Rêves, les voix de notre inconscient

Pour les psychanalystes, nos rêves contiennent toujours un enseignement personnalisé, lié à notre histoire singulière. Entretien avec Jean Sandretto, praticien aguerri de la vie onirique. 

Jean Sandretto, psychiatre et psychanalyste, a décidé de se pencher sur le rêve et le délire, deux phénomènes plus voisins qu’il n’y paraît. Il a travaillé plusieurs années avec Michel Jouvet, neurophysiologiste spécialiste des rêves et collabore régulièrement à la revue de psychanalyse Topique

« Certains rêves contiennent toute une vie », assure Jean Sandretto. Pour lui, ils ne sont pas seulement une « voie royale vers l’inconscient », ainsi que les définissait Freud. Ils sont des messagers qui nous expliquent notre passé et nos impasses actuelles et, en même temps, des guides qui nous ouvrent les portes de l’avenir. Plus encore : ils sont indispensables à la survie de notre santé psychique. Démonstration de leur importance par un décrypteur freudien.

Psychologies : Interpréter les rêves est-ce vraiment utile ?

Jean Sandretto : Oui, si on veut apprendre à se connaître et évoluer. A un moment, j’ai dû prendre en charge des patients d’un confrère psychanalyste qui n’avaient jamais parlé de leurs rêves avec lui. Après quelques mois de travail régulier sur leurs rêves, je les ai vus changer, mieux s’assumer. Ils étaient devenus capables d’utiliser une énergie psychique jusque-là bloquée par un discours trop rationnel, coupé des émotions.

Dans cette exploration, certains rêves sont, selon vous, « prophétiques ». Est-ce une réalité ou une façon de parler ?

Je crois qu’il existe vraiment des rêves dirigés vers le futur, qui préparent la personne aux évolutions qu’elle va connaître – alors qu’elle-même ne s’en rend pas forcément compte.

C’est logique : l’inconscient est toujours en avance sur le sujet conscient. En eux-mêmes, ces rêves ne sont pas différents des rêves habituels. C’est l’effet qu’ils produisent qui nous permet de les reconnaître : brutalement, le champ des possibles s’ouvre et s’élargit, les blocages sautent.

Dans 90 % des cas, ils sont suivis de transformations concrètes dans le moi et l’existence du rêveur. J’ignore pourquoi ils se produisent à un moment et pas à un autre. Peut-être sont-ils l’aboutissement d’années d’interrogations et de travail sur soi.

Ces rêves « prophétiques » sont presque toujours précédés de rêves que vous appelez des « sagas historiques ». Comment les repérer ?

Ils étonnent par leur longueur et leur clarté. Le rêveur paraît d’un coup mettre en perspective, sous un jour nouveau, toute sa vie passée. Sans effort, il saisit pourquoi il est devenu tel qu’il est, il comprend la cause de ses difficultés – par exemple, ses conduites d’échec dans les relations amoureuses ou sur le plan professionnel.

Alors que les rêves normaux sont séquencés, hachurés, absurdes, ceux-là frappent par leur cohérence, leur linéarité. Ils se présentent comme des romans, le roman d’une vie. Les personnages et événements clés de l’existence du rêveur sont présents.

Des souvenirs enfouis remontent à la surface. Surtout, au réveil, la personne éprouve une sensation de jubilation. Elle sait qu’elle a découvert quelque chose d’essentiel, sans qu’on le lui explique.

Dans votre approche des rêves, vous vous référez beaucoup au Talmud et au Zohar, l’ouvrage princeps de la tradition kabbalistique. Que vous apportent ces textes ?

Kabbale

Pour moi, la Kabbale reste un instrument précieux parce qu’elle est la première tradition à avoir vu dans le rêve un outil de changement, de connaissance de soi et de ses désirs. Des siècles avant l’invention de la psychanalyse, elle enseignait déjà que les rêves sont des messages qui nous sont envoyés, qu’« un rêve non déchiffré est une lettre qui n’a pas été lue »… D’ailleurs, nous pouvons constater qu’un rêve mal compris revient régulièrement. L’inconscient insiste, veut être entendu.

De la Kabbale, vous retenez qu’il faut toujours donner une interprétation positive d’un rêve. Pourquoi est-ce si important ?

« Les amis d’un homme doivent soutenir une interprétation favorable – même, et surtout, quand le rêve qui leur a été raconté semble, à première vue, de mauvais augure – et tout ira pour le mieux », nous dit le Zohar. L’interprétation positive a pour effet d’apaiser l’angoisse qu’emportent avec eux certains rêves où la pulsion de mort est très présente. Elle évite à la personne d’en rester prisonnière et relance le processus d’évolution.

 J’ai vu des gens bloqués à vie par une interprétation négative, qui fonctionnait comme une authentique malédiction. Effectivement, extraire des éléments positifs d’un rêve apparemment totalement négatif exige parfois des efforts mentaux considérables. En tout cas, si dans un premier temps, je ne repère rien de positif, je me tais !

On m’a rapporté un rêve, pour lequel je ne vois aucune interprétation positive. « Je suis dans une gare. Dans tous les trains, je vois des centaines de personnes malades. Moi-même, je me sens fiévreuse. Quand je me réveille, je pense à une phrase de la fable de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste : “Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.” »

Je ne peux pas interpréter en profondeur les rêves de quelqu’un dont j’ignore tout. J’entends bien que la personne s’est trouvée en danger. S’il y a un élément positif, c’est que, même si « tous étaient frappés », malgré tout, « ils ne mouraient pas tous ». Insister sur le « ils ne mouraient pas tous » plutôt que sur l’idée que « tous étaient frappés » peut, me semble-t-il, avoir un effet pacifiant. C’est un point de vue qui met l’accent sur la possibilité d’échapper au péril et devrait permettre à la personne de se sentir moins vulnérable.

Isabelle Taubes

A lire : Le Psychiatre et la Voyante, le dialogue improbable de Jean Sandretto avec Eliane Gauthier (Almora, 2006).

 

 

35 réflexions sur “Rêves, les voix de notre inconscient

  1. Encore un article intéressant. L’aime bien la référence à la Kabbale. L’Ecriture Sainte est l’Histoire de l’homme et de l’humanité, le rêve y a sa place. Je me demande parfois s’il a une coupure nette entre le récit historique, le mythe et le rêve.
    Depuis mon opération et l’anesthésie que j’ai subies, je rêve beaucoup plus qu’avant et je fais de longues siestes au cours desquelles je rêve beaucoup. A mon réveil, j’ai l’impression que les rêves étaient la réalité. Je devrais me pencher sur leur signification et leur rapport avec mon vécu et sur ce qu’ils peuvent apporter. En tout cas, merci pour cet article.

    J’aime

    • Depuis ses débuts, l’humanité a toujours accordé une grande importance au rêve et les livres sacrés ont bien compris son importance.
      Je ne crois pas qu’il y ait une coupure car nos songes sont influencés par tout ce dont nous nous sommes nourris, y compris les mythes et surtout les Archétypes, si chers à Jung, qui demeurent dans notre inconscient.
      Je connais ce genre de rêves, presque « tactiles », je dirai, et ils m’ont fait comprendre beaucoup de choses…
      Je ne peux donc que vous conseiller de vous y pencher avec attention.

      J’aime

  2. Du coup, j’aimerais rêver plus, ou avoir plus de souvenirs de mes rêves. En fait, je me rends compte que je rêve ou que j’en ai conscience, lorsque je m’endors agitée, extrêmement fatiguée.
    Donc au final, je ne vais pas me plaindre de ne pas beaucoup rêver…
    Bises Elisabeth.

    PS: article toujours intéressant.

    J’aime

  3. Article très intéressant, je ferai un peu plus attention aux rêves qui reviennent, je n’ai jamais pensée qu’ils revenaient parce que le message n’a pas été compris, ça me fait déjà réfléchir à certains rêves que j’ai déjà fait plus de 4 fois.Merci à toi pour cette belle lecture

    J’aime

  4. Thank you, Elisabeth, for this very good post. Dreams can tell us so much. I worked as Director of the Counseling Center at a small, private university for 4 years, and I found that college students were very willing to keep a dream journal and come to sessions to ‘analyze’ them. They did fit together, as the article says, and the students could see how relevent they were, which then served to help them to more clearly see the modifications that might be needed in any unhealthy thoughts and/or behaviors.

    J’aime

    • Thank you, Theresa for this testimony, it is very interesting to know the opinion of someone who has worked on dreams within a university. Yes, keep a journal and decipher the meaning of dreams can be very useful to understand and change unhealthy thoughts and behaviors.

      J’aime

  5. Bonjour Elisabeth !
    Toujours aussi intéressant !
    Merci pour ta petite astuce, cela semble fonctionner. Quel rêve j’ai fais, un vrai bazar, il y avait dans celui-ci le mélange de différentes actions de ma vie actuelle, en y réfléchissant cela m’a fait sourire, c’est agréable de se réveiller et de se remémorer son rêve, cela fait du bien 🙂
    très bonne journée Elisabeth, plein de bisous tendres

    J’aime

  6. On m’a toujours dit que les rêves peuvent être classés en 2 catégories: les désirs et les peurs.
    Donc, un rêve peut être prémonitoire dans le sens où l’on va tout faire pour réaliser son désir ou bien tout faire pour éviter de vivre ce qui nous fait peur.
    Par ailleurs, la forme est bien souvent secondaire, c’est le fond qui importe.. les émotions… le ressenti…
    bon Elisabeth, j’arrête là, car je n’y connais rien.. je te donne, comme d’habitude, du vécu! Gros bisous 😛

    J’aime

    • Mais, chère Muriel, c’est le vécu qui m’intéresse avant tout 😀 Il y a tant de théories sur les rêves, et personne ne connait vraiment le sujet à fond, d’autant, qu’il est si complexe. Et cela dépend du point de vue où l’on se place.
      Et comme tu dis, ce sont les émotions, les ressentis qui comptent le plus, y compris l’état dans lequel nous nous trouvons au réveil, le sujet, que j’ai évoqué hier.
      Merci pour ton apport, gros bisous

      J’aime

  7. Les rêves me laissent perplexes…il y a peu, j’étais très intéressée de connaître la signification de mes rêves. Aujourd’hui, je me demande si ce n’est pas juste un voyage, un voyage dans d’autres plans, dans d’autres espace-temps…je ressens moins le besoin de les comprendre, mais suis sûr de leurs effets thérapeutiques de nettoyage…
    Fais de beaux rêves, Elisabeth.

    J’aime

    • La nuit, notre âme part en voyage, dans un monde où elle est enseignée et régénérée et parfois, nos rêves en sont influencés.
      Je crois, que si tu cherches moins à comprendre la signification des tiens, ce que peut-être tu te fais plus confiance et tu sais, que quoi qu’il arrive, ils remplissent leur fonction, alors, tu laisses faire.
      Bisous, Marylaure et fais de beaux rêves aussi

      J’aime

Répondre à Yveline Glaude-Brécy Annuler la réponse.