Denis Marquet : Penser en bonne santé

ressentir

On entend souvent les chercheurs de spiritualité discréditer la pensée. Il faudrait « sortir du mental » et ne plus penser. Certes, prétendre guérir de la bêtise par ablation du cerveau est une stratégie radicale. Mais nous avons besoin de penser.

Car l’âme humaine se nourrit de sensations, d’impressions, de ressentis, mais aussi de sens. Penser, c’est se nourrir de sens. En ce monde où les propositions de sens n’ont jamais été si diverses et si nombreuses, discerner celles qui correspondent à la vérité profonde à l’œuvre dans notre vie est indispensable.

Il s’agit donc, non de ne plus penser, mais de penser bien. Or notre pensée est malade. Du matin au soir, elle est livrée à un fonctionnement automatique que nous sommes incapables d’arrêter : ça pense. Quel est le principe de cette mécanique ?

Observons nos pensées. Derrière l’extrême complication de notre activité mentale se cache en fait une logique simple: celle du soulagement. Tout part d’une tension, d’un inconfort, d’une douleur – voire de la simple intensité du vivant, que nous refusons. Il nous faut donc mettre fin à la sensation.

Pour cela, nous cherchons sa cause dans le réel, que nous nommons un problème; puis nous élaborons une solution, c’est-à-dire la représentation d’une action pour supprimer cette cause. Enfin, la volonté (la tyrannie du « il faut ») est là pour nous inciter à mettre en œuvre ladite solution. Problème-solution-volonté, tel est le ressassement inlassable de la machine à l’œuvre dans nos têtes, dont le seul objectif est d’anéantir des sensations.

Le mental, c’est la pensée qui sert à ne pas sentir. Cet automatisme stupide est incapable de produire le moindre sens; en outre, il nous coupe de notre sensation de nous-même, il nous arrache au vivant de notre corps. Comment s’en libérer ?

Première étape: ne plus croire en ses constructions. La mécanique mentale se nourrit de l’adhésion. J’adhère dans les deux sens du terme : je crois ce que me dit l’automatisme et ainsi je colle à lui, je l’alimente par l’illusion qu’il est ma vérité.

La plupart des idées, croyances et valeurs auxquelles nous tenons tant ne sont que des effets de ce conditionnement par lequel nous refusons d’être vivant. Deuxième étape: ne plus agir en fonction des « solutions » fournies par mon mental.

« Supporte et abstiens-toi », disent les stoïciens : me dispenser de toute action dont le motif caché est de supprimer une sensation, attendre de sentir. C’est précisément la troisième étape : traquer, derrière la stratégie mentale pour m’anesthésier, la sensation de moi-même que je fuis – et faire corps avec elle, confiant dans l’impermanence du temps : cela aussi passera. Ainsi, de plus en plus, mon action va-t-elle provenir de mon sentir.

Acte non prémédité, spontané mais non pas pulsionnel car une véritable sagesse s’y manifeste, ma vérité en action.
De même, une autre pensée va se manifester, issue non d’un refus d’éprouver, mais au contraire d’un oui à la vie profond qui est ma véritable nature et aussi la source unique du sens de ma propre vie.

La véritable pensée est d’abord féminine : ouverture et accueil du sens. C’est du silence et de l’écoute intérieure que naît l’intuition inspirée. Mais elle est aussi masculine : accès au juste langage par la distinction et la séparation. Réception et don du sens, écoute et parole : c’est dans l’équilibre entre les pôles féminin et masculin que réside la santé de la pensée. La guérir exige de revenir au corps : dans cette intensité vivante notre vie prendra sens. Le sens naît du sentir.

© Denis Marquet

18 réflexions sur “Denis Marquet : Penser en bonne santé

  1. La difficulté est bien de maîtriser ses pensées. Il faut d’abord savoir sans complaisance et avec sincérité ce qu’on « est ». Cela doit nous guider pour éviter de subir trop les émotions, les tentations les pulsions, les passions. Un autre point important est le discernement pour donner sens à nos constructions mentales. Il faut donc être libre dans nos pensées pour ne pas obéir au mimétisme qui entraîne à suivre l’opinion commune, ceux qui nous manipulent…Il ne faut pas avoir peur d’être à contre-courant. Si on pense « juste, on doit sans doute le sentir et ça doit se voir.

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    • Merci, Jean-Michel, cela se voit que vous y avez bien réfléchi car vous décrivez si bien ce processus d’une pensée juste, qui n’est pas influencée par les émotions et surtout pas par les opinions extérieures. Si on arrive à définir son identité profonde, cela nous donne comme une colonne vertébrale qui nous permet d’avancer, même à contre-courant car nous nous savons dans notre justesse.

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  2. J’aime bien cet article.
    La pensée est très puissante, servons-nous en !
    Dans notre tête, il y a un petit hamster qui tourne, tourne, toujours, et essaie de nous inquiéter sur mille sujets,
    mais il faut le maitriser
    pour contrôler notre pensée et la garder positive.

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    • J’aime bien cette image du hamster, c’est tout à fait le fonctionnement du mental… toujours à chercher à nous éloigner de la pensée calme et créatrice, qui possède une grande puissance. C’est à nous de lui faire comprendre qu’il ne mène pas le jeu…
      Merci, Flo pour cette belle métaphore

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  3. Bonjour Elisabeth,
    Heureusement que nous pensons !
    Penser c’est vivre !
    Le problème étant de penser positivement tout le temps et de ne pas entrer dans la rumination, voici il me semble, le noeud du problème…
    Les explications de ce monsieur en la matière ne me parle pas, mais alors pas du tout, ces solutions sont trop théorique à mon sens. Pour une fois je dois bien admettre que j’ai le sentiment de lire du chinois, au secours Elisabeth, lol !
    Mon interrogation est donc plus terre à terre, du style, lorsque je suis submergée pour une raison ou une autre par des pensées négatives ou angoisses, qui me dérange dans la journée et qu’il me poursuit la nuit, et qu’il me semble impossible de m’en délivrer, comment puisse m’en sortir ?
    Ah là là, la rêveuse et ses questions, ce n’est pas rien…Je te laisse donc avec mon questionnement, ce qui n’est pas un cadeau, mais toujours en musique 🙂

    Bonne fin de semaine Elisabeth ! 🙂
    Bisous tendres à toi Elisabeth

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    • Bonsoir Fanfan,
      Penser positivement tout le temps est une mission impossible et il vaut mieux le savoir, cela te soulagerai dans tes interrogations. Même le Dalaï Lama consacre au moins une heure de ses longues méditations quotidiennes à se débarrasser de la négativité, accumulée au long de ses journées passées « dans le monde », et les moines tibétains prennent une heure pour se défouler par les gros mots…
      Nous n’allons donc pas tâcher de faire mieux 😀 Effectivement, la rumination est fortement contre-indiquée car non seulement, elle nous plonge dans un état de tristesse et du découragement mais en plus, elle abîme la rate…
      Nous sommes tous sujets à des pensées négatives ou les angoisses, cela fait partie de notre condition humaine. Le meilleur moyen est de commencer à ne pas les repousser ou nous battre contre car tout ce que nous essayons d’éloigner revient, encore plus fort. Je dirais donc : accepter, accueillir en conscience, reconnaître que ses émotions font partie de nous mais ne pas y plonger… établir une sorte de distance en reconnaissant : « je suis triste, inquiète, en colère… ». Puis tâcher de voir pourquoi, et si nous n’y arrivons pas, laisser partir l’émotion, toujours en l’exprimant mais sans s’y identifier.
      Tout ce qui est reconnu et nommé devient moins insupportable. S’accepter dans ces états, et pour les pensées négatives, garder une vigilance de chaque instant. Dès que nous nous surprenons à émettre ce genre de pensée, la remplacer par une autre, positive et si on n’y arrive pas, une phrase peut beaucoup aider. Par exemple : « même si je suis… en colère, triste, perdue, je m’aime et je m’accepte tout de même ».
      Pour l’angoisse, c’est un peu plus compliqué car il y a une peur indéfinie ou une grande blessure derrière, donc, si possible travailler avec un thérapeute, sinon, accepter et lâcher prise dans la respiration profonde.
      Voilà quelques pistes qui t’aideront, j’espère, c’est parfait que tu poses des questions, elles nous concernent tous.
      Désolée de publier en chinois :D, Denis Marquet est un philosophe, donc certaines de ses formulations peuvent être hermétiques, ne t’en fais pas, il y en a d’autres qui te parlent…
      Merci pour cette musique apaisante, gros bisous et excellent week-end

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      • Pardon de te contrarier Elisabeth, mais j’ai très rarement des pensées négative, je m’explique. J’aime la vie, du plus loin dont je me rappelle je l’ai toujours vu en couleurs (suis pas une rêveuse pour rien Elisabeth) de plus je me satisfait de peu, je vis donc chaque petite choses de la vie avec bonheur.
        Bien évidemment j’ai des soucis comme chacun, après un moment rapide de tristesse ou de découragement, je remonte bien vite mes manches et j’avance. J’essaye toujours de trouver le positif, j’aime d’ailleurs dire « Qu’en chaque chose négative il y a du positif », ce qui laisse d’ailleurs sceptique, bien souvent les personnes face à moi.
        Je te remercie pour tes explications Elisabeth, voilà qui est plus simple à comprendre pour ma petite tête, je vais en faire un copier-coller afin de ne pas oublier et d’éventuellement en faire profiter d’autres. En chinois oui, c’est pas bien Elisabeth de faire de telle farce à tes relations, mais heureusement tu es généreuse et n’hésite pas à traduire 🙂
        Belle soirée Elisabeth, à bientôt !
        Bisous doux

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        • Tu ne me contraries en rien, Fanfan, bien au contraire, je suis ravie que tu aies cette nature heureuse de gens qui aiment la vie spontanément et que tu sois capable de dire : « Qu’en chaque chose négative il y a du positif ». Si cela contrarie les gens, ce que nous sommes nombreux à ne pas le voir spontanément, certains y arrivent, après un travail sur leurs croyances, d’autres, voient toujours le verre à moitié vide.
          Ravie donc que tu n’aies pas besoin de mes explications et je suis touchée que tu les gardes…
          Si à l’avenir, je publie toujours « en chinois » (ce que j’évite, d’habitude) tu n’as qu’à laisser tomber l’article. Cela me touche que tu lises tout attentivement et fidèlement mais tu n’as pas besoin de tous les conseils. Et n’hésite pas de me le dire 😀
          Bisous, chère Fanfan, je te souhaite un magnifique dimanche

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  4. J’aime bien le dernier paragraphe.
    Nous sommes dans la santé en ce moment !
    Amicalement Elisabeth (ma vue doit baisser, je croyais lire arnicalement !!!…) Décidement je vis un trip médecine en ce moment !

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  5. J’adhère bien évidemment, mais mon mental n’est pas vraiment d’accord alors il faut que je le relise encore,…. je suis en pleine réflexion là…. et je me demande ce que fabrique mon mental ! c’est pas facile, mais au moins il y a un petit sursaut de plus dans ma petite tête pour essayer d’avancer grâce à tes partages.

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    • Ce que fait ton mental ? Comme celui de nous tous, il essaye de garder et ne surtout pas perdre le contrôle.
      Comme disent les orientaux, il saute, tel un singe, d’un arbre à l’autre et pour l’occuper il faut lui jeter des bananes 😀
      Justement, cet article démontre la différence entre le mental qui tourne à vide et une vraie pensée inspirée, créatrice et agissante.
      Tu avances très bien, Ladyelle, grâce aux difficultés que tu rencontres…

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    • Le corps est l’endroit où tout se joue car c’est en lui que sont inscrites les mémoires et les émotions. Par la pensée juste, nous pouvons les reconnaitre, les accueillir et faire un travail conscient et global.
      Merci à toi, chère Sandra

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  6. Tout cela est très très juste …
    Décidément, j’aime Denis Marquet…

    Pour moi, la pensée est utile est nécessaire…ce qui est dangereux, c’est la pensée « mécanique » , la pensée qui se nourrit d’elle-même et qui nous coupe du ressenti…
    La pensée « juste » est celle qui s’appuie sur le ressenti, sur l’intuition et qui arrive à exprimer clairement et de façon différenciée et nuancée ce qui a été perçu intérieurement.
    C’est une pensée « incarnée ».

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    • J’adore l’expression que tu as trouvée pour définir ce genre de pensée juste : « incarnée », ainsi que la description que tu en fais. Sans elle, nous ne pourrions jamais nommer les émotions qui nous traversent, les accueillir pour les guérir, comme nous n’aurions pas de pensées de paix, d’amour et de gratitude
      Pensées reconnaissantes à toi, Licorne

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