Épictète : Faire ce qui dépend de nous

Comment accéder au bonheur individuel ? En pratiquant un art de vivre fondé sur la maîtrise de soi : selon Épictète, vivre heureux c’est se libérer des passions et de la crainte.

Platon_Academie

Philosophe stoïcien de l’époque romaine impériale, Épictète (50-125/130 ap. J.-C.) est né en Phrygie. Esclave à Rome d’Épaphrodite, un affranchi de Néron, il est affranchi à son tour et ouvre une école de philosophie.

Chassé de Rome et d’Italie, comme tous les philosophes, par l’empereur Domitien, il s’installe dans le royaume d’Épire (Grèce occidentale) où il restera jusqu’à sa mort et ouvre à nouveau une école de philosophie de laquelle le futur historien et le haut fonctionnaire romain Arrien sera un auditeur assidu.

Épictète fut l’un des plus éminents penseurs de l’Empire romain, par l’universalité de son enseignement et l’efficacité concrète de ses conseils éthiques. Comme de nombreux philosophes de l’Antiquité, Épictète n’a rien écrit. Arrien nota, le plus fidèlement possible, les cours du maître. Nous sont ainsi parvenus Le Manuel d’Épictète (contenant l’essentiel de la morale stoïcienne) et huit livres d’Entretiens ou Diatribes dont nous n’avons gardé que les quatre premiers.

Ce qui dépend de nous

Pour Épictète, le bonheur de chacun ne dépend donc pas des circonstances extérieures, mais de sa seule attitude morale, qui est fonction de la rectitude de sa raison. « Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y en a d’autres qui n’en dépendent pas.

Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions : en un mot, toutes les œuvres qui nous appartiennent. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir ; en un mot, toutes les œuvres qui ne nous appartiennent pas.» I- 1 (1)

Comment parvenir à la rectitude de sa raison ? Par l’exercice quotidien, en commençant par « les petites choses », par l’éducation dont Épictète souligne avec force la nécessité, tant celle de la dialectique qui permet de conduire correctement sa pensée, que celle de l’ascèse, entraînement moral qui purifie l’âme des passions tyranniques.

« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses. Lorsque donc nous sommes traversés, troublés, chagrinés, ne nous en prenons jamais à un autre, mais à nous-mêmes, c’est-à-dire à nos jugements propres.

Accuser les autres de ses malheurs est le fait d’un ignorant ; s’en prendre à soi-même est d’un homme qui commence à s’instruire ; n’en accuser ni un autre ni soi-même est d’un homme parfaitement instruit. » V (2)

La vision d’Épictète n’est pas une vision fataliste, ni une maîtrise figée de soi-même, mais plutôt une délivrance des effets imaginaires qui font que les âmes des hommes oscillent le plus souvent entre la servitude et la tyrannie. Un concept qui est toujours d’actualité.

  Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux.
Mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent,
et tu seras heureux

La vie de ce grand sage, dont l’œuvre se fait l’écho, est fondée sur l’exercice de la grandeur d’âme, de la volonté et du courage. Le Manuel remporta un très grand succès dans l’Antiquité.
Il s’intégra au programme d’études des néoplatoniciens puis fut repris, presque littéralement, par l’ascèse monastique chrétienne. Pascal lui-même fut un grand adepte du Manuel.

Par Brigitte Boudon

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38 réflexions sur “Épictète : Faire ce qui dépend de nous

  1. Qu’il est loin le temps où je ne comprenais pas pourquoi « lâcher prise » paraissait si compliqué ! 🙂 Plus jeune, je vivais en totale harmonie avec moi-même sans me soucier de rien. Je ne pensais même pas qu’on pouvait se poser ce genre de questions. Quand je regarde désormais les control-freak que nous sommes devenus, rien ne semble plus compliqué que de mettre en oeuvre ce « détachement » et donc, d’être pleinement heureux au final.

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    • Douce insouciance de la jeunesse… Certes, dans cette société qui s’emploie à nous faire peur, le contrôle est devenu une obsession.
      Mais je crois, Polina, que tu es assez lucide pour mettre en œuvre le détachement, surtout, si tu l’assimiles au bonheur

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  2. mais c’est qu’il a raison monsieur Epictète 🙂 (ne le dis pas qu’il s’en fiche de mon avis, hein :p )
    ma philosophie est de faire de mon mieux et de ne pas me mettre effectivement la rate au court bouillon sur tant de choses pour lesquelles ma volonté ne sera ni suffisante ni d’influence
    Ha, ça… si je disposais de la pensée magique…

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    • Sûrement pas, Pooky, je l’imagine assis sur un nuage, qui écoute toutes ces louanges qui montent vers lui 😀 Et qu’il approuve ta belle philosophie, qui préserve ta rate….
      Mais tu disposes de la pensée magique… ta belle conscience et ta justesse en sont le commencement…

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  3. Bonsoir Elisabeth !
    🙂
    J’ai découvert la philosophie que depuis quelques années, ceci avec beaucoup de plaisir.
    Heureuse d’y avoir goûter, voici mon analyse, nous devrions tous avoir accès à celle-ci afin de mieux cheminer toute au long de notre vie. Il est vraiment regrettable que cela ne soit pas le cas…

    Bonne soirée et douce nuit chère Elisabeth, bisous de grande tendresse 🙂

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    • Je crois, Fanfan, que la philosophie est une matière obligatoire dans les écoles françaises ? Comme je ne les ai pas fréquentées, j’ignore de quelle façon elle est enseignée. Comme tu dis, il serai bon que chacun puisse avoir l’accès à ce qui lui permet de mieux avancer dans la vie.
      Merci pour la vidéo qui m’a permise de connaître cette jeune chanteuse.
      Bon dimanche à toi et tendres baisers

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      • Effectivement Elisabeth, la philosophie est enseigné mais dans les lycées où l’on passe le BAC ES-L-S et STMG donc lycée général. Lorsque tu prends une filière BAC professionnel voir niveau plus bas, cela n’est pas enseigné, hélas, trois fois hélas !
        Dans ce cas, je trouve qu’alors le futur adulte pars dans la vie avec une lacune, c’est vraiment bien dommage…
        Très bon dimanche à toi Elisabeth !
        Bisous tendres

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        • Merci pour tes explications, Fanfan, c’est bien ce qui me semblait… Mais permet moi de te dire, que ce ne sont pas les seules carences des jeunes adultes, il faut voir leurs autres lacunes, en orthographe, par exemple. Et je crois, que ceux, qui sont vraiment motivés, feront la recherche par eux-mêmes. Tu en es le meilleur exemple 😀
          Bisous tendres et bon après-midi, Fanfan

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  4. Je ne peux m’empêcher de penser à un extrait du Tao Tö King :
    « Si tu attends des autres ton épanouissement, tu ne seras jamais véritablement comblé.
    Si ton bonheur dépend de l’argent, tu ne seras jamais heureux avec toi-même.
    Sois content de ce que tu as; réjouis-toi de la réalité telle qu’elle est.
    Quand tu comprends que rien ne te manque, le monde entier t’appartient. »

    ça peut rejoindre l’article de la colère, provoquée souvent par une trop grande importance accordée au facteur « autre », une frustration de ne pas satisfaire un désir. On oublie trop souvent d’être en paix avec soi-même!

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    • Merci, Chako, pour ces belles citations, toutes les grandes sagesses se rejoignent et elles peuvent nous servir de guide car, comme tu le dis, elles s’appliquent à tant de domaines de nos vies.
      Le facteur « autre » est effectivement source de tant de colères et de frustrations car, en voulant plaire et être aimés à tout prix, nous manquons de fidélité à notre égard et cela se paye cher.
      Ta dernière phrase pourrait rejoindre les autres citations, elle contient une vérité si profonde.

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  5. « le bonheur de chacun ne dépend donc pas des circonstances extérieures, mais de sa seule attitude morale, qui est fonction de la rectitude de sa raison. « Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y en a d’autres qui n’en dépendent pas » J’adhère tellement à cette pensée philosophique. Je pense qu’en sachant faire la part des choses et ne pas attribuer le fardeau de ce sur ce quoi on n’a pas de contrôle.
    Par contre, je sourcille un peu à cette entrée en la matière: « selon Épictète, vivre heureux c’est se libérer des passions et de la crainte »…. J’ai du mal à imaginer le bonheur sans passion… oui elle peut être cruelle… mais n’est-ce pas le sel et les épices de la vie?

    Mais effectivement, on doit se concentrer sur ce qui dépend de nous et ne pas s’acharner en vain sur le reste…

    Tu nous dresses encore un beau portrait d’un important philosophe!
    Salutations

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    • C’est drôle comme ce passage sur la passion déclenche des réactions de rejet… et il faut dire que j’y adhère un peu, d’où ma difficulté d’accepter entièrement la philosophie bouddhiste. Cela dit, le mot a tant d’acceptions, il y a des passions qui brûlent, détruisent, dévorent… Qu’elles fassent souffrir, oui mais pour une noble cause.
      Un beau sujet de réflexion… merci, Kleaude, tu es un être de belles passions

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  6. je ne dis pas que mon malheur vient à cause des autres mais je pense bien souvent au qu’en dira-ton et pourtant beaucoup de personnes m’ont blessées me laissant des cicatrices longues à se refermer mais je détourne mon chemin quand je vois ces gens

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  7. Grande sagesse que celle qui consiste à, non pas seulement accepter, mais vouloir que les évènements arrivent comme ils arrivent.

    Bien sûr que je suis très, très éloignée de cette sagesse, malgré tout assez fataliste, mais je’admets sans réserve que lorsque l’on y parvient, on touche le bonheur du bout du doigt…ce qui n’est déjà pas si mal

    🙂
    Bonne soirée

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  8. Quel sage conseil que d’éviter de foncer tête baissée dans le jugement! Cela fait tant de mal de juger autrui ou d’être jugé! Mais en effet, il faut certainement développer sa raison, et la droiture qui va avec, pour discerner la mince frontière qui existe entre l’analyse nécessaire et le jugement illégitime. Pas toujours facile…

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    • Le jugement peut faire tant de mal, effectivement, et souvent il nous enferme dans les pièges. Mais comme tu dis, la frontière entre lui et l’analyse nécessaire est bien mince. Il nous faut travailler la justesse et le discernement….

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  9. « Accuser les autres de ses malheurs est le fait d’un ignorant ; s’en prendre à soi-même est d’un homme qui commence à s’instruire ; n’en accuser ni un autre ni soi-même est d’un homme parfaitement instruit. » V (2) »
    J’aime beaucoup ce précepte d’Epictète qui me parait fort juste et au final pas si difficile à appliquer.
    J’avoue que j’apprécie moins le passage qui clôt l’article : Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux. Mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent,
    et tu seras heureux, parce que même si notre faculté d’influencer les choses est limitée, je crois que nous devons en être des acteurs actifs. Quant aux passions, je crois qu’en déshabiller l’homme, c’est le priver d’une bonne part de lui-même, alors que tout le défi est justement de les maintenir en équilibre, c’est un peu comme si on nous demandait d’être tout le contraire de ce que nous sommes par nature, pourquoi ? J’ai toujours trouvé curieux cette obsession de l’ataraxie chez certains penseurs, qui n’ont pas dû comprendre qu’il y a une interaction constante entre l »émotionnel et l’intellect chez l’homme , y compris parmi les meilleurs et les plus maîtrisés d’entre eux. Et si on prend Pascal et son dévorant mysticisme, je ne connais guère d’homme qui ait mené si loin, et à son corps défendant, la passion religieuse 🙂 ! Donc, faire ce qui dépend de nous, en admettant la marge d’erreur inéluctable de tout acte et de tout jugement, ne me semble pas incompatible avec l’acceptation du reste. Et d’ailleurs ,si on y regarde de près, les ascètes par leurs outrances de sont au fond pas si éloignés de leurs contraires…!

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    • J’adore discuter avec toi, Colette, tu es si bien rompue à philosopher… et ta sagesse est grande car le premier précepte t’est acquis.
      Quant au deuxième, je crois qu’il se prête à plusieurs interprétations, et si je suis entièrement d’accord sur le fait d’être acteur de sa vie, il y a tout de même des événements sur lesquels nous n’avons aucune prise, et là, seule notre attitude face à ce qui arrive compte.
      En évoquant des passions, je crois que ce sont les « primaires » dont il vaut mieux nous défaire, celles qui nous déséquilibrent et peuvent nuire.
      Les grandes, celles qui nous font exister et avancer, sont à préserver et à mettre en équilibre, comme tu le dis.
      L’interaction constante entre l’émotionnel et l’intellect chez l’homme, peut être déchirante car le tiraillement entre la pensée et les émotions est épuisant. Alors cette ataraxie serait une quiétude de l’esprit, la sérénité et la paix intérieure… qualités précieuses, s’il en est.
      En publiant des différents courants de pensées, je ne m’y associe pas toujours, mue plutôt par une envie de donner le choix et surtout matière au partage.
      De nature passionnée, comme toi, l’exemple de Pascal me parle…
      Ta conclusion est parfaite, certains comportement, si contraires en apparence, ne sont pas si incompatibles. Le grand paradoxe de l’humain…
      Merci pour ton beau et riche commentaire

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      • c’est une très bonne philosophie que celle d ‘Epictète Elisabeth, mais même à mon age avancé, c’est pas trop mon truc , je suis plutôt du genre Épicurienne, même aujourd’hui, à mon age avancé 😛

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        • Oui, Juliette, à ton âge très avancé, pour le souligner encore 😀 Arrête avec celui-ci, si tu veux bien. La jeunesse est un état d’esprit et le tien bat les plus jeunes à plate couture.
          Je m’en serais doutée, que les stoïciens ce n’est pas ton truc, tu as une envie de vivre dévorante et je trouve ça extraordinaire.
          Surtout à ton âge avancé 😀 😀 😀

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  10. Et peut être….Il a sans doute raison. Faire preuve d’ascétisme doit gommer l’impression de malheur.
    Mais effacer les peurs et les passions…est ce encore vivre ?
    Si on n’a peur de rien, comment se dépasser? Et si on ne vibre plus à rien ? Pourquoi continuer?
    Je t’embrasse Elisabeth. Belle fin de semaine malgré le temps maussade.

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    • Je ne dirais pas effacer, Marie-Hélène, juste acquérir un détachement, ne pas devenir esclave de nos émotions passionnelles.
      Un être sans peur ne peut exister, il ne serait plus humain… je le comprends dans le sens, accueillir et accepter.
      Comme toi, je ne puis exister sans vibrer, alors je comprends que certains passages sont difficiles à accepter. Mais la vision d’Épictète n’est pas fataliste, et elle ne prône pas une maîtrise figée de soi-même, juste la libération de nos jugements et nos dépendances.
      Je t’embrasse fort, prend bien soin de toi et de l’Oiseau…

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  11.  » Un concept qui est toujours d’actualité.  » C’est le moins que l’on puisse dire. Je ne connais pas son enseignement, mais j’aime toute la philosophie concrète ou pratique, celle qui est là pour nous rendre plus heureux en passant par des étapes de compréhension. La philosophie ne devrait pas être plus que ça, elle ne devrait pas l’être moins non plus.

    Ça tombe bien moi qui ait lu De la Brièveté de la vie de Sénèque, hier soir.

    Merci pour ce partage ! 🙂

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