Ni l’avenir, ni le passé n’existent

Pensées temps

Qu’est‑ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n’y aurait pas de temps passé; que si rien n’arrivait, il n’y aurait pas de temps à venir; que si rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent.

Comment donc, ces deux temps, le passé et l’avenir, sont‑ils, puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l’éternité, Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons‑nous déclarer qu’il est aussi, lui qui ne peut être qu’en cessant d’être ? Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que te temps est, c’est qu’il tend à n’être plus…

Ce qui m’apparaît maintenant avec la clarté de l’évidence, c’est que ni l’avenir, ni le passé n’existent. Ce n’est pas user de termes propres que de dire « il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir.  » Peut‑être dirait‑on plus justement : « il y a trois temps: le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur.  »

Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire; le présent du présent, c’est l’intuition directe; le présent de l’avenir, c’est l’attente. Si l’on me permet de m’exprimer ainsi, je vois et j’avoue qu’il y a trois temps, oui, il y en a trois.

Que l’on persiste à dire  » il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir « , comme le veut un usage abusif, oui qu’on le dise. Je ne m’en soucie guère, ni je n’y contredis ni ne le blâme, pourvu cependant que l’on entende bien ce qu’on dit, et qu’on n’aille pas croire que le futur existe déjà, que le passé existe encore. Un langage fait de termes propres est chose rare très souvent nous parlons sans propriété, mais on comprend ce que nous voulons dire.

Saint Augustin Les Confessions, Livre XI, Ch. 14-20

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours; or nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste.

C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les cho­ses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

Pascal, Pensées, posth., II, 172

 

 

35 réflexions sur “Ni l’avenir, ni le passé n’existent

  1. Le temps nous échappe… Une notion difficile à expliquer parce que abstraite. Chaque seconde ou minute écoulée dans le présent appartient déjà au passé…
    « Si rien ne se passait il n’y aura pas de passé et si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir ».
    Le présent est donc mouvement …Le présent est le moment même de l’action ! Le moment que je vis là, assise à écrire, à penser, à agir, à ressentir…C’est le moment « actuel », dirais-je. De ce fait, le passé n’est plus et se range du côté de la « mémoire ».
    Selon les écritures, Dieu ne conçoit le temps comme nous …Nous sommes sur une échelle totalement différente :
    « Car mille ans sont à tes yeux comme le jour d’hier quand il n’est plus,
    et comme une veille de la nuit.
    Devant Dieu un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour. On parle de la fin des temps, pourtant le temps n’a pas de fin, nous n’avons pas de fin.

    Ma préoccupation première serait plutôt de réfléchir à comment utiliser le temps qui m’est donné dans « le présent » sans le gaspiller.
    Merci chère Elisabeth pour la richesse de tes partages et vraiment désolée, je n’ai pas toujours l’énergie nécessaire pour commenter.
    Bon dimanche, tendresse du coeur

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    • C’est moi qui suis désolée, chère Lucia car je sais que tu traverses les moments difficiles, alors ton passage me touche énormément. Merci pour tes réflexions, toujours remplies d’une sagesse profonde, j’ai adoré cette citation des Écritures qui nous rappelle que même mortels, nous portons l’éternité en nous.
      Et si lire les penseurs nous enrichit, mettre en action ce temps qui nous est imparti est en effet une belle priorité.
      Toute ma tendresse et prends bien soin de toi

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  2. Quel profond et pensées provocatrices vous avez présenté ici, Elisabeth. Merci de partager ces points de vue à l’heure et il est la pertinence ou la non pertinence. Je suis désolé que nous ne jamais l’occasion de rencontrer à Paris, mais chaque jour, nous ne savais pas où nous en serions au déjeuner ou au dîner ou où nous pourrions manger. La chaleur était si mauvais pendant que nous étions là et nous nous portait sur la marche en elle chaque jour.
    Peut-être une autre fois, devrait nous revenir à votre merveilleuse ville. Bénédictions et câlins, Natalie 🙂 ❤

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    • Ne soyez pas désolée, Natalie, j’ai bien suivi votre séjour sur votre blog, et je sais que vous avez passé peu de temps et que vous aviez tant à voir. J’étais si heureuse de vous savoir là, même si nous ne nous sommes pas rencontrées.
      Vous savez que le lien du cœur est plus fort.
      Toute ma tendresse vers vous.

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  3. Insaisissable ce temps qui passe même au présent, même au futur. Au bord du renoncement, j’allais passer mon chemin quand j’ai rencontré l’instant. Libérant de l’injonction de savourer le présent tant il est bref, fugace. A vivre en instantané ! Merci Elisabeth pour cet article en fulgurance 🙂

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  4. Bonsoir Elisabeth,
    Je t’avoue que je ne comprenais pas trop où cet article voulait en venir… Je me disais même que de temps à vouloir comprendre le temps alors qu’il file…. 😉 En fait j’errais jusqu’à ce passage:  » Ce n’est pas user de termes propres que de dire « il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir.  » Peut‑être dirait‑on plus justement : « il y a trois temps: le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur.  »
    Alors là je saisis mieux.
    Et je ne peux m’empêcher de sourire à une certaine synchronicité. Mon prochain roman à paraître à l’automne s’intitule: !Moi en trois temps… « ,…. 😉

    Mes amitiés sincères,

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    • Saisir l’insaisissable, n’a pas toujours été la veine tentation de l’humain ? Et si, concernant le temps, ces pensées ne pouvaient juste nous rappeler son passage inéluctable, pour nous inciter à le vivre en conscience, cela serait déjà beaucoup.
      Ravie de cette synchronicité et toujours impatiente de lire ton livre…
      Amitiés, Kleaude et bon wek-end

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  5. Bonjour Elisabeth,
    Comme j’aime ce sujet. 🙂
    J’ai donc pour toi été rechercher un écrit-brouillon par moi, désolée pour les fautes, et écrit en 1999 sur ce sujet là, avec des mots personnels. Bon amusement de lecture 🙂
    « Il y en a un qui me tient particulièrement à cœur et qui concerne le temps qui passe. En réfléchissant à la notion du temps qui passait et en divisant ce temps par rapport au passé, au présent, et au futur, je me suis rendu compte avec stupéfaction, que le présent était une notion qui ne pouvait pas exister. En effet, et je ne suis pas forte en mathématiques, il est absolument impossible d’isoler une seconde, un millième de seconde, un dix/millième de secondes, un cent/millième de seconde etc.…. , car aussitôt, ce temps aussi éphémère soit-il appartient déjà au passé. Quelqu’un m’a dit qu’un philosophe s’était déjà penché sur la question. Et bien me voilà philosophe à mes heures et comme Monsieur Jourdain, dans Molière, sans le savoir. J’ai trouvé l’idée assez enthousiasmante et essayer de trouver la faille. Mais où que j’aille dans mes pensées, je ne pouvais que me rendre à l’évidence de la justesse de mon propos. Mais alors en conjugaison, l’indicatif présent, «je marche » que devient-il ? Puisque le pas dont j’ai imprégné l’empreinte dans le sol, dès le moment où je l’y ai mis, a à la vitesse de la lumière, rejoint le passé dans le temps. Comme tout cela est fort intéressant et m’amuse beaucoup ! Le présent n’existerait donc pas, et nous serions continuellement dans un no man’s land où le passé et le futur nous utilise comme seul lien dans un présent tout à fait relatif. Je pensais avoir fait une découverte extraordinaire, mais d’autres y ont pensé avant moi. Dommage pour l’exclusivité, mais je me suis bien amusée. Il s’agit maintenant de trouver les spécialistes qui ont écrit sur le sujet, afin que je me documente davantage sur leurs travaux. Ce pourrait être très intéressant et instructif et satisfaire en moi cette soif de connaissance jamais étanchée, quel que soit le sujet surgit quelque part dans mon esprit »
    Je sais depuis lors ou entendu via la télé en regardant des documentaires qu’Einstein et d’autres scientifiques ont abordé le sujet.

    J’aime beaucoup ton article, à lire et à relire. Il donne la pêche 🙂 Pourquoi ? Tout simplement parce que cela ouvre la porte aux neurones d’ouvrir des portes et de se dire : « Puisque notre avenir est le même pour tous, celui d’une autre vie, d’une réincarnation ou la fin de tout, en fonction de nos croyances philosophiques, profitons du soleil, profitons de l’instant présent ». Surtout essayer, j’écris bien essayer de ne pas se polluer l’esprit au présent ?, de ce qui nocif pour soi et/ou pour les autres.
    Merci Elisabeth de m’avoir lue, merci pour ce moment d’échange. Peut-être l’ai-je déjà partagé avec toi ? Désolée alors pour la répétition de ce paragraphe qui m’avait tellement amusée à l’époque et qui me fait tellement sourire 🙂

    J’aime aussi tes citations.
    Bon m’en vais lire sur les fées 😉
    Je t’embrasse affectueusement.
    Geneviève

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  6. triste constatation que celles de Pascal, sniff …mais je le trouve vraiment trop pessimiste , heureusement qu’il existe des moments présents que nous vivons pleinement autrement ce serait même pas la peine de continuer la route …
    Bonne soirée Elisabeth

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