L’amour est un oui sans pitié

Deux rochers

Le véritable amour est un oui inconditionnel à l’autre. Qu’est-ce qu’un autre ? Ce qui n’est pas même : ni moi ni comme moi. L’autre m’échappe. Au-delà de moi, ne pouvant être compris dans les limites de mon savoir, il est mystère. L’amour est un oui sans condition au mystère qu’est l’autre.

Autrui n’a pas à être comme moi ni comme je veux qu’il soit : il n’a pas à correspondre à mes attentes. La première étape pour apprendre à aimer est donc de lâcher ses attentes. Celles-ci sont fondées sur le manque. Il y a en nous, gravée au cœur de notre chair, une souffrance qui correspond à tous nos manques passés.

Les attentes que nous projetons sur les autres sont des stratégies de soulagement de cette souffrance : nous voyons en l’autre l’objet qui va pouvoir nous combler. Cette femme dont je suis amoureux, je l’associe à ma mère dont l’amour m’a fait défaut sous une forme ou sous une autre, et je lui demande inconsciemment de me donner ce dont j’ai manqué. Nous avons tous de multiples carences affectives, car le manque est inhérent à la condition humaine.

Nos attentes, nos projections sur autrui témoignent d’un refus de cette sensation de manque. C’est ainsi que nous posons des conditions à notre accueil d’autrui : « Sois tel que mon manque est soulagé. » Ainsi, nous conditionnons ce dernier qui, pour se sentir aimé, doit se conformer à notre projet sur lui – donc cesser d’être lui-même.

Le simulacre de l’amour est une prison qui fait d’autrui l’otage de nos propres besoins, ce qu’il ne peut accepter qu’en nous enchaînant de la même manière. Aimer, c’est d’abord libérer l’autre de nos refus d’éprouver le manque et la souffrance.

Apprendre à aimer exige d’être impitoyable avec soi-même. L’amour accompli a deux faces. La plus connue est sa face féminine, l’accueil inconditionnel : « Qui que tu sois, quoi que tu fasses, je t’accueille, mon amour t’est donné. » C’est bien sûr l’essence de l’amour maternel, mais la polarité féminine de l’amour accompli se rencontre également en toute femme qui aime ainsi qu’en tout homme puisque, comme l’a montré Jung, tout être humain est porteur des archétypes féminins et masculins.

Moins connue est la face masculine de l’amour accompli. À l’instar de son homologue féminin, elle consiste dans un oui inconditionnel à l’autre. Mais ce n’est pas le même oui. Non pas accueil, mais désir inconditionnel de l’autre, ce n’est pas un oui de réceptivité mais d’action. Sa formule est : « Qui que tu sois, deviens-le ! »

C’est l’amour exigence, celui qui somme l’autre d’être digne de lui-même : « Cet être que tu es, ce mystère que je ne connais pas et qui t’échappe aussi à toi-même, je veux l’éprouver, je veux que tu me le donnes et que tu le donnes au monde. » C’est l’amour du père et le fondement de l’autorité paternelle authentique. C’est l’amour du véritable maître, s’il en est. Et c’est une dimension qui existe au cœur de tout véritable amour – raison pour laquelle celui-ci n’est jamais de tout repos ! Celui ou celle qui m’aime véritablement sera toujours sans pitié pour mes masques, mes tiédeurs et mes échappatoires, tout ce qui m’empêche de vivre et d’accomplir la vérité profonde de mon être.

Le désir inconditionnel sans l’accueil inconditionnel est dureté, ce n’est plus de l’amour, car il n’y a pas de compassion pour les faiblesses de l’autre. Mais l’accueil inconditionnel sans l’exigence du véritable désir est un confort régressif qui étouffe la vie. Ainsi peut-on imaginer que l’amour divin est indissolublement masculin et féminin. Dieu nous aime avec une tendresse impitoyable.

Denis Marquet

43 réflexions sur “L’amour est un oui sans pitié

  1. « Le véritable amour est un oui inconditionnel à l’autre. Qu’est-ce qu’un autre ? Ce qui n’est pas même : ni moi ni comme moi. L’autre m’échappe. Au-delà de moi, ne pouvant être compris dans les limites de mon savoir, il est mystère. L’amour est un oui sans condition au mystère qu’est l’autre ». [D.M] ●▬▬๑۩۩๑▬▬●

    Cette citation m’a rappelé à Jean Paul Sartre (une nouvelle fois, oui!)…
    En particulier si on prend compte de ses réflexions par rapport aux autres…
    Je ne ferai référence à la citation « L’enfer c’est les autres », car on avait déjà parlé sur cela, dans une autre occasion… [ En Ajoutant clin d’œil: 😉 ]

    Cependant je voudrais ajouter celles-ci, liées à l’Amour :
    ►“Aimer est le projet de se faire aimer”
    ►“C’est là le fond de la joie d’amour, lorsqu’elle existe: nous sentir justifiés d’exister”.

    Merci d’avoir partagé, ma chère Elisabeth… Encore un sujet très intéressant ici! ⭐ ★ ⭐
    Je t´embrasse!. Aquileana 😀

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    • Un sujet insondable car même si : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », comme le disait Pascal, je crois que dans un sentiment le plus désintéressé, il y a toujours le jeu de projections et d’attentes, que nous avons évoquées lors de cette discussion sur la phrase de Sartre.
      Si l’amour, sous toutes ses formes, est une belle justification d’existence, le problème se pose quand nous oublions cet énoncé essentiel, que tu cites, ce « oui inconditionnel », comme l’acceptation que l’autre sera à jamais un mystère.
      Et je souris quand j’entends si souvent dire dans des couples : « je te connais »…
      Merci, Aquileana , c’est un grand enrichissement de discuter avec toi

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  2. Bonsoir Elisabeth,
    Encore une publication qui est très intéressante. Je dis souvent que rien ne se fait au hasard, cela me conforte plus encore dans ma pensée.
    Que de vérités qu’il est nécessaire de découvrir…C’est fou tout de même, mais il faut bien l’avouer cela explique pas mal de choses.
    Belle soirée et douce nuit Elisabeth !
    Doux bisous

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  3. Bien bel article! Pour ma part, j’accorde une primauté à l’amour qui effectivement est non seulement inconditionnel, mais sans attente de retour. Cela pourrait bien être la solution à tous nos problèmes et nos malentendus. C’est une force incomparable au-delà du possible apparent et matérialiste.

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  4. Cette phrase « Dieu nous aime avec une tendresse impitoyable » me renvoie encore une fois aux deux romans d’Henri Gougaud : – Bélibaste
    – L’Inquisiteur

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  5. Merci Elisabeth 😊 ! Je me suis permise de mettre le lien sur ma page Facebook. J’avais de la difficulté à définir l’amour masculin / féminin… Voilà un bel éclaircissement ! Merci pour ton site que j’ai plaisir à lire. Belle journée ! Valérie.

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    • Tu n’as pas besoin de permission, ce texte ne m’appartient pas. Contente qu’il ait pu éclairer ton questionnement.
      Merci à toi, Valérie, il y a juste un souci avec ta page FB, le lien ne fonctionne pas et j’irai bien faire un tour chez toi..

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  6. Tendresse impitoyable ! Un amour pour faire grandir, un autre pour accepter ce qui éclot… et amortir les chocs en cas de besoin. J’ai été très touchée par ce billet. Merci pour le partage chère Elisabeth 🙂

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  7. Bonjour Elisabeth
    Voilà le piège dans lequel trop souvent nous tombons: « Les attentes que nous projetons sur les autres sont des stratégies de soulagement de cette souffrance : nous voyons en l’autre l’objet qui va pouvoir nous combler.  »
    Pourtant tout est dans cette affirmation: « Qui que tu sois, deviens-le ! »
    Permettre et voir l’autre s’épanouir est si enrichissant.
    Mes amitiés

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    • Bien évidemment mais même si nous faisons de notre mieux pour que l’autre s’épanouisse, je ne crois pas que nous puissions nous défaire entièrement de nos attentes et projections, puisque nous sommes humains et que nous portons tous nos manques et blessures.
      Alors, juste en être conscients et ne pas trop les faire peser sur soi, l’autre et la relation est déjà un beau travail qui nous fait avancer et nous rapproche du véritable amour.
      Merci, Kleaude et belle soirée

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    • Cela dépend de ce que tu mets sur ce terme…
      L’auteur le dit si bien : « Apprendre à aimer exige d’être impitoyable avec soi-même » et aussi « C’est l’amour exigence, celui qui somme l’autre d’être digne de lui-même ».
      Et qui peut se targuer d’aimer d’une manière véritablement inconditionnelle ?
      Exceptée Zibou 🙂

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  8. rien de plus merveilleux que l’amour humain ou animal dans la vie , c’est certain Elisabeth, si difficile soit il , quant au mot de la fin il me fait douter 😉 mais je doute de beaucoup de choses…tu me connais !

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    • Disons que celui d’un animal est un moins contrariant 🙂 mais le véritable humain, non seulement nous élève mais nous fait évoluer, si nous consentons à lâcher nos attentes, nos projections sur autrui, ainsi que le comblement de nos manques.
      Mais je suis d’accord, l’amour, sous toutes ses formes fait tourner le monde.
      Je comprends que la dernière phrase te laisse perplexe mais je dirais, heureusement que tu doutes, Juliette…

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