L’autodérision : La porte ouverte vers l’acceptation

Changer de regard sur soi, rire et faire rire : l’humour a toute sa place en thérapie. Être capable d’autodérision prouve que l’on a gagné en flexibilité psychique et su mettre en place des mécanismes d’autoguérison.

Clown

D’un côté, des acteurs comiques qui font leur « coming out psychique » : Guillaume Gallienne déclarant que la psychanalyse lui « a sauvé la vie », ou Ben Stiller et Jim Carrey révélant que leur bipolarité a été le sel de leur art. De l’autre, des psychothérapies qui se veulent moins austères.

Et l’on constate que l’humour trouve désormais une place essentielle dans de nombreuses méthodes. Rien d’étonnant : être capable de rire de soi prouve que l’on a su prendre de la distance et évoluer du pire vers le « pas si grave que ça ». Comme Groucho Marx, qui, tout burlesque qu’il était, a pondu l’une des meilleures formules pour exprimer une basse estime de soi : « Je ne supporterais pas d’entrer dans un club qui m’accepterait comme membre ! » En une pirouette, il était parvenu à rendre acceptable son mal-être.

L’autodérision serait-elle une clé en psychothérapie ?

« Attention, il ne s’agit pas du comique moqueur, voire vengeur, que l’on entend beaucoup dans les médias français, avertit Jean-Christophe Seznec, psychiatre et co-auteur de Pratiquer l’ACT par le clown (Dunod, 2014), qui utilise parfois des techniques de clown auprès de ses patients.

Là où le cynisme n’amène que jugement et manque d’engagement dans la vie, le jeu et l’humour sur soi revitalisent et permettent de prendre de la hauteur pour faire des choix. » Pour être autoguérisseuse, l’autodérision n’en est pas pour autant ce « rire protection » que certains utilisent pour « faire se gondoler la galerie », prête alors à tout leur pardonner simplement parce qu’ils sont « tellement drôles »… Elle n’est pas non plus autohumiliation. Non, pour être thérapeutique, cet humour-là emprunte des chemins plus escarpés : ceux de l’authenticité et de la bienveillance.

Savoir émouvoir les autres

L’autodérision nécessite d’abord une excellente connaissance de soi. Celui qui rit de lui-même sait combien il est râleur, ou peureux, ou arrogant. Quelles que soient ses failles, il ne les dénie pas, mais les accueille et les conscientise.

Jean Touati, hypnothérapeute qui fait une grande place à l’humour dans ses interactions avec les patients, remarque que les anxieux sont précisément les plus habiles à développer cette clairvoyance sur eux-mêmes : « Étant dans le contrôle, ils sont capables de regarder leurs pensées angoissées et de les mettre en scène… Le prototype de ce talent névrotique, c’est Woody Allen. » En revanche, précise- t-il, les patients en dépression ou psychotiques ne peuvent pas être candidats à l’autodérision.

Cette lucidité sur soi, Audrey Élie, infirmière de 34 ans, est parvenue à l’acquérir grâce à deux années de formation à l’école de clown du Samovar. « Au début, dans ce cours, je ne cherchais rien de thérapeutique, raconte-t-elle. Mais, en apprenant à faire rire de mes faiblesses, j’ai dû aller fouiller au fond de moi…

Et j’y ai trouvé bien des singularités refoulées. » Sa lenteur, sa tendance à être distraite, son côté
« bien sérieuse », elle en a fait les traits comiques de son personnage, Doris, son « moi version burlesque » sur scène. Comme ses compagnons apprentis clowns que l’on voit progresser dans le formidable documentaire Tout va bien (voir le lien), Audrey a appris pendant de longs mois
à « montrer tout ce que l’on cache d’habitude dans la vie de tous les jours » et à en apprécier le potentiel. Car savoir émouvoir les autres avec ses failles peut devenir un trésor.

Favoriser une relation authentique

« Moi qui ai toujours eu beaucoup de tics contre lesquels j’ai lutté pendant toute mon adolescence, je me suis rendu compte que je touchais particulièrement le public lorsque je les accentuais, confie Audrey. Ce qui me faisait souffrir est devenu un cadeau. » Pour atteindre cette transformation quasi alchimique et accepter ce que l’on rejetait de soi, rien de mieux que le partage permis par le rire.

« Ce “raccourci émotionnel”, ainsi que le définissait Freud, est un formidable outil, estime Jean-Christophe Seznec. Rire de soi avec un autre permet de toucher à la vulnérabilité de tous les humains. Le clown, comme celui qui donne à voir sans barrière ses fragilités, éveille
la tendresse. »

On peut favoriser cette autodérision en séance. Mais, pour y parvenir, le thérapeute ne doit pas hésiter à montrer qu’il est lui aussi capable d’assumer sa singularité : « Comme cette chemise rouge criard que je porte ce matin, ou ma tignasse décoiffée, s’amuse le psychiatre.

Ce qui donne de la gravité au praticien, c’est le regard qu’on porte sur lui et non la réalité. Moi, je montre au patient qu’on est libre d’adopter un autre regard et d’en jouer, cela amène au détachement et à l’humour. » Jean Touati, plus « classique », invite ses patients à « entrer dans le jeu » : « Je peux rebondir avec une blague, une parabole, un aphorisme sur leurs propos ; je peux prendre ma guitare, chanter ou les inviter à chanter…

Mêlées à une empathie véritable, ces surprises favorisent une relation authentique, en elle-même thérapeutique. » Un cadre rassurant est alors posé pour que l’humour déploie ses effets bienfaisants. Jean-Christophe Seznec suggère en séance de « faire l’hélicoptère », c’est-à-dire de prendre de la hauteur sur ses objets de souffrance.

C’est un ancien dépressif qui a eu cette idée : écrire des sketchs pour venir à bout de ses ruminations. David Granirer, éducateur qui enseignait la stand-up comedy (à traduire par
« lève-toi et fais rire » !) dans un collège canadien, avait constaté combien les séances d’autodérision faisaient du bien aux ados mal dans leur peau.

Il a donc créé un programme appelé « Stand up for mental health ». Douze semaines pendant lesquelles des personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), d’addictions ou de phobies viennent en parler sur scène, après avoir écrit des prestations qui donnent lieu à un immense show final. Outre les vidéos de chaque « comique » accessibles sur YouTube, un film présente les étapes qu’ils doivent franchir pour parvenir à faire rire. Son titre : Cracking Up
(« craquer »).

« Je leur propose d’appeler par un prénom leurs personnages intérieurs symptomatiques, par exemple, complète le psychiatre. Ainsi, je peux leur dire : “Tiens, c’est le retour de Gérard l’obsessionnel aujourd’hui”, ou de Robert le plaintif… Nous en rions ensemble, et la séance peut avancer. »

Le thérapeute doit aussi savoir manier avec tact et imagination l’art de la provocation. Et Jean Touati de raconter comment cette patiente, alourdie par une plainte lancinante sur elle, s’est
« réveillée » de cette lamentation : « Elle avait débuté cette première séance par une longue litanie : “Je n’ai pas d’amies, tout le monde me fuit, je m’ennuie avec les autres, personne ne m’aime…” »

Rompant avec la convenue « écoute bienveillante », le thérapeute l’a alors interrompue :
« Eh bien, c’est sûr, ça ne fait que cinq minutes que je vous écoute, et vous êtes franchement pénible ! » Lui répondant par un sourire, elle comprit alors qu’elle allait pouvoir sortir de ses errances thérapeutiques pour enfin, ici, commencer à changer.

Avoir partagé ses failles, dans un atelier ou en séance, est la porte ouverte vers l’acceptation. Comme le clown qui, en mettant son nez rouge, est prêt à passer à une autre dimension de lui-même – « il redevient l’enfant, le poète du moment présent, l’être authentique bien ancré dans son corps, rappelle Jean-Christophe Seznec. Il quitte tous les “il faut que”, la rigidité psychologique qui nous mine.

Celui qui est capable d’autodérision lâche sur son ego et son image ; et il sait qu’il n’y a rien à perdre puisque c’est ainsi qu’on l’aime ». Ainsi, l’autodérision et l’acceptation profonde de soi qu’elle apporte opèrent un réel « déformatage ». Celui qui ose dire sa vérité peut laisser tomber certaines normes qui l’entravaient.

« Pensez à Charlie Chaplin et au merveilleux clown qu’il incarne, propose le psychiatre. Il montre que l’on peut s’appuyer sur ses souffrances pour renaître plus libre. » Un phare pour tous ceux qui savent que, parfois, rien n’est plus sérieux qu’une bonne tranche de rire.

Véronique Dahl

Tout va bien (1er commandement du clown), documentaire de Pablo Rosenblatt et Émilie Desjardins. http://www.telerama.fr/cinema/films/tout-va-bien-1er-commandement-du-clown,488407.php

http://www.lesamovar.net/accueil

Et vous ? http://test.psychologies.com/etes-vous-drole

 

38 réflexions sur “L’autodérision : La porte ouverte vers l’acceptation

  1. Je souscris, chère Eisabeth ⭐ …Très bon, ton billet…
    J’essaie de prendre les choses avec humour et moi meme d’un façon drôle, si tu veux… J’ai appris que c’est un bonne strategie, presque un antidote contre les déceptions et aussi un moyen d’ équilibrer les exigences et les discréditer, dans le but de vivre plus sympathique… En plus, l’autodérision est aussi un manifestation de l’intelligence… Je dirais, comme toi, que Woody allen est le bon exemple de cela. Bisous et bonne semaine! Aquileana 😀

    J’aime

    • Tu es une jeune femme pleine de sagesse car en effet, appliquer ces principes ne peut nous faire que du bien. Et surtout, ne pas se prendre trop au sérieux nous permet d’éviter cette tentative d’être trop exigeants et intransigeants, avec soi et les autres.
      Bisous, Aquileana et douce semaine à toi

      Aimé par 1 personne

  2. Rire de soi, ne pas se prendre au sérieux, rire aussi de ses faiblesses, de ses défauts…, c’est aussi accepter d’être lucide, c’est faire preuve de bienveillance envers soi et cela permet sans doute d’amorcer le début du changement.
    Bises, Bon dimanche.

    J’aime

    • Cette condition a été bien soulignée dans tous les articles et commentaires et puis, il y a des degrés dans la moquerie… L’autodérision est bien rire de soi, donc se moquer de ses travers, et si nous ne nous dévalorisons pas, elle nous aide à mieux nous accepter.
      L’humour permet aussi de dire certaines choses sans blesser, et rien de pire que les gens qui se prennent trop au sérieux… Seule la méchanceté est exclue

      Aimé par 1 personne

  3. Le rire, c’est bon pour le moral, surtout quand on sait se moquer de soi-même ! Ce qui n’empêche aucunement de se respecter, bien au contraire : ça veut dire qu’on connait ses forces et ses défauts et que l’on sait en jouer 🙂 !

    J’aime

  4. Bonsoir Elisabeth,
    En lisant cet article je me disais que l’autodérision et moi cela faisait deux.
    En faisant le test qu’est-ce-que je découvre, je suis une championne de la bonne humeur. Hé bien pas surprise de cela car oui j’aime la vie.
    J’ai près de moi une personne qui me dit souvent que je n’ai pas d’humour, a force de l’entendre, je commençais par le croire. En y réfléchissant je dirai plutôt que je n’ai pas son humour, nuance…
    Moralité, je suis moi et je ne laisse personne me dire qui je suis 😉
    Merci Elisabeth pour ce billet qui me réconforte et me donne le sourire, je dépose sur tes joues de doux bisous d’amitié

    J’aime

    • Si surprise que tu aies pu penser ne pas être capable d’autodérision, Fanfan… vraiment. Comme je sais ton amour de la vie, ton humour et surtout la source qui les nourrit, ta profonde bienveillance, je suis heureuse de reconfirmer que tu es pleine de ces belles qualités, et encore davantage, que tu t’affirmes haut et fort devant ceux qui soutiennent le contraire.
      Ne laisse personne te dire qui tu es, jamais !
      Merci à toi et tendres bisous

      Aimé par 1 personne

  5. Maitre en scène c’est défauts dans une prise de parole, déstabilise souvent ceux qui attendait pour vous démolir, et vous laisse le temps de rebondir.

    J’aime

    • Oui, c’est un grand bénéfice de ce rire thérapeutique et libérateur, qui nous permet aussi de prendre des distance avec ce que les autres peuvent penser de nous, comme avec la peur de se sentir ridicule ou atteint par les moqueries

      J’aime

  6. Le rire est un sacré bon remède !! 😀
    Cependant, comme tout « médicament », savoir le doser à bon escient et jamais aux dépends des autres 😦 Pour moi le rire ne va pas sans la compassion pour soi-même et pour les autres. Sans cela le rire peut vite devenir méchant et destructeur, c’est d’ailleurs un faux-rire, un rire menteur et non pas joyeux et libérateur comme il doit être. 🙂
    Je ne sais pas si c’est bien clair ce que je viens de dire …. 😉 😀 😀

    J’aime

  7. Ah ! j’aimais bien les premiers films de Woody Allen , son humour auto dérisoire ! son humour en général …
    😉 et j’aime les gens capables de se moquer d’eux mêmes , mais ils sont pas légion non Élisabeth ?

    J’aime

    • Je pourrais remplir une page entière de citations de Woody Allen, que j’adore, et qui me font crouler de rire.
      Il a cet humour fin, si plein de cette autodérision qui est en effet chose rare, puisqu’elle nécessite un recul envers soi, le fait de ne pas se prendre trop au sérieux et surtout, rire de ses propres travers.
      Mais toi, tu sais si bien le faire, Juliette…

      J’aime

  8. Nous vivons une époque bizarre : l’humour n’a jamais été autant apprécié pour ces justes qualités mais l’humour du fou du roi semble de plus en plus déranger. Il n’est pas d’humour qui ne soit un peu subversif. Alors, époque de tous les excès ou époque coincée?

    J’aime

    • Je crois, Anna, que l’humour du fou du roi, qui est un garde-fou par excellence, n’a jamais été vraiment apprécié, et que la capacité de le
      « recevoir » tenait à la largesse d’esprit du « monarque ». Les dictateurs et les tyrans ne l’ont jamais supporté et quant à notre époque, pas besoin de discourir sur les qualités de nos gouvernants.
      J’ai bien connu l’humour très subversif et plein de finesse des humoristes, aux temps des communistes, tu me comprendras, et tu sais aussi que c’était un engagement qu’ils payaient souvent fort cher.
      Et la vulgarité, voire la méchanceté gratuite de ceux que j’aperçois actuellement m’attriste et me fait dire que nous vivons effectivement une drôle d’époque, pas coincée, excessive, certainement mais surtout bien médiocre. A quelques exceptions près, dont deux blogueurs que j’aime particulièrement et que je me fais la joie de citer
      http://thiebault-de-saint-amand.com/category/2015-ma-semaine-politique/mars/les-crises-de-regime-a-lelysee/
      https://sansadjectif.wordpress.com/2015/03/25/pensees-composites/
      Merci encore pour la justesse de tes questionnements

      J’aime

  9. L’humour… tant qu’elle ne sombre pas dans un triste cynisme est si salvatrice!
    Je retiens un de tes commentaires sur ton article précédent voulant qu’une personne en dépression n’est plus capable d’humour…
    Alors tant qu’il y a humour il y a de l’espoir! Et mieux vaut rire de soi que des autres…
    Apprendre de rire de soi, c’est apprendre à s’accepter tel que l’on est et de savoir assumer ses différences.
    N’y-a-t-il pas une maxime qui dit que si on ne vaut pas un rire, on ne vaut pas grand chose!
    Bonne soirée.
    Mes amitiés sincères

    Aimé par 2 personnes

    • Je ne connaissais pas cette maxime mais je la trouve très juste. La capacité d’autodérision est fondamentale à mes yeux car, comme tu dis, elle découle d’une pleine acceptation de soi, avec nos failles, nos travers et nos faiblesses. Tant qu’elle est dépourvue du cynisme ou de la dévalorisation, elle nous sauve dans bien des situations difficiles, comme tu le disais aussi dans ton précédent commentaire.
      Quant aux dépressifs, c’est vrai dans les cas ponctuels car si tu regardes les « chroniques » tel Woody Allen, ils font de leurs « états d’âme » des chefs-d’œuvre d’humour.
      Merci, Kleaude, j’apprécie tant tes commentaires qui confirment mon autre maxime que « l’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » 🙂
      Amitiés sincères

      J’aime

  10. Vous aimez rire mais…

    Vous avez un sens de l’humour tout à fait équilibré. Vous savez voir le côté amusant de certaines situations sans pour autant manquer de compassion envers les personnes souffrant d’un revers de fortune.
    Tendresse Elisabeth
    Marie ♥

    J’aime

  11. Voui…. quand je fais rire tout le monde, il y a toujours une réflexion du genre « elle est totalement bourrée! ». C’est d’autant plus drôle que je ne bois jamais d’alcool.
    Je viens de m’inscrire à un stage de perfectionnement sur le cirque, la danse et le spectacle alors ton article m’a amusée, et puis, c’est tellement vrai!
    Bises

    J’aime

Laisser un commentaire