François Roustang : Les gestes du lâcher prise

« Le patient n’est pas un malade mais un maladroit », nous dit le thérapeute François Roustang dans son livre Il suffit d’un geste. Et pour retrouver le goût de vivre, il faut donner la parole à son corps.

Psychologies : Le titre de votre livre, Il suffit d’un geste, est presque une provocation. Serait-il si facile de guérir ?

François Roustang : Oui, mais cela demande une préparation. Il faut, entre autres, commencer par trouver, en soi, le geste juste. Un simple geste du corps peut exprimer la personne tout entière. Dans mon livre, je parle d’un homme en deuil de sa mère à qui je demande d’ouvrir les mains en signe d’acceptation.

Ce monsieur qui, certainement, a fait ce geste une bonne dizaine de fois dans la journée sans y penser, ne parvient pas à le faire en conscience parce qu’il refuse de se détacher de sa souffrance. Je cite également un autre cas, celui d’une femme dépressive.

Pour lui faire lâcher prise, je lui ai dit : « Ouvrez les vannes. » Ses parents avaient été longtemps responsables d’une écluse. Je lui ai demandé de tourner la manivelle. Après deux ou trois séances, elle a réussi à le faire, ce qui l’a délivrée complètement de la dépression.

Pour moi, le patient n’est pas un malade mais un maladroit, c’est-à-dire quelqu’un qui, dans la vie et avec son entourage, ne fait pas les gestes justes. Mon message est de lui dire : « Si vous voulez aller mieux, c’est très simple » ; mais le problème, c’est que… c’est très difficile d’être simple. Et seul le « lâcher prise » peut nous permettre d’y arriver.

En tant que thérapeute, qu’entendez-vous par « lâcher prise » ?

Lâcher prise, c’est renoncer aux intentions, aux projets, à la maîtrise de son existence. C’est un abandon de la pensée, de la volonté, et même du résultat. Quelqu’un qui ne cherche plus rien n’attend plus rien, devient disponible et s’ouvre à quelque chose d’autre. C’est cela la magie : laisser venir les forces vives qui sont en nous.

Pourquoi est-ce si difficile de s’abandonner ?

Parce que nous avons l’habitude de vouloir maîtriser notre existence. Dans notre monde, si nous voulons quelque chose, il faut avoir un projet, une stratégie. Mais quand notre existence subit des modifications, il faut s’y prendre autrement. La vie est toujours une invention, mais pour inventer, il faut se laisser inspirer.

C’est l’histoire de tous les poètes, de tous les peintres, de tous les créateurs, et c’est aussi celle du patient qui veut guérir. Inventer demande d’accepter l’aventure et l’inconnu. On ne peut pas savoir à l’avance ce qui va se passer. Une patiente m’a dit, il y a quelques jours : « Je sais que le bonheur est à portée de main, mais cela modifierait tellement de choses dans mon existence que je n’ai pas envie de changer ! »

Comment faire la différence entre lâcher prise et résignation ?

Puits

Une personne résignée se soumet, mais garde toujours en elle un ressentiment, un regret ou un sentiment d’injustice. Avec le lâcher prise au contraire, on part du principe que tout va bien. Mes parents m’ont abandonné lorsque j’étais enfant, mon mari ou ma femme est parti(e), mes enfants sont au chômage…

Tout cela, je le prends avec moi aujourd’hui puisque c’est ainsi. C’est seulement si je prends en charge mon existence tout entière que je peux la faire avancer. Je dois partir de là où je suis. Je dis fréquemment à mes patients : « Si vous voulez aller à trente mètres d’ici, s’il vous plaît, commencez par poser vos pieds là où vous êtes. » L’important, c’est de prendre la situation telle qu’elle est, et de la prendre tout entière.

Comment faire pour accepter vraiment une situation douloureuse ?

Oublier ses projets, se mettre dans son corps. Se le réapproprier. S’assurer que vous avez deux pieds, deux jambes et que la vie circule en vous. C’est pour cela que le geste est si important. Je dis souvent : « D’abord, vous vous coupez la tête, et ensuite on va pouvoir travailler ! » On ne peut guérir que si l’on accepte de se réduire à l’état d’être vivant. Ce qui signifie : ne plus penser, ne plus vouloir, ne même plus s’occuper de ses émotions.

Ne plus s’occuper de ses émotions, encore une préconisation thérapeutique à contre-courant !

Sentiments, émotions ou souvenirs ne sont que des témoins d’un passé déjà mort. Ils ne sont que des fardeaux qui entravent notre marche, parce qu’ils reflètent nos habitudes. Il ne s’agit pas de réduire les émotions au silence, mais de les conduire peu à peu à rejoindre le silence dont elles sont sorties.

Une thérapie réussie devrait nous permettre de vivre à deux niveaux. Je compare cela à la nappe phréatique. En surface, il y a des plantes et des arbres, et au fond, une source immobile indispensable pour que la vie se développe. En thérapie, on apprend à se situer dans la nappe phréatique, dans ce lieu de fécondité, et l’on constate alors que dans la vie, tout va pouvoir s’arranger. Dès que l’on a accepté de perdre le contrôle, l’énergie revient.

Avec le lâcher prise, n’êtes-vous pas en train d’ouvrir la voie à une nouvelle forme thérapeutique, la thérapie spirituelle ?

A condition d’entendre le « spirituel » comme une démarche qui ne décolle pas du quotidien. Cette démarche ne consiste pas à entrer dans un autre monde ni à se connecter à une autre dimension. La spiritualité, ce n’est pas fuir la réalité, mais se réconcilier avec elle.

Propos recueillis par Valérie Colin-Simard

Il suffit d’un geste (Odile Jacob)

14 réflexions sur “François Roustang : Les gestes du lâcher prise

  1. Comme j’aime cette petite phrase et au combien elle est vraie ! « La spiritualité, ce n’est pas fuir la réalité, mais se réconcilier avec elle ». Fuir la réalité n’apporte que souffrance et mal-être.
    Je crois qu’il faut extérioriser tout ce qu’on réceptionne, au fur et à mesure, afin de vivre au mieux.
    Merci à toi Elisabeth de nous transmettre tant de choses si formatrices 🙂
    A très bientôt ! 😉

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    • J’ai aussi adoré cette phrase car la spiritualité est si souvent vécue comme une négation de la matière et la fuite de la réalité.
      Et tu as raison, extérioriser nos malaises, nos souffrances ou nos émotions, nous permet de nous en libérer.
      Merci à toi de venir les lire et commenter 😀
      Je t’embrasse fort.

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    • Je serais curieuse de savoir pourquoi cette réponse vous inquiète, Orepuk…
      « Entendre le « spirituel » comme une démarche qui ne décolle pas du quotidien. Cette démarche ne consiste pas à entrer dans un autre monde ni à se connecter à une autre dimension. La spiritualité, ce n’est pas fuir la réalité, mais se réconcilier avec elle. » … ces paroles de François Roustang me correspondent car la seule spiritualité valable est celle vécue dans le quotidien et à travers le corps.
      Si vous la voyez différemment, je le respecte, bien évidemment mais j’aimerais connaître votre point de vue.

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  2. Cet article me parle énormément. Il y a quelques années, une amie bouddhiste m’avait parlé de la meilleure attitude à avoir envers les émotions : ne pas les brider, ni les refuser, mais les regarder de l’extérieur, les laisser passer comme on regarderait passer une branche flottant sur une rivière. Lorsque la rivière coule, la branche part avec elle jusqu’à disparaître de notre perception. Et cela m’est resté, même si ce n’est pas toujours facile à appliquer.
    Finalement, puisque l’article parle surtout de lâcher prise, j’ai l’impression qu’il consiste beaucoup à se laisser surprendre par la vie, et en cela la comparaison avec l’art est très intéressante : l’inspiration est un courant qui va et qui vient à sa guise, je comprends qu’il faut juste être ouvert pour l’accueillir quand elle est décidée à venir 🙂

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    • J’aime beaucoup cette manière d’agir face à nos émotions, qui rejoint l’attitude du méditant : observer ses pensées, comme les nuages dans le ciel et les laisser passer, sans s’y attacher. Pas facile, certes mais avec l’habitude, nous y parvenons de mieux en mieux.
      Ton association du lâcher prise à l’accueil des surprises de la vie est très belle, tu parles de l’inspiration artistique que tu as expérimentée récemment mais cette attitude d’ouverture est aussi valable pour tant d’autres choses….

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  3. Un grand merci pour cette vidéo qui ne fait que confirmer ce que je me disais déjà, que parfois le meilleur que l’on puisse faire c’est de souffrir un bon coup pour avoir le déclic et s’offrir le coup de pied au derrière tant attendu !

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  4. J’ai eu la me^me réaction que Gaïa, mais je comprends un peu mieux à l’explication que tu y apportes.
    Ce texte n’est pas évident et demande réflexion pour en saisir la portée.
    Bon week-end!

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    • C’est vrai, Gaïa, cette phrase est difficile à interpréter et elle m’a fait réfléchir aussi. Je dirais qu’il s’agit des non-dits, des souffrances non exprimées, des silences qui blessent…
      Je ne suis pas sûre que François Roustang l’entende ainsi, c’est peut-être encore l’influence de la psychanalyse qui le marque.
      Merci pour ta lecture attentive et par ta capacité à souligner ce qui ne te parle pas…

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