Les différents visages de l’amour : Porneia

Je te mangerais. Je t’aime comme une bête.

« C’est d’abord l’amour de l’enfant pour sa mère: il a faim, il faut bien qu’il mange et le petit ogre n’a que sa mère à manger. Il aime être nourri, l’autre est pour lui une nourriture qui doit combler son manque le plus primaire: sa faim, son besoin.

‘L’objet maternant’ est censé répondre à ce besoin; ce qui est charmant et naturel chez un nouveau-né l’est peut-être moins chez un adulte qui continue à demander à l’autre de combler son manque et qui le réduit à n’être que la pâture dont il a besoin pour combler ses appétits.”

Vénus et Adonis Titien

“Il s’agit de s’accepter avec ses faims, ses besoins, ses appétits et de ne pas en être l’esclave. Devenir capable de communion avec l’autre, ne pas seulement consommer et consumer.”

“Quand tu me dis que tu m’aimes, que vas-tu faire de moi ? J’ai peur que tu me mettes en cage et que je ne puisse plus m’envoler. J’ai peur que tu n’enfermes ma vie dans un bocal : l’espace réduit de tes besoins et de ton propre monde. J’ai peur que tu ne me coupes de mes racines, de mes vrais désirs, de mes élans de vie.

J’ai peur que tu ne me manges; que ta faim me dévore, me prenne ma vie, mes rêves, mes espoirs. Quand tu me dis que tu m’aimes, j’ai peur de ta propre peur de n’être pas aimé, de tes besoins, de tes manques. De ta voracité. D’être avalé dans l’urgence et l’impatience de ton désir. Étouffé, anéanti par la violence de tes appétits.”

“L’enfant angoissé et capricieux que nous sommes encore — capricieux parce que angoissé — n’est pas la part la plus consciente de nous-mêmes, capable de porter un regard lucide et intelligent sur nos faits et gestes. De ce fait, la part la plus aimante, la plus aimable, la plus épanouie : celle qui donne à vivre le plus de bonheur.

Et devenir adulte n’est pas devenir sage, ni triste; raisonnable, ni ayant perdu tout rêve et tout espoir. Devenir adulte, c’est devenir capable de vivre le bonheur que nous cherchons. S’orienter vers un choix d’adulte, c’est aller vers toujours plus de lucidité, d’autonomie, de conscience.

Évoluer d’un besoin subi et le plus souvent contrarié à un désir assumé et vécu, non dans un rêve mais dans la réalité. J’aime l’autre pour ce qu’il est, lui et pas un autre, non parce que le ‘je’ du ‘je t’aime’ est un ‘je’  incomplet : un ‘je’ d’enfant qui attend de l’autre qu’il lui donne vie. Un vide qui a besoin d’être rempli. Une soif qui cherche éperdument la source.”

“Si je ‘consomme’, le plaisir qui s’ensuit est un plaisir fugace. Nourritures corporelles ou psychiques : elles s’épuisent très vite. Sitôt rassuré, mon anxiété peut trouver dans les heures qui suivent de quoi s’alimenter à nouveau. ‘Elle ne m’a pas rappelé tout de suite. Je ne lui plais pas’,  ‘Il me dit qu’il est fatigué. J’en déduis qu’il ne veut pas me voir. Il ne m’aime pas.’

La consommation est comme une drogue : elle demande à être répétée et ne satisfait que dans un bref délai. ’Elle m’apportait tout ce dont j’avais besoin. Maintenant, j’ai envie d’autre chose.’

Si je ne suis plus dans la ‘consommation’, mais dans la ‘communion’, je suis en haut de l’échelle tout en restant l’enfant, le passionné, l’amoureux, l’ami. J’ai grandi et maintenant, il y a toi et moi, ouverts à une autre conscience de la relation. A une dimension d’éternité où tu es un être à part entière, comme je le suis. L’amour est notre guide, et non plus mes besoins et le manque de toi.

J’ai de l’appétit pour toi, mais l’enfant que je suis ne se joue pas de mes appétits, il joue, s’amuse, croque la vie. Sa faim est tendre, sa gourmandise ludique, sa sensualité libre et généreuse, ses élans respectueux. Le désir est sans besoin. L’amour est don.”

Source : Extraits de Qui aime quand je t’aime de Catherine Bensaid, psychiatre, psychanalyste, et de Jean-Yves Leloup, philosophe, théologien et psychothérapeute. Éditions Albin Michel.

Reprise d’un magnifique blog de Nathalie Jongen, que je remercie de tout cœur pour ce partage, dont j’ai choisi trois extraits. Vous trouverez d’autres visages de l’amour sur son site…
Voici le lien d’introduction, selon « l’échelle » élaborée par les Grecs anciens, je mettrai les autres à la suite.

http://nathaliejongen.wordpress.com/2014/02/17/sur_l_amour_ou_les_amours/

http://nathaliejongen.wordpress.com/2014/02/19/porneia-amour-appetit/

47 réflexions sur “Les différents visages de l’amour : Porneia

  1. Le cannibalisme pourrait sans doute être proche de l’amour mais de ma part la comparaison est osée, j’ai peur du cannibalisme. Néanmoins je pense que l’amour est souvent proche de la possessivité et le glissement vers cette possessivité peut être si rapide! Je vois nettement la différence dans le cas concret mère-enfants et surtout mère-fille que je connais si bien. L’amour vrai se reconnaît à l’effacement et l’abandon de l’ego de la part de la mère. Et je crois que c’est vrai pour tout amour réel et vrai, il doit être sans contrepartie, sans condition par l’abandon de sa personne à l’être aimé. La difficulté est que ça ne doit pas être une aliénation ni un emprisonnement. Il faut l’avoir vécu pour le connaître et le distinguer de la soumission ou de la possessivité. Alors, c’est divin.

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    • Le cannibalisme, au sens figuré pourrait bien correspondre à cette possessivité, qui prend parfois les formes de la « vampirisation » de la personne… dans le sens métaphorique, bien évidemment…
      Mais dans ce cas, pouvons nous encore parler d’amour ? Si oui, ce qu’il en est la forme la plus « primaire », d’où cette série, basée sur la sagesse des Grecs anciens, qui ont bien défini ses différentes facettes, ainsi que l’élévation du sentiment à travers les différentes formes.
      Vous vous basez sur un exemple concret, que je ne contredis pas, bien évidemment mais les rapports mère-fils peuvent être tout aussi difficiles. Nous parlons bien des mères castratrices, voire schizophrènes ou encore de celles qui ne libèrent jamais leurs « petits hommes », alors, que si le premier acte d’amour est donner la vie, le deuxièmes est libérer l’enfant.
      Dans les cas mère-fille, il y a davantage de formes de rivalités mais le sujet est bien trop vaste et toutes les déviances existent malheureusement.
      Alors que dans l’absolu, l’amour maternel est le plus proche de l’agapé, évoqué dans le troisième article.
      Votre phrase : « L’amour vrai se reconnaît à l’effacement et l’abandon de l’ego de la part de la mère », me laisse fort perplexe…
      Si effectivement, la gratuité, le don et certains « sacrifices » constituent le fondement de l’amour inconditionnel, je ne suis absolument pas d’accord quant à l’effacement et l’abandon de l’ego. Si la mère cesse d’être femme et ne vit que pour ses enfants, que devient elle donc une fois ceux là partis ? Et quel exemple pour se construire sur une personnalité inexistante ? Je reviens toujours à l’ego sain, celui qui fait que la femme connaît sa valeur et que son rôle ne se limite pas à être mère, car si elle veut donner le meilleur à ses enfants, elle doit avoir ses propres richesses, à cultiver et à transmettre….
      Bien d’accord pour l’amour sans contrepartie et sans conditions mais je remplacerai l’abandon par le « don » de sa personne, sinon, nous partons encore dans le déni de soi, pour remplir l’autre… Vous évoquez bien le danger d’une aliénation ou d’un emprisonnement…
      Alors effectivement, il n’y a que par le vécu conscient et le discernement, acquis par les erreurs et les épreuves, que nous pouvons arriver à l’expression vraie, juste et surtout personnelle.
      Merci pour votre témoignage, Jean-Michel… pas facile, tous les méandres de nos amours…. Mais tâchons de toucher sa partie divine…

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  2. J’aime ce paysage  » de la simple consommation à la communion ». C’est vraiment un haut niveau dans la relation comme tu le souligne Elisabeth. Lorsque la relation devient communion, la relation devient épanouissante pour les paries prenantes. Je me dit que ce niveau est le fruit d’un long cheminement, un chemin fait à deux,où l’on apprend à communiquer avec l’autre, où l’on apprendre à écouter à parler, où les cœurs communiquent en silence lorsque le langage devient inapproprié pour dire ce que l’on ressent. Chemin peut-être difficile mais pas impossible….

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    • C’est une très belle compréhension, Thera, et je t’en remercie… ce chemin est difficile mais pas impossible, et surtout, il en vaut tellement la peine… Je dirais juste, que parfois il est nécessaire de régler ses propres problèmes, avant de s’engager dans une véritable relation mais il n’y a aucune règle, juste un désir d’avancer…

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  3. Accepter à un moment donné de considérer son enfant comme un individu tout simplement, un individu comme un autre, avec sa personnalité. bises

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  4. Bonjour Elisabeth,
    Je suis en parfaite harmonie avec ta publication, l’amour grandit, donne des ailes, rend beau et cela de toutes les façons possible. C’est un merveilleux remède à bien des soucis, lorsqu’il est sincère, pur 😉
    Mais pour cela il faut d’abord dépasser ses peurs, peur de se mettre à nu, de se donner, mais aussi d’en souffrir éventuellement.
    A mon sens l’amour est harmonie 😉
    Qu’il est agréable et reposant cet article, merci Elisabeth 🙂
    Plein de bisous tendres

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    • J’en suis heureuse, Fanfan, et je te remercie pour cette si belle et poétique description d’un amour qui nous grandit… ainsi que pour ta conscience de ce qu’il nous demande. Aujourd’hui, c’est moi qui te répondrai par les paroles de Khalil Gibran, les plus belles que je connaisse :

      Toute ma tendresse à toi…

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  5. L’Amour est EGO!

    I love to be loved.

    …And in this moment, I need to be needed
    With this darkness all around me, I like to be liked
    In this emptiness and fear, I want to be wanted
    ‘Cause I love to be loved
    I love to be loved
    Yes, I love to be loved

    I cry the way that babies cry
    The way they can’t deny
    The way they feel
    Words, they climb all over you
    ‘Til they uncover you
    From where you hide

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  6. « Devenir capable de communion avec l’autre, ne pas seulement consommer et consumer. »
    Communion et communication pour un amour inconditionnel 🙂
    L’amour est aussi un vaste sujet 😉

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  7. Ô amour… que je rêve de toi… d’aussi loin que tu sois……
    mais si tu t’approches… je te savourerai en délice de cette attente .. sans rien prendre… juste te donner le goût de mon parfum… évaporé…à tes pieds…..à déposer sur ta bouche… un grain de beauté…à m’illuminer… en grande liberté…d’aimer… à m’envoler….
    bon ben… ça m’inspire… la liberté ;-))…

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  8. Alors Élisabeth, je te mets le Cocteau que j’ai collé chez un vieil ami il y a quelques jours qui s’adresse aux adultes : « Tu dis que tu aimes les fleurs et tu leur coupes la queue, tu dis que tu aimes les chiens et tu leur mets une laisse, tu dis que tu aimes les oiseaux et tu les mets en cage, tu dis que tu m’aimes alors moi j’ai peur. »

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  9. Un très bel article Elisabeth ! Je partage tout à fait cet avis. C’est l’effet pernicieux du sentiment amoureux. Cet appétit dévorant qui n’a d’autre objet que de combler tous les manques de l’autre.
    Bises

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    • Une forme très pernicieuse et immature du sentiment que certains nomment « l’amour », alors qu’il n’est qu’un besoin de combler ses manques ou dévorer l’autre… mais nous ne nous arrêterons pas à Porneia…
      Tu te reconnaîtras davantage dans les suivants, Gaïa…
      Merci, je t’embrasse fort

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    • Nous évoluons, si nous en avons envie et faisons ce qu’il faut pour… certes, l’âge peut aider mais d’aucuns restent immatures et égoïstes toute leur vie…
      Mais tu as raison, nous sommes au bas de l’échelle de l’amour… qui montera aux prochains « visages »

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        • Si vous êtes ensemble depuis si longtemps, ce que vous avez su préserver et construire cet amour car, après la passion/fusion qui dure à peu près trois ans, après, nos sentiments s’entretiennent et se cultivent, comme votre merveilleux jardin-jungle…
          Alors, tu n’es certainement ni immature ni égoïste…. juste un bon jardinier 🙂
          Et je suis très touchée par ton témoignage, merci…

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  10. Comme disait Gainsbarre, « L’amour physique est sans issue ». A prendre dans son contexte d’excès sans doute… Merci en tout cas pour cet article très intéressant pour tous ceux qui n’ont pas renoncé aux plaisirs de la chair. Comme pour ceux qui consomment sans la manière. Oui, de grands délices sont promis dans la « communion », dans une « sensualité libre et généreuse ». Le danger commence effectivement dans ces deux pièges : addiction et prédation. Le sexe ça se déguste comme un bon vin : en pleine conscience ! Merci pour ce rappel de Printemps Elisabeth 😉

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  11. Si compliqué, l’amour. Probablement ce qu’il y a de plus compliqué sur terre. A cause, encore lui, de l’ego sans doute.
    Mais c’est dans la relation de « communion » qu’il est le plus grand. C’est vrai.
    Excellent blog en lien. Merci Elisabeth. Une belle semaine à toi. Je t’embrasse;

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    • Tu as raison, Marie-Hélène, « probablement ce qu’il y a de plus compliqué sur terre ». Mais l’amour en soi est simple et limpide, c’est nous qui le compliquons, avec nos egos, nos blessures, nos croyances, contes de fées et fausses attentes…
      A nous donc aussi de le dégager de toute cette gangue, afin qu’il brille de toute sa beauté… en communion… avec soi, d’abord…
      Le blog de Nathalie est un joyau… à découvrir
      Merci à toi, tendres bisous et belle semaine

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