Nos crises n’arrivent pas par hasard

On a l’impression qu’elles nous “tombent dessus”. En réalité, elles sont programmées dans notre inconscient. Pour nous confronter à des problèmes non résolus de notre passé. Entretien avec la psychologue Catherine Favre.

Et si dans nos crises se jouaient des “naissances psychiques” ?

Pour Catherine Favre, nos moments de bouleversement intérieur sont des opportunités qui nous poussent à nous redéfinir. Ils ne sont pas fortuits, mais programmés dans notre inconscient. En ce sens, nous ne sommes pas seulement les acteurs de nos crises, nous en sommes aussi, à notre insu, les scénaristes.

Psychologies : Votre pratique quotidienne vous autorise à penser que l’on ne se retrouve pas en crise par hasard. Que voulez-vous dire par là?

Catherine Favre : Au départ, les personnes viennent consulter avec le sentiment que la crise leur  » tombe dessus « . L’épreuve ou le mal-être qu’ils endurent étaient imprévisibles, disent-ils. A ce moment-là, il leur est impossible d’accepter l’idée que la crise peut aussi être une opportunité.

Puis, peu à peu, au cours du travail psychothérapeutique, ils prennent conscience de leur part de responsabilité dans la genèse de la situation (conduites répétitives, stagnation…) et se réapproprient ainsi leur vécu.

Il leur faut souvent remonter quinze ou vingt ans en arrière, et aborder parfois certains traumatismes de l’enfance, pour identifier les causes de ce qui leur arrive aujourd’hui. Alice et Martin, le film d’André Téchiné, illustre bien ces mécanismes. Le héros, Martin, est un jeune provincial en rupture avec son passé. Il rencontre Alice et connaît avec elle une histoire d’amour.

Mais le jour où elle lui annonce qu’elle est enceinte, alors même que rien ne le laissait supposer, la crise éclate : Martin est comme submergé par une lame de fond, il déraille, vacille. Alice se lance dans une véritable enquête psychologique. Son objectif : découvrir la cause de cette panique imprévue. La relation conflictuelle et douloureuse que Martin a eue avec son propre père est évidemment la clef de cette énigme.

Les crises seraient donc des occasions de renouer avec les problèmes non résolus de notre vie ?

Oui. Prenez l’exemple des processus de deuil : certains ne peuvent pas s’accomplir tout de suite. Ils sont alors rangés dans un casier  » à traiter plus tard « . Jusqu’à ce que, dix ans plus tard, la personne ait la solidité nécessaire pour affronter cette épreuve : elle se met inconsciemment dans une situation (rupture, licenciement…) où elle va reprendre contact avec ce deuil intérieur inachevé.

Lumière

Je pense, en effet, que les grandes crises de notre vie se répondent comme en écho. Elles résonnent les unes avec les autres et peuvent même se télescoper. Un exemple, lors d’une crise de  » milieu de vie « , à partir de la quarantaine, certains vont avoir du mal à admettre de vieillir et revisiteront leur crise d’adolescence, quand s’est joué pour la première fois leur accès à la maturité. Lorsqu’on traverse une crise, on a l’opportunité de dénouer des vécus qui n’ont pu être intégrés lors de crises antérieures.

D’ailleurs, certains patients, comme guidés par un pressentiment inconscient, entrent en thérapie parce qu’ils cherchent, en réalité, quelqu’un de solide qui les aide à s’engager dans un processus de crise. Ils se sentent prêts à affronter une problématique qu’ils ne pouvaient pas travailler auparavant.

Diriez-vous qu’une part inconsciente de nous-même met tout en œuvre pour aboutir à des situations de crise ?

Je le crois, oui, car les crises sont aussi de formidables occasions de croissance. Regardez certains couples comme ils se sont  » magnifiquement choisis « . Leur relation génère tant de crises que leur entourage se demande pourquoi ils sont ensemble. En fait ils  » sont faits l’un pour l’autre ».

Dès que l’un d’eux est soumis à ses propres mécanismes inconscients, cela déclenche, par réaction, ceux de l’autre. Je pense à un couple en particulier. Lui, qui avait été livré à lui-même dans l’enfance, et qui en avait gardé l’habitude de tout gérer, souffrait d’un syndrome d’abandon.

Dans le couple, il prenait tout en charge jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il explosât de colère. Or sa compagne avait tendance à réagir aux conflits par le mutisme et l’absence. Ce qui le rendait fou parce qu’il revivait alors tout ce qui l’avait fait souffrir dans son enfance. C’était magnifique d’ajustement. Comment ne pas penser qu’ils se sont inconsciemment choisis pour revivre leur propre histoire et la dépasser ?

Mais que penser alors des crises qui n’ont pas d’issue transformatrice ou positive ?

Potentiellement, nous avons tous la capacité de traverser une crise, nous avons des ressources internes pour nous  » mettre au travail « . Cela ne veut pas dire que l’issue de ce grand chamboulement intérieur est obligatoirement positive : au contraire, il peut mener à la folie, voire au suicide ou, plus souvent, à la dépression dans laquelle certaines personnes semblent immobilisées.

L’entourage joue alors un rôle très important. Quelle représentation de la crise ont les proches ? Ne provoque-t-elle pas chez eux une angoisse que la personne aura du mal à gérer ? Ne sent-elle pas de leur part un rejet de ce qu’elle vit ? Je pense aux parents d’adolescents : le jeune en crise ne peut se reconnecter à ses ressources que s’il a en face de lui quelqu’un qui croit en lui, qui lui laisse un espace de liberté tout en lui présentant des repères stables.

C’est là tout le paradoxe de l’accompagnement. On doit faire confiance à l’énergie de vie dont toute crise est le témoin.

Pascale Senk

30 réflexions sur “Nos crises n’arrivent pas par hasard

  1. Comme cet article me parle…j’ai vécu « un deuil inachevé ». Le père de mon compagnon est décédé dix an jour pour jour de la date de l’enterrement de mon père. J’ai été très ébranlée, c’était comme un rappel, et le moment de vivre le deuil de mon père, par procuration si je peux dire, car les difficultés de la succession m’avaient embarquées, contre mon gré, loin des vraies valeurs de la vie.
    Mais j’ai eu aussi un magnifique cadeau cette nuit là : un grand flash de lumière qui m’a réveillé!
    Dans mon couple : « on est fait l’un pour l’autre » « c’est magnifique d’ajustement »….pas toujours facile à vivre, parfois épuisant, remuant mais… tellement enrichissant. Si on s’est retrouvé après 30 ans de silence, ce n’est pas par hasard, c’est pour cheminer et progresser malgré et grâce aux difficultés.
    Belle journée, Elisabeth, tendresse.

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    • Merci Marylaure, pour ces deux exemples vécus, qui confirment bien la thèse que dans la vie il n’y a pas de hasard. Tout deuil que nous ne faisons pas, pour des raisons ou d’autres, revient en force à l’occasion d’un autre, et chez toi, il y a cette synchronicité de dates.
      Effectivement, c’est un beau et rare cadeau, ce flash de lumière.
      Depuis que tu me parles de ton couple, je suis sûre que vous vous êtes vraiment bien choisi, ce n’est certainement pas facile tous les jours mais vous cheminez et progressez malgré et grâce aux difficultés.
      Belle semaine à toi, toute ma tendresse.

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  2. Je pense aussi que les crises ne sont pas là pour rien, elles viennent souvent comme c’est si bien dit dans ton article de certaines choses qu’on a pas pu gérer avant qui reviennent parfois sous une autre forme ou sur la même forme. Comme une situation de perte d’une personne, on ne réagit pas toujours sur la période pour réagir doublement quand on aura une autre perte même plusieurs années après, le flux du refoulement de la première perte se déversera sur la seconde qui si la force n’y est pas nécessitera énormément de soutien pour s’en sortir, ce qui fera qu’il faudra tout premièrement traiter la première ancienne situation pour réussir à gérer la deuxième

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    • Tu l’as très bien exprimé, Éloïse, la Vie vient souvent nous tester et si nous ne réglons pas nos problèmes pour une raison ou pour une autre, les mêmes situations vont se présenter, et la charge émotive sera d’autant plus lourde que l’effort que nous avons fourni pour la refouler était grand.
      Il est donc préférable de ne pas nous dérober devant nos problèmes et nous faire aider, si nécessaire, sinon la crise suivante peut nous terrasser.

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  3. Bonjour Elisabeth !
    C’est drôle car pour moi je ne nomme pas « crise », « mais raz de marée », à chacun sa petite définition 😉
    Voici mon analyse Elisabeth, je pense que nous absorbons beaucoup de choses en une vie, puis un jour cela déborde, causant une crise pour reprendre ce terme. Effectivement cela permet de remettre de l’ordre dans une vie, mais quel bazar !!! Parfois il suffit qu’un simple événement, un mot, et la machine se met en marche, alors ressort des choses que nous avions entasser, ne pensant pas que cela nous ai déranger, blesser. Cela est, il me semble nécessaire, afin de nous permettre de modifier notre vie. C’est, je le pense, une façon quelque peu souffrante de grandir, non ? !
    Oui c’est certain la crise permet de comprendre et accepter les choses, lorsque nous avons l’ouverture d’esprit, et que cela est fait c’est pleinement positif, mais oui ! 🙂 Parfois hélas, la personne n’a pas la force de combattre et c’est alors le pessimisme qui s’installe, la dépression à vie, que cela est triste…Pourquoi cela ? Mystère je n’ai pas encore la réponse
    Je crois aussi Elisabeth qu’un couple ne se forme pas au hasard, tout comme chaque rencontre que nous faisons au cours de notre vie, la vie me l’ayant prouver 😉
    J’ai longtemps cru qu’une vie était facile…aie aie aie c’est loin d’être le cas 😉 🙂
    Voili voilou Elisabeth, je te souhaite une très bonne journée pleine de soleil et de joie 😉
    Bisous tendres

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    • Oui, Fanfan, à chacun sa définition et la tienne reflète bien la situation où nous devenons submergés par les problèmes accumulés, et qu’une goutte suffit à faire déborder le vase… Le degré de souffrance est proportionnel à notre capacité d’acceptation, plus nous savons nous accueillir dans tous nos états, moins nous en souffrons car nous savons qu’ils sont passagers et qu’il ne tient qu’à nous de faire un grand ménage libérateur.
      Les crises sont positives, nous sommes d’accord, excepté pour ceux qui ne les surmontent pas. Il est difficile de dire pourquoi, soit ils se sont trop battus, soit ils ont perdu le sens de leur vie… en tout cas, je ne m’aventurerai pas dans les explications approfondies, chaque cas est différent.
      Toute relation, surtout celles qui nous engagent ou nous dérangent, sont des rencontres avec nos miroirs, sans lesquelles nous ne pourrions pas nous définir vraiment.
      La vie n’est pas facile mais tu n’es pas de ceux qui vont se lamenter car tu sais que tout a un sens et une raison d’être, même si nous ne la voyons pas.
      Merci pour ta contribution, belle soirée et tendres bisous

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  4. Entièrement d’accord ! on ne se retrouve pas en crise par hasard, et chaque épreuve sert à quelque chose de positif, même si on ne s’en rend pas compte tout de suite ! mais que nous sommes compliqués 😉

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    • Oui, nous sommes compliqués, Ladyelle mais nous nous simplifions, à travers les prises de conscience, comme celles dont tu témoignes dans chacun de tes commentaires. Et plus nous avançons sur le chemin, plus nous acceptons cet état de choses et nous nous accueillons avec amour dans nos contradictions…

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  5. Sincèrement je ne crois pas qu’inconsciemment nous recherchions la crise. C’est ce que nous sommes qui fait que pour moi cela va être une crise et pour un autre ça ne le sera pas.
    Ce que nous sommes nous fera vivre le moment avec telles ou telles réactions.. et bien évidemment en fonction de notre vécu. (je ne sais pas si je suis bien claire sur ce coup là 😛 )

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    • La dépression est une sorte de crise ou bien son résultat, du moins, je la définie ainsi…
      Vue comme une Deus-pression, elle est comme un appel de la Vie qui nous incite au changement, en nous mettant sous une pression, dont la résolution sera bénéfique à l’âme

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