
- Je vais encore moins bien depuis que je fais du développement personnel…
C’est grave, docteur ?
- Non, Madame, c’est normal, voire recommandé, ça passe toujours par là…
- Ah bon, et pourtant je voulais résoudre mes problèmes ?
- Vous étiez assise sur un tas de fumier, en vous bouchant le nez, les oreilles, comme le reste, à présent vous avez décidé de voir de plus près et vous vous étonnez que ça sente mauvais ? Vous vous croyiez confortable dans vos certitudes et maintenant que tout a volé en éclat allez-vous en chercher d’autres pour vous rassurer ?
- Bah oui, sinon, comment vivre autrement ?
- La seule certitude que nous puissions avoir est celle que nous allons mourir… et encore…
Et de quoi donc voulez-vous être sûre ?
- Que j’avance
- Vers où ?
- Le bonheur, la réalisation de soi, l’amour, la sécurité, l’abondance…
- Et tout ça tout de suite ?
- Il faut positiver, non ou alors, à quoi ça sert ?
On se le demande, souvent…
Dans cette société en perte de valeurs, minée par l’incertitude, l’impératif de réalisation personnelle fonctionne comme un puissant levier. Et cette promesse de bonheur déploie son attrait en période de crise.
Si l’évolution intérieure, le cheminement, les interrogations, la remise en question permanente sont nécessaires, voire vitales, les sages, depuis la nuit des temps, n’ont pas attendu pour donner l’exemple.
Mais cet engouement qui gagne du terrain, ne cacherait-il pas parfois un effet de mode et ne deviendrait-il pas la dernière « religion » en date ?
Avec, à la clé, tous ses effets pervers.
Les coaches de vie, les éclaireurs de consciences, les éveilleurs, nous font miroiter tant de promesses, nous annonçant, à grands coups de marketing, l’assurance d’une vie épanouie… en étalant leurs réussites, sur tous les plans et toutes leurs dents blanches dehors.
Les rayons de livres en débordent, nous croulons sous des vidéos, conférences et conseils en tout genre.
Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain mais… un peu de discernement, est plus que jamais de mise.
Car, dans ce grand fourre-tout, la barre est souvent placée trop haut et cette quête désespérée du bonheur, menée par des désespérés de la vie peut vite devenir inquiétante et surtout culpabilisante.
« Vivez la vie de vos rêves » : une simple phrase qui peut vous déprimer pour longtemps, pour peu que la vôtre refuse de suivre cette direction.
Un petit coup de « pensée positive » par-là, des injonctions sans appel : « soyez heureux » « créez votre réussite » ou « bougez-vous les fesses » par ci, n’entend pas implicitement que « si vous n’y arrivez pas, c’est de votre faute » ?
- Je me sens de plus en plus coupable de ne pas être à la hauteur
- J’ai 50 ans et je ne suis toujours pas arrivée, la honte !
- J’en suis à mon dixième stage, cinquième thérapeute, centième livre… et rien ne change !
- Mes relations empirent et mon auto-estime plonge vertigineusement.
Et cette sorte de pression qui vient de toute part.
- Quoi, tu n’es pas encore heureux ? Tu ne réalises pas ton plein potentiel, ne nages dans l’abondance, tu n’as pas de partenaire qui te comble, un travail épanouissant (à aider les autres, bien évidement) ?
Accompagnée des injonctions : arrête de te plaindre, remue-toi, donne toi un coup de pied aux fesses, secoue-toi, décide-toi, pense positif, médite, reste zen, fais un stage, lis un livre, lâche prise, vis la pleine conscience, le moment présent…
Cela finit par vous rendre honteux et vous enfonce encore dans la conviction que vous n’êtes pas à la hauteur.
Donc, que vous êtes non seulement moins bien que les autres mais qu’en plus, personne ne peut vous comprendre.
Car, si vous appelez vos amis, qui « se développent » aussi, parce qu’une petite ou grosse « plongée » vous guette, sont-ils toujours compatissants ou vous disent-ils la même chose, en vous donnant l’impression de ne pas pouvoir vous « accueillir » dans tous vos états ?
Bien évidemment, nous sommes les créateurs de nos vies, qui ne fait que refléter nos pensées, nos croyances, nos convictions.
Comme nous attirons à nous ce qui correspond à nos blessures, manques et peurs.
Mais, sous prétexte que nous créons notre réalité, certains ont décidé de rejeter totalement tout ce qui leur parait « négatif ». Or, un être vraiment conscient ne fuit pas le « mal », il est simplement capable de le regarder en face ou de l’affronter sans que cela le fasse chuter.
Il a juste compris que l’important était de ne pas y rester trop longtemps mais sans pour autant devenir un forcené et s’infliger cette espèce de course perpétuelle à l’amélioration et au dépassement de soi.
D’ailleurs, peut-on dépasser ou seulement se mesurer à cette immense partie immergée de l’iceberg qui est notre inconscient, sans un véritable travail de fond, accompagné par un professionnel, de préférence ?
Et si la meilleure voie n’était pas de se développer mais de se dépouiller ?

De tout ce qui empêche, bloque, freine, et en premier de cette envie d’y arriver ?
Arriver où, d’ailleurs ?
Celui qui me dit qu’il est arrivé, je m’en méfie car il y a de fortes chances qu’il se soit égaré en route ou qu’il se berce d’illusions.
Je caricature, forcément, j’accentue le trait mais n’y a-t-il pas une part de vérité dans tout ça ?
Dans cette course effrénée vers le bonheur le plus intense et le plus durable possible, dans ce rejet de tout ce qui n’est pas « positif ».
S’il est bon de savoir saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent, il reste nécessaire d’aiguiser son radar à pièges.
Il n’y a pas d’autoroute qui mène à l’accomplissement.
Il n’y a que le chemin, et il est étroit, escarpé, difficile, souvent, et c’est pour cela qu’il est la voie le moins fréquentée.
Comme le dit Jung, si cher à mon cœur : « Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. »
Et : « Ce qu’on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur comme un destin. »
Plonger dans ses « ténèbres » est un passage obligé car non seulement, c’est là que se trouvent des réponses à notre mal-être mais surtout, c’est en les sortant à la lumière de la conscience que nous pouvons les transformer. Pour ne plus subir.
L’introspection suppose une détermination, des efforts, une discipline quotidienne, et une souffrance, parfois. Elle nécessite de se confronter à sa part d’ombre, d’apprendre à s’ouvrir à ses émotions, à analyser leurs mouvements internes, à les appréhender, les saisir.
Apprendre à se poser les bonnes questions, à chercher les réponses au fond de soi, sans les attendre nécessairement de l’autre, de l’extérieur.
Et si nous ressentons le besoin d’être aidés, il est judicieux de se tourner vers un bon thérapeute et de bonnes méthodes, celles qui résonnent en nous, et non pas se précipiter sur le dernier objet qui brille, en suivant des modes ou des avis des autres car ce qui a fonctionné pour eux, ne nous conviendra pas forcément.
Les « boîtes à outils » débordent et si nous sommes constamment à la recherche du meilleur, le plus rapide, plus précis, plus efficace, et cela, sans jamais vraiment mettre en pratique ceux que nous avons déjà, n’est-ce pas totalement absurde ?
Comme les « touristes » qui se promènent d’un stage à l’autre, se revendiquent d’avoir pratiqué telle technique, rencontré tel thérapeute lu tant de livres.
Belle excuse pour une fuite. Sous prétexte de toujours « faire », ils n’appliquent jamais rien, s’évitant ainsi la confrontation avec leurs problématiques psychiques, et ils continuent de souffrir et de nier l’origine de ces souffrances.
Vous pouvez : « décider » d’être heureux, si cela vous parle, cela a fonctionné pour beaucoup mais quant à moi, je préfère : choisir.
Entre mes pensées ou émotions « négatives », qui ne le sont jamais vraiment car c’est juste l’expression de notre « ombre », et le précieux indicateur qui signale quel problème, quelle incohérence entre les différents niveaux de l’être sont en difficulté.
Choisir ce qu’il faut travailler, faire évoluer, comment, dans quel ordre…
Pour ne plus être malades de ne pas être ce que nous sommes vraiment.
Et ne surtout pas éviter ce qui fait mal, ne pas avoir peur d’être déprimé, triste ou traverser un passage à vide. Accepter ses pulsions destructrices, sa violence la puissance sourde de ses émotions.
Dans la quête de sens, la création de liens avec son histoire de vie, la prise de conscience de ses schémas de fonctionnement, de ses répétitions traumatiques et surtout de ses failles ne peut pas être négligée.
Et ce bonheur que l’on nous « vend » au sens propre, est-il le véritable but de notre vie ?
Pour les anciens, il résidait dans le travail sur la conscience et la connaissance de soi. Dans l’attention portée à la qualité et à la nature de ce que l’on sème et cultive.
Or, se connaître soi-même implique toujours une grande humilité face au mystère, la reconnaissance de ses limites et surtout, un respect des lois sacrées de la vie que l’on ne cherchera pas, à tout prix, à violer ni à transgresser.
Comme dans ce beau conte amérindien : nourrir le loup blanc mais ne pas se boucher les oreilles quand le noir hurle, parce qu’il est affamé et qu’il réclame notre attention.
Ne pas l’alimenter mais l’apprivoiser, voir ce qui fait mal, ce qui veut sortir… et l’accueillir, le mettre à la lumière de la conscience pour le dissoudre dans l’accueil inconditionnel de toutes les parties qui nous composent.
Nos facettes les plus sombres nous apprennent bien davantage sur nous que tout notre « positivisme », souvent forcé, derrière lequel se cache le déni.
Donc, je ne me développe pas, je me dépouille : de tout ce qui n’est pas mon « moi véritable » celui qui est lumière, paix, sérénité amour. Pour déterrer, ce diamant brut, enfui sous des tonnes de boue, faire pousser le merveilleux lotus, qui prend toujours ses racines dans de l’eau trouble.
Je laisse mes « bagages », tout ce « malheur qui vit en moi », qu’il soit le mien ou acquis dans l’enfance, à commencer par ce que nous avons pris dans le ventre de notre mère, venu des histoires familiales, des souffrances transgénérationnelles, comme celles du monde.
Je ne lutte pas contre, puisque c’est un combat perdu d’avance, j’accueille ou du moins je ne fuis pas, je m’observe dans toutes mes stratégies d’auto-sabotages, d’évitements.
Et si je n’y arrive pas, je me dis calmement, OK, j’en suis là, à ce jour, en ce moment, et je m’accepte avec tout ça. Sans jugement ni culpabilité.
Et s’il vous arrive (comme à moi, récemment) de constater que vous êtes encore victime de quelque chose… et bien, cette « claque », dure à admettre et à gérer, peut s’avérer salutaire si vous avez le courage de ne pas vous épargner cette leçon.
Persévérer mais surtout – et c’est un grand écueil qui nous guette – sans complaisance et sans attachement à nos souffrances.
Faire la différence entre l’accueil et la résignation, entre le non-jugement et les excuses que nous nous trouverons toujours, entre la compassion et l’auto-apitoiement.
En gardant toujours présent à l’esprit que si la responsabilité de ce qui est arrivé peut incomber aux personnes qui nous ont blessé, nous demeurons toujours les seul à « gérer » les conséquences que cela a engendrées.
Ne pas « se flageller » mais acquérir la conviction que le bonheur, la joie se trouvent dans la croissance, l’évolution constante, dans l’assurance que nous cheminons, et que nous faisons de notre mieux, à notre rythme, même si celui d’une tortue.
L’humilité, la patience et la prudence, nous éviteront de foncer tête baissée dans des mirages dont on ressortira déçu et découragé.
Comme le « bon sens » nous mènera dans la bonne direction.
Si l’ère de la consommation veut exonérer l’individu d’aller chercher au fond, ce qui l’enferme au lieu de le libérer, cette illusion ne leurre qu’un temps. La guérison n’est jamais miraculeuse ni extérieure.
Personne n’est et ne sera jamais parfait, nous sommes juste « perfectibles ».
Cela se joue toujours « sur le fil du rasoir » et nécessite une énorme vigilance, la conscience claire et la sagesse d’accepter que l’on ne gagnera pas toutes les batailles.
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