Un long processus de cicatrisation

Comment faire le deuil de l’être aimé? Ce processus, aussi long que complexe, suit pourtant une évolution immuable, en quatre étapes. Les explications du psychiatre Christophe Fauré. 

lune mer

Quand le silence s’installe dans la chambre d’hôpital, quand un appel de la Police annonce l’irrémédiable… En un instant, la vie bascule.  

Ces évènements signent l’entrée dans ce qu’on appelle le processus de deuil. Mais que sait-on du deuil ? N’y a-t-il pas notion plus mal comprise que celle-ci et, l’ignorance qui l’entoure dans notre société, n’est-elle à l’origine de tant de souffrances inutiles ?

Pourtant, loin de parler d’oubli ou de « tourner la page » comme on se le représente habituellement, le deuil porte l’authentique promesse de la préservation du lien avec la personne aimée : c’est un chemin dont l’essence même est de passer d’une relation extérieure, « objective » au quotidien, à une relation intérieure, « subjective », par-delà la mort.

Il invite à intégrer, dans sa vie et dans son être, la présence intime de la personne disparue, tout en continuant le cours de son existence, sans culpabilité ni vécu de trahison. Ceci n’est pas une vaine promesse : c’est une réalité sans cesse confirmée par ceux qui l’ont traversée, même si, dans les premières années, cela leur semblait totalement impossible.  

Le deuil, un processus de cicatrisation

La blessure de la perte est violente et profonde et le chemin, long et aride. Tout comme notre corps mobilise ses ressources quand il doit cicatriser une blessure physique, notre esprit met en œuvre une intelligence innée qui permet la cicatrisation de cette « plaie du cœur ».  

Le deuil, c’est ce processus indispensable dont la finalité est de préserver notre intégrité psychologique et émotionnelle, tout en construisant, en parallèle, un lien intérieur avec la personne disparue. Ce processus inconscient de cicatrisation est au-delà de nous et de notre volonté. Il nous est simplement demandé de l’accueillir avec sagesse, courage et humilité, en le laissant se dérouler, à son rythme, dans les tréfonds de notre être.

S’y opposer et tenter de « passer en force » par la volonté et le contrôle des émotions est inutile et dérisoire : c’est rajouter de la souffrance à la souffrance. Le deuil exige de nous douceur et patience. Tout comme une plaie physique nécessite des soins réguliers, il nous est demandé de mobiliser une égale attention pour celle du manque et de l’absence: il nous faut beaucoup de temps (en termes d’années…) pour accepter la réalité de ce décès à tous les niveaux de notre être. Ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra, petit à petit, acceptable de vivre à nouveau, en accueillant en dépit de tout ce que la vie a encore à nous offrir.  

Une évolution en quatre étapes

La connaissance des étapes du processus de deuil est indispensable pour ne pas se perdre dans les méandres de la douleur. Il est extrêmement rassurant de savoir que ce que l’on vit n’est pas « anormal » ou « morbide », comme le fait, par exemple, de couvrir de photos tous les murs de son appartement ou encore de continuer à payer, pendant des mois, un forfait téléphonique pour conserver la voix de la personne aimée sur sa messagerie.  

Tant de besoins et de comportements qui sont parfois jugés « malsains » par un entourage ignorant la réalité du processus, alors que ces attitudes ne sont que l’expression normale et naturelle d’un deuil qui se déploie harmonieusement. Dans un tel cas, l’entourage pourtant désireux d’aider devient, dans sa maladresse, une paradoxale source de colère ou de frustration. 

1- Le choc, la sidération

L’annonce du décès de la personne qu’on aime est insoutenable. Ainsi, dans les premières heures, il se met en place en nous un mécanisme inconscient de protection psychique qui vise à « anesthésier » partiellement nos émotions. En même temps qu’être plongé dans une insupportable peine, on se sent dans une sorte de fonctionnement automatique où nous sommes capable d’appeler nos proches et d’organiser les obsèques avec un étrange et déroutant détachement. 

2- La phase de fuite et de recherche

Cette deuxième phase dure de 6 à 15 mois après le décès. Durant les premiers mois qui suivent la perte, nous sommes dans une certaine agitation intérieure, reflet d’un (vain) espoir de sortir au plus vite de notre peine. Nous avons aussi besoin de nous reconnecter à la personne disparue, via ses photos ou encore certains de ses vêtements que l’on souhaite porter. Toutes nos pensées, tous nos actes, toutes nos paroles sont tournées vers elle dans un besoin viscéral de préserver le lien avec elle. On peut alors croire que la douleur du deuil peut être maintenue sous contrôle… mais c’est une illusion.  

3- La phase de déstructuration

C’est à ce moment-là que la troisième étape survient : c’est le temps où on prend douloureusement et intimement conscience de l’irrémédiable et de l’impossible retour de la personne aimée. Durant cette période, on a d’ailleurs très souvent l’impression de faire marche arrière car on se sent beaucoup plus mal que durant les premiers mois. Ceci est complètement normal et il est essentiel de le savoir et de le comprendre. 

Cette étape va s’étaler sur un à trois ans, en fonction de qui était la personne disparue (son conjoint, son enfant, son parent…) et des circonstances de son décès (accident, suicide, longue maladie…). La tonalité émotionnelle de cette étape est un vécu dépressif qui oscille en intensité au fil des semaines. 

4- La phase de restructuration

Enfin, très progressivement, après quelques années, d’imperceptibles changements se font sentir en soi. C’est le temps d’une lente reconstruction qui se décline sur trois axes: 

  • Une redéfinition de notre relation au monde et à autrui: petit à petit, on apprend à trouver une autre place dans la relation à autrui. Certes, on se sent différent à tout jamais vis-à-vis des autres mais notre relation au monde devient plus paisible.
  • Une redéfinition de notre relation à la personne disparue: le lien intérieur avec l’être décédé s’est progressivement pacifié. Il devient profond et intime avec la certitude qu’il demeurera en nous à tout jamais.
  • Une redéfinition de notre relation à nous même : nous ne sommes plus la même personne après le vécu du deuil. Sommes-nous aujourd’hui plus fermé, dans le repli ou l’amertume, ou plus ouvert et tourné vers ce qui compte vraiment, dans une quête d’authenticité et de vérité avec soi-même? C’est tout l’enjeu de ce long chemin.

De l’importance de l’accompagnement

Même si le vécu du deuil est une expérience d’ultime solitude, nous avons besoin des autres pour être accompagné : les amis, les proches, les parents sont les indispensables témoins de notre peine. Ce sont eux qui constituent le réseau de soutien qui nous aide à « tenir » au fil des années.

Mais il est vrai qu’on leur demande beaucoup et que peu d’entre eux sont capables de répondre à ce dont on a besoin. Ils doivent en effet apprendre à écouter une histoire sans cesse répétée au fil du temps, comprenant que c’est dans la constance de leur présence et de leur écoute qu’ils accompagnent réellement le processus de deuil ; ils ont aussi besoin d’apprendre à tolérer le silence et leur impuissance face à des larmes qui ont besoin de couler, sans essayer systématiquement de les neutraliser par de vaines réassurances. 

Mais le deuil passe aussi par des temps nécessaires de retrait, de solitude et de rencontre silencieuse avec soi-même, par l’écriture, la prière, la méditation, le contact avec la nature. C’est dans cette alternance, maintes fois répétées, entre « être avec les autres » et « être avec soi-même » que se construira, petit à petit, un chemin d’apaisement.  

C’est à ce prix que l’on parviendra, un jour, à vivre le sens ultime du deuil : honorer la vie et la mémoire de ceux que nous avons perdus et, petit à petit, trouver en nous les ressources pour avancer dans une existence où nous devenons un être humain unique et singulier par le fait même de les avoir aimés et d’en avoir été aimé en retour. 

Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour et Après le suicide d’un proche, Albin Michel

Paru dans L’Express 

http://www.christophefaure.com/

http://www.inrees.com/videos/190/

 

16 réflexions sur “Un long processus de cicatrisation

  1. Salut Elisabeth
    J’aime beaucoup ce billet sur le deuil de l’être aimé… Vraiment intéressant…
    Le deuil, comme le article souligne est un processus indispensable dont le but est de préserver l’ intégrité psychologique et émotionnelle, tout en construisant, en parallèle, un lien intérieur avec la personne disparue.
    Les quatre étapes liées au sujet sont clairement un effet progressif dans le processus de préservation de la psyché. je trouve que les phases de déstructuration et restructuration sont fondamentales ainsi que l’importance de l’accompagnement
    D’une façon ou de l’ autre. je considère que ce processus est essentiellement subjective… Donc il pourrait être plus long est difficile dans certains cas que dans des autres
    Merci beaucoup d’ avoir partagé
    Je t’ embrasse et je te souhaite un très joli dimanche ⭐
    Aquileana 😀

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    • Merci à toi, Aquileana, pour cette compréhension, toujours profonde. Même si on s’emploie à définir les étapes et les processus de ce travail du deuil, et que cela apporte une aide précieuse, le vécu de chacun est différent, comme pour tout ce qui nous touche dans le plus profond de notre être.
      Je t’embrasse fort

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  2. Bonsoir Elisabeth,
    J’aime cet article qui « démocratise » le processus du deuil.On retrouve plusieurs articles sur le sujet, mais très peu qui le « décortique » si bien. J,ai particulièrement appris sur la phase de déstructuration.
    Et j’adhère pleinement à la conclusion: » honorer la vie et la mémoire de ceux que nous avons perdus ». Le but ultime est d’y arriver en respectant sa propre peine… en l’assumant et en s’accordant le temps de vivre chacune des étapes du deuil.
    Il y a aussi tout le processus d’accompagnement avec lequel nous ne sommes jamais à l,aise. Malgré toute la bonne volonté, parfois difficile de bien saisir où en est l’autre avec son deuil et percevoir ses besoins du moment.
    Alors il m’en reste encore à apprendre… 🙂
    Mes amitiés

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    • Il reste et il restera toujours à apprendre, Kleaude… et je dirais, heureusement. Particulièrement sur ce sujet, si délicat car, comme nous le disions déjà, si la mort et le deuil étaient mieux supportés avant, quand ce tabou ne pesait pas encore si fort, et quand les rites, ainsi que l’accompagnement se pratiquaient de façon naturelle, de nos jours, nous nous trouvons si désemparés.
      Et je crois qu’il est nécessaire d’aborder à nouveau ce passage, pour que ceux qui souffrent culpabilisent moins, en vivant et en montrant leur douleur, sachant qu’il y a quelqu’un qui sera à l’écoute, sans peur et sans malaise, juste avec de la compassion.
      Et quoi de plus « démocratique » que la mort, qui nous attend tous…
      L’auteur de cet article est spécialisé dans les deuils, surtout dans leur forme « extrême », comme ceux qui suivent les suicides ou les morts violentes, et si tu as aimé sa façon d’en décrire les phases, tu aimeras peut-être son site et surtout la vidéo, où il en parle longuement.

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  3. Très bon choix de texte Elisabeth.
    Je vais souvent sur le blog de l’inrees d’ailleurs. Ils sont assez novateurs et pas psychorigides.
    Je te souhaite une bonne soirée automnale Elisabeth (j’aime beaucoup cette période)

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  4. Alors là…
    J’ai perdu mes parents et il ne me reste plus que Marc comme personne à laquelle je tienne et c’est un euphémisme. S’il part avant moi, ce que je ne veux absolument pas, je ne me poserai pas de questions sur les étapes de deuil. Je le suivrai volontairement dans sa disparition.
    Il m’a dit qu’il ferait de même dans le cas inverse. C’est comme ça.

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  5. les chagrins de la perte d’ êtres aimés ne se souderaient jamais Élisabeth , si la vie de tous les jours ne nous « obligeait » pas à panser leurs plaies !
    mais, je te vois bien triste en ce moment ! ça va ???

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    • Touchée par ton inquiétude, Juliette mais est-elle provoquée par le sujet abordé ? La mort et le deuil ne nous concernent-ils pas tous… je n’en fais pas un sujet tabou…
      Je vais bien, peut-être juste une touche de mélancolie, en ce mois de novembre mais c’est saisonnier 🙂 Merci de te soucier de moi, bisous

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