent être le même pour tous, l’important je crois est qu’il y est de l’amour

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    • L’amour est toujours la base, faut-il encore qu’il soit authentique et qu’il ne disparaisse pas à la première difficulté rencontrée.
      Sinon, à chacun d’inventer ses règles et les adopter pour garder le couple vivant.
      Merci, Éloïse

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  7. Nous faisons avec l’Amour ce que nous faisons avec le reste: nous souhaitons le mettre dans une case pour l’identifier, le nommer, le cerner. Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. On ne peut pas mettre la Vie dans une case. Ah que certains d’entre nous (pour ne pas dire tout le monde en fait 😉 ) seraient heureux de savoir enfin ce qu’est l’Amour et comparer avec ce qu’ils vivent pour savoir s’ils ont la chance de le côtoyer. Mais diantre, pourquoi se faire tant de mal?? Car loin (très loin) de nous aider à savoir si nous sommes heureux, mettre l’Amour dans une case, revient à le mettre en cage et à le voir dépérir.
    L’Amour est multiple, il a mille visages. L’Amour partagé par un couple n’aura pas la même couleur qu’un autre et si les uns se comparent aux autres ils pourront croire que SELON la norme, ils ne sont pas heureux…
    Ah mais quelle manie nous avons de créer des lois, des règles, des normes pour tout mettre dans des tiroirs. Ah comme l’être humain a peur, peur des sentiments qu’on n’attrape pas, peur des sensations non étiquetables, peur des émotions débordantes, peur de… LA VIE! Et comme il en a peur il veut tout parquer dans des boites pour avoir un semblant de contrôle. Mais coupez les fleurs et regardez les faner.
    On ne peut pas mettre l’Amour dans des cases, l’Amour se vit, se ressent. L’Amour n’est qu’un mot humain désigné pour rendre compte de ce que les mots ne peuvent conter.

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    • Merci, Maria pour ce cri de révolte tout à fait justifié. Comme tu le dis si bien, tout ce qui est vivant et vibrant, change constamment et ne peut être mis en cage, au risque de dépérir. Si on enlève les pétales à une rose, il ne reste plus rien de sa beauté.
      Mais l’être humain a parfois besoin de repères, surtout que notre éducation nous a inculqué des faux principes : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… » point, alors que c’est là, que l’histoire commence.
      Le mythe du prince charmant et la conviction que l’amour surmonte tous les obstacles, même si nous ne faisons rien ont « coulé’ beaucoup de couples, qui se sont engagés sans savoir comment faire pour que leur amour soit durable.
      Sans parler que sous le terme de l’amour, il y a tant de malentendus, vu les choses qui sont tout son contraire, comme la jalousie, le besoin de « posséder » l’autre, la sensation que tout ira de soi…
      Nous passons bien un permis de conduire, tandis que pour l’amour ou l’éducation des enfants chacun fait comme il veut…
      Certains apprennent de leurs erreurs mais combien répètent inlassablement le même schéma, et au bout du cinquième divorce ne se remettent toujours pas en question ?

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  8. Bonjour Elisabeth,
    En mon sens il n’y a pas de recette miracle, s’aimer, respecter l’autre, vivre à deux mais garder une certaine liberté. Mais, je crois, avant toute chose vouloir persister et mettre tout en oeuvre pour cela. Car une vie de couple s’écrit à deux, avec son coeur, le plus simplement du monde 🙂

    Et toujours en musique 😉 🙂
    A bientôt, tendresse

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    • Bien sûr qu’il n’y a pas de recette miracle, juste quelques principes de base, que chaque couple accommode à sa façon. En y mettant du sien car, comme tu dis, il faut être deux à vouloir vivre ce lien du cœur et s’employer à toujours vouloir donner le meilleur de soi.
      Merci pour cette belle chanson, j’aime beaucoup Michel Sardou mais celle-ci, je ne la connaissais pas.
      Toute ma tendresse à toi, Fanfan

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  9. Bonjour Elisabeth

    J’aime beaucoup cet article …Il dit les vraies affaires …simplement…véritablement …!
    Je retiens :  » S’il veut durer, le couple ne doit pas être fusionnel, ne doit pas chercher à changer l’autre, doit constamment entretenir le désir sexuel, doit régulièrement parler de lui-même et veiller à ce que les enfants ne détruisent pas le lien. Et tout ça, s’il vous plaît, avec légèreté, profondeur, bonne humeur et honnêteté !  »……

    Bonne soirée à toi amie…
    Tendresse

    Manouchka

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  10. Il me semble que c’est le sacré qui a disparu. On est maintenant sous le règne de la norme, de la performance, de l’assurance, de l’ego…Ce qui était spontané devient calcul et discursif. Il ne faut pas regretter, mais dans toute cette connaissance nouvelle retrouver l’essentiel: l’amour.

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    • Je connais votre attachement au sacré et j’en ai aussi tant besoin. Et même si tout ce que vous dites est vrai, pour la plupart de gens dans nos société, ce besoin, que chacun de nous possède, même s’il est oublié peut ressurgir. J’y crois car je le vois autour de moi et puis, pour nous en sortir de cette impasse il n’y a que l’amour, sous toutes ses formes…

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