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Le diamant et la goutte de rosée

Goutte de rosée

Un beau diamant, qui avait autrefois brillé au doigt d’une princesse, gisait dans un pré, à côté de pissenlits et de pâquerettes. Juste au-dessus de lui, brillait une goutte de rosée qui s’accrochait timidement à un brin d’herbe.
Tout en haut, le brillant soleil du matin dardait ses rayons sur tous les deux, et les faisait étinceler.
La modeste goutte de rosée regardait le diamant, mais sans oser s’adresser à une personne d’aussi noble origine.
Un gros scarabée, en promenade à travers les champs aperçut le diamant et reconnut en lui quelque haut personnage.
– Seigneur, dit-il en faisant une grande révérence, permettez à votre humble serviteur de vous offrir ses hommages.
– Merci, répondit le diamant avec hauteur.
En relevant la tête, le scarabée aperçut la goutte de rosée.
– Une de vos parentes, je présume, monseigneur ? demanda-t-il avec affabilité en dirigeant une de ses antennes vers la goutte de rosée.
Le diamant partit d’un éclat de rire méprisant.
– Quelle absurdité ! déclara-t-il. Mais qu’attendre d’un grossier scarabée ? Passez votre chemin, monsieur. Me mettre, moi, sur le même rang, dans la même famille qu’un être vulgaire, sans valeur et le diamant s’esclaffait.
– Mais, monseigneur, il me semblait… sa beauté n’est-elle pas égale à la vôtre ? balbutia timidement le scarabée déconfit.
– Beauté, vraiment ? Imitation, vous voulez dire. En vérité, l’imitation est la plus sincère des flatteries, il y a quelque satisfaction à se le rappeler. Mais cette beauté factice même est ridicule si elle n’est pas accompagnée de la durée. Bateau sans rames, voiture sans chevaux, puits sans eau, voilà ce que c’est que la beauté sans la fortune. Aucune valeur réelle là où il n’y a ni rang ni richesse. Combinez beauté, rang et richesse, et le monde sera à vos pieds. A présent, vous savez pourquoi on m’adore.
Et le diamant lança de tels feux que le scarabée dut en détourner les yeux, pendant que la pauvre goutte de rosée se sentait à peine la force de vivre, tant elle était humiliée.
Juste alors une alouette descendit comme une flèche, et vint donner du bec contre le diamant.
– Ah! fit-elle désappointée, ce que je prenais pour une goutte d’eau n’est qu’un misérable diamant. Mon gosier est desséché, je vais mourir de soif.
– En vérité ! Le monde ne s’en consolera jamais, ricana le diamant.
Mais la goutte de rosée venait de prendre une soudaine et noble résolution.
– Puis-je vous être utile, moi ? demanda-t-elle.
L’alouette releva la tête.
– Oh! ma précieuse amie, vous me sauverez la vie.
– Venez, alors.
Et la goutte de rosée glissa du brin d’herbe dans le gosier altéré de l’alouette.
– Oh ! oh ! murmura le scarabée en reprenant sa promenade. Voilà une leçon que je n’oublierai pas. Le simple mérite vaut plus que le rang et la richesse sans modestie et sans dévouement; il ne peut y avoir aucune réelle beauté sans cela.

De l’alchimie à la mécanique quantique

Cela dit, croire la pensée occidentale essentiellement étrangère à cette vision du monde serait la limiter au rationalisme mécaniste, dont le culte du hasard commence aujourd’hui à trouver ses limites, aux franges de chaque domaine de la connaissance. Jung trouva sans peine des sources sérieuses où alimenter son principe de synchronicité.

Alchimiste 1

Il retint par exemple de la tradition alchimiste sa différence entre l’imaginatio fantastica (l’imaginaire) et l’imaginatio vera (l’imaginal). Cette dernière, fonction imaginatrice active, ferait apparaître dans les synchronicités, de façon plus ou moins claire, « a priori et en dehors de l’homme », le sens caché des choses.

Platon apportait par ailleurs ses « idées fondamentales », images transcendantales servant de modèles (pour Jung, d’archétypes) aux formes empiriques (objets, pensées, actions). La conscience émergerait d’un « savoir absolu », constitué de l’inconscient collectif structuré en archétypes, et servant de façade psychique à un univers conçu comme physico-psychique.

La synchronicité, c’est-à-dire l’événement mais aussi l’importance qu’on lui accorde et le sens qu’on lui donne, témoignerait de la concordance entre le psychisme de l’individu et l’archétype avec lequel il résonne.

La réflexion sur cet univers physico-psychique rejoignait tant les questions posées par la physique quantique que Jung s’adjoignit sans peine les talents de Wolfgang Pauli, prix Nobel de physique en 1945 (et seul physicien de renom à avoir refusé de participer à l’élaboration de la bombe atomique).

La plus audacieuse des disciples de Jung, Marie-Louise von Franz, n’hésita pas à invoquer les
« analogies surprenantes » entre la physique quantique et les théories jungiennes pour soutenir qu’il « devient probable que la dimension de la matière universelle et celle de la psyché objective puisse être une ». Ce « tout physico-psychique » se présenterait comme matériel au physicien qui l’observe de l’extérieur, et comme psychique à qui l’aborde par l’introspection.

Malgré l’adhésion de nombreux grands physiciens à des philosophies qui se fondent sur ces idées – notamment au bouddhisme -, la majorité des scientifiques s’en tient aujourd’hui à l’interprétation officielle de l’École de Copenhague et à son compromis dit « réaliste », selon lequel, la matière n’étant pas, au niveau quantique, dissociable du processus d’observation, le discours de la physique quantique ne peut prétendre la décrire, mais porte uniquement sur la connaissance que ses théories en donnent.

Dans un tout autre genre – que certains scientifiques appelleraient « heuristisque », c’est-à-dire non prouvé mais fertile en hypothèses intéressantes -, on se rappelle que le biologiste Rupert Sheldrake a proposé, au début des années quatre-vingt, une théorie révolutionnaire qui expliquerait toutes les coïncidences en les intégrant à un champ, dit de « résonance morphique ».

De nature non-énergétique, ce champ – théoriquement admis par les plus grands mathématiciens, dont René Thom, mais pratiquement si global et si perturbant que l’hypothèse a du mal à passer – mettrait en liaison toutes les formes semblables, que celles-ci soient mentales ou comportementales, biologiques ou minérales.

Avec un flegme très britannique, Rupert Sheldrake teste patiemment son hypothèse depuis des années, notamment sur des animaux domestiques, des cristaux, des amputés et des cruciverbistes. Bref, le dossier scientifique est loin d’être clos et nourrira bien des débats encore. Mais l’impossibilité de consolider scientifiquement la théorie de la synchronicité ne l’empêche pas de fonctionner. Ni d’être mise en pratique…

Se relier à l’ensemble des possibles

À l’heure où les deux romans de « fiction spirituelle » les plus populaires s’inspirent largement de la synchronicité (le « langage du monde » de l’Alchimiste et les « coïncidences » de la Prophétie des Andes), des chercheurs et des expérimentateurs de plus en plus nombreux travaillent sur elle et surtout avec elle. Parmi eux, le conteur et thérapeute Jean-Pascal Debailleul.

Dans un ouvrage remarqué, Vivre dans la magie des contes (éd. Albin Michel), ce dernier avait constaté – après d’autres, dont Marie-Louise von Franz – que les contes de fées sont de puissants récits initiatiques et des manuels de sagesse résolument pratiques, mis à la disposition des hommes souhaitant se lancer dans une quête spirituelle.

Dans sa pratique du conte comme outil de développement personnel, il s’était à son tour rendu compte que la structure qui fonde la plupart de ces récits est calquée sur celle de notre psyché. On y voit un roi (le maître intérieur) confier au héros (notre attention consciente) une mission à première vue impossible à accomplir (notre vocation).

Quête

Mais pour autant que le héros s’engage dans sa quête de toute son âme (l’engagement et le lâcher prise), il bénéficie d’une série d’événements magiques – des coïncidences, nous y voilà ! – le conduisant à réaliser son souhait. Depuis des années, Jean-Pascal Debailleul s’était attaché à vérifier, dans ses ateliers, la pertinence de ce schéma avec des « patients-collaborateurs » qu’il engageait à devenir « héros de leur propre conte », c’est-à-dire de leur vie.

La part des fées, ces interventions « magiques » qui volent au secours du héros, il l’avait nommée « fécondité ». Mais pour que celle-ci entre en jeu, il avait remarqué qu’à l’instar du conte, il fallait que l’engagement des intéressés soit irréversible. « À l’absolu de la quête, expliquait-il, répond l’absolu des possibles.

La part d’infini contenue dans notre engagement nous met en contact avec l’infini lui-même, un niveau supérieur d’existence que l’on peut appeler le “tout possible”, où ce que nous nommons habituellement “hasards ”, “coïncidences” ou “synchronicité” prennent source et trouvent sens.»

Avec les plus avancés de ses co-expérimentateurs, Jean-Pascal Debailleul s’est donc mis en tête d’observer la fécondité à l’œuvre dans l’expérience de vie des uns et des autres, en sollicitant l’apparition de synchronicités qui pourraient les faire avancer plus vite dans leurs quêtes respectives. « On ne s’accomplit jamais seul, dit-il ; pour prendre un exemple simple, si mon désir est de vendre ma maison, il faut qu’il existe quelque part quelqu’un qui souhaite l’acheter et que la jonction s’opère. »

Au début de ses ateliers, pour illustrer cette imbrication du fil de notre vie dans un canevas plus large, Jean-Pascal Debailleul utilise souvent cette énigme : comment relier entre eux neufs points disposés en carré à l’aide de quatre droites, sans lever le crayon ? Généralement, les gens cherchent longtemps avant de répondre : « impossible » ou « je ne vois pas. »

En fait, le seul moyen d’y parvenir est de prolonger la première droite formée par la réunion des trois points d’un côté jusqu’à un dixième point invisible, situé en dehors du carré lui-même. De là, il devient soudain aisé de relier entre eux les points restants en trois coups de crayon.

« De même, enfermés dans le cadre de notre problème, nous ne pouvons lui trouver de solution. En élargissant au contraire le champ de notre attention au contexte le plus large, donc au tout possible, ce n’est finalement pas un point invisible, mais huit, qui s’offrent à sa résolution, transformant au bout du compte le carré en étoile à huit branches, c’est-à-dire l’inscrivant dans une trame bien plus vaste – puisque chacun de ces points est lui-même relié à un autre carré, un autre problème… »

La synchronicité recouvre toujours un double mouvement, conclut Jean-Pascal Debailleul : celui de notre questionnement vers le tout possible et celui de la fécondité qui ne demande qu’à s’incarner à travers nous.

À l’heure où l’on parle de village global et où le mot d’ordre des entreprises est “synergie”, la synchronicité est plus que jamais d’actualité. »

Jérome Bourgine et Sylvain Michelet pour le magazine Clé

Les tribulations de Jean Le Chanceux

Chemin

Jean avait servi son maître sept ans ; il lui dit : « Monsieur, mon temps est fini ; je voudrais retourner chez ma mère ; payez-moi mes gages, s’il vous plaît. »

Son maître lui répondit : « Tu m’as bien et loyalement servi ; la récompense sera bonne. » Et il lui donna un lingot d’or, gros comme la tête de Jean.

Jean tira son mouchoir de sa poche, enveloppa le lingot, et, le portant sur son épaule au bout d’un bâton, il se mit en route pour aller chez ses parents. Comme il marchait ainsi, toujours un pied devant l’autre, il vit un cavalier qui trottait gaillardement sur un cheval vigoureux. « Ah ! se dit Jean tout haut à lui-même, quelle belle chose que d’aller à cheval ! On est assis comme sur une chaise, on ne butte pas contre les cailloux du chemin, on épargne ses souliers, et on avance, Dieu sait combien ! »

Le cavalier, qui l’avait entendu, s’arrêta et lui dit :

« Hé ! Jean, pourquoi donc vas-tu à pied ?

– Il le faut bien, répondit-il ; je porte à mes parents ce gros lingot ; il est vrai que c’est de l’or, mais il n’en pèse pas moins sur les épaules.

– Si tu veux, dit le cavalier, nous changerons ; je te donnerai mon cheval et tu me donneras ton lingot.

– De tout mon cœur, répliqua Jean ; mais vous en aurez votre charge, je vous en avertis. »

Le cavalier descendit, et après avoir pris l’or, il aida Jean à monter et lui mit la bride à la main en disant :

« Maintenant, quand tu voudras aller vite, tu n’as qu’à faire claquer la langue et dire : Hop ! hop ! »

Jean était dans la joie de son âme quand il se vit à cheval. Au bout d’un instant l’envie lui prit d’aller plus vite, et il se mit à claquer la langue et à crier : « Hop ! hop ! » Aussitôt le cheval se lança au galop, et Jean, avant d’avoir eu le temps de se méfier, était jeté par terre dans un fossé sur le bord de la route.

Le cheval aurait continué de courir, s’il n’avait été arrêté par un paysan qui venait en sens opposé, chassant une vache devant lui. Jean, de fort mauvaise humeur, se releva comme il put et dit au paysan : « C’est un triste passe-temps que d’aller à cheval, surtout quand on a affaire à une mauvaise bête comme celle-ci, qui vous jette par terre au risque de vous rompre le cou ; Dieu me préserve de jamais remonter dessus ! À la bonne heure une vache comme la vôtre ; on va tranquillement derrière elle, et par-dessus le marché on a chaque jour du lait, du beurre, du fromage. Que ne donnerais-je pas pour posséder une pareille vache ! »

– Eh bien, dit le paysan, puisque cela vous fait tant de plaisir, prenez ma vache pour votre cheval.  Jean était au comble de la joie. Le paysan monta à cheval et s’éloigna rapidement.

Jean chassait tranquillement sa vache devant lui, en songeant à l’excellent marché qu’il venait de faire :

« Un morceau de pain seulement et je ne manquerai de rien, car j’aurai toujours du beurre et du fromage à mettre dessus. Si j’ai soif, je trais ma vache et je bois du lait. Que peut-on désirer de plus ? »

À la première auberge qu’il rencontra, il fit une halte et consomma joyeusement toutes les provisions qu’il avait prises pour la journée ; pour les deux liards qui lui restaient il se fit donner un demi-verre de bière, et, reprenant sa vache, il continua son chemin.

On approchait de midi ; la chaleur était accablante, et Jean se trouva dans une lande qui avait plus d’une lieue de long. Il souffrait tellement du chaud, que sa langue était collée de soif à son palais. « Il y a remède au mal, pensa-t-il ; je vais traire ma vache et me rafraîchir d’un verre de lait. »

Il attacha sa vache à un tronc d’arbre mort, et, faute de seau, il tendit son chapeau : mais il eut beau presser le pis, pas une goutte de lait ne vint au bout de ses doigts. Pour comble de malheur, comme il s’y prenait maladroitement, la bête impatientée lui donna un tel coup de pied sur la tête, qu’elle l’étendit sur le sol, où il resta un certain temps sans connaissance.

Heureusement il fut relevé par un boucher qui passait par là, portant un petit cochon sur une brouette.

Jean lui conta ce qui était arrivé. Le boucher lui fit boire un coup en lui disant : « Buvez cela pour vous réconforter ; cette vache ne vous donnera jamais de lait : c’est une vieille bête qui n’est plus bonne que pour le travail ou l’abattoir. »

Jean s’arrachait les cheveux de désespoir : « Qui s’en serait avisé ! s’écria-t-il. Sans doute, cela fera de la viande pour celui qui l’abattra ; mais pour moi j’estime peu la viande de vache, elle n’a pas de goût. À la bonne heure un petit cochon comme le vôtre : voilà qui est bon sans compter le boudin ! »

– Écoutez, Jean, lui dit le boucher ; pour vous faire plaisir, je veux bien troquer mon cochon contre votre vache.

– Que Dieu vous récompense de votre bonne amitié pour moi ! » répondit Jean ; et il livra sa vache au boucher. Celui-ci posant son cochon à terre, remit entre les mains de Jean la corde qui l’attachait.

Jean continuait son chemin en songeant combien il avait de chance : trouvait-il une difficulté, elle était aussitôt aplanie. Sur ces entrefaites, il rencontra un garçon qui portait sur le bras une belle oie blanche. Ils se souhaitèrent le bonjour, et Jean commença à raconter ses chances et la suite d’heureux échanges qu’il avait faits.

De son côté, le garçon raconta qu’il portait une oie pour un repas de baptême. « Voyez, disait-il en la prenant par les ailes, voyez quelle lourdeur ! il est vrai qu’on l’empâte depuis deux mois. Celui qui mordra dans ce rôti-là verra la graisse lui couler des deux côtés de la bouche.

– Oui, dit Jean, la soulevant de la main, elle a son poids, mais mon cochon a son mérite aussi.

Alors le garçon se mit à secouer la tête en regardant de tous côtés avec précaution. « Écoutez, dit-il, l’affaire de votre cochon pourrait bien n’être pas claire. Dans le village par lequel j’ai passé tout à l’heure, on vient justement d’en voler un dans l’étable du maire. J’ai peur, j’ai bien peur que ce ne soit le même que vous emmenez. On a envoyé des gens battre le pays ; ce serait pour vous une vilaine aventure, s’ils vous rattrapaient avec la bête ; le moins qui pourrait vous en arriver serait d’être jeté dans un cul-de-basse-fosse. »

– Hélas ! mon Dieu, répondit le pauvre Jean, qui commençait à mourir de peur, ayez pitié de moi ! il n’y a qu’une chose à faire : prenez mon cochon et donnez-moi votre oie.

– C’est beaucoup risquer, répliqua le garçon, mais, s’il vous arrivait malheur, je ne voudrais pas en être la cause.

Et prenant la corde, il emmena promptement le cochon par un chemin de traverse, pendant que l’honnête Jean, dégagé d’inquiétude, s’en allait chez lui avec son oie sous le bras. « En y réfléchissant bien, se disait-il à lui-même, j’ai encore gagné à cet échange, d’abord un bon rôti ; puis avec toute la graisse qui en coulera, me voilà pourvu de graisse d’oie pour trois mois au moins ; enfin, avec les belles plumes blanches, je me ferai un oreiller sur lequel je dormirai bien sans qu’on me berce. Quelle joie pour ma mère ! »

En passant par le dernier village avant d’arriver chez lui, il vit un rémouleur qui faisait tourner sa meule en chantant :

Je suis rémouleur sans pareil ;

Tourne, ma roue, au beau soleil !

Jean s’arrêta à le regarder et finit par lui dire :

–  Vous êtes joyeux, à ce que je vois ; il paraît que le repassage va bien ?

– Oui, répondit le rémouleur, c’est un métier d’or.

Un bon rémouleur est un homme qui a toujours de l’argent dans sa poche. Mais où avez-vous acheté cette belle oie ?

– Je ne l’ai pas achetée, je l’aie eue en échange de mon cochon.

– Et le cochon ?

– Je l’ai eu pour ma vache.

– Et la vache ?

– Pour un cheval.

– Et le cheval ?

– Pour un lingot d’or gros comme ma tête.

– Et le lingot ?

– C’étaient mes gages pour sept ans de service.

– Je vois, dit le rémouleur, que vous avez toujours su vous tirer d’affaire.

Maintenant il ne vous reste plus qu’à trouver un moyen d’avoir toujours la bourse pleine, et votre bonheur est fait.

– Mais comment faire ? demanda Jean.

– Il faut vous faire rémouleur comme moi. Pour cela, il suffit d’une pierre à aiguiser ; le reste vient tout seul. J’en ai une, un peu ébréchée il est vrai, mais je vous la céderai pour peu de chose, votre oie seulement. Voulez-vous ?

– Cela ne se demande pas, répondit Jean ; me voilà l’homme le plus heureux de la terre. Au diable les soucis, quand j’aurai toujours la poche pleine.

Il prit la pierre et donna son oie en payement.

« Tenez, lui dit le rémouleur en lui donnant un gros caillou commun qui était à ses pieds, je vous donne encore une autre bonne pierre par-dessus le marché ; on peut frapper dessus tant qu’on veut ; elle vous servira à redresser vos vieux clous. Emportez-la avec soin. »

Jean se chargea du caillou et s’en alla le cœur gonflé et les yeux brillants de joie : « Ma foi ! s’écria-t-il, je suis né coiffé ; tout ce que je désire m’arrive, ni plus ni moins que si j’étais venu au monde un dimanche ! »

Cependant, comme il était sur ses jambes depuis la pointe du jour, il commençait à sentir la fatigue. La faim aussi le tourmentait ; car, dans sa joie d’avoir acquis la vache, il avait consommé toutes ses provisions d’un seul coup. Il n’avançait plus qu’avec peine et s’arrêtant à chaque pas ; la pierre et le caillou le chargeaient horriblement.

Il ne put s’empêcher de songer qu’il serait bien heureux de n’avoir rien à porter du tout. Il se traîna jusqu’à une source voisine pour se reposer et se rafraîchir en buvant un coup ; et, pour ne pas se blesser avec les pierres en s’asseyant, il les posa près de lui sur le bord de l’eau ; puis, se mettant à plat ventre, il s’avança pour boire, mais sans le vouloir il poussa les pierres et elles tombèrent au fond.

En les voyant disparaître sous ses yeux, il sauta de joie, et les larmes aux yeux, il remercia Dieu qui lui avait fait la grâce de le décharger de ce faix incommode sans qu’il eût rien à se reprocher. « Il n’y a pas sous le soleil, s’écria-t-il, un homme plus chanceux que moi ! » Et délivré de tout fardeau, le cœur léger comme les jambes, il continua son chemin jusqu’à la maison de sa mère ».

Conte des Frères Grimm

 

L’Eau, le Feu, la Vérité et le Mensonge

Jadis, il y a bien longtemps, l’Eau, le Feu, la Vérité et le Mensonge vivaient ensemble dans une grande maison. Tous se montraient polis envers les autres, tout en se tenant prudemment à distance,  la Vérité et le Mensonge s’asseyaient dans des coins opposés de la pièce, et le Feu veillait à ne jamais croiser le chemin de l’Eau.

Mais voici qu’un jour, ils allèrent ensemble à la chasse et ils y rassemblèrent un grand troupeau de bétail, qu’ils se mirent à convoyer vers leur village.

Vérité proposa de diviser ce bétail en quatre parts égales, et les autres étaient d’accord, sauf Mensonge, qui fit semblant d’approuver, mais désirait en secret faire main basse sur le tout.

Il s’approcha de l’Eau, et lui glissa à l’oreille : « tu es plus forte que le Feu. Éteins-le, et nous aurons droit à une part plus grosse. »

L’Eau fit ce qu’il demandait : elle se jeta sur le feu et l’éteignit…  Et les trois éléments restants poursuivirent leur chemin…

Alors, Mensonge s’approcha de Vérité et lui chuchota : « regarde : l’Eau a détruit le Feu ! Abandonnons cette cruelle qui a tué notre chaleureux ami, et allons faire paître nos vaches dans les alpages. »

Vérité et Mensonge prirent donc le chemin de la montagne avec les bêtes, et l’Eau, malgré tous ses efforts, ne put les y suivre. Elle se répandit sur les flancs de la montagne et bouillonna sur elle-même… Elle est toujours là aujourd’hui, s’élançant en cascade à flanc de montagne…

Encore un concurrent d’éliminé, pour Mensonge…

Une fois arrivés en haut, Mensonge se tourna vers Vérité et lui dit : « je suis plus fort que toi, je suis le maître, et je dis que tout le bétail est à moi ! »  Mais Vérité s’insurgea ; elle refusait d’obéir à Mensonge…

Le Vent fut alors choisi pour décider lequel, de Mensonge ou de Vérité, était le plus fort. Le Vent, se sentant impuissant à les départager, se glissa dans le monde, pour demander l’avis des hommes sur la question.

Mais il recueillit des informations contradictoires : les uns pensaient qu’un seul mot du Mensonge peut réduire à néant la Vérité, les autres rétorquaient que, telle une flamme dans l’obscurité, la Vérité est assez puissante que pour tout changer.

De tout ce qu’il avait entendu, le Vent conclut finalement que le Mensonge est très puissant, mais qu’il n’a droit de cité que là où la Vérité a cessé de se faire entendre.  Et c’est ainsi qu’il en va depuis lors…

Vérité et mensonge

Dieu décida un jour de créer toutes choses, les bonnes comme les mauvaises. Il créa toute chose et son contraire : la nuit et le jour, l’envers et l’endroit, la lune et le soleil, le haut et le bas.

Vérité fut créée grande, majestueuse et très belle. Mensonge, lui fut créé petit, laid et maladif.

Mais, dans sa bonté, Dieu lui donna une machette pour se défendre et égaliser ses chances avec Vérité.  Ensuite, il les envoya exister dans le monde…

Vérité et Mensonge s’en vont alors chacun de leur côté. Les gens préfèrent écouter Vérité, elle est si attirante par sa beauté et tout est si limpide avec elle.  Mensonge est rejeté, et commence à sentir grandir en lui haine et jalousie envers Vérité.

Il décide donc de la guetter, de la coincer dans un chemin creux et de la provoquer. Une bagarre éclate entre ces deux opposés de la Parole…

Vérité, plus forte et plus résistante, prend le dessus, mais, trop sûre d’elle, relâche un instant son attention… Mensonge, qui est vif et rusé, profite de ce moment de distraction pour lui couper la tête avec sa machette.

Vérité, affolée, cherche à tâtons sa tête pour la replacer sur son corps. En cherchant fébrilement, elle en sent enfin une sous ses doigts.   

Alors, dans son égarement, elle la tire à elle de toutes ses forces et la replace sur son corps. Hélas, c’est la tête hideuse de Mensonge qu’elle a – dans son aveuglement – décapitée.

Et c’est depuis ce temps que Vérité va par le monde avec l’immonde tête de Mensonge, et Mensonge avec la belle tête de Vérité – et que les hommes se trompent et sont inaptes à distinguer la vérité du mensonge.

Contes africains

 

Le grand-père qui n’aimait pas les gâteaux

Floraison

Il était une fois un vieux grand-père qui assistait au repas de mariage de sa dernière petite-fille. Il était heureux, serein, apaisé devant le merveilleux spectacle de toute sa famille réunie. Leur joie, leur bonheur à tous l’entouraient d’une émotion tendre.

Comme elle était belle, sa petite-fille dans une éblouissante robe blanche ! Elle riait de bon cœur en découpant avec son jeune époux la somptueuse pièce montée toute scintillante de caramel blond et de dragées roses.

« Servez-vous tous et faites passer à vos voisins de table », disait-elle en déposant les choux tout rebondis de crème sur les assiettes chaudes.

Quand la petite-fille passa l’assiette à son grand-père : « Tiens, Pépé Paco! prends donc du gâteau !

Mais non ! fais passer le plat, l’interrompit sa mère, toujours attentive, tu sais que Pépé n’aime pas les gâteaux.

Il y eut un instant de silence et l’on entendit soudain la voix joyeuse du grand-père : Mais oui ! j’aime les gâteaux. Tiens, je vais prendre ce beau chou-là.

Regard stupéfait de sa fille.

« Comment ça, tu aimes les gâteaux ? Mais tu n’as jamais aimé les gâteaux ! Moi ta fille, j’ai cinquante ans et je ne t’ai jamais vu manger un gâteau de toute ma vie.

« De ta vie à toi, ma fille, oui…Mais pas de la mienne ! C’est que je les aime, les gâteaux ! J’ai toujours aimé les gâteaux… Seulement, nous étions si pauvres quand vous étiez petits avec tes sœurs et ton frère, tu le sais bien…Des gâteaux, votre mère ne pouvait en acheter qu’une fois de temps en temps, et encore seulement les dimanches de fête… Elle en prenait un pour chacun, c’est sûr, mais moi, quand je voyais tes yeux à toi, ma toute petite, quand tu venais t’asseoir sur mes genoux et que tu dévorais ton gâteau avec tant de plaisir, mon plaisir à moi, tu vois, c’était de te regarder manger mon gâteau que je te donnais si volontiers. Et j’ajoutais toujours pour que ton plaisir soit complet :  » Mange ma petite petitoune, va !…moi je n’aime pas les gâteaux :  » »

Le grand-père en disant cela souriait tendrement, dodelinant doucement de la tête. Il dit encore en riant franchement :

« Tiens, ma fille, aujourd’hui c’est fête, donne-moi aussi celui qui reste sur le plat, là… D’ailleurs il va finir par tomber si tu continues à trembler comme ça ! Tu as froid ou c’est l’émotion de marier ta fille ?

Jacques Salomé : Contes à aimer… Contes à s’aimer

 

L’histoire du Père Fiction

MAPhoto

Il était une fois, dans un pays pas si loin, au cœur du village des sentiments, une tribu ancestrale. C’était sans nul doute une des plus anciennes au monde. Certains disaient même que les prières émises dans ce village perché dans les montagnes servaient à équilibrer l’univers tout entier. Chaque habitant était considéré comme une personne unique et complémentaire d’une autre. 

Les plus jeunes étaient accompagnés par les plus âgés et ces derniers leur transmettaient ainsi le fruit de leur propre parcours. 

Un jour, le Père Fiction prit sous son aile un apprenti appelé l’Excellence. Le Père Fiction avait pour habitude d’être dur avec les nouveaux. Quoi qu’il se passe, il ne montrait jamais un signe de reconnaissance. Pas même un merci.

Il se trouvait par ailleurs souvent isolé car certains villageois en avaient déjà fait les frais. Ils avaient essayé à plusieurs reprises de lui dire certaines choses, mais le Père Fiction était inflexible car il était convaincu de tout savoir et voulait tout faire seul. 

Au cours de tous ses accompagnements, il enseignait toujours avec la même certitude, la solution idéale à chaque problème, des réponses parfaites à chaque demande. Du moins, c’est ce qu’il pensait.

Par une belle journée, près du lac, l’Excellence et le Père Fiction se tenaient là, à observer l’eau et la beauté de ce tableau merveilleux.

Le Père Fiction dit :
– « Tu vois, l’eau serait parfaite si elle était plate, sans une vague. »
L’Excellence répondit :
– « Cela voudrait dire que les gouttes de pluie ou les feuilles ne pourraient pas se reposer
dessus ? »

– « Sûrement pas » rétorqua le Père Fiction. « Tout doit être droit et parfait ! »
– « Mais, si tout était droit, cela signifierait que le relief ne serait pas beau à vos yeux !
Si la nature ne peut pas s’exprimer, alors la vie a-t-elle un sens ? »

Le Père Fiction trouva la remarque intéressante, mais ne releva pas.

Plus tard dans la journée, ils croisèrent la Gratitude, qui les remercia d’avoir discuté avec elle un instant. Le Père Fiction s’en alla sans même la regarder et dit à son disciple :

– « Tu vois ! La Gratitude est trop gentille ! Plus dure, elle serait parfaite ! »
L’Excellence réfléchit et demanda :
– « Si la Gratitude était plus dure, elle se trahirait et ne serait plus elle-même ! N’est ce pas important de rester qui nous sommes ? »
Le Père Fiction, agacé, lui conseilla de poser des questions plus judicieuses et que ce serait parfait pour elle !

Un peu plus tard, ils croisèrent l’Amour. Il était bien portant et gonflé à bloc. 

Il leur raconta ses anecdotes encore et toujours plus folles. Après quelques heures, le Père Fiction et l’Excellence s’en allèrent. Sur le chemin, le Père fiction marmonna :

– « Si l’Amour ne se mêlait pas de tout, ce serait parfait ! »
L’Excellence lui demanda :
– « Mais si l’Amour n’était pas partout, la vie aurait-elle du sens ? L’Amour n’est-il pas la base des rapports entre nous tous ? Ne doit-on pas mettre du cœur à l’ouvrage dans tout ce que nous entreprenons ? »

Le Père Fiction ne répondit pas, mais il sentait bien que l’Excellence se posait des questions que lui-même ne s’était jamais posées. Pour la première fois de sa vie, il se sentait tout confus. 

Quand la nuit tomba, l’Excellence se coucha et le Père Fiction la borda parfaitement, la couverture disposée bien droite et alignée.

L’Excellence dit :
– « Si tu me bordes aussi parfaitement,  je ne pourrai plus bouger mes pieds par peur de tout défaire. Je ne pourrai pas respirer librement par peur de ne pas faire comme il faut ! »

Le Père Fiction répondit ces quelques mots :
– « Ne t’inquiète donc pas. Aujourd’hui, j’ai compris une chose. En aucun cas la vie sans Amour ne peut être parfaite. Les choses qui se font naturellement ont bien plus de relief que les choses parfaites. Et puis je me suis aperçu que la Gratitude avait du bon et que sans elle, il n’y aurait pas d’humilité.

Je comprends à présent pourquoi on m’a nommé la Fiction, car je ne peux prétendre à grandir si je ne change pas, si je ne sors pas de Ma Fiction. Alors pour ça, je te remercie l’Excellence. Je te souhaite une bonne nuit ! »

L’Excellence fut surprise de ce changement radical, mais se sentait sereine.

Le lendemain matin, le Père Fiction se réveilla un peu chamboulé car il avait changé d’apparence… Il était devenu l’Excellence. L’Excellence quant à elle continuait de transmettre son enseignement du mieux qu’elle le savait faire. 

Michel Mendes coach à http://www.saphirme.com/

 

Comment les papillons apprirent à voler

Arc en ciel

Quand la Terre était jeune, aucun papillon ne volait ça et là dans les airs et n’illuminait les jours de printemps et d’été de leurs ailes portant les couleurs de l’arc-en-ciel. Il y avait des reptiles, qui furent les ancêtres des papillons, mais ils ne savaient pas voler ; ils ne savaient que ramper par terre.

Ces reptiles étaient magnifiques, mais le plus souvent les humains, lorsqu’ils se déplaçaient, ne baissaient pas les yeux vers la terre, aussi ne voyaient-ils pas leur beauté.

En ces temps-là, vivait une jeune femme qui s’appelait Fleur de Printemps et qui était une joie pour tous ceux qui la connaissaient. Elle avait toujours le sourire et un mot gentil à la bouche, et ses mains étaient semblables au printemps le plus frais pour ceux qui étaient atteints de fièvre ou de brûlures.

Elle posait ses mains sur eux et la fièvre aussitôt quittait leur corps. Quand elle atteignit l’âge adulte, son pouvoir devint encore plus fort et, grâce à la vision qu’elle avait reçue, elle devint capable de guérir les gens de la plupart des maladies qui existaient alors.

Dans sa vision, d’étranges et belles créatures volantes étaient venues à elle et lui avaient donné le pouvoir de l’arc-en-ciel qu’ils portaient avec eux. Chaque couleur de l’arc-en-ciel avait un pouvoir particulier de guérison que ces êtres volants lui révélèrent.

Ils lui dirent que pendant sa vie elle serait capable de guérir et qu’au moment de sa mort elle libérerait dans les airs des pouvoirs de guérison qui resteraient pour toujours avec les hommes. Dans sa vision, il lui fut donné un nom : Celle-qui-tisse-dans-l’air-des-arcs-en-ciel.

Tandis qu’elle avançait en âge, Celle-qui-tisse-dans-l’air-des-arcs-en-ciel continuait son travail de guérisseuse et dispensait sa gentillesse à tous ceux qu’elle rencontrait. Elle rencontra aussi un homme, un voyant, et elle le prit pour mari. Ils eurent ensemble deux enfants et les élevèrent pour qu’ils soient forts, sains et heureux.

Les deux enfants avaient aussi certains pouvoirs de leurs parents et eux-mêmes devinrent plus tard des guérisseurs et des voyants. Tandis qu’elle vieillissait, le pouvoir de Celle-qui-tisse-dans-l’air-des-arcs-en-ciel grandit encore et tous ceux qui vivaient dans les environs de la région où elle habitait vinrent à elle avec leurs malades, lui demandant d’essayer de les guérir.

Elle aidait ceux qu’elle pouvait aider. Mais l’effort de laisser passer en elle tout le pouvoir finit par l’épuiser et un jour elle sut que le moment de remplir la seconde partie de sa vision approchait.

Tout au long de sa vie, elle avait remarqué que des reptiles magnifiquement colorés venaient toujours près d’elle quand elle s’asseyait par terre. Ils venaient contre sa main et essayaient de se frotter contre elle. Parfois l’un deux rampait le long de son bras et se mettait près de son oreille.

Un jour qu’elle se reposait, un de ces reptiles vint jusqu’à son oreille. Elle lui parla, lui demandant si elle pourrait faire quelque chose pour lui, car elle avait remarqué que lui et ses frères et sœurs lui avaient toujours rendu service. « Ma sœur, dit Celui qui rampait, mon peuple a toujours été là pendant que tu guérissais, t’assistant grâce aux couleurs de l’arc-en-ciel que nous portons sur le corps.

A présent que tu vas passer au monde de l’Esprit, nous ne savons comment continuer à apporter aux hommes la guérison de ces couleurs. Nous sommes liés à la terre et les gens regardent trop rarement par terre pour pouvoir nous voir. Il nous semble que si nous pouvions voler, les hommes nous remarqueraient et souriraient des belles couleurs qu’ils verraient.

Nous pourrions voler autour de ceux qui auraient besoin d’être guéris et laisserions les pouvoirs de nos couleurs leur donner la guérison qu’ils peuvent accepter. Peux-tu nous aider à voler ? » Celle-qui-tisse-dans-l’air-des-arcs-en-ciel promit d’essayer. Elle parla de cette conversation à son mari et lui demanda si des messages pourraient lui venir dans ses rêves.

Le matin suivant il se réveilla, excité par le rêve qu’il avait fait. Quand il toucha doucement Celle-qui-tisse-dans-l’air-des-arcs-en-ciel pour le lui raconter, elle ne répondit pas. Il s’assit pour la regarder de plus près et il vit que sa femme était passée au monde des Esprits pendant la nuit.

Papillons

Pendant qu’il priait pour son âme et faisait des préparatifs pour son enterrement, le rêve qu’il avait eu lui revint en mémoire et cela le réconforta. Quand le moment fut venu de porter Celle-qui-tisse-dans-l’air-des-arcs-en-ciel à la tombe où elle serait enterrée, il regarda sur sa couche et, l’attendant, se trouvait le reptile qu’il pensait y trouver. Il le ramassa avec précaution et l’emporta.

Tandis que l’on mettait le corps de sa femme en terre et qu’on s’apprêtait à le recouvrir, il entendit le reptile qui disait : « Mets-moi sur son épaule à présent. Quand la terre sera sur nous, mon corps aussi mourra, mais mon esprit se mêlera à l’esprit de celle qui fut ta femme, et ensemble nous sortirons de terre en volant.

Alors nous retournerons vers ceux de mon peuple et leur apprendrons à voler de façon à ce que se poursuive le travail de ton épouse. Elle m’attend. Pose-moi à présent. » L’homme fit ce que le reptile lui avait dit et l’enterrement se poursuivit. Quand tous les autres furent partis, l’homme resta en arrière quelques instants.

Il regarda la tombe, se souvenant de l’amour qu’il avait vécu. Soudain, de la tombe sortit en volant une créature qui avait sur ses ailes toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Elle vola vers lui et se posa sur son épaule.

« Ne sois pas triste, mon époux. A présent ma vision s’est totalement réalisée, et ceux que j’aiderai désormais à enseigner apporteront toujours aux autres la bonté du cœur, la guérison et le bonheur. Quand ton heure viendra de te transformer en esprit, je t’attendrai et te rejoindrai. »

Quand l’homme changea de monde, quelques années plus tard, et fut enterré, ses enfants restèrent en arrière après que tous les autres s’en furent allés. Ils remarquèrent une de ces nouvelles créatures magnifiques qu’ils appelaient papillons, voletant près de la tombe.

En quelques minutes un autre papillon d’égale beauté sorti en volant de la tombe de leur père, rejoignit celui qui attendait et, ensemble, ils volèrent vers le Nord, le lieu du renouveau. Depuis ce temps-là les papillons sont toujours avec les hommes, éclairant l’air et leur vie de leur beauté.

Si vous voulez que votre souhait se réalise, vous n’avez qu’à le souffler au papillon. N’ayant pas de voix, il ira porter votre souhait au ciel jusqu’au grand Manitou, où il sera exaucé.

Légende amérindienne

 

Le lion et le serpent

Temple

Il y a bien longtemps, dans la vieille cité d’Angkor, existait un temple à l’abandon.

Ces vieilles pierres d’un autre temps servaient de refuge aux animaux sauvages. Certains venaient chasser, d’autres se posaient et se reposaient pour casser leur rythme quotidien de la poursuite ou de la fuite.

Il y en avait de toutes espèces, des grands, des petits, des blessés, des courageux. Chacun trouvait sa place dans cette société sauvage.

Mais alors que tout semblait réglé comme une mécanique d’horlogerie suisse, il apparut un lion majestueux, à la crinière d’or.

Il était là, allongé tel le sphinx de Gizeh, à observer et contempler ce royaume. Il restait immobile, comme paralysé. Son regard se posait sur chaque chose et chaque détail qui l’entourait.

Le premier à s’apercevoir que celui ci ne bougeait plus fut l’énorme boa du domaine. Le lion aussi l’aperçu de loin. Il était terrorisé mais restait là quand même.

La nuit tomba et ce malgré l’épuisement, le lion ne fléchit pas.

Le boa quant à lui, en se faufilant à travers les roches, se rapprochait de plus en plus. Jusqu’à pouvoir lui parler enfin.
– « Que fais tu, là, immobile ? »

Le lion tremblait mais ne bougeait pas. Il regarda le serpent dans les yeux et dit :
– « Je ne peux bouger car j’ai mes deux pattes brisées. »

– « Rassure-toi, je ne suis pas là pour te mordre », rétorqua le boa.
« Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? »

Le lion, peu rassuré, sentait sa vulnérabilité l’envahir tout entier mais sa petite voix intérieure, son intuition le calmait peu à peu.

– « Je me suis battu pour survivre et je suis tombé de très haut. Depuis, je me tiens là et j’attends. »

Le serpent, surpris, lui demanda :
– « Mais qu’attends-tu exactement » ?

– « J’attends le moment où je pourrai bouger et ne plus avoir peur. »

Le serpent, agacé, reprit le lion :
– « Le monde s’est-il arrêté de tourner depuis que tu es ici ? Penses-tu que ton royaume est immobile et qu’il attend que tu puisses te déplacer ? Regarde comme le temps poursuit son cours, comme chaque animal a sa place dans le tableau de la vie. Regarde comme les autres te craignent, ils savent que tu es leur roi et toi, tu as peur ! ? »

– « Que veux-tu que je fasse serpent savant ! ? », ironisa le lion.

– « Respire, vis, apprivoise tes peurs car quand tu pourras bouger, tu auras pris pour habitude d’être effrayé et tu resteras immobile. »

– « Je ne suis pas libre de régner, ni libre de bouger », déplora le Lion.

– « Ta liberté viendra de l’intérieur de ton cœur et pas du dehors. Tu as toi aussi ta place dans ce tableau, tu es déjà en train de régner sur ton royaume. Tu es libre de vivre ta vie. Accepte le moment présent, accepte d’avoir peur et accepte le sens de ta destinée. »

Le lion orgueilleux, tourna la tête et fit comprendre au serpent qu’il voulait rester seul. Le boa se retira dans son antre.

Quelques jours plus tard, le lion pût enfin se déplacer. Peu à peu, il reprenait goût à la vie. En partant de la cité, il tenait à s’entretenir avec le boa, et lui dit ces quelques mots :

– « Je te remercie serpent savant. J’ai compris que chaque chose a une place importante dans le monde, j’ai compris qu’il fallait des moments de doutes pour se sentir grandi. J’ai compris aussi que la peur pouvait immobiliser plus que deux pattes brisées. Pour terminer, j’ai aussi compris que tu n’étais pas arrivé dans ma vie par hasard et que parfois certaines rencontres pouvaient provoquer des changements dans la bienveillance, et ce malgré les apparences. Alors pour tout ça, je te suis reconnaissant ! »

Le lion s’en alla d’un pas décidé et sûr de lui. Le serpent, de son côté, aperçu un animal isolé et se rendit auprès de lui…

Le cycle de la vie reprit ainsi son cours.

Michel Mendes coach à http://www.saphirme.com/

 

 

Conte tibétain : Au bord d’un étang

lac aux nenuphares

Dans la fourmilière d’un vaste monastère, il y avait un vieux moine discret, humble, un sans-grade, un obscur parmi les obscurs, un rien farfelu. Ses confrères le tenait pour un ignare, doublé d’un illuminé dans le sens commun, et non bouddhiste, de simple d’esprit.

Il faut dire que malgré toutes les années passées à l’ombre des murs du monastère, il ne brillait pas par son érudition. Le vétéran boudait en effet la lecture des textes sacrés et, à la belle saison, passait le plus clair de son temps au bord d’un étang constellé de lotus, bercé par le murmure du vent, la psalmodie des insectes et le chant des oiseaux. Il y méditait distraitement assis sur un rocher, sous le monumental parasol d’un vieil arbre.

Par un bel après-midi d’été inondé de soleil, un groupe de jeunes moines partit faire le tour de l’étang. C’est alors qu’ils purent observer avec stupéfaction, la manière fort décousue que l’ancien avait de méditer. Il ne se passait pas cinq minutes sans qu’il se penche pour troubler le miroir liquide avec une brindille.

Il allait même parfois jusqu’à se lever pour faire quelques pas une branche à la main, avec laquelle il tirait une feuille d’arbre hors de l’eau. Son curieux manège fit rire ses cadets qui entreprirent de lui donner une leçon sur la méditation.

– Ne serait-il pas préférable de vous recueillir les yeux fermés afin de ne pas être distrait par le spectacle du monde ?

– Comment espérer atteindre une haute réalisation spirituelle si vous bougez sans cesse ? Vous ne pouvez pas stabiliser votre esprit ni laisser le prana circuler harmonieusement dans les canaux subtils.

– C’est vrai, prenez exemple sur le Bouddha qui a obtenu l’Éveil suprême en demeurant immobile sous l’arbre de l’illumination.

Le vieux moine s’inclina pour les remercier de leurs conseils et, tout en leur montrant un insecte qu’il venait de repêcher avec une brindille, il leur dit, un sourire désarmant aux lèvres :

– Vous avez sans doute raison, mes jeunes frères. Mais comment pourrai-je méditer sereinement s’il y a autour de moi des êtres vivants en train de se noyer ?

La bande des cadets resta interloquée. Il y eut un long silence puis l’un d’eux, rompu aux joutes métaphysiques et voulant à tout prix sauver la face, répliqua :

– Vous devriez vous retirer dans une grotte pour vous consacrer à votre propre salut. Ne vous souciez pas trop du destin des autres. Laissez faire l’ordre naturel du monde. Chacun récolte le résultat de ses actes antérieurs. Telle est la loi du karma.

Et, sur ces paroles sentencieuses, les donneurs de leçons se drapèrent dans leurs toges monastiques et s’éloignèrent. Ils gagnèrent une passerelle qui enjambait l’étang. C’est alors qu’au beau milieu de la traversée, l’un d’eux glissa sur une planche moussue et tomba à l’eau.

Le malheureux, qui n’était autre que le discoureur karmique, pataugeait parmi les nénuphars, visiblement en train de se noyer. L’étang était profond à cet endroit. Ce fut l’affolement général, aucun moine ne savait nager.

Le vieil original, son infatigable sourire aux lèvres, se leva d’un bond, prit une branche et, comme elle n’était pas assez longue, il se mit à marcher sur l’eau. Sous le regard médusé des jeunes moines, il crocheta le candidat à la noyade et le tira jusqu’à la berge sans même mouiller les pans de sa robe rapiécée.

L’histoire miraculeuse fit le tour du monastère. On tenait désormais le vieux pour un saint, un bodhisattva caché, un Bouddha vivant. Il en prit ombrage car il ne supportait pas d’être un objet de dévotion. Il gagna une autre province où il se cacha dans le fourmilière d’un vaste monastère.

Extrait de Contes des sages du Tibet par Pascal Fauliot

 

Le vieux samouraï et le guerrier impatient

Cadeau d'insultes

Près de Tokyo vivait un grand samouraï, déjà âgé, qui se consacrait désormais à enseigner le bouddhisme Zen aux jeunes. Malgré son âge, on murmurait qu’il était encore capable d’affronter n’importe quel adversaire.

Un jour arriva un guerrier réputé pour son manque total de scrupules. Il était célèbre pour sa technique de provocation: il attendait que son adversaire fasse le premier mouvement et, doué d’une intelligence rare pour profiter des erreurs commises, il contre-attaquait avec la rapidité de l’éclair.

Ce jeune et impatient guerrier n’avait jamais perdu un combat. Comme il connaissait la réputation du samouraï, il était venu pour le vaincre et accroître sa gloire.

Tous les étudiants étaient opposés à cette idée, mais le vieux Maître accepta le défi.

Ils se réunirent tous sur une place de la ville et le jeune guerrier commença à insulter le vieux Maître. Il lui lança des pierres, lui cracha au visage, cria toutes les offenses connues – y compris à ses ancêtres.

Pendant des heures, il fit tout pour le provoquer, mais le vieux resta impassible. A la tombée de la nuit, se sentant épuisé et humilié, l’impétueux guerrier se retira.

Dépités d’avoir vu le Maître accepter autant d’insultes et de provocations, les élèves le questionnèrent :

– Comment avez-vous pu supporter une telle indignité ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas servi de votre épée, même sachant que vous alliez perdre le combat, au lieu d’exhiber votre lâcheté devant nous tous ?

– Si quelqu’un vous tend un cadeau et que vous ne l’acceptez pas, à qui appartient le cadeau? demanda le samouraï.

– À celui qui a essayé de le donner, répondit un des disciples.

– Cela vaut aussi pour l’envie, la rage et les insultes, dit le Maître. Lorsqu’elles ne sont pas acceptées, elles appartiennent toujours à celui qui les porte dans son cœur.

 

Origine inconnue –

Trouvé sur le blog :  http://facile-a-lire.fr/