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Devenir un individu libre et relié selon Jung

Les étapes du processus d’individuation peuvent donner sens à notre besoin de changement et nous permettre de l’accueillir avec davantage de confiance.

Libre et relié

La phase d’accommodation

Elle correspond à l’enfance et aux premiers temps de notre vie d’adulte, lorsque nous apprenons à obtenir une sécurité affective en réglant nos comportements en fonction de ce qui est attendu de nous. Cette tendance nous conduit à adopter un personnage qui ne reflète pas la totalité de notre être.

La prise de conscience

Avec l’âge, ce personnage commence à nous étouffer. Nous avons le sentiment de nous être perdus en route, parfois d’avoir été bernés, ou encore d’être un imposteur. Ce que Carl Gustav Jung appelle notre « ombre » – ce qui sommeille en nous et que nous n’avons pas encore choisi d’être – se rappelle par vagues de nostalgie.

Le face-à-face

C’est le temps du doute. Nous commençons à réévaluer les fondements de notre existence, jusqu’à remettre tout en question. Nous vivons une tristesse qui s’apparente à un deuil : nous croyons pleurer notre jeunesse, nous pleurons le personnage que nous avons été. Celui-ci se fissure et laisse émerger le refoulé, dans ses aspects positifs et négatifs. La colère, les dérapages sont au rendez-vous.

Le début de l’intégration

L’incertitude et la confusion perdent du terrain. Les ajustements progressifs vont dans le sens d’une plus grande cohérence. La quête d’approbation a cédé le pas au désir de ne plus se trahir. C’est le moment où nous pouvons choisir de réorganiser nos priorités, trouver le moyen d’exprimer nos potentiels. Ces transformations positives s’accompagnent de heurts relationnels.

L’individuation

C’est, dans l’idéal, le moment où l’on devient un individu complet, doté d’une meilleure connaissance de soi. Nous accueillons avec plus de souplesse nos qualités et nos défauts, nos désirs contradictoires, nos conflits intérieurs. Et accédons à l’intégrité : la capacité à nous voir tels que nous sommes en tant qu’individus, mais aussi membres de la communauté humaine, reliés au vivant et à l’ensemble de l’univers.

D’après Christophe Fauré, Maintenant ou jamais ! Albin Michel

Test : Vous sentez-vous libre ? Qui n’a jamais eu la sensation de subir sa vie, de ne pas être libre de choisir, de décider ? D’obéir à ce que les autres attendent de nous ? Découvrez où vous en êtes sur le chemin de liberté en répondant à ce test !

 

Apprivoiser le côté mal aimé de soi

« Les côtés mal aimés de nous-mêmes que nous tentons en vain d’éliminer de nos vies se projettent sur les autres, et nous forcent à les reconnaître. » Jean Monbourquette

Apprivoiser son ombre

L’ombre et la connaissance de soi

Sans la connaissance de son ombre, impossible en effet de bien se connaître ! Le travail personnel qu’on effectue sur son ombre constitue une condition essentielle pour qui souhaite devenir une personne équilibrée et entière. Sa reconnaissance et sa réintégration permettent de récupérer des parties de soi qu’on a refoulées par crainte de rejet social.

Au cours de son développement, il arrive que l’on ressente de la honte ou de la peur vis-à-vis de sentiments ou d’émotions, de qualités, de talents ou d’aptitudes, d’intérêts, d’idées ou d’attitudes, de peur qu’ils soient mal appréciés dans son milieu.

On a alors tendance à les refouler et à les reléguer dans les dédales de l’inconscient. Or, ces éléments mal aimés de soi, même une fois refoulés, survivent et cherchent à s’affirmer. Si leur propriétaire n’en reconnaît pas l’existence, ils se retourneront contre lui, lui feront peur et lui créeront de sérieux ennuis d’ordre psychologique et social.

Faire émerger les ressources inexploitées de son être, aussi menaçant que cela puisse paraître, permettra de se les approprier et de les réintégrer. On remplira ainsi la première condition de tout développement humain : « Connais-toi toi-même », célèbre précepte inscrit au portail du temple de Delphes.

L’ombre et l’estime de soi

Faire la paix avec son ombre et se lier d’amitié avec elle constitue la condition fondamentale d’une authentique estime de soi. Car comment pourrait-on s’aimer et avoir confiance en soi si une partie de soi, son ombre, est ignorée et agit contre ses propres intérêts ?

Je suis étonné de constater que les ouvrages actuels sur l’estime de soi ne s’intéressent pas davantage aux effets désastreux d’une ombre laissée à l’état sauvage, car celle-ci devient une source importante de mésestime de soi et d’autrui.

Carl Jung rappelle que le psychisme humain est le lieu de luttes intimes : « On le sait, les drames les plus émouvants et les plus étranges ne se jouent pas au théâtre, mais dans le cœur d’hommes et de femmes ordinaires. Ceux-ci vivent sans attirer l’attention et ne trahissent en rien les conflits qui font rage en eux, à moins qu’ils ne deviennent victimes d’une dépression dont ils ignorent eux-mêmes la cause. »

On ne peut donc pas se permettre de faire l’économie de la réintégration de son ombre. Qui refuse ce travail sur lui-même s’exposera à des déséquilibres psychologiques. Il aura tendance à se sentir stressé et déprimé, tourmenté par un sentiment diffus d’angoisse, d’insatisfaction de lui-même et de culpabilité ; il sera sujet à toutes sortes d’obsessions et susceptible de se laisser emporter par ses impulsions : jalousie, colère mal gérée, ressentiment, inconduites sexuelles, gourmandise, etc.

Parmi les dépendances les plus communes, mentionnons l’alcoolisme et la toxicomanie qui font tant de ravages dans nos sociétés modernes.

Sam Naifeh, dans un excellent article sur les causes de la dépendance, affirme : « La dépendance est un problème de l’ombre. » En effet, l’attrait compulsif pour l’alcool et les drogues provient de la recherche incohérente du côté ombrageux de son être.

On a beau accuser les substances toxiques d’être la cause de déchéances humaines, en vérité, elles n’en sont que la cause indirecte en permettant à leur utilisateur de franchir les limites du conscient. Ainsi, pour un moment, l’utilisateur peut s’identifier au côté sombre de lui-même qui l’obsède constamment. La partie sobre de l’alcoolique se trouve dans une constante insatisfaction tant qu’elle n’a pas retrouvé la partie alcoolique cachée dans l’ombre.

L’ombre et la créativité

L’écrivain Julien Green, faisant allusion à l’activité de son ombre, notait : « Il y a quelqu’un qui écrit mes livres que je ne connais pas, mais que je voudrais connaître. » Le travail patient et intelligent de l’apprivoisement de son ombre mettra au jour d’immenses potentialités restées enfouies à l’état sauvage dans l’inconscient. Leur actualisation produira un surcroît de vitalité en même temps qu’elle stimulera la créativité dans toutes les dimensions de la vie.

Article paru sur http://www.editions-arqa.com/editions-arqa/

Jean Monbourquette Apprivoiser son ombre : Le côté mal aimé de soi  Bayard 2001

Devenir conscient de son soi, c’est permettre à l’univers de devenir conscient de lui-même

Trouver du sens, écouter ses intuitions, se relier à ce qu’il y a de plus irrationnel en nous : ces objectifs si contemporains, à la base du développement personnel, nous les devons à Carl Gustav Jung, ce psychiatre inventeur de la « psychologie analytique ». Redécouverte d’une pensée trop souvent méconnue.

Devenir soi

C’est clair, il faut s’accrocher ! L’œuvre de Jung est difficile à lire, pleine d’idées déroutantes, plongeant dans la psychologie, la spiritualité, voyageant de l’alchimie à l’astrologie, du bouddhisme à la kabbale, de la Bible aux contes de Grimm. Mais l’enjeu en vaut la peine.

Aux antipodes du pessimisme de Freud, pour qui l’être humain est destiné au déchirement intérieur permanent, Jung propose un chemin vers la positivité et l’harmonie, destinations paradisiaques en temps de crise, où nous avons envie de rêver, d’échapper aux dures lois de la raison, de nous dire que le vrai pouvoir est celui de l’esprit. Jung répond parfaitement à ces besoins. D’où l’utilité de le découvrir ou de le redécouvrir aujourd’hui.

Au-delà de la raison

Pour suivre Jung, nous devons abandonner notre bon vieux matérialisme et nous ouvrir à la poésie, à l’imaginaire, à ce qui nous dépasse. Pour lui, en effet, pas de vie réussie sans nourriture spirituelle et bonnes relations avec tous ces mystères qui échappent à la raison. « Corps et esprit ne sont pour moi que des aspects de la réalité psychique, écrit-il. Le corps est aussi métaphysique que l’esprit. »

Mieux : « La psyché n’est pas entièrement soumise à l’espace et au temps, déclarait- il en 1959 au journaliste anglais John Freeman. On peut avoir des rêves ou des visions du futur. Seule l’ignorance dénie ces faits. » Pour Jung, l’intuition, cette « fonction non rationnelle de la psyché », est aussi importante que la pensée rationnelle, l’émotion ou la sensation.

« Je » est quatre

Notre réalité intérieure, dans une optique jungienne, s’organise autour de quatre éléments : l’ego, la persona, le soi et l’ombre. L’ego, centre de la conscience, des sensations, des émotions, me permet de me sentir moi à toute heure du jour et de la nuit. La persona (mot latin signifiant « masque ») est la personnalité sociale que chacun endosse pour s’adapter aux attentes des autres et se faire accepter.

Le soi fait de nous une totalité corps-esprit : un être humain. Ce soi jungien n’est pas celui de la psychologie classique : il s’apparente à l’âme, c’est notre « part divine », quel que soit le sens que l’on donne à cet adjectif : « On peut aussi bien l’appeler Dieu que le mystère ultime de la vie, affirme Juliette Allais, thérapeute et analyste de rêves.

Impalpable mais omniprésent, il règne sur nos existences. » Enfin, il y a l’ombre, qui « comprend tous les aspects de notre personnalité que nous ne reconnaissons pas comme nôtres, car inacceptables au regard de l’image que nous voudrions avoir de nous-même et donner à autrui ».

Un inconscient peuplé de divinités

Contrairement à Freud, Jung affirme que nous possédons deux inconscients : l’un individuel, où parlent nos névroses et conflits personnels ; et l’autre collectif, qui nous raconte une histoire universelle, peuplée de héros (Œdipe, Icare ou… la Belle au bois dormant) et de symboles communs à toute l’humanité.

Dans une optique jungienne, en rêvant d’une pomme, je me retrouve aux côtés d’Adam et Ève, je revis symboliquement le mythe fondateur du paradis terrestre. Transmis de génération en génération, réalité psychique mais aussi biologique, cellulaire, l’inconscient collectif est le dépositaire de toutes les réactions typiques de l’espèce humaine : la peur, l’intuition d’un danger, l’amour, l’angoisse de la mort.

Nous sommes là dans un univers bien différent de la vie intérieure selon Freud, avec ses obsessions érotiques, scatologiques, inavouables. « Il est plus agréable et valorisant de se voir plongé dans un inconscient peuplé de divinités que dans l’univers de fantasmes sexuels jaillis du cerveau reptilien », remarque Jean-Jacques Antier, auteur d’une excellente biographie de Jung. En tout cas, en ces temps de désenchantement, cela fait du bien.

De l’ego au grand soi

Selon Jung, le but d’une vie est de passer de l’ego, notre petite personne, au grand soi grâce
au « processus d’individuation ». Il s’agit d’un cheminement intérieur par lequel nous allons tenter de devenir le plus conscient possible, afin de nous « autoengendrer » en tant qu’individu particulier, homme parmi les hommes, mais unique. Une seconde naissance, en quelque sorte.

Pour Jung, l’enjeu est d’importance. Car « devenir conscient de son soi, c’est permettre à l’univers de devenir conscient de lui-même ». « En général, l’individuation devient possible après la crise de la cinquantaine, dans la deuxième moitié de la vie, la première étant accaparé par l’ego suractif. » Pour y parvenir, nous devons nous confronter avec notre ombre (cette part dont nous avons honte), avec notre persona (notre image sociale), avec notre anima et notre animus.

Nous devons cesser de nous mentir et de rejeter ce qui nous dérange en nous. Nous ne réussirons jamais totalement, bien sûr, l’essentiel est d’essayer. Plus qu’un grand ménage, c’est un effort d’intégration et d’assimilation des différents aspects de notre personnalité que nous devons entreprendre.

Mais, prévient Jung, nous ne sommes pas des anges : « Une vie sous le signe de l’harmonie
totale », sans aspérités, serait « très ennuyeuse et déprimante ». Pire, « inhumaine ». Ce trajet initiatique peut passer par un travail sur soi, l’analyse des rêves, la méditation, la prière, la contemplation, l’écriture…

Cette démarche est mystique, idéaliste, naïve même, mais la rationalité pure et dure rend-elle plus heureux ? Fournit-elle des réponses à nos questions existentielles : comment être plus heureux, surmonter la souffrance, aimer, être aimé, faire face à la maladie, le deuil, la mort ?
En 1946, à un vieil ami qui lui demandait quelle attitude adopter pour achever son existence dignement, Jung répondit : « Vivre sa vie. »

Vivre, c’est tout.

Isabelle Taubes

A lire

Essai d’exploration de l’inconscient de Carl Gustav Jung Le livre testament où sont examinés les points principaux de la théorie jungienne, qui est aussi le plus accessible pour les non-initiés (Gallimard, “Folio essais”, 1988).

C.G. Jung ou l’Expérience du divin de Jean-Jacques Antier La plus récente des biographies de Jung et l’une des plus complètes (Presses de la Renaissance, 2010).

 

 

 

Le but de l’acceptation n’est pas de renoncer à l’action, mais, au contraire, d’agir au mieux

Enquête et Débat a beaucoup parlé de bonheur ces derniers temps. Sujet important s’il en est ! Sujet que Christophe André aborde avec compétence, gentillesse et simplicité. L’estime de soi est inhérente à la nature humaine. Sans estime de soi, pas de bonheur possible….

Acceptation

« Tout d’abord parce que l’estime de soi est indissociable de la conscience de soi. Nous sommes dotés de la capacité de réfléchir sur nous, de nous observer en train d’agir. Cette « conscience de soi réflexive » est une chance extraordinaire offerte à notre espèce : elle permet d’avoir du recul sur soi, de s’observer, de s’analyser, donc de se changer, de s’adapter, de s’améliorer.

Mais elle peut aussi servir à se détester, se mépriser, se critiquer. À se rendre la vie impossible et inconfortable. Et stérile parfois, car ces agressions vis-à-vis de soi peuvent paralyser toute forme d’action.

Ensuite, parce que l’estime de soi est liée à notre statut d’animal social. En tant qu’humains, nous sommes condamnés à une existence en groupe, car notre survie ne peut se concevoir qu’au milieu de nos semblables, dans un rapport plus ou moins étroit à eux. Et donc dans le souci, parfois l’appréhension, de ce qu’ils pensent et ressentent vis-à-vis de nous.

Nous sommes naturellement dotés d’un « sens de l’autre » afin de pouvoir, au moins assez grossièrement, décoder ses besoins : pouvoir supposer, imaginer, ce que pense autrui est une chance. Cela nous permet de voir que nous sommes acceptés et de nous adapter si nous ne le sommes pas.

C’est aussi une malchance parfois, si cette fonction de détection devient fonction d’imagination : on se met à supposer plus qu’à observer, à redouter plus qu’à attendre de voir ce qui se passe. « On finit par ne plus voir en l’autre qu’un regard intrusif et un jugement sévère. A redouter le rejet au lieu de susciter l’acceptation. A craindre l’échec au lieu de chercher la réussite. »

Et je vois trop de jeunes enseignants malheureux de « se savoir » incapables d’arriver aux résultats demandés par l’inspection, incapables d’obtenir la discipline dans une classe surpeuplée, incapables…. Nous sommes tous incapables de réaliser l’impossible, nous devons tous arriver à des compromis qui nous laissent le temps de vivre et l’occasion d’être heureux. Seul un prof heureux d’être prof peut rendre ses élèves heureux d’être élèves ! Seule une infirmière heureuse d’être infirmière peut donner un vrai réconfort à ses malades….

La vraie estime de soi, c’est savoir s’accepter tel qu’on est parmi les autres, accepter de rire de ses faiblesses tout en travaillant à s’améliorer… et ce travail prend toute une vie ! Celui qui ne se prend pas trop au sérieux, qui résiste à la tentation de se comparer aux autres, qui ne s’appesantit pas sur ce qui ne peut être changé, qui sait donner, pardonner, rigoler, se consacrer à une action intéressante… a toutes les chances d’être heureux. L’estime de soi c’est donc bien savoir qu’on n’est pas grand’ chose et ne pas en faire tout un plat parce qu’on se sent à l’aise… imparfait, libre et heureux!

Évidemment plus facile à dire qu’à faire et, même, qu’à comprendre. Ainsi, la personne à piètre estime de soi à qui on suggérera de se prendre un peu moins au sérieux, risque fort de répondre : « Justement, je ne fais que ça, je m’écrase, je me fais petit, je la boucle… et je me sens de plus en plus mal ! » Cette personne qui « se fait » petite a une mauvaise image globale d’elle-même, elle n’accepte pas ses imperfections… qu’elle accepterait si elle se prenait moins au sérieux…

« Ne pas se prendre au sérieux, c’est s’accepter tel qu’on est, reconnaître que les choses sont comme elles sont et non comme on voudrait qu’elles soient. « On se change mieux en s’acceptant. »

« Pour progresser, il faut se reconnaître et s’accepter imparfait. Pas coupable, pas minable, mais imparfait ! » Rien de plus difficile, soyons réalistes, et « surtout, à l’opposé total des réflexes qui, depuis tant d’années, nous incitent à feindre d’être plus beau, plus efficace, plus intelligent que nous ne sommes. ». « Le but de l’acceptation des faits n’est pas de renoncer à l’action, mais, au contraire, d’agir au mieux. »

« La non-acceptation de soi est rigide. Moins vous acceptez vos limites, plus vous en êtes prisonnier ! ». « L’attitude d’acceptation repose d’une part sur le respect de soi : être convaincu de sa valeur en tant qu’être humain, être convaincu que ses imperfections ne condamnent pas une personne et que sa valeur réside au-delà de l’existence de ses faiblesses.

Elle repose d’autre part sur le pragmatisme : de toute manière, à quoi servent la colère ou la tristesse envers ce qui ne va pas chez moi ? A me faire plus de mal encore ? A me figer dans la plainte et la réactivité épidermique ? Dans ces « vaines révoltes » dont parle Marc-Aurèle : « Ce concombre est amer ; jette-le. Il y a des ronces dans le chemin ; évite-les. Cela suffit. N’ajoute pas : « Pourquoi cela existe-t-il dans le monde? »

Comment arriver à changer en pratique ? Christophe André donne des domaines dans lesquels un travail est nécessaire, il montre que ce travail est possible et peut même être amusant (mais
oui !). Un exemple typique est la gentillesse : les personnes qui s’estiment peu se croient souvent « trop gentilles ».

La réponse est toute simple : on n’est jamais trop gentil – l’attention bienveillante à autrui nous rend heureux – et « le problème n’est donc pas d’être trop gentil, il est de ne pas être assez affirmé par ailleurs. Il ne faut pas être que gentil. Il faut aussi ajouter à son répertoire la capacité de dire « Non » ! »

Alors, un petit exercice ? Dites « Non » – « Non, je ne veux pas » ou « Non, je ne suis pas d’accord » – la prochaine fois qu’on vous heurtera. L’étonnement de votre interlocuteur vous amusera. Et faites plaisir quand cela vous fait aussi plaisir, quand c’est vraiment possible et tout le monde se sentira bien. Rien de plus communicatif que la sensation « je me sens à l’aise » ! (Cela est même prouvé par de récentes études statistiques).

N’oublions surtout pas que l’être humain est avant tout un être social qui aime « bien » vivre avec les autres, sans conflits inutiles ! Cela est encore plus vrai pour un enseignant que pour Monsieur ou Madame n’importe qui et c’est la raison pour laquelle ce livre rencontre un succès réel auprès d’enseignants qui se demandent comment arriver à concilier intérêt des élèves et intérêt personnel, comment être à l’aise dans un monde qui nous demande la perfection – nous profs bien imparfaits – et qui nous « offre » critiques, plaintes quand ce n’est pas révolte en classe ou avocat à la fin de l’année !

Nous voulons être heureux ? Au travail comme ailleurs ? Réfléchissons à cette petite phrase de Thucidyde (471 – 400 av.JC) : « Le secret du bonheur est la liberté et le secret de la liberté est le courage. » Vous me direz : « Quel rapport avec ce livre ? » et la réponse est toute simple : il faut un sacré courage pour admettre qu’on n’est pas important, qu’on est imparfait… et ensuite la sensation de liberté est immense, bienfaisante !

Et je terminerai ce petit digest par une citation de l’empereur Marc-Aurèle : « Tout homme qui fait une injustice est impie. En effet, la nature universelle ayant créé les hommes les uns pour les autres, afin qu’ils se donnent des secours mutuels, celui qui viole cette loi commet une impiété envers la divinité la plus ancienne : car la nature universelle est la mère de tous les êtres, et par conséquent tous les êtres ont une liaison naturelle entre eux. » Marc-Aurèle parle comme Dostoïevski 17 siècles plus tard, comme tous ceux qui estiment que la vie est déjà assez pénible et que « la liaison naturelle entre êtres humains » doit alléger le poids de cette vie au lieu de l’alourdir.

Et une citation d’un philosophe moderne, André Comte-Sponville : « L’homme humble ne se croit – ou ne se veut – pas inférieur aux autres : il a cessé de se croire – ou de se vouloir – supérieur. » Cet « homme humble » se sent bien, il est sûr de lui, il a une bonne estime de soi puisqu’il n’a rien à prouver et il voit sa ressemblance avec les autres plus que sa différence. Ressemblance qui l’incite à agir au lieu de s’appesantir sur des problèmes trop personnels pour être importants.

Mia Vossen dans http://www.enquete-debat.fr/

Christophe André Imparfaits, libres et heureux, Odile Jacob, 2006

 

 

 

 

 

 

Équilibre de l’âme, entre corps et esprit

Avant d’être un état physique défini comme « absence de maux », la santé peut se concevoir comme une cohérence entre nos actes et nos aspirations profondes. Au fil de centaines de consultations, Michel Odoul a élaboré une approche de cet équilibre de l’âme, entre corps et esprit.

Définir ce qu’est le corps d’un être humain me paraît inutile, car il est, en tant que réalité physique perceptible et tangible, connu de tous. Il est en revanche nécessaire de revenir sur les notions d’âme et d’esprit, sans entrer toutefois dans un discours théologique ou religieux.

Ce n’est ni mon propos, ni l’objectif de cet article qui vise à montrer comment la pratique thérapeutique peut s’inspirer d’une vision de l’être humain radicalement différente de celle qui a cours actuellement dans nos sociétés. L’âme comme l’esprit sont des champs subtils, qui se dérobent aux tentatives d’explication.

fille bulles

La différence entre les deux est pourtant essentielle. Avec l’âme, nous nous situons à un niveau subtil qui a toutefois une relation directe avec le corps, voire avec la psychologie. Source de la conscience individuelle, l’âme est cette partie de la psyché humaine que l’on peut associer au Soi, à ce que les orientaux qualifient de Maître Intérieur.

Sa particularité réside dans sa « verticalité », dans son essence céleste. Nous sommes ici très près du Chenn (esprit incarné), des orientaux. Troisième composante d’un être humain, l’esprit est en amont de l’âme, il est indissociable du champ spirituel. Il est à l’individu incarné ce que l’air de la surface est au scaphandrier en eau profonde : un monde aérien dans lequel il peut aller chercher de l’air, du souffle et s’en nourrir sans que cela ne coûte rien à personne.

L’esprit est la source de l’âme, l’océan cosmique des orientaux d’où sont issus tous les Chenn – les esprits incarnés. Il est la matrice de l’âme, qui reste reliée à lui comme une sorte de cordon ombilical.

L’harmonie naît de l’esprit qui est le champ de l’équilibre parfait, de l’homéostasie, et c’est pour cela que cette notion est purement spirituelle. Il ne s’agit pas de la perfection figurée par la sagesse béate d’un vieillard barbu, mais d’une notion d’harmonie et de cohérence. Dans cette proposition de vision du sujet, le corps devient la résonance de ces champs plus subtils qui le transcendent.

Il se conçoit comme le « véhicule » de cet esprit qui n’est relié à lui que par ce fil ténu, sensible et fragile qu’est l’âme. Il en est le champ exécuteur, réalisateur et en même temps l’interface qui à la fois exprime ce qui émane de l’esprit, et à la fois lui renvoie les informations résultantes de ce qui a été exécuté, incarné. C’est donc sans doute ainsi qu’il va être possible pour l’homme de percevoir si l’harmonie existe entre son corps (et ce qu’il en fait) et son esprit (et les aspirations qui en émanent).

Cartographie de l’âme et du corps

L’esprit est un état de référence à la fois très élevé et simple à percevoir. Il se traduit par une cohérence de l’individu entre ce qu’il est, ce qu’il fait, et le contexte dans lequel les événements se déroulent. La psychologie nous permet de le subodorer, puisque l’on constate que lorsque nos actes au quotidien sont en cohérence avec nos aspirations profondes au niveau inconscient, nous connaissons un état d’équilibre et d’harmonie.

Nous avons tous connu des phases dans notre vie où nous nous sommes sentis étonnamment bien, en prise avec le monde, en paix, en tranquillité. Ce sont des signatures de cette cohérence. Cela nous permet de mieux envisager quand la souffrance s’inscrit et pourquoi.

C’est lorsque ce lien de l’être humain « conscient » avec sa source, son essence la plus subtile et la plus noble (inconsciente et à laquelle il n’a pas directement accès), se tend, se tord voire se coupe que l’individu ressent au plus profond de lui et dans son corps, cette rupture. Si l’âme est coupée de l’esprit, l’être humain est lui aussi perdu car il a rompu son lien avec la vie.

Il entre en survie, ou plutôt en survivance. Les maladies ou les souffrances que nous ressentons nous disent que notre âme est vrillée, tordue ou nouée. Le rôle du praticien est alors, à partir du type de tension qui existe au niveau corporel, d’identifier le type de distorsion de l’âme qui lui correspond.

« Il y a une cartographie relationnelle entre les zones du corps et les zones de l’âme»

Pensons à tous ces moments où l’on est dans sa vie à côté de ce qu’on devrait être et faire. Lorsque nous n’avons pas agi en notre âme et conscience, ne ressentons-nous pas un malaise ? Et ce malaise a une conséquence et une réalité physiologique. Répété, le comportement finit non seulement par s’inscrire dans le corps, mais par le léser, et en particulier les zones corporelles en relation avec cette structure particulière de l’âme.

En cela, l’âme est comparable à la colonne vertébrale. Selon la zone de la myéline qui est lésée, c’est telle ou telle partie du corps qui ne fonctionnera pas bien. De la même façon, selon le pan de l’âme qui a été blessé de façon répétitive, des conséquences physiologiques se produiront dans telle ou telle partie du corps.

Prenons l’exemple d’un événement vécu comme une trahison ou un abandon. Ces notions s’imprègnent dans la structure profonde de la personne. Sur le plan psychique et sur un plan plus spirituel, cela signifie qu’on ne peut plus s’appuyer sur celui ou celle qui a trahi. Les jambes, qu’on utilise pour aller vers les autres, et leur point d’appui, les hanches et le bassin, sont en résonance avec cela.

Lorsqu’on est amené à soigner des personnes qui ont des problèmes de hanche – arthrose, douleur etc. – il est troublant de constater qu’elles font souvent émerger un vécu de trahison et d’abandon. Il y a donc une cartographie relationnelle entre les zones du corps et les zones de l’âme. Nous sommes là en présence d’un système non pas magique, mais biochimique, qui fait le lien et l’interface entre ce qui passe dans les structures de l’âme et dans la réalité corporelle.

Insight

En thérapie, dans toute la phase de l’entretien, de la discussion, le rôle du praticien va être de décoder les tensions physiques, d’aider le patient à donner sens à ce qui lui arrive, et de le reconnecter avec ce qui est élevé et subtil en lui. C’est une méthodologie qui défroisse l’âme, même si elle peut amener parfois à donner sens à la pire des erreurs.

L’enjeu pour le patient, c’est d’avoir ce qu’on appelle en psychologie un « insight », ou dans les religions « une révélation », ce moment de reconnexion avec le sens que recouvre la douleur physique en fonction d’un comportement qu’on a eu.

Au bout de cinq ans de pratique de l’aïkido, je me suis mis à avoir mal aux poignets. Je ne comprenais pas pourquoi, j’avais de plus en plus mal et je continuais à pratiquer. Jusqu’au jour où je ne pus plus tenir et serrer les partenaires. Fait troublant : comme je ne pouvais plus les tenir et les serrer, mes techniques marchaient mieux ! Et là, j’ai eu un moment d’insight, de compréhension : mon corps me disait que dans mon rapport à la vie, j’avais tendance à trop serrer les choses, croyant que je pourrais ainsi les maîtriser.

Deux ans de tendinite aux poignets ont disparu en une semaine ; ça a été un effet de type
« révélation ». Ce sont des phases privilégiées, même si elles sont douloureuses, où l’on sent que l’on respire mieux, que l’on est plus léger. On s’est en fait reconnecté à quelque chose de plus aérien, on s’est en quelque sorte re-verticalisé.

En consultation, les gens ont souvent les larmes aux yeux à ce moment-là. Il est capital, car il sort le patient de la posture de victime et le rend acteur de la transformation. Il sait qu’il ne pourra s’éviter la souffrance liée à la distorsion que s’il change de comportement. A lui de voir de quelle manière et à quel rythme il peut le faire.

Signatures d’acceptation

La notion d’esprit est également importante dans les techniques énergétiques, en particulier lorsqu’on travaille sur le champ qualitatif le plus élevé. En médecine traditionnelle chinoise, un certain nombre de points sur tous les méridiens permettent de travailler non pas la quantité d’énergie mais sa qualité, sa dynamique ou valeur fréquentielle.

Moine lotus

Ce champ du qualitatif se subdivise en deux champs. L’un a trait au qualitatif basique et simple : par exemple, on va cadrer une présence de feu excessive qui se traduit par une sorte de tension émotionnelle. Dans un deuxième champ plus sophistiqué, on peut travailler sur ce que je qualifie de « signatures d’acceptation ».

Ce type de travail consiste à amener l’individu à accepter ce qui se joue dans son corps pour le reconnecter avec la dimension élevée de lui-même. Sans pour autant ignorer le symptôme, la nécessité de « lutter contre » lui est alors dépassée, au profit de sa compréhension dans une perspective globale.

Ce niveau d’action incroyable rejoint une notion majeure dans la médecine chinoise évoluée, non symptomatique : le ciel ordonne et la terre exécute. Cela signifie que c’est du subtil que vient la racine des choses. Ce qui se passe dans le dense, dans le manifesté, est l’exécution d’un «ordre» qui a émané du subtil.

Comme dans toute structure, lorsque l’exécutant n’exécute pas les ordres, il y a une tension. Dans cette perspective, la capacité de sens est cruciale. Elle suppose de prendre la chose telle qu’elle est, de l’accueillir au plus profond de soi. C’est la capacité de se distancier, parce qu’on va lui donner du sens, de quelque chose qui peut être une horreur.

En réunifiant l’être, la question du sens ramène un nouveau souffle dans nos âmes et nos esprits. Elle reconstitue le lien avec le causal, rendant ainsi au phénoménal sa juste place, celle de
« conséquence ». La question du sens, enfin, pacifie l’être, voire le soigne, comme je le crois profondément et comme le pensait aussi par exemple Victor Frankl, père de la « logothérapie » ou thérapie par le sens, tirée de son expérience de survie dans les camps nazis.

Combien de fois ai-je vu en consultation des cancéreux en phase terminale me dire : « J’ai parfaitement compris que je n’avais pas d’autres moyens de m’en sortir. » La personne sait qu’elle a été capable de rouvrir les connexions entre ces champs physiques dans lesquels elle souffre, qui vont peut-être la perdre, et des champs plus subtils dans lesquels manifestement une pacification a eu lieu.

Lorsque quelqu’un sait, au plus profond de lui-même, qu’il va vers la mort, il n’a ni envie, ni besoin de mensonge. La vérité transpire par tous les pores de la peau, par le regard, par le comportement. Et quand on travaille sur le corps de telles personnes, c’est extrêmement bouleversant, car c’est l’occasion de leçons de vie absolument incroyables. Jusqu’au dernier moment, la personne est capable de vous regarder sereinement dans les yeux, de vous parler, voire de se préoccuper plus de vous que d’elle…

La liberté contre la sécurité

Dans nos vies, nous avons réduit notre champ de conscience parce que nous sommes en état de survie, voire de survivance. Autrefois, durant les moments de prière, de méditation, on arrivait à faire un peu de silence en nous, pour que des informations venant de zones un peu plus profondes puissent émerger.

Aujourd’hui, le silence n’existe plus dans nos vies. La seule issue dans ces moments-là, c’est que quelque chose se mette à hurler en nous. Ça fait alors très mal. Plus on veut avancer dans la connaissance de soi, plus une grille minimale de lecture de la symbolique du corps va être nécessaire.

Mais en amont de cela, on peut résoudre 80 % des situations en s’arrêtant simplement quelques minutes lorsqu’on a une tension, une maladie ou une souffrance, et en se posant la question :
« de quoi cela me parle-t-il dans ma vie ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Pas lorsqu’on se fait une petite entaille en épluchant un oignon bien sûr ! Mais si on attrape froid trois fois de suite, on a mal au dos, on se met à avoir des migraines de façon répétitive, on se cogne plusieurs fois au même endroit, on a un accident, on se casse quelque chose.

« L’enjeu de cette réflexion sur le corps, l’esprit et l’âme, c’est de mener sa vie différemment »

RochersL’enjeu de cette réflexion sur le corps, l’esprit et l’âme, c’est de mener sa vie différemment, et de laisser des espaces libres et souples en nous où elle puisse s’exprimer. Nous sommes dans des sociétés et des cultures dans lesquelles tout est risque. On dit même que «ça risque de marcher»!

Il y a un virus de l’insécurité et de la peur. La perte du lien avec l’âme et l’esprit se traduit dans un domaine précis de nos vies, qui signe indéniablement la perte de confiance dans la vie et induit la tentation, la recherche absolue de sécurité. Or, on a constaté une chose : plus on est dans le mouvement, dans la liberté, dans l’autonomie, plus les choses qui en apparence apportent de l’insécurité, libèrent en fait la réalité physique, ce qui a pour conséquence une diminution des pathologies.

C’est en fonction de la manière dont l’individu aménagera des espaces de respiration dans sa vie qu’il instaurera un champ de liberté. La peur qui terrorise les individus parce que leur champ conscient est devenu dominant est la peur de la mort. La mort étant la fin du conscient, elle semble être aussi la fin de la vie.

Pourtant, fuyant la mort à tout prix, on l’instaure dans le vivant. Comment donner un sens à la vie sans donner un sens à la mort et dépasser ainsi l’image sclérosante du néant qui lui est associée ? Ne pourrait-on envisager, en cohérence avec ce qui précède, que la mort ne soit pas la rupture du lien, ni l’inverse de la vie, mais plutôt l’inverse de la naissance et un retour aux sources ?

Michel Odoul

 

L’éternelle danse du yin et du yang

Oiseau de feu

Suite de https://tarotpsychologique.wordpress.com/2015/03/31/homme-interieur-femme-interieure/

— Bert : vous parlez aussi du fait de faire descendre l’esprit dans le corps.

— Marion : C’est exact. C’est un peu difficile à expliquer. Si vous regardez un bébé lorsque sa mère entre dans la pièce, tout son corps frémit. Pas que la tête, le sourire et les mains. Le corps tout entier est impliqué. Il me semble que dans notre société, nous sommes coupés de la réponse cellulaire. C’est bloqué. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’adolescents parlent de « se renfermer ». En fait ils se coupent du corps.

Mais dans ce cas la vie devient vite ennuyeuse. Vous ne voyez pas la beauté de l’automne avec le corps tout entier. Vous ne sentez pas, ne goûtez pas, ou même ne voyez pas de tout votre être. Vous expérimentez seulement avec la tête. Mais vivre quelque chose depuis la tête diffère totalement de l’expérience que l’on en fait avec le corps.

— Bert : les médias se moquent des « mouvements masculins » qui utilisent beaucoup le tambour. Les hommes qui l’utilisent disent que c’est une façon de quitter le monde de l’esprit et d’être en contact avec leurs sentiments. Ils sentent la puissance et le rythme dans leur corps. Que pensez-vous du tambour ?

— Marion : je l’utilise systématiquement dans le travail avec les femmes pour les mêmes raisons. Si vous jouez du tambour pour devenir plus conscient, c’est très, très puissant. Si vous utilisez le tambour pour voyager dans l’inconscient, c’est une autre histoire.

Mais cela est vrai quand vous faites l’amour, quand vous mangez, ou pour toute autre activité instinctuelle. Vous pouvez être dans l’inconscience, engloutir la nourriture, sans en être conscient. Vous êtes endormi. Vous pouvez vous endormir en jouant du tambour, et continuer dans un état de transe.

Ou vous pouvez battre le tambour en toute conscience. Vous pouvez devenir totalement vivant si vous percevez vraiment le pouls de la terre, le pouls des autres. Et vous sentez vraiment la présence de l’esprit dans le tambour. Non seulement votre tambour, mais le tambour de chacun, qui vibre du même esprit.

— Bert : C’est ce qui se passe au Wisdom Council quand 200 hommes sont dans la même pièce.

— Marion : Absolument. Le tambour vous emmène sur un plan transcendant. Tout le monde est habité par le même esprit. C’est parfois très puissant. La première fois que cela m’est arrivé, j’étais électrisée. Je me sentais épuisée et sentais que je ne pouvais pas continuer. Et la personne à côté de moi a frappé le tambour exactement au même instant que moi, mais dans une tout autre énergie.

Et nous avons pris conscience que l’ensemble du groupe avait évolué de la même façon. Et quelque chose de complètement différent s’est produit. Vous y contribuez, je suis sûr que c’est quelque chose que vous connaissez. C’est particulièrement vrai dans la nature, quand vous percevez le pouls de la terre à travers le rythme.

— Bert : J’aimerais parler un peu de votre livre, The Ravaged Bridegroom.

— Marion : Je voudrais souligner que le titre du livre est The Ravaged Bridegroom : ravagé, pas ravi. Le sous-titre de Addiction to Perfection est « The Still Unravished Bride. » (l’épouse non encore ravie). Et il y a une énorme différence, Bert. J’ai été critiquée pour n’avoir pas fait ressortir le côté positif dans The Ravaged Bridegroom. Cela n’apparaît que dans le dernier chapitre. Mais ce que je dis, c’est que le masculin est tellement ravagé chez les femmes, qu’il leur faut le voir.

Nous ne pouvons parvenir au ravissement, qui est la pleine acceptation de l’amour, tant que nous n’avons pas travaillé le côté ravagé. Ce sont deux significations totalement différentes. Ravir,  c’est faire l’amour jusqu’au moment de la transcendance. Mais ravager, c’est détruire. Vous ravagez une ville. J’ai choisi ce mot exprès. Vous voyez, un époux ravagé ne peut pas ravir une épouse.

Ce que je mets en avant dans The Ravaged Bridegroom c’est l’agonie du masculin chez les femmes. Je fais ce que je peux avec les femmes pour guérir le masculin. Les hommes tentent de guérir le masculin en eux-mêmes, je le sais. Ce que je dis, c’est que tant qu’hommes et femmes ne trouvent pas la vierge enceinte en eux-mêmes, ne guérissent pas le féminin et le masculin en eux-mêmes, ils ne pourront pas goûter au mariage intérieur.

— Bert : Je dois avouer que la subtilité de la distinction m’avait échappé.

— Marion : Je pense qu’il est très important que nous ne perdions pas de vue ces subtilités. C’est cela que nous travaillons aujourd’hui, et non l’aspect grossier des grandes questions. Je pense que c’est l’une des énormes difficultés pour les féministes qui regardent les mouvements masculins.

Elles ne comprennent pas la différence entre l’archétype de la mère et la mère personnelle. Par conséquent, elles pensent que les hommes dénigrent la mère personnelle. Mais ce n’est pas du tout ce qu’ils dénigrent. Ils dénigrent le côté négatif de la mère archétypale.

— Bert : L’un des thèmes principaux dans The Ravaged Bridegroom est le « soul-making ». Le livre contient une description des plus succinctes de la relation entre l’âme et l’esprit que je n’aie jamais vue. L’âme est ce qui nous manque dans ce monde mécanisé et spécialisé qui nous empêche d’être des êtres humains à part entière. L’âme est la médiation entre l’esprit et le corps; c’est à travers l’âme que nous amenons l’esprit dans le corps. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

— Marion : cela rejoint un grand nombre de choses dont nous avons déjà parlé. Pour moi, l’âme est la partie éternelle qui vit dans le corps. Elle vit dans les limites des cinq sens, et utilise ce que l’on vit à travers les cinq sens pour créer de la poésie, écrire de la musique, pour danser. Tous les arts naissent à travers l’âme.

Mais si vous êtes un danseur, et que vous avez travaillé très très dur pour que votre corps adopte la parfaite posture, que vos muscles soient puissants, et que vous êtes vraiment en mesure de laisser passer votre âme à travers la danse, souvent quelque chose se produit qui vous électrise. Par exemple, la musique pénètre votre corps, ou vous sentez l’esprit s’installer. Et vous êtes dansé.

Ou, si vous êtes un écrivain, il y a un moment où vous avez fait tout ce que vous pouviez pour développer votre technique, mais vous ne faites encore que des gribouillis en provenance de l’ego. Si l’esprit vient, cela s’écrit à travers vous.

C’est vrai pour n’importe quel art. C’est pour moi le mariage intérieur : le moment où l’âme et l’esprit se rencontrent. L’âme a fait tout ce qu’il fallait pour se préparer, mais il faut encore l’esprit pour passer vraiment au niveau transcendant. L’ego est considérablement élargi, et dans une autre dimension.

— Bert : Si on n’est pas consumé par le processus.

— Marion : C’est une possibilité.

— Bert : Dans The Ravaged Bridegroom vous évoquez une violoncelliste qui entre dans votre bureau, sourit et dit « Trop d’esprit ». Puis elle joue un morceau. Et vous voyez un lien, qu’elle n’avait pas vu auparavant, entre sa compétence technique, et l’âme et l’esprit à travers elle.

— Marion : Elle jouait du Wagner, nuit après nuit. Chaque soir, avec le violoncelle, elle percevait l’énergie de la musique wagnérienne, qui passait directement à travers son corps. Et son corps allait vers l’épuisement professionnel en raison de l’intensité du rythme archétypal. Elle a discipliné son corps et son ego pour être en mesure de prendre le pouvoir sur cette musique. Il faut une force énorme pour s’ouvrir à l’autre côté.

— Bert : Vous parlez de force physique et de la force de l’ego.

— Marion : et de force d’âme.

— Bert : Contrairement, par exemple, à Keats, terrassé par l’Oiseau de feu à 25 ans.

— Marion : Oui, c’est vrai. Mais il avait aussi la tuberculose. Son corps ne pouvait pas supporter ce qui lui arrivait. Mais, oui, la plupart des romantiques ont été consumés vers la trentaine. La même chose s’est produite avec les femmes. Regardez Sylvia Plath, Anne Sexton ou Emily Brönte. Elles aussi ont été consumées par l’Oiseau de feu. L’énergie qui les habitait était plus qu’elles n’en pouvaient supporter.

Je pense aussi que lorsque l’on entre en contact avec l’autre côté, il est parfois difficile d’en revenir. Certains scientifiques disent qu’Albert Einstein a vu la formule de Dieu et est devenu un avec elle. Ou regardez les derniers quatuors de Beethoven. Beethoven est vraiment dans l’autre dimension. Vous pouvez percevoir cela en les écoutant. Vous entrez dans un espace d’où vous avez du mal à revenir. Il y a cependant des moments où il est juste de composer avec cela. Mais uniquement au moment opportun.

— Bert : Du point de vue de Robert A. Johnson (point de vue traditionnel jungien), l’âme est féminine, chez l’homme et la femme. Ça ne me parle pas. On dirait que le féminin est le pont vers l’âme d’un homme, et le masculin est la porte de l’âme pour les femmes, mais que l’âme est un équilibre yin-yang entre masculin et féminin. A quel point suis-je largué ?

— Marion : Je ne me soucie pas trop des catégories, Bert. A mon avis, et je pense que Robert Johnson serait d’accord, l’âme est le réceptif, cette part de réceptivité qui peut s’ouvrir à l’esprit. Je pense que si vous considérez l’âme comme yin et yang à la fois, vous devez aussi considérer l’esprit à la fois comme yin et yang. Ensemble ils forment un microcosme, celui du Dieu et de la Déesse. En d’autres termes, l’individu a en lui un microcosme, relié au macrocosme du Dieu et de la Déesse dans une étreinte divine.

— Bert : Dans la danse.

Marc Chagall Cantique-des-cantiques-I

— Marion : Dans la danse, oui. Mais je garderai aussi en tête que le yin contient en lui une part de yang, et que le yang contient du yin en lui. Il doit y avoir un peu de yang dans le yin pour que le féminin puisse s’affirmer. Ils évoluent constamment dans une danse.

Les deux sont nécessaires pour que le féminin découvre le masculin dans son entier et que le masculin fasse l’expérience du féminin dans son entier. Que l’on danse ou que l’on fasse l’amour, il faut que le féminin active sa part masculine pour que le féminin s’ouvre en l’homme. Cela se poursuit, dans une ronde, de sorte que chacun goûte à la totalité de lui-même.

— Bert : Parvenir simultanément à la totalité de soi et se perdre dans l’autre à la fois.

— Marion : C’est ça. Momentanément. Ou mieux encore, se dépasser soi-même, ce qui nous ouvre à un autre niveau de conscience.

— Bert : Dans l’histoire d’Ivan et de l’Oiseau de feu, dans la série On Men and Women, Ivan découvre l’improbable maison de Baba Yaga qui tourne sur une patte de poulet. Il dit : « Arrête, comme lorsque ton père était en vie. » L’image qui me vient, c’est que la maison est votre conteneur, c’est là où vous habitez. Baba Yaga était une sorcière parce que, son père étant mort, sa vie tournait à la folie. Pouvez-vous évoquer pour nos lecteurs le rôle que jouent les pères pour leurs filles ?

— Marion : C’est certainement un des enjeux qui m’est le plus cher. La relation au père peut ou bien construire ou bien détruire une jeune fille. Si le père n’est pas présent, s’il s’est fait tuer à la guerre, s’il est ivre, ou divorcé, ou quoi que ce soit d’autre, elle peut l’idéaliser à un point tel qu’elle ne peut se tourner vers d’autres hommes, parce qu’elle se met à penser : « Si seulement papa était là, tout irait bien. »

Elle se tourne vers les hommes pour que tout soit parfait. Naturellement, ils ne peuvent la satisfaire. Alors, elle devient amère, toujours à la recherche de la perfection que son père, à ce qu’elle croit, pourrait apporter. Comme vous le disiez à propos de Baba Yaga, l’énergie peut être contenue, et la maison peut cesser de tourner sur sa patte de poulet quand il existe une énergie masculine suffisamment puissante pour la contrôler.

C’est une chose plutôt rare dans notre culture, trouver ce genre de force capable d’arrêter cette énergie qui tourne en boucle. C’est ce dont nous parlions tout à l’heure, le tourbillon d’énergie qui veut tout balayer.

— Bert : Le perfectionnisme.

— Marion : Oui. L’énergie qui veut encore abattre d’autres arbres, avaler plus de nourriture, acheter plus de choses dans les magasins, regarder davantage la télévision, c’est un tourbillon. Tout va si vite que les gens ne peuvent pas s’arrêter. Mettre fin à ce tourbillon requiert une autorité intérieure qui permet de se dire : « Assieds-toi, reprends-toi, et médite. » Le corps doit aussi être apaisé et rééquilibré de cette façon. Combien de personnes sont capables de faire cela au sein de ce tourbillon ?

— Bert : Si l’on continue sur le sujet père-fille, la fille atteint l’adolescence, sa sexualité et sa beauté s’épanouissent. Le père, qui la tenait autrefois sur ses genoux, l’embrassait et la serrait dans ses bras, semble avoir du mal à composer avec sa fille et peut parfois démissionner.

— Marion : Je pense que cette séparation est normale. Et cela nous ramène maintenant à la raison pour laquelle les hommes doivent travailler de leur côté, de même que les femmes, avant de se retrouver à un tout autre niveau. Une fille qui découvre sa féminité naissante se comportera avec son père d’une façon très différente.

Elle ne peut plus être aussi ouverte parce qu’elle a maintenant affaire à un être également tourné vers la sexualité. Naturellement, cela la fait reculer. Dans des circonstances normales, elle se retirerait dans la compagnie d’autres femmes jusqu’à ce qu’elle puisse avoir confiance dans sa propre féminité. Mais il est rare dans notre culture d’avoir cette opportunité. De la même façon, pour les garçons, le père doit rester présent.

Si le père ressent une attirance sexuelle envers la fille, il doit le reconnaître. S’il le fait, sa fille ne le percevra pas à un niveau inconscient, et elle est donc libre. De même, si la mère reconnaît consciemment ce qui est, elle libère son fils. Elle n’a pas besoin de l’évoquer, juste à en être consciente.

— Bert : Cela évoque le travail sur l’ombre.

— Marion : C’est un travail sur l’ombre, oui. Un gros travail sur l’ombre. Je pense que cela rejoint ce que nous évoquions au tout début. Le travail sur l’ombre doit se faire chez les hommes, et il doit se faire chez les femmes, pour prendre conscience des énergies enfouies dans le corps. Une fois qu’elles sont acceptées et reconnues comme leur appartenant, les gens n’ont plus à craindre l’autre sexe.

— Bert : Le travail sur l’ombre est exactement ce qui doit se produire dans le travail entre personnes du même sexe.

— Marion : C’est juste. Et lorsqu’ils se retrouvent, quelque chose de totalement différent se produit. Parce que chacun peut percevoir sa propre ombre. Ou, comme vous le disiez plus tôt, ils n’ont plus de difficulté à accepter leurs propres appétits parce qu’ils font partie d’eux. Et vous savez que, si vous composez avec cela consciemment, cela ne sera pas hors contrôle.

— Bert : Donc si un homme parle de l’avidité d’une femme ou de sa cupidité, elle ne réagira pas immédiatement en le niant farouchement et en se fâchant. Parce qu’elle reconnaît qu’il dit juste. Il peut donc dire : « Je peux t’aimer malgré cela, te respecter et me relier à toi. Je vois que c’est là, mais je ne te condamne pas en tant que totalité. »

— Marion : Oui. Je pense que, de nos jours, l’un des plus grands problèmes entre les hommes et les femmes qui travaillent vraiment dur, c’est que les femmes tentent d’aller vers ce que je appelle leur propre virginité — c’est-à-dire la femme véritable — parce qu’elle est qui elle est. Je n’utilise pas le mot « vierge » dans le sens de chaste, mais plutôt : « Voilà qui je suis. J’ai travaillé, j’ai tenu mon journal, j’ai travaillé sur mon corps, j’ai travaillé dur pour accepter mon propre système de valeurs. »

— Bert : Vous avez dit quelque chose d’autre, aussi, dans votre livre, que la vierge est une femme qui a préparé son corps pour donner naissance à l’enfant divin.

— Marion : Tout à fait. Cet enfant divin, vous voyez, c’est la nouvelle conscience. Mais ce qui se passe en termes de relations humaines, c’est que souvent la femme se tourne vers l’homme qui l’aime et dit : « Voilà ce que je pense. » Et ce n’est peut-être pas du tout ce que l’homme pense ou ressent ; de son côté, il peut sentir que cela vient de la méchante sorcière, de la mauvaise mère. Et il le perçoit une fois encore comme la même vieille rengaine. Il a travaillé tellement dur pour faire face à ce côté de lui-même, et la voilà qui le lui ressert de nouveau.

Je pense qu’il est vraiment très important de reconnaître la différence entre la voix de la vierge et celle de la mauvaise mère. Je n’aime plus utiliser le mot « sorcière ». C’est le mot utilisé dans les contes de fées pour décrire cette sombre énergie en lien avec Baba Yaga qui terrassera toujours un homme.

Mais la voix de la vierge est beaucoup plus calme ; elle dit : « Tu sais, je suis différente de toi. Ce sont mes sentiments et mes pensées. Oui, ils sont différents des tiens. Nous n’allons pas nous entendre là-dessus. Mais tout va bien. » Je pense qu’il y a beaucoup d’hommes découragés et en colère lorsqu’ils sentent cela poindre chez une femme.

— Bert : L’expression de la différence est perçue comme une expression de défiance ?

— Marion : Oui. Je pense que les femmes qui ont travaillé dur sur elles-mêmes ne sont pas le moins du monde concernées par le défi. Ce qui les intéresse, c’est de s’en tenir à leur propre réalité, que cela convienne à leur partenaire ou pas.

— Bert : Du côté des hommes, il y existe une tendance à réprimer nos propres sentiments ou nos désirs pour devenir ce que l’on pense que les femmes veulent que l’on soit. Les hommes devraient également se dire : « C’est que je pense, c’est ce que je ressens, voilà où j’en suis. »

— Marion : Oui. En d’autres termes, ils doivent aussi cultiver leur propre vierge. Les deux sexes doivent passer par le développement du masculin et du féminin. Je pense que beaucoup d’hommes se sentent emprisonnés par la mère, et quand les femmes s’expriment de cette voix de vierge, ils pensent que c’est encore un de ces vieux trucs. Mais cela n’a rien à voir avec cela, c’est quelque chose de nouveau.

— Bert : Une des choses qui commencent à se produire dans certains cercles du Wisdom Council est que les hommes qui étaient en colère contre leur père sont à présent en colère contre leur mère. Dans The Ravaged Bridegroom, vous décrivez ce qui s’est produit dans l’un des ateliers de Robert Bly sur la Grande Mère, lorsque vous avez demandé ce qu’évoquait le mot « mère ». Les femmes ont répondu des choses comme « sûr » et « nourrir ». Les hommes restaient silencieux. Vous les avez questionnés, et tout le monde a été choqué par ce qu’ils ont répondu :
« castration », « domination ».

— Marion : Les femmes ne pouvaient pas croire ce qu’elles entendaient ! Mais ces sentiments doivent sortir. Et il doit y avoir un espace suffisamment accueillant et sûr pour qu’ils puissent s’exprimer. C’est à ce niveau-là, je pense, que beaucoup d’entre nous sont en difficulté dans les groupes.

Le contenant n’est pas assez solide pour un amour transcendant. Cela demande un amour immense pour faire tenir ensemble ces polarités. Je pense que nous devons avoir des rituel au début, au milieu et à la fin, afin de faire tenir les contraires ensemble. Je ne vois pas d’autres moyens pour qu’ils puissent tenir ensemble.

— Bert : Je pense que vous avez raison sur ce point. J’apprécie le temps que vous m’avez consacré. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire à nos lecteurs ?

— Marion : Simplement qu’il est vraiment important de prendre ce temps. Mon objectif est de maintenir la vitalité du dialogue entre les sexes et d’essayer d’aller vers un tout nouvel espace. Je suis donc honorée de parler avec vous.

— Bert : Et je suis honoré que vous parliez ainsi avec moi  et nos lecteurs.

Interview de Marion Woodman par Bert H. Hoff
Article original, « Inner Man, Inner Woman, an interview with Marion Woodman », est publié sur le site http://www.menweb.org/woodman.htm

Traduction française : Michèle Le Clech

 

 

Homme intérieur femme intérieure

Marion Woodman, analyste jungienne de renom, a longtemps animé des ateliers pour hommes et femmes avec Robert Bly. Elle est l’auteur de Obsédée de la perfection, La Vierge enceinte. Un processus de transformation psychologique, et The Ravaged Bridegroom: Masculinity in Women, des livres très édifiants pour les femmes. Bert H. Hoff l’a rencontrée à Toronto en 1993 pour parler du travail intérieur des hommes et des femmes et sur les moyens de les rapprocher.

Fémin sacré

— Bert : Pourquoi le travail intérieur des hommes est-il important ?

— Marion : Nous avons atteint un stade dans l’évolution de la conscience. Les femmes ont besoin de faire ce travail seules, et les hommes ont besoin de le faire de leur côté afin de parvenir à une nouvelle compréhension — celle de leur propre féminité pour les femmes et celle de leur propre masculinité pour les hommes — afin que les deux sexes se retrouvent à un autre niveau.

C’est pour que nous puissions finalement nous parler et comprendre l’autre à un autre niveau que nous faisons ce travail séparément. Naturellement, en travaillant sur les rêves des femmes, à mesure qu’elles deviennent plus conscientes de leur propre féminité, une toute nouvelle masculinité se développe en elle. Cela est également vrai pour les hommes : quand ils travaillent sur ​​leur masculinité, ils découvrent peu à peu une nouvelle féminité. Le dialogue est très différent de ce qu’il était il y a cinq ans encore.

— Bert : Le dialogue intérieur ?

— Marion : Non seulement le dialogue intérieur, mais comme ce qui est dedans est comme ce qui est dehors, quand vous commencez à dialoguer avec l’intérieur, le dialogue extérieur est très différent. A la place du jugement ou des reproches, nous commençons à comprendre ce qu’est l’amour. Nous commençons tout juste à entrevoir ce qu’est la rencontre d’âme à âme.

Il y a quinze ans, j’ai essayé des groupes mixtes, et les hommes comme les femmes ont souhaité travailler séparément. Tant qu’ils essayaient ensemble, ils ne parvenaient pas à trouver leur centre. Mais aujourd’hui, ils veulent travailler ensemble. Les gens qui ont fait un travail sur eux-mêmes de leur côté sont très très heureux, et impatients, de travailler ensemble d’une toute autre façon.

— Bert : C’est donc ce que se passe dans la série On Men and Women et les conférences Applewood que vous faites avec Robert Bly ?

— Marion : Oui. Nous essayons d’amener le dialogue à un autre niveau, là où nous pouvons véritablement partager ce qui se trouve au plus profond de nos cœurs. Cela signifie que vous ne serez pas jugé. A la minute où vous vous sentez jugé, vous n’êtes plus vous-même.

— Bert : Lorsque ma femme et moi étions dans ce dialogue, je me rappelle que, dans la vidéo d’Applewood, vous évoquez l’esprit rencontrant l’esprit, et l’âme qui rencontre l’âme. Mais peu importe combien on y travaille, il y a des trucs qui remontent et, la plupart du temps, on explose l’un contre l’autre.

— Marion : C’est vrai. Je crois qu’il y a beaucoup de colère et de chagrin enfouis dans le corps. Cela a non seulement à voir avec notre génération, mais aussi avec les générations passées. Tant que cela n’a pas été libéré au niveau personnel, vous ne pouvez pas aller au-delà — jusqu’à ce que j’appellerais le plan de l’âme, le plan de la transcendance.

Cette colère personnelle doit être reconnue. Si vous essayez de faire fi, elle reviendra tôt au tard et fera obstacle au dialogue. C’est ce que j’appelle le travail de l’âme, parce que tant que nous restons uniquement sur le plan sexuel, biologique, nous ne sommes pas vraiment conscients de ce qu’est le véritable amour. Nous pensons encore en termes de nécessité ou de dépendance. Je pense que nous tendons aujourd’hui vers un amour beaucoup plus vaste que celui qui se situe au niveau biologique.

Quand les yeux et les oreilles intérieurs sont ouverts, nous sommes conscients d’une sensibilité et d’une sensation qui vont bien au-delà de ce que l’on connaissait il y a vingt ans. Cela n’est naturellement pas vrai pour tout le monde, bien sûr. Certaines personnes ont toujours été à un niveau plus élevé. Nous évoluons tous à différents niveaux. Mais en tant que culture, nous commençons à réaliser que quelque chose est en pleine évolution.

— Bert : Je crois que c’est quelque chose que l’on peut voir dans le livre de Robert Bly, L’Homme sauvage et l’enfant. L’avenir du genre masculin, ou dans celui de Clarissa Pinkola Estes, Femmes qui courent avec les loups, qui sont en tête de liste des best-sellers du New York Times. Il semble y avoir dans la société une faim, un besoin de descendre à ce niveau.

— Marion : Oui. Je crois que les gens sont beaucoup plus conscients de leurs partenaires intérieurs. Ils reconnaissent que si une véritable relation avec le partenaire intérieur se met en place, c’est source de créativité dans leur vie.

C’est ce que Jung appelle le mariage royal — le mariage intérieur où vous épousez votre propre dieu intérieur ou, dans le cas des hommes, votre déesse intérieure.

Mais cette reconnaissance rend la relation personnelle avec un homme ou une femme réels libre des projections du dieu ou de la déesse. Vous n’attendez donc pas d’une personne davantage que ce qu’elle peut donner, et elle n’a donc pas besoin d’essayer d’être parfaite.

— Bert : Cela signifie-t-il que nous ne devrions pas nous marier avant d’avoir travaillé la relation intérieure ?

— Marion : Je ne sais pas. Je crois que certaines personnes, même si elles se marient, peuvent continuer à travailler la relation. Je connais beaucoup de couples qui ont travaillé toute une vie sur la relation qu’ils ont commencée lorsqu’ils avaient une vingtaine d’années. Et le mariage qu’ils vivent aujourd’hui n’est pas le même qu’au début.

— Bert : Ils se sont éveillés et s’inscrivent tous les deux dans la vie…

— Marion : Oui. Le grand danger est que l’un évolue plus vite que l’autre dans la relation. A certains moments, ils auront l’impression de s’éloigner l’un de l’autre. C’est dans ces moments-là qu’une bonne dose de patience est nécessaire.

— Bert : Il me semble avoir vu beaucoup de choses semblables, où l’un des partenaires évolue et pas l’autre. Habituellement, ils finissent par se séparer pour pouvoir évoluer à part.

— Marion : C’est vrai… pour un certain temps. Ou peut-être bien qu’ils doivent se séparer pour toujours. S’ils ne travaillent pas tous les deux sur eux-mêmes, alors il y en a un qui devra continuer seul. Pourtant, s’ils ont suffisamment de patience pour tenir bon, s’ils travaillent tous les deux, il arrive souvent qu’ils se retrouvent après la séparation. Parce qu’ils reviennent vers une autre personne.

— Bert : L’un des thèmes de votre livre Obsédée de la perfection est que plus les femmes s’impliquent activement dans le monde extérieur, plus elles sont dépossédées de leur féminité par la poursuite d’objectifs masculins qui sont en eux-mêmes une parodie de ce que le masculin est vraiment. « Le travail parfait, la maison parfaite, des vêtements parfaits, et donc ? Qu’est-ce que ça apporte ? Il doit y avoir plus que cela. » Vous semblez décrire le stress et le vide dont parlent les hommes dans nos Wisdom Council circles.

— Marion : Je vois le patriarcat comme un principe de pouvoir, qui veut le contrôle sur soi, sur l’autre ou sur la nature. Je crois que cela affecte autant les hommes que les femmes, car cela génère ambition et aspirations à la perfection, rivalité, efficacité outrancière. Si l’on persiste dans ce sens, on s’éloigne du cœur. Vous portez un masque — tout en faisant de votre mieux pour poursuivre vos objectifs. Mais le soir, quand vous rentrez chez vous, vous êtes si épuisé que vous n’avez pas de temps pour ce que j’appellerais les valeurs féminines.

Je ne dis pas que les valeurs féminines devraient se trouver à la maison et les valeurs masculines au travail. Dans l’idéal, il devrait y avoir un équilibre entre le masculin et le féminin dans les deux sphères. Mais si vous ne l’avez pas à la maison, ni dans les relations personnelles, vous vous sentez vide. En cela, les hommes ne sont pas différents des femmes.

— Bert : Mon patron ne me paie pas pour que je m’occupe de mon âme au travail, mais quand je rentre, j’imagine que c’est ce que j’ai à faire.

— Marion : Ne croyez-vous pas, cependant, qu’en vous occupant de votre âme, vous percevez de mieux en mieux les gens tels qu’ils sont, même au travail ?

— Bert : Oui, c’est vrai. Je suis plus ouvert et, dans les relations au travail, je suis conscient de certaines choses que je ne remarquais pas avant.

— Marion : C’est comme un espace où l’on peut travailler. Et cela entraîne une toute autre qualité d’âme sur votre lieu de travail ainsi que dans toute relation. Et je crois que les gens le perçoivent. Si vous êtes suffisamment conscient pour les voir tels qu’ils sont, ils se comportent envers vous d’une manière différente.

— Bert : Dans Obsédée de la perfection vous dites que la perfection est une défaite. Vous ajoutez que vivre sa vie suivant des principes n’est pas vivre sa vie propre. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

— Marion : La perfection n’est pas une qualité humaine. Nous ne sommes pas parfaits. La plupart d’entre nous veulent la complétude. Nous voulons parvenir à notre propre totalité. Et donc, placer la perfection en première place consiste essentiellement à dire : « Je ne suis pas un être humain, je peux être semblable à un Dieu. Et je n’ai rien à voir avec les passions, la cupidité, la crasse des humains. Je vaux mieux que ça. »

Cela vous place dans ce que j’appelle une perspective suicidaire parce que c’est inatteignable. C’est là que la dépendance entre en jeu. Le toxicomane essaie d’atteindre ce genre de perfection et se retrouve de plus en plus rejeté hors de la condition humaine, de plus en plus tourné vers la perfection. Et cela finit dans la mort, parce que vous ne sauriez être parfait. En tentant d’échapper à vos imperfections, vous entrez dans une dépendance qui porte en elle un désir de mort. Parce que vous échouez continuellement.

— Bert : Je me sens plus enclin à faire place à la convoitise dans ma propre vie plutôt qu’à la cupidité ou la saleté. Mais j’imagine que je dois reconnaître cette ombre intérieure et cette cupidité toute humaine.

— Marion : Le problème, Bert, c’est que si vous essayez d’être parfait, vous allez à une vitesse terrible. Parce que vous essayez de réaliser l’impossible. Et nos instincts ne peuvent pas faire face à cette vitesse. Ainsi, la satiété naturelle n’est jamais atteinte. Et la cupidité est totalement hors contrôle.

C’est la société de consommation américaine, telle que je la vois. Dans des circonstances normales, les gens mangent ce dont ils ont besoin, achètent ce dont ils ont besoin et vivent selon les besoins de l’instinct. Mais si votre corps va si vite qu’il ne peut se rendre compte à quel moment il est satisfait, alors toutes ces pulsions deviennent incontrôlables. Il n’existe aucune satisfaction, jamais. Cela vous parle-t-il ?

— Bert : Oui, je le vois bien sur le plan culturel. Pour qu’un film ou une émission de télévision ait un impact, il ne suffit de vous faire savoir que quelqu’un a été tué. Il vous faut voir les détails les plus gore. Nous sommes tellement sur-stimulés que cela se doit d’être beaucoup plus dramatique.

— Marion : Oui. Je viens de voir Age of Innocence. Et là c’est tout le contraire : tout est dans la retenue et le contrôle. J’ai trouvé ce film très fort. Il n’y est pas ouvertement question de sexe, mais dans l’une des scènes, le héros enlève le gant de sa bien-aimée. C’est tellement sensuel que cela vous fait presque frémir.
Je pense qu’il se pourrait bien qu’il y ait une réaction contre toute cette sur-stimulation.

— Bert : Si nous ne nous consumons pas avant.

— Marion : Tout à fait. Ou si nous ne restons pas si dépendants de la dramatisation de ce que nous sommes à toujours acheter encore et encore. Nous sommes littéralement détruits par nos propres ordures.

— Bert : Sur le plan psychique et écologique.

— Marion : Oui.

acteon chasseur

— Bert : Vous nous avez un peu parlé du patriarcat et vous faites une grande différence entre le patriarcat et le masculin. Gregory Max Vogt a écrit un livre, Return to Father, dans lequel il dit que le patriarcat n’est pas aussi mauvais que nous le pensons, qu’il a apporté, et doit encore apporter de précieuses contributions.

Il y évoque un patriarcat homologue qui rejette l’autoritarisme et la compétitivité, et valorise le chasseur,  le constructeur, l’amant, le philosophe, le protecteur de la société et le visionnaire. Y a-t-il, dans l’aspect positif du patriarcat, quelque chose de valable que l’on pourrait garder ?

— Marion : Oh, absolument. Tous les archétypes que vous avez énumérés, je les qualifierais de masculins. Pour moi, le patriarcat est devenu une parodie de lui-même, parce qu’il s’est engouffré dans le contrôle. Lorsque le chasseur chasse simplement pour le plaisir de tuer des animaux, ou le plaisir d’abattre des arbres, ou de détruire la nature, il n’est plus un chasseur naturel.

Non, je suis tout à fait d’accord pour dire que tant qu’il reste dans des limites naturelles, il s’agit d’un masculin authentique. La même chose est vraie de l’amant, s’il aime véritablement. Mais s’il se contente de passer d’une chambre à l’autre pour prouver sa « masculinité », il essaie de contrôler quelque chose qui est perdu au fond de lui. Pour moi, tous ces archétypes sont masculins. Et je voudrais également y ajouter le masculin créatif.

Mais pour parvenir au côté positif du patriarcat, la plupart d’entre nous doivent véritablement dépasser une énorme peur, celle d’être contrôlé par un individu ou une institution ou une attitude culturelle. Parce que l’on s’attend à être jugé et que l’on s’attend à ce que quelqu’un nous contrôle.
A l’école, par exemple, il y a cette terrible impression qui veut que le professeur contrôle ce que pensent les élèves. Leur attitude est donc : « Bon, on va la fermer, et s’asseoir, mais on ne nous contrôlera pas. » A mon avis, cela commence très tôt à l’école primaire, voire à la maternelle.

C’est une chose très complexe, Bert, parce que beaucoup de gens ne réalisent pas qu’ils contrôlent leurs attitudes. A mon avis, beaucoup de parents s’imaginent que si leurs enfants ne vivent pas selon leurs critères et n’essaient pas d’honorer leurs valeurs, ils les déshonorent par leur désobéissance. Si les parents s’observaient mieux, ils constateraient que c’est leur attitude de toute puissance qui anéantit l’enfant.

Revenons-en à l’âme. Peut-on percevoir l’âme de l’autre et permettre à cette âme d’évoluer à sa façon, que cela nous plaise ou pas ?

— Bert : c’est parfois un processus très difficile que de lâcher prise.

— Marion : Eh bien, c’est là le secret. C’est sur ce point que le patriarcat achoppe. Quand je parle du patriarcat, je parle des femmes autant que des hommes — certaines femmes sont pire que les hommes dans ce domaine. Ce n’est pas lié au sexe. C’est une attitude : « Je sais ce qui est le mieux pour vous. Vous feriez mieux de faire les choses comme je vous dis. » Je peux ne pas l’exprimer, mais simplement l’attendre.

— Bert : Dans vos vidéos et dans vos livres, vous soulignez l’importance du travail sur le corps. Pouvez-vous nous éclairer un peu ?

— Marion : J’en parle, Bert, parce que je pense que notre culture est une culture où prime la tête, cette culture vit à partir du cou. Beaucoup de gens prétendent ignorer les émotions et tous leurs côtés d’ombre. Je voudrais souligner que le meilleur de nous se trouve souvent enfoui au plus profond de notre ombre.

Beaucoup de gens ont peur d’exprimer leurs sentiments véritables, et ces sentiments restent piégés dans le corps. Pour être quelqu’un d’entier, il vous faut, à mon sens, savoir ce qui se passe sous vos muscles. Parce que si vous l’ignorez, ce côté est réprimé et, tôt ou tard, il explosera.

Beaucoup de gens disent « Je t’aime », mais s’ils ne l’expriment pas par le corps, vous ne pouvez pas leur faire confiance. La sphère instinctive doit être rendue consciente. C’est en cela que le travail sur le corps est important. Dans ce travail, les instincts deviennent conscients. Ils font ensuite partie du tout. Au lieu de bloquer toute l’énergie dans la tête, le cœur et le corps s’ouvrent.

A suivre…

Interview de Marion Woodman par Bert H. Hoff
Article original, « Inner Man, Inner Woman, an interview with Marion Woodman », est publié sur le site http://www.menweb.org/woodman.htm

Traduction française : Michèle Le Clech

L’autodérision : La porte ouverte vers l’acceptation

Changer de regard sur soi, rire et faire rire : l’humour a toute sa place en thérapie. Être capable d’autodérision prouve que l’on a gagné en flexibilité psychique et su mettre en place des mécanismes d’autoguérison.

Clown

D’un côté, des acteurs comiques qui font leur « coming out psychique » : Guillaume Gallienne déclarant que la psychanalyse lui « a sauvé la vie », ou Ben Stiller et Jim Carrey révélant que leur bipolarité a été le sel de leur art. De l’autre, des psychothérapies qui se veulent moins austères.

Et l’on constate que l’humour trouve désormais une place essentielle dans de nombreuses méthodes. Rien d’étonnant : être capable de rire de soi prouve que l’on a su prendre de la distance et évoluer du pire vers le « pas si grave que ça ». Comme Groucho Marx, qui, tout burlesque qu’il était, a pondu l’une des meilleures formules pour exprimer une basse estime de soi : « Je ne supporterais pas d’entrer dans un club qui m’accepterait comme membre ! » En une pirouette, il était parvenu à rendre acceptable son mal-être.

L’autodérision serait-elle une clé en psychothérapie ?

« Attention, il ne s’agit pas du comique moqueur, voire vengeur, que l’on entend beaucoup dans les médias français, avertit Jean-Christophe Seznec, psychiatre et co-auteur de Pratiquer l’ACT par le clown (Dunod, 2014), qui utilise parfois des techniques de clown auprès de ses patients.

Là où le cynisme n’amène que jugement et manque d’engagement dans la vie, le jeu et l’humour sur soi revitalisent et permettent de prendre de la hauteur pour faire des choix. » Pour être autoguérisseuse, l’autodérision n’en est pas pour autant ce « rire protection » que certains utilisent pour « faire se gondoler la galerie », prête alors à tout leur pardonner simplement parce qu’ils sont « tellement drôles »… Elle n’est pas non plus autohumiliation. Non, pour être thérapeutique, cet humour-là emprunte des chemins plus escarpés : ceux de l’authenticité et de la bienveillance.

Savoir émouvoir les autres

L’autodérision nécessite d’abord une excellente connaissance de soi. Celui qui rit de lui-même sait combien il est râleur, ou peureux, ou arrogant. Quelles que soient ses failles, il ne les dénie pas, mais les accueille et les conscientise.

Jean Touati, hypnothérapeute qui fait une grande place à l’humour dans ses interactions avec les patients, remarque que les anxieux sont précisément les plus habiles à développer cette clairvoyance sur eux-mêmes : « Étant dans le contrôle, ils sont capables de regarder leurs pensées angoissées et de les mettre en scène… Le prototype de ce talent névrotique, c’est Woody Allen. » En revanche, précise- t-il, les patients en dépression ou psychotiques ne peuvent pas être candidats à l’autodérision.

Cette lucidité sur soi, Audrey Élie, infirmière de 34 ans, est parvenue à l’acquérir grâce à deux années de formation à l’école de clown du Samovar. « Au début, dans ce cours, je ne cherchais rien de thérapeutique, raconte-t-elle. Mais, en apprenant à faire rire de mes faiblesses, j’ai dû aller fouiller au fond de moi…

Et j’y ai trouvé bien des singularités refoulées. » Sa lenteur, sa tendance à être distraite, son côté
« bien sérieuse », elle en a fait les traits comiques de son personnage, Doris, son « moi version burlesque » sur scène. Comme ses compagnons apprentis clowns que l’on voit progresser dans le formidable documentaire Tout va bien (voir le lien), Audrey a appris pendant de longs mois
à « montrer tout ce que l’on cache d’habitude dans la vie de tous les jours » et à en apprécier le potentiel. Car savoir émouvoir les autres avec ses failles peut devenir un trésor.

Favoriser une relation authentique

« Moi qui ai toujours eu beaucoup de tics contre lesquels j’ai lutté pendant toute mon adolescence, je me suis rendu compte que je touchais particulièrement le public lorsque je les accentuais, confie Audrey. Ce qui me faisait souffrir est devenu un cadeau. » Pour atteindre cette transformation quasi alchimique et accepter ce que l’on rejetait de soi, rien de mieux que le partage permis par le rire.

« Ce “raccourci émotionnel”, ainsi que le définissait Freud, est un formidable outil, estime Jean-Christophe Seznec. Rire de soi avec un autre permet de toucher à la vulnérabilité de tous les humains. Le clown, comme celui qui donne à voir sans barrière ses fragilités, éveille
la tendresse. »

On peut favoriser cette autodérision en séance. Mais, pour y parvenir, le thérapeute ne doit pas hésiter à montrer qu’il est lui aussi capable d’assumer sa singularité : « Comme cette chemise rouge criard que je porte ce matin, ou ma tignasse décoiffée, s’amuse le psychiatre.

Ce qui donne de la gravité au praticien, c’est le regard qu’on porte sur lui et non la réalité. Moi, je montre au patient qu’on est libre d’adopter un autre regard et d’en jouer, cela amène au détachement et à l’humour. » Jean Touati, plus « classique », invite ses patients à « entrer dans le jeu » : « Je peux rebondir avec une blague, une parabole, un aphorisme sur leurs propos ; je peux prendre ma guitare, chanter ou les inviter à chanter…

Mêlées à une empathie véritable, ces surprises favorisent une relation authentique, en elle-même thérapeutique. » Un cadre rassurant est alors posé pour que l’humour déploie ses effets bienfaisants. Jean-Christophe Seznec suggère en séance de « faire l’hélicoptère », c’est-à-dire de prendre de la hauteur sur ses objets de souffrance.

C’est un ancien dépressif qui a eu cette idée : écrire des sketchs pour venir à bout de ses ruminations. David Granirer, éducateur qui enseignait la stand-up comedy (à traduire par
« lève-toi et fais rire » !) dans un collège canadien, avait constaté combien les séances d’autodérision faisaient du bien aux ados mal dans leur peau.

Il a donc créé un programme appelé « Stand up for mental health ». Douze semaines pendant lesquelles des personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), d’addictions ou de phobies viennent en parler sur scène, après avoir écrit des prestations qui donnent lieu à un immense show final. Outre les vidéos de chaque « comique » accessibles sur YouTube, un film présente les étapes qu’ils doivent franchir pour parvenir à faire rire. Son titre : Cracking Up
(« craquer »).

« Je leur propose d’appeler par un prénom leurs personnages intérieurs symptomatiques, par exemple, complète le psychiatre. Ainsi, je peux leur dire : “Tiens, c’est le retour de Gérard l’obsessionnel aujourd’hui”, ou de Robert le plaintif… Nous en rions ensemble, et la séance peut avancer. »

Le thérapeute doit aussi savoir manier avec tact et imagination l’art de la provocation. Et Jean Touati de raconter comment cette patiente, alourdie par une plainte lancinante sur elle, s’est
« réveillée » de cette lamentation : « Elle avait débuté cette première séance par une longue litanie : “Je n’ai pas d’amies, tout le monde me fuit, je m’ennuie avec les autres, personne ne m’aime…” »

Rompant avec la convenue « écoute bienveillante », le thérapeute l’a alors interrompue :
« Eh bien, c’est sûr, ça ne fait que cinq minutes que je vous écoute, et vous êtes franchement pénible ! » Lui répondant par un sourire, elle comprit alors qu’elle allait pouvoir sortir de ses errances thérapeutiques pour enfin, ici, commencer à changer.

Avoir partagé ses failles, dans un atelier ou en séance, est la porte ouverte vers l’acceptation. Comme le clown qui, en mettant son nez rouge, est prêt à passer à une autre dimension de lui-même – « il redevient l’enfant, le poète du moment présent, l’être authentique bien ancré dans son corps, rappelle Jean-Christophe Seznec. Il quitte tous les “il faut que”, la rigidité psychologique qui nous mine.

Celui qui est capable d’autodérision lâche sur son ego et son image ; et il sait qu’il n’y a rien à perdre puisque c’est ainsi qu’on l’aime ». Ainsi, l’autodérision et l’acceptation profonde de soi qu’elle apporte opèrent un réel « déformatage ». Celui qui ose dire sa vérité peut laisser tomber certaines normes qui l’entravaient.

« Pensez à Charlie Chaplin et au merveilleux clown qu’il incarne, propose le psychiatre. Il montre que l’on peut s’appuyer sur ses souffrances pour renaître plus libre. » Un phare pour tous ceux qui savent que, parfois, rien n’est plus sérieux qu’une bonne tranche de rire.

Véronique Dahl

Tout va bien (1er commandement du clown), documentaire de Pablo Rosenblatt et Émilie Desjardins. http://www.telerama.fr/cinema/films/tout-va-bien-1er-commandement-du-clown,488407.php

http://www.lesamovar.net/accueil

Et vous ? http://test.psychologies.com/etes-vous-drole

 

Toutes les réponses dont nous avons besoin reposent toujours en nous

Toile

Prendre conscience de ses scénarios

J’emploie fréquemment le terme « scénario » pour référer aux pensées ou à leurs séquences qui, nous en sommes persuadés, sont réelles. Un scénario portera sur le passé, le présent ou l’avenir ; il concernera la manière dont les choses devraient être, pourraient être, ou leur raison d’être.

Les scénarios jaillissent en notre esprit des centaines de fois par jour – lorsque quelqu’un se lève sans mot dire et quitte la pièce ; si une personne ne vous sourit pas ou ne retourne pas votre appel, ou quand un étranger sourit effectivement ; avant d’ouvrir une lettre d’importance ou après avoir éprouvé une sensation bizarre dans la poitrine ; quand votre patron vous fait mander dans son bureau ou que votre associé s’adresse à vous sur un ton obscur. Les scénarios sont des théories non démontrées, non investiguées, qui accordent une interprétation à ces faits. Nous ne sommes même pas conscients que ce ne sont que des hypothèses.

Un jour, en pénétrant dans les toilettes des femmes d’un restaurant près de chez moi, une dame sortit de l’unique cabine. Nous avons échangé un sourire et, en refermant la porte, je l’ai entendue se mettre à chanter en se lavant les mains. « Quelle voix délicieuse » songeai-je.

Puis, en l’entendant sortir, j’ai remarqué que le siège était mouillé. « Comment peut-on être si grossier ! » me dis-je. « Comment a-t-elle réussi à uriner partout sur le siège ? S’est-elle mise debout dessus ? »

Brusquement, j’ai compris qu’elle était en réalité un homme, un travesti, chantant faux dans les toilettes des dames. L’idée m’est venue de la/le poursuivre pour l’avertir du dégât qu’il/elle avait laissé derrière. En nettoyant le siège, j’imaginais tout ce que je lui dirais. Puis, j’ai tiré la chasse. L’eau a giclée de la cuvette en éclaboussant tout le siège. Et je me suis mise à rigoler toute seule.

Dans le cas présent, le cours normal des événements fut assez bon de me dévoiler mon scénario avant que les choses n’aillent plus loin. D’habitude, ce n’est pas le cas ; avant de découvrir l’investigation, je n’avais aucun moyen de stopper ce type de processus mental.

Des scénarios insignifiants en engendraient de plus importants, et ces derniers donnaient naissance à des théories majeures sur la vie, sur tout ce qui n’allait pas et sur les périls de notre monde. J’ai fini par être trop angoissée et déprimée pour quitter ma chambre à coucher.

Si vous opérez à partir de théories non investiguées au sujet de ce qui se passe et que vous n’en êtes même pas conscient, alors vous êtes dans ce que je nomme « le rêve ». Cet état prend souvent des allures troublantes ; parfois, il tourne même au cauchemar.

À ces moments-là, il vaut peut-être mieux évaluer la justesse de vos théories en leur appliquant le Travail. Celui-ci élague toujours une partie de votre scénario désagréable. Qui seriez-vous sans ce scénario ? Quelle partie de votre monde est composée de fictions non analysées ? Vous ne le saurez jamais, jusqu’à ce que vous les investiguiez.

Débusquer la pensée qui sous-tend la souffrance

Je n’ai jamais éprouvé de sentiment stressant qui n’était pas le résultat d’un attachement à une idée fallacieuse. Derrière chaque sensation désagréable se cache une pensée qui n’est pas vraie pour nous. « Le vent devrait cesser de souffler. » « Mon mari devrait être d’accord avec moi. » Nous avons une pensée qui contredit la réalité, par la suite nous éprouvons l’émotion stressante qui en découle, nous agissons animés par celle-ci, ce qui engendre encore davantage de stress pour nous-mêmes.

Plutôt que de cerner la cause originelle – la pensée -, nous tentons de transformer le sentiment en cherchant à l’extérieur de nous. Nous essayons de changer l’autre, ou nous nous jetons dans le sexe, la bouffe, l’alcool, les drogues ou l’argent afin d’obtenir un soulagement éphémère et l’illusion d’être aux gouvernes de notre vie.

Comme il est facile de se laisser emporter par une sensation accablante, il est donc utile de se souvenir que toute impression stressante fait office de signal d’alerte bienveillant nous avertissant que nous nous empêtrons dans un rêve. La dépression, la douleur et la peur sont des dons du ciel qui nous rappellent de sonder notre attitude mentale à l’instant, que nous vivons une fiction qui n’est pas vraie pour nous.

Le fait de vivre un mensonge est systématiquement stressant. Mais si nous n’écoutons pas le signal d’alarme, nous tentons de modifier et de manipuler la sensation en cherchant la solution à l’extérieur de nous. C’est pourquoi j’affirme qu’un signal vous informe que vous avez une pensée qui vaut la peine d’être investiguée.

Et le fait d’examiner une pensée fallacieuse grâce au Travail vous conduira toujours vers celui ou celle que vous êtes vraiment. Il est douloureux de croire que vous êtes quelqu’un d’autre que celui ou celle que vous êtes, de vivre une fiction autre que le bonheur.

Si vous placez votre main dans le feu, est-ce que vous avez besoin qu’on vous dise de la retirer ? Faut-il en prendre la décision ? Non. Quand votre main se met à brûler, elle réagit. Il n’y a nul besoin de la guider ; elle se meut toute seule. De manière analogue, une fois que vous avez saisi, par l’examen, qu’une pensée fallacieuse provoque de la souffrance, vous vous en éloignez.

Avant la pensée, vous ne souffriez pas ; quand elle apparaît, vous avez mal ; si vous reconnaissez que celle-ci n’est pas vraie, alors la souffrance se dissipe à nouveau. Voilà comment le Travail opère. « Comment dois-je réagir lorsque cette pensée se manifeste ? » La main dans le feu. « Qui serais-je sans cette pensée ? » Elle se retire des flammes.

Nous constatons la présence de la pensée, ressentons la main qui brûle et, tout naturellement, nous reprenons la position originelle ; nul besoin de nous le faire dire. Et la prochaine fois que cette pensée reviendra, le mental s’éloignera automatiquement du feu. Le Travail nous invite à prendre conscience du principe de cause à effet interne. Si nous l’identifions, toute notre souffrance se dénoue d’elle-même.

L’investigation

L’investigation est, dans mon vocabulaire, synonyme de Travail. Elle consiste à soumettre une pensée ou un scénario aux quatre questions et à l’inversion (expliquées ICI http://thework.com/sites/thework/francais/letravail.asp). Il s’agit d’une méthode permettant d’enrayer la confusion et d’instaurer une paix intérieure, même dans ce monde de chaos apparent. Avant tout, ce processus revient à réaliser que toutes les réponses dont nous avons besoin reposent toujours en nous.

L’investigation va au-delà de la simple technique : elle anime, depuis le tréfonds de nous-mêmes, un aspect inné de notre être. Si vous vous y adonnez pendant quelque temps, elle prend vie en vous. Elle surgit au moment même où les pensées font leur apparition, en tant que contrepartie et condisciple.

Cette collaboration interne vous donne la clarté et la liberté nécessaires pour vivre comme un observateur bienveillant, fluide, téméraire, amusé, un étudiant de vous-même et un ami qui ne manifestera nul ressentiment ni aucune critique ou rancune.

La paix et la joie s’immiscent, tout naturellement, sans faute, et irrévocablement dans chaque coin de votre mental, dans chacun de vos rapports et chacune de vos expériences. Le processus est subtil au point que vous n’en avez pas de perception consciente. Vous constatez simplement que là où la douleur régnait, celle-ci s’est désormais volatilisée.

Byron Katie

http://thework.com/sites/thework/francais/

Extrait du livre Aimer ce qui est: Quatre questions qui peuvent changer votre vie par Byron Katie avec Stephen Mitchell

Byron Katie : Aimer ce qui est

Gouttes de pluie

 « Le Travail vous permet de vous tourner vers l’intérieur pour y découvrir votre propre bonheur et goûter ce qui existe déjà en vous, immuable, constant, présent à jamais, qui vous attend éternellement. Il n’y a nul besoin d’un maître ; vous êtes ce maître tant attendu. Vous êtes celui qui peut mettre un terme à votre souffrance.

Je répète souvent: « N’accordez foi à aucune de mes paroles. » Je tiens à ce que vous découvriez ce qui est vrai pour vous, pas pour moi. Plusieurs personnes estiment tout de même que les principes ci-dessous peuvent être utiles pour se lancer dans le Travail.

Observer quand les pensées se querellent avec la réalité

Nous ne souffrons que lorsque nous adhérons à une pensée qui est en conflit avec la situation telle qu’elle est. Lorsque l’esprit est parfaitement clair, ce qui est correspond à ce que vous désirez.

Si vous souhaitez que la réalité soit différente de ce qu’elle est, autant essayer d’enseigner à un chat comment aboyer. Malgré tous vos efforts, vous vous retrouverez à la fin devant un chat qui vous dévisagera en faisant « Miaou ». Vous pouvez passer le reste de votre vie à tenter de le faire, mais vouloir apprendre à un chat à japper est tout simplement futile.

Si vous prêtez attention, vous constaterez que vous avez ce genre de pensées des dizaines de fois par jour. «Les gens devraient être plus charitables. » « Les enfants devraient bien se comporter. » « Mes voisins devraient mieux entretenir leur pelouse. » « La queue à l’épicerie devrait avancer plus vite. » « Mon mari (ou ma femme) devrait être d’accord avec moi. » « Il faudrait que je sois plus mince (ou plus jolie ou plus populaire). »

Ces pensées représentent le désir que la réalité soit autre que ce qu’elle est en ce moment. Déprimant n’est-ce pas ? Voilà comment prennent racine le stress, la frustration et la dépression.

Après m’être éveillée à la réalité en 1986, j’étais la femme qui s’était fait l’amie du vent, disait-on souvent de moi. Barstow est une petite ville située dans le désert, là où le vent souffle inlassablement. Règle générale, personne ne peut le supporter ; certains ont même déménagé parce qu’ils n’en pouvaient plus.

La raison pour laquelle je me suis fait l’amie du vent – de la réalité – c’est que j’ai découvert que je n’avais pas le choix. Je me suis rendu compte qu’il était insensé de s’y opposer. Quand je me querelle avec la réalité, je suis perdante – à cent pour cent. Comment en suis-je arrivée à savoir que le vent doit souffler ? Parce qu’il souffle, voilà tout !

Les nouveaux venus au Travail me disent souvent: « Mais je perdrais mon pouvoir si je cessais de contester la réalité. Si j’accepte tout simplement la réalité, je deviens passif. Il est même possible que je perde toute motivation pour agir. » Je leur réponds par la question: « Comment savez-vous que c’est vrai ? Qu’est-ce qui apporte plus de pouvoir ? Affirmer « J’aurais voulu ne pas perdre mon travail » ou « J’ai perdu mon boulot, quels sont mes choix maintenant ? ».

Le Travail met en lumière le fait que la situation qui, à votre avis, n’était pas censée se produire devait avoir eu lieu. Malgré tout, elle le devait, puisqu’elle s’est produite, et aucune pensée au monde n’y changera quoi que ce soit. Ce qui ne signifie pas pour autant que vous devriez y consentir ou l’approuver.

Cela signifie simplement qu’il est possible de percevoir les faits sans résistance et sans la confusion découlant de votre lutte intérieure. Personne ne souhaite que son enfant tombe malade, personne n’a envie d’avoir un accident sur la route, mais quand ces infortunes surviennent, quelle utilité peut bien avoir le fait de débattre mentalement avec elles ? Nous savons très bien qu’il vaut mieux éviter cela, mais nous nous y livrons tout de même parce que nous ignorons comment y mettre fin.

Je suis amoureuse de la vie telle qu’elle est, pas parce que je suis un être spirituel, mais parce que le fait de me quereller avec la réalité me fait souffrir. Nous sommes forcés d’en conclure que la réalité est bien telle qu’elle est puisque, quand nous nous y opposons, nous vivons des tensions et de l’insatisfaction. Nous n’avons pas alors l’impression d’être naturels ou équilibrés. Si nous cessons de nous objecter à la réalité, alors l’action devient simple, fluide, bienfaisante et intrépide.

S’en tenir à ses affaires

Il n’existe que trois types d’affaires dans l’univers : les miennes, les tiennes et celles de Dieu.
(En ce qui me concerne, Dieu signifie « réalité ». La réalité est Dieu parce qu’elle est prépondérante. Tout ce qui ne relève pas de mon contrôle, du vôtre et de celui du reste du monde, je le nomme « les affaires de Dieu ».)

Une grande partie de notre stress découle du fait de vivre mentalement hors de nos propres affaires. Quand je pense : « Tu as besoin d’un travail, je veux que tu sois heureux, tu devrais arriver à l’heure, tu devrais mieux t’occuper de toi », je me mêle de tes affaires.

Quand je me tracasse au sujet de tremblements de terre, d’inondations, de la guerre ou du moment de ma mort, je me mêle des affaires de Dieu. Si je me place mentalement dans vos affaires ou dans celles de Dieu, il en résulte une séparation. J’ai tout de suite remarqué ce principe en 1986.

Quand je me dirigeais vers les affaires de ma mère, par exemple, avec une pensée comme « Ma mère devrait me comprendre », je ressentais aussitôt de la solitude. Et j’ai compris ceci : chaque fois au cours de ma vie que je m’étais sentie seule ou blessée, je m’étais trouvée dans les affaires de quelqu’un d’autre.

Feuille sous la pluie

Si, de votre côté, vous menez votre vie et que je vis mentalement la vôtre, qui donc vit
la mienne ? Nous sommes tous deux ailleurs. Le fait de me mêler mentalement de vos affaires m’empêche d’être présente aux miennes. Je suis dissociée de moi-même et je me demande pourquoi ma vie ne va pas bien.

Croire que je sais ce qui vaut mieux pour quiconque, c’est me trouver à l’extérieur de mes affaires. Même au nom de l’amour, ce n’est que pure arrogance, et cette attitude entraîne la tension, l’anxiété et la peur. Est-ce que je sais ce qui me convient ? Voilà où commencent et où finissent mes affaires. Je devrais m’y consacrer avant de tenter de résoudre vos problèmes à votre place.

Si vous saisissiez ces trois types d’affaires assez clairement pour arriver à vous en tenir aux vôtres, votre existence serait affranchie à un point que vous ne pouvez même pas imaginer. La prochaine fois que vous vous sentirez stressé ou mal à l’aise, demandez-vous de quelles affaires vous vous mêlez mentalement. Vous pourriez avoir une drôle de surprise.

Cette question vous ramène à vous-même. Et vous vous apercevrez que, finalement, vous n’êtes jamais vraiment présent, que vous avez toujours vécu mentalement dans les oignons des autres. Cette simple constatation suffit à vous ramener à votre propre soi si merveilleux.

Une fois que vous vous y serez exercé pendant quelque temps, vous prendrez peut-être conscience que vous n’avez pas d’affaires en propre et que votre vie se porte très bien toute seule.

Aborder ses pensées avec indulgence

Une pensée n’a d’effet que si nous y accordons foi. Nos pensées ne provoquent pas notre souffrance mais bien notre attachement à celles-ci. S’attacher à une pensée équivaut à la tenir pour vraie sans l’avoir examinée. Une croyance est donc une pensée à laquelle on s’attache souvent depuis des années.

La plupart des gens estiment qu’ils sont ce que leurs idées leur disent qu’ils sont. Un jour, j’ai remarqué que je ne respirais pas – j’étais respirée. Puis, j’ai noté également, à mon émerveillement, que je ne pensais pas – qu’en réalité j’étais pensée et que ce processus n’était pas personnel. Vous réveillez-vous le matin en décidant: « Aujourd’hui, j’ai l’intention de ne pas penser » ?

Trop tard, vous êtes déjà en train de penser ! Les pensées ne font qu’apparaître. Elles surgissent du néant et y retournent, semblables aux nuages se mouvant dans le firmament vide. Elles ne font que passer, ne demeurent jamais. Par elles-mêmes, elles n’ont aucun pouvoir jusqu’à ce que nous nous y attachions comme si elles étaient vraies.

Personne n’est jamais parvenu à maîtriser ce processus, même si plusieurs parlent de leurs expériences en ce domaine. Je ne me défais pas de mes pensées – je les aborde avec compréhension. Alors, c’est elles qui renoncent à moi.

Les pensées sont semblables à la brise, aux feuilles des arbres ou aux gouttes de pluie qui tombent. Elles apparaissent ainsi, et grâce à l’investigation, nous pouvons nous en faire des amies. Vous chamailleriez-vous avec une goutte de pluie ?

Celles-ci n’ont rien de personnel, pas plus que les pensées. Une fois que vous aurez abordé un concept douloureux à la lumière de la compréhension, il pourrait vous paraître simplement intéressant la prochaine fois qu’il se manifestera.

Ce qui était un cauchemar est désormais un phénomène intéressant. Un autre jour, il vous semblera drôle. Et par la suite, il pourrait bien passer tout à fait inaperçu. Voilà le pouvoir d’aimer ce qui est.

A suivre…

Byron Katie

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Extrait du livre Aimer ce qui est: Quatre questions qui peuvent changer votre vie par Byron Katie avec Stephen Mitchell