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Un seul élan suffit

Elan de la vie

Après des années de recherche ardente, de quête intense, survient cet instant tant espéré où nous nous éveillons… Ce moment immobile, hors du temps, vient rendre réel ce que nous avons appris, compris, et dissout pour toujours les « comment » et les « pourquoi ». Nous portons alors un regard amusé et tendre sur ce cheminement spirituel créé par notre mental…

Pendant plus de trente ans, j’ai cherché les signes du sens de ma vie, de la Vie, chez les philosophes, les poètes, les mystiques chrétiens, soufis, bouddhistes, shivaïtes. Leurs mots faisaient vibrer quelque chose blotti au fond de mon être, qui attendait d’être reconnu. Je remercie tous ces éclaireurs qui furent comme des balises tout au long de ce trajet mental vers le but que je m’étais fabriqué, et qui s’est évanouit à l’instant où…

Chercher, oui… étudier les textes sacrés, rencontrer des sages authentiques, méditer pour que l’esprit différenciateur devienne transparent, se mettre en situation de recevoir, d’être aidé, dans une attitude humble, dans l’effacement de soi, ouvre les vannes de la compréhension profonde.

Compréhension qui passe par le mental, bien sûr, un mental vif, efficient, sensible, pénétrant, qui prépare à la perception de ce qui est au-delà du connu, au-delà de tout image, de tout concept dualisant. Comprendre n’est pas contrôler, s’efforcer, appliquer une volonté érigée en citadelle, car alors c’est le mental qui prend les rênes.

Se préparer, oui… dégager l’accès à l’espace lumineux et paisible, à l’instant cosmique où la Vérité sera vue par Elle-même, en Elle-même. La préparation n’est pas un remplissage de savoirs, une acquisition de moyens et d’exercices qui ne feraient que renforcer l’attachement à d’apparents progrès.

C’est au contraire une mort perpétuellement renouvelée, qui nous engage dans un état d’attention recueillie, dans la pleine conscience de ce qui surgit puis se résorbe. Si nous observons sans répit, intensément, la seule réalité qui soit, celle vécue au présent à travers les évènements, les situations, les rencontres, nos propres désirs s’évanouissent peu à peu.

Nous renonçons à l’effort, à la volonté personnelle, pour laisser les choses se faire d’elles-mêmes, dans une détente qui est la seule vraie libération. Nous accueillons avec simplicité ce qui est proposé, libres d’engendrer le monde dans sa diversité indivisible, au sein de notre espace indifférencié.

Nous sommes alors en conscience, à chaque instant, dans l’essence de la vie. Celle-ci se révèle en sa plénitude à travers son mouvement. Nul besoin d’exercices pour l’atteindre… Nulle possibilité de moyens pour révéler ce par quoi la voie existe… Tout est bien. C’est la vie qui s’expérimente elle-même dans le champ de la conscience immuable. C’est une même Conscience qui interroge et qui répond…

Tout est voie, à l’intérieur de notre propre conscience, à l’intérieur du Tout cosmique. Tout est voie… sans voie, car tout procède de la conscience. Dans l’instant de notre mise en marche, sans distance, pour aller de soi à Soi, dans chaque pas de notre quête immobile, se trouve ce que nous cherchons. Il n’y a aucune séparation. La source jaillissante de la vie est exactement là où nous sommes en conscience.

Reconnaissant l’évidence, la paix s’installe, champ d’accueil indispensable à la soudaine réalisation de notre véritable nature. Enfin vide de désir, de représentation, de tout appui, ne reste que le silence, dans un espace totalement ouvert et libre. Alors la conscience se saisit d’elle-même dans un saut hors du temps, dans un bond à l’intérieur de soi, par l’effet de la seule grâce. « Rien d’autre qu’un élan nu vers Dieu en Soi-même ». Un seul élan suffit…

Nicole Montinéri

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S’insérer dans le flux de la vie

Flux de la vie

Il n’y a rien que le moi puisse faire, si ce n’est s’insérer dans le flux de la vie, accueillir le mouvement, consentir au changement. Dans ce lent processus d’effacement, il s’allège du poids des désirs innombrables après lesquels il court et qui ne donnent à l’existence que le sens qu’amène leur satisfaction.

Car c’est cette entité en perpétuelle attente de plaisirs qui fait paraître les événements agréables ou douloureux en fonction de ses aspirations et qui crée les réactions émotionnelles en corrélation.

La voie des désirs – y compris celui de se débarrasser de l’ego – est la même que celle de la souffrance.

Tout est lié : nos souffrances sont centrées sur le moi et sa recherche permanente de plaisirs, sur cette image que chacun de nous crée de peur de n’être rien. Il nous faut découvrir qui est ce moi, suivre ses méandres compliqués, pénétrer ses voies contradictoires, comprendre que sa poursuite sans fin de tant de désirs est la quête dramatiquement faussée du sens véritable de la vie.

Aussi longtemps que nous construisons notre existence autour de la recherche et de la jouissance de plaisirs sensuels, matériels et spirituels, nous souffrons.

Si nous parvenons à comprendre qui est ce paquet de souvenirs qui s’accroche aux expériences agréables et donne vie à toutes les projections, la souffrance se dissoudra d’elle-même.

Observer et comprendre ce moi revient à découvrir les racines de la souffrance.

Elles ne sont pas à rechercher à l’extérieur, contrairement à ce que nos habitudes mentales nous poussent à faire. La souffrance vient du moi, c’est lui qui est à l’origine de cette manifestation.

Même si nous sommes persuadés que nous sommes innocents chaque fois que nous souffrons, même si nous croyons que nos tourments sont apportés par les expériences désagréables qui surviennent dans notre destinée, la souffrance ne vient jamais de l’extérieur.

Aucun dieu, aucune religion, aucun enseignant spirituel ou psychothérapeute ne peut donc nous en libérer. La souffrance disparaît d’elle-même lorsque le moi, ce centre qui se condamne lui-même aux tourments en refusant obstinément tout ce qui peut contrarier ses désirs, est compris.

Tant que tu ne te libéreras pas de ton vouloir, tu auras beau fuir, tu retrouveras partout obstacles et inquiétudes , dit Maître Eckhart.

Extrait de Déraciner la souffrance de Nicole Montinéri

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Monté aux cieux

Après avoir confessé la résurrection du Christ, le Symbole de la foi poursuit avec ces mots : « Qui est monté aux cieux et siège à la droite du Père ».

Giotto Scrovegni Ascension

Qu’entendons-nous par l’ascension du Christ au ciel ? Il est particulièrement important de nous arrêter sur le sens de ce terme que les détracteurs de la foi commentent sans scrupule : selon eux, les chrétiens ont conservé une vision primitive d’un ciel pour ainsi dire « physique », en quelque sorte un lieu dans l’univers où siège Dieu.

En réalité, cette approche n’a rien de commun avec la signification et la perception chrétienne du mot « ciel ». Évidemment, le terme a été emprunté à la symbolique courante, répandue dans toutes les cultures, et en ce sens il faut l’analyser par analogie avec des mots tels que « haut » et « bas », « large » ou « étroit » etc. Car lorsque nous disons d’une action qu’elle est « basse » ou que nous parlons d’un « haut fait », il est évident que l’on ne parle pas de situation spatiale, mais qu’il s’agit d’une estimation morale et spirituelle de ces actions.

Ainsi le mot « ciel », dans le langage de presque tous les peuples, avait en plus de son sens « naturel », une signification symbolique, spirituelle : il renvoyait à quelque chose de grand, de pur, d’illimité. Dans ses représentations originelles du monde et du cosmos l’homme prenait ce symbole à la lettre. La cosmologie primitive divisait l’univers en trois parties : le ciel, la terre, l’enfer. Tout naturellement, ce qui était sain, divin, élevé se trouvait au ciel, tandis que ce qui était mauvais, coupable, terrifiant se situait en enfer.

Dans notre expérience physique du monde, le ciel est un « élément » splendide, lumineux, éthéré. Mais cette cosmologie n’a aucun rapport avec le christianisme, comme l’attestent les paroles de l’apôtre Paul qui appelle les chrétiens à « penser à ce qui est dans les cieux et non pas à ce qui est terrestre », ou encore comme dans cette exclamation de saint Jean-Chrysostome : « que me vaut le ciel puisque je deviens moi-même ciel ? »

Ainsi, toute tentative pour accuser les chrétiens de primitivisme ou de superstition naïve et anti-scientifique dans leur usage du mot « ciel » est une démarche non seulement inadéquate, mais malhonnête.

Or ce mot, ce symbole, a, sans aucun doute une signification capitale dans la foi chrétienne. Il suffit de se reporter au récit de la Genèse. La Bible s’ouvre sur ces mots : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Le ciel, pour les chrétiens, n’est pas un autre monde mais une réalité qui lui est inhérente : il est, en quelque sorte, sa dimension verticale, spirituelle. Le ciel représente la pureté, la grandeur : c’est ce que le christianisme appelle chez l’homme son esprit, son âme.

Les incroyants, les matérialistes nient l’existence de toute réalité spirituelle ici-bas. Pour eux, tout s’explique en partant de la matière, de lois purement physiques, impersonnelles.

Pour un croyant ce n’est pas la terre, la matière, qui permet de comprendre le ciel, mais inversement le ciel qui révèle la terre et ce qui est terrestre, et qui donne un sens à la vie. Selon la foi chrétienne, l’homme créé à « l’image et à la ressemblance divine » est le réceptacle du ciel sur terre. Il a été doté de raison, possède une conscience : par conséquent, il a le pouvoir d’accéder à la connaissance et de discerner le bien.

Il est pourvu d’un esprit, et a donc la possibilité de concevoir la beauté, la perfection. Mais l’homme dans sa liberté, peut se détacher de ce qui est céleste en lui, et décider de vivre uniquement de ce qui est terrestre, ou pour parler en termes imagés, il peut abaisser son regard, diriger sa vision spirituelle et son cœur vers le bas. C’est cela que le christianisme appelle le péché, la chute.

Le christianisme croit et affirme que le Christ est venu nous sauver précisément du péché, de cette chute, de cette rupture avec le ciel.

Par sa venue dans le monde, par son « incarnation », le Christ nous a de nouveau révélé « le ciel sur la terre », une manière de vivre tournée vers le haut, vers Dieu, c’est-à-dire vers tout ce qui est pur, sublime, bon, vrai et beau, vers tout ce que l’homme avait rejeté dans sa volonté de réduire la vie aux seules réalités terrestres.

Le Christ nous a fait découvrir le ciel, Il nous a indiqué que le sens de la vie doit être une élévation, une ascension, une force, une vérité. Il a rempli non seulement toute la terre de la perfection céleste, mais aussi l’enfer, pour reprendre la symbolique primitive.

Le Christ est descendu sur terre. Il est descendu aussi dans la mort. Mais avec le Christ, en Lui, le ciel fut restitué à l’homme dans sa mort comme dans sa vie. Il lui fraya le chemin de la victoire sur tout ce qui est uniquement terrestre et qui devait s’achever  sur les ténèbres désespérantes de la mort.

Ayant tout accompli, le Christ « est monté aux cieux ». Cela signifie que dans le Christ l’homme est associé à la vérité céleste : il retourne vers Dieu, vers la connaissance de Dieu, vers l’unique et véritable vie éternelle. Chaque fois que nous affirmons dans le Symbole de la foi qu’ « Il est monté aux cieux » nous parlons non seulement du Christ mais aussi de nous-mêmes.

Si nous croyons en Christ, si nous sommes avec Lui, alors nous aussi nous sommes au ciel, ou du moins, notre foi, notre esprit, notre amour sont dirigés vers le ciel, vers le Christ, vers Dieu. Nous percevons le ciel comme notre vie véritable et dès lors notre vie terrestre devient riche de sens, se remplit de joie car en Christ elle s’est élevée et s’est transformée en une ascension. 

Alexandre Schmemann
Vous tous qui avez soif, Entretiens spirituels, Paris, YMCA-Press/F.X. de Guibert, 2005
http://vivrecestlechrist.hautetfort.com/

 

Le Grand Inquisiteur II

Duccio di Buoninsegna. Maestà. Tentation du Christ sur la montagne. c. 1308-1311

Suite de https://tarotpsychologique.wordpress.com/2015/04/28/le-grand-inquisiteur-i/

Ainsi Tu as Toi-même préparé la ruine de Ton empire et Tu ne dois en accuser personne. Et pourtant était-ce cela qu’on T’avait proposé ? Il y a sur la terre trois forces qui seules peuvent soumettre à jamais la conscience de ces faibles insurgés, et cela pour leur bien, — ce sont : le miracle, le mystère et l’autorité. Tu les as écartées toutes trois.

Le terrible et malin esprit T’a placé sur le faîte du temple et T’a dit : « Veux-Tu savoir si Tu es le Fils de Dieu, jette-Toi en bas, car il est dit de Lui que les anges le prendront avant qu’il ne touche la terre, et qu’il ne Lui arrivera aucun mal. Tu sauras alors si Tu es le Fils de Dieu et Tu prouveras quelle est Ta foi dans Ton Père. » Après avoir entendu ces paroles, Tu as repoussé la proposition et Tu ne t’est pas jeté en bas du temple.

Oh, sans doute, Tu as agi en cette circonstance avec la sublime fierté d’un dieu, mais les hommes, cette race d’impuissants révoltés, sont-ce des dieux ? Tu as compris alors qu’au moindre pas, au premier mouvement fait pour Te jeter en bas du temple, Tu tenterais Dieu aussitôt, Tu perdrais Ta foi en lui, et Tu Te briserais sur le sol que Tu étais venu sauver, ce qui remplirait de joie l’esprit tentateur.

Mais, je le répète, y a-t-il beaucoup d’êtres comme Toi ? Et as-Tu pu admettre un seul instant que les hommes seraient capables de résister à une pareille tentation ? La nature humaine a-t-elle été créée telle qu’elle puisse repousser le miracle et se contenter de la libre décision du cœur dans ces terribles moments de la vie où les questions les plus fondamentales et les plus poignantes se posent devant l’âme ?

Oh ! Tu savais que Ton héroïque détermination serait conservée dans les livres, qu’elle parviendrait au plus lointain des âges et aux dernières limites de la terre, et Tu espérais qu’en T’imitant, l’homme aussi resterait avec Dieu sans avoir besoin du miracle. Mais Tu ignorais que, sitôt que l’homme repousse le miracle, il repousse du même coup Dieu, car il cherche moins Dieu que le miracle.

Et comme l’homme n’est pas de force à se passer de miracles, il en produit une foule de nouveaux qui sont son œuvre, il s’incline devant les prodiges des magiciens, devant les enchantements des sorcières, fût-il cent fois révolté, hérétique et athée. Tu n’es pas descendu de la croix quand on Te criait par dérision : « Descends de la croix, et nous croirons que c’est Toi ». Tu n’es pas descendu, toujours parce que Tu ne voulais pas asservir l’homme par le miracle, parce qu’il Te fallait une foi libre et non arrachée au moyen du merveilleux.

Tu désirais un amour libre et non les transports serviles d’un esclave devant la puissance qui l’a terrifié une fois pour toutes. Mais ici encore Tu T’es fait une trop haute idée des hommes, car ce sont des esclaves, quoiqu’ils aient été créés rebelles. Regarde et juge, voilà que quinze siècles se sont écoulés, jette les yeux sur eux : qui as-Tu élevé jusqu’à Toi ? Je le jure, l’homme a été créé plus faible et plus bas que Tu ne le pensais !

Peut-il, peut-il accomplir ce que Tu as accompli ? Ayant pour lui tant d’estime, Tu as agi comme si Tu avais cessé de compatir à ses misères, car Tu as trop exigé de lui, — Toi pourtant qui l’as aimé plus que Toi-même ! L’estimant moins, Tu aurais moins exigé de lui et Tu lui aurais ainsi donné une plus grande marque d’amour, car son fardeau eût été plus léger. Il est faible et lâche. Qu’importe que maintenant il s’insurge partout contre notre autorité et s’enorgueillisse de sa révolte ?

C’est l’orgueil d’un enfant et d’un écolier. Ce sont de petits enfants qui se soulèvent contre leur pion et le mettent à la porte de la classe. Mais la mutinerie de ces gamins aura un terme, elle leur coûtera cher. Ils renverseront les temples et ensanglanteront le sol. Mais ces enfants imbéciles finiront par comprendre que tout en étant des révoltés, ils sont des révoltés impuissants, incapables de supporter leur propre révolte.

Versant de sottes larmes, ils sentiront enfin que celui qui les a créés rebelles a voulu sans doute se moquer d’eux. Ils diront cela dans leur désespoir et cette parole sera un blasphème qui les rendra encore plus malheureux, car la nature humaine ne supporte pas le blasphème et, au bout du compte, elle-même le châtie toujours. Ainsi l’inquiétude, la perplexité et le malheur, — voilà le partage actuel des hommes après que Tu as tant souffert pour leur liberté ! Ton grand prophète, dans sa vision allégorique, dit qu’il a vu tous ceux qui avaient part à la première résurrection et que, pour chaque génération, ils étaient douze mille.

Mais s’il y en avait tant, c’étaient, pour ainsi dire, des dieux et non des hommes. Ils ont porté Ta croix, ils ont vécu des dizaines d’années dans un désert aride et nu, se nourrissant de sauterelles et de racines, — et, certes, Tu peux avec orgueil montrer ces enfants de la liberté, du libre amour, qui ont volontairement, magnifiquement fait abnégation d’eux-mêmes en Ton nom.

Rappelle-Toi pourtant qu’ils n’étaient que quelques milliers et que c’étaient presque des dieux, mais le reste ? Est-ce leur faute, aux autres, aux faibles humains, s’ils n’ont pas pu supporter la même chose que les forts ? Est-ce la faute de l’âme faible si elle n’est pas capable de renfermer des dons si terribles ? Et se peut-il que réellement Tu ne sois venu que pour les élus ?

S’il en est ainsi, il y a là un mystère et nous ne pouvons le comprendre. Mais si c’est un mystère, nous aussi avions le droit de prêcher le mystère, d’enseigner aux hommes que l’important n’est ni l’amour, ni la libre décision de leurs cœurs, mais le mystère, auquel ils doivent se soumettre aveuglément, même à l’encontre de leur conscience. C’est aussi ce que nous avons fait. Nous avons corrigé Ton œuvre et l’avons fondée sur le miracle, le mystère, et l’autorité.

Et les hommes se sont réjouis d’être de nouveau conduits comme un troupeau et de se voir enfin arracher du cœur le présent fatal qui leur avait causé tant de souffrances. Parle, avons-nous eu raison d’enseigner et d’agir de la sorte ? Se peut-il que nous n’aimions pas l’humanité, nous qui avons eu de sa faiblesse une conscience si émue, nous qui avons affectueusement allégé son fardeau, nous qui, par égard pour sa fragile nature, l’avons même autorisée à pécher, pourvu qu’elle nous en demandât la permission ?

Et pourquoi gardes-Tu le silence, pourquoi Te bornes-Tu à fixer sur moi le regard pénétrant de Tes doux yeux ? Fâche-Toi, je ne veux pas de Ton amour, parce que moi-même je ne T’aime pas. Et pourquoi me cacherais-je de Toi ? Ne sais-je pas à qui je parle ? Ce que j’ai à Te dire T’est déjà connu, je lis cela dans Tes yeux. Et je Te cacherais notre secret ?

Peut-être veux-Tu précisément l’entendre de ma bouche, eh bien, écoute : Nous ne sommes pas avec Toi, mais avec lui, voilà notre secret ! Il y a longtemps déjà, il y a huit siècles que nous ne sommes plus avec Toi mais avec lui. Depuis juste huit siècles, nous avons reçu de lui ce que Tu avais repoussé avec indignation, ce dernier don qu’il T’a offert, en Te montrant tous les royaumes terrestres : nous avons reçu de lui Rome et le glaive de César et nous nous sommes déclarés les seuls maîtres de la terre, quoique jusque présent nous n’ayons pas encore pu achever entièrement notre œuvre.

Mais à qui la faute ? Oh, cette affaire n’en est qu’au début, mais elle est commencée. Son achèvement se fera encore longtemps attendre et la terre souffrira encore longtemps, mats nous atteindrons notre but, nous serons Césars, et alors nous penserons au bonheur universel des hommes.

Et pourtant, Toi aussi, Tu aurais pu alors prendre le glaive de César. Pourquoi as-Tu refusé ce dernier don ? En acceptant le troisième conseil du puissant esprit, Tu aurais fourni à l’homme tout ce qu’il cherche sur la terre, savoir : devant qui s’incliner, à qui remettre sa conscience et enfin comment s’unir pour ne former tous ensemble qu’une même fourmilière, car le besoin de l’union universelle est le troisième et dernier tourment des hommes.

Toujours l’humanité dans son ensemble a tendu à l’unité mondiale. Il y a eu plusieurs grands peuples, dont l’histoire a été glorieuse, mais ces peuples ont été d’autant plus malheureux qu’ils se sont élevés plus haut, car ils sentaient plus fortement que les autres le besoin de l’union universelle des hommes. Les grands conquérants, les Timour et les Gengis-Khan ont parcouru la terre comme un ouragan dévastateur, mais eux aussi, sans en avoir conscience, exprimaient cette même tendance du genre humain vers l’unité.

Moretto da Brescia, Le Christ au désert, vers 1450,

En prenant le monde et la pourpre de César, Tu aurais fondé l’empire universel et donné la paix à toute l’humanité. Car à qui appartient-il de régner sur les hommes, sinon à ceux qui sont maîtres de leur conscience, et dans les mains de qui se trouvent leurs pains ? Nous avons aussi pris le glaive de César ; ce faisant, sans doute, nous T’avons repoussé et nous sommes allés à lui.

Oh ! il se passera encore des siècles de libertinage intellectuel, de science et d’anthropophagie, car après avoir commencé par élever leur tour de Babel sans nous, ils finiront par l’anthropophagie. Mais alors aussi la bête s’approchera de nous en rampant, léchera nos pieds et les arrosera de larmes sanglantes. Et nous nous assiérons sur la bête, et nous élèverons en l’air une coupe, et sur cette coupe sera écrit : « Mystère ! »

Mais aussi alors, alors seulement commencera pour les hommes le règne de la paix et du bonheur. Tu T’enorgueillis de Tes élus, mais Tu n’as qu’une élite, tandis que nous donnerons le repos à tous. Et que dis-je ? Même parmi cette élite, parmi ces forts qui auraient pu devenir des élus, combien se sont à la fin fatigués de T’attendre, combien ont porté et porteront encore sur un autre terrain les forces de leur esprit et la chaleur de leur cœur, combien finiront par lever contre Toi-même leur libre drapeau !

Mais c’est Toi-même qui as arboré ce drapeau. Avec nous, tous seront heureux, ils cesseront de se révolter et de s’exterminer les uns les autres, comme ils le font partout avec Ta liberté. Oh, nous leur persuaderons qu’ils ne seront libres que du jour où ils auront déposé leur liberté entre nos mains. Eh bien, en parlant ainsi, mentirons-nous ou dirons-nous la vérité ? Eux-mêmes se convaincront de la vérité de nos paroles, car ils se rappelleront à quelles terreurs d’esclaves, à quelles perplexités Ta liberté las a conduits.

L’indépendance, la libre pensée et la science les égareront dans de telles ténèbres, les placeront devant de tels prodiges, devant des énigmes si insolubles, que, parmi eux, plusieurs, les indociles et les farouches, mettront eux-mêmes fin à leurs jours, d’autres, indociles mais faibles, s’égorgeront mutuellement, et le reste, le troupeau des lâches et des malheureux se traînera à nos pieds en criant : « Oui, vous aviez raison, vous seuls possédiez son secret, et nous revenons à vous, sauvez-nous de nous-mêmes ».

Sans doute, lorsqu’ils recevront de nous des pains, ils verront clairement que ces pains obtenus par leur effort, nous les leur prenons pour les leur partager, sans aucun miracle ; ils verront que nous n’avons pas changé des pierres en pains ; mais ce qui, en vérité, leur fera plus de plaisir que le pain même, ce sera de le recevoir de nous ! Car ils se souviendront fort bien qu’autrefois, sans nous, le pain qu’ils s’étaient procuré se changeait dans leurs mains en pierre, et ils remarqueront que depuis leur retour à nous ces pierres dans leurs mains redeviennent des pains.

Ils apprécieront une fois pour toutes l’importance de la soumission ! Et tant que les hommes n’auront pas compris cela, ils seront malheureux. Qui, dis-moi, a le plus contribué à cette inintelligence ? Qui a divisé le troupeau et l’a dispersé dans des chemins inconnus ? Mais le troupeau se reformera, il rentrera dans l’obéissance et ce sera pour toujours. Alors nous donnerons aux hommes un bonheur tranquille et humble, le bonheur qui convient à de faibles créatures.

Oh ! Nous leur persuaderons aussi de ne pas s’enorgueillir, car Tu les as élevés et par là Tu leur as enseigné l’orgueil ; nous leur prouverons qu’ils sont faibles, qu’ils ne sont que de chétifs enfants, mais que le bonheur des enfants est plus doux que tout autre. Ils deviendront timides, ils tiendront leurs yeux fixés sur nous et, dans la frayeur, se serreront contre nous, comme des poussins s’abritent sous l’aile de leur mère.

Ils éprouveront devant nous de l’étonnement, de la terreur, et penseront, non sans fierté, que nous sommes bien forts et bien intelligents pour avoir pu dompter tant de millions de rebelles invétérés. L’appréhension de notre colère les fera trembler, leurs esprits seront craintifs, leurs yeux pleureront aisément, comme ceux des enfants et des femmes ; mais avec quelle facilité, sur un signe de nous, ils passeront à la gaieté, au rire, à la joie sereine et enfantine !

Oui, nous les forcerons à travailler, mais, dans leurs heures de loisir, nous leur organiserons une vie comme un jeu d’enfants, avec des chansons, des danses, des chœurs innocents. Oh ! nous leur permettrons même le péché, ils sont faibles et débiles ; ils nous aimeront, comme des enfants, parce que nous leur permettrons de pécher. Nous leur dirons que tout péché, commis avec notre permission, sera racheté, et nous leur permettrons de pécher parce que nous les aimons ; quant au châtiment de ces péchés, eh bien, nous le prendrons sur nous.

Et ils nous adoreront comme des bienfaiteurs, parce que nous aurons pris devant Dieu la responsabilité de leurs fautes. Et ils n’auront rien de caché pour nous. Suivant qu’ils seront plus ou moins obéissants, nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes et leurs maîtresses, d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir, — et ils se feront une joie de nous obéir.

Les plus pénibles secrets de leur conscience, — tout, tout, ils viendront nous l’apporter, et nous déciderons tout, et ils accepteront notre décision avec allégresse, parce qu’elle les délivrera des cruels soucis qu’engendre aujourd’hui pour eux la nécessité de se décider librement et par soi-même.

Et tous seront heureux, tous ces millions d’êtres, sauf une centaine de mille qui les dirigera. Nous, en effet, nous, les dépositaires du secret, serons seuls malheureux. Les heureux enfants se compteront par milliers de millions et il y aura cent mille martyrs qui auront pris sur eux la malédiction de la connaissance du bien et du mal. Ils mourront paisiblement, ils s’éteindront doucement en Ton nom, et par-delà la tombe ils ne trouveront que la mort.

Mais nous conserverons le secret, et, pour leur bonheur même, nous les leurrerons d’une récompense éternelle dans le ciel. Car, à supposer même qu’il y ait quelque chose dans l’autre monde, certes ce n’est pas pour des êtres comme eux. On dit, on prophétise que Tu viendras, que Tu vaincras de nouveau, que Tu arriveras entouré de Tes élus, de Tes fiers héros, mais nous dirons qu’ils n’ont sauvé qu’eux-mêmes, tandis que nous avons sauvé tout le monde.

On dit que la fornicatrice assise sur la bête et tenant dans ses mains le mystère sera déshonorée, que les faibles se révolteront de nouveau, déchireront sa pourpre et mettront à nu son corps impur. Mais alors je me lèverai et je Te montrerai les milliers de millions d’heureux enfants qui n’ont pas connu le péché. Et nous qui, pour leur bonheur, aurons assumé leurs fautes, nous nous lèverons devant Toi et nous dirons : « Juge-nous, si Tu le peux et si Tu l’oses ».

Sache que je ne Te crains pas. Sache que moi aussi j’ai été dans le désert, que moi aussi je me suis nourri de sauterelles et de racines, que moi aussi j’ai béni la liberté donnée par Toi aux hommes, et que je me préparais à être compté au nombre de Tes élus, au nombre des puissants et des forts. Mais je me suis réveillé de ce rêve et je n’ai pas voulu me mettre au service d’une folie.

Je suis allé me joindre au groupe de ceux qui ont corrigé Ton œuvre. J’ai quitté les fiers et suis revenu vers les humbles pour faire le bonheur de ces humbles. Ce que je Te dis se réalisera et notre empire s’élèvera. Je Te le répète, demain Tu verras, sur un signe de moi, ce troupeau obéissant apporter des charbons brûlants au bûcher sur lequel je Te ferai périr parce que Tu es venu nous déranger. Si en effet quelqu’un a mérité plus que personne notre bûcher, c’est Toi. Demain je Te brûlerai. Dixi. »

Le Grand Inquisiteur est un récit contenu dans le roman  Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski. Traduction de Victor Derély
Texte établi par http://bibliotheque-russe-et-slave.com/index1.html

Le grand inquisiteur I

Il a désiré se montrer, ne fût-ce qu’un instant, au peuple, à cette multitude malheureuse, souffrante, plongée dans l’infection du péché, mais qui L’aime d’un amour enfantin. L’action se passe en Espagne, à Séville, à l’époque la plus terrible de l’Inquisition, lorsque chaque jour on faisait, pour la plus grande gloire de Dieu :
Des autodafés magnifiques de ces sacripants d’hérétiques.

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Oh, sans doute, ce n’est point la venue qu’il opérera, selon sa promesse, à la fin des temps, dans toute sa gloire céleste, et qui sera soudaine « comme l’éclair qui brille depuis l’Orient jusqu’à l’Occident ». Non, Il a voulu, ne fût-ce qu’un instant, visiter ses enfants, et Il a choisi justement le lieu où flambaient les bûchers des hérétiques.

Mû par son infinie pitié, Il vient encore une fois parmi les hommes, sous cette même forme humaine qu’il a revêtue durant trente-trois années quinze siècles auparavant. Il descend dans les « rues brûlantes » d’une ville méridionale où, la veille précisément, dans un « autodafé magnifique », en présence du roi, des grands, des chevaliers, des cardinaux et des plus charmantes dames de la cour, devant toute la population de Séville, le cardinal grand inquisiteur a brûlé en une seule fois près d’une centaine d’hérétiques ad majorem gloriam Dei.

Il apparaît modestement. Il ne cherche point à attirer l’attention, et voilà que — chose étrange — tous Le reconnaissent. Ce pourrait être une des plus belles pages du poème, si je parvenais à bien expliquer le pourquoi de cette reconnaissance. Le peuple entraîné vers Lui par une force invincible L’entoure, se presse sur son passage, se met à sa suite.

Silencieusement, il traverse les rangs de la foule avec un doux sourire qui exprime une infinie compassion. Un soleil d’amour embrase son cœur, ses yeux lancent des rayons de Lumière, de Science et de Force qui, en tombant sur les hommes, éveillent chez ceux-ci une réciprocité d’amour. Il leur tend les bras. Il les bénit ; de son contact, du contact même de ses vêtements se dégage une vertu curative.

Parmi les personnes présentes se trouve un vieillard, aveugle depuis son enfance. « Seigneur », s’écrie-t-il, « guéris-moi, et je Te verrai ! » Il tombe comme une écaille de ses yeux et l’aveugle Le voit. Le peuple pleure et baise la terre sur laquelle Il marche. Les enfants jettent des fleurs devant Lui, ils chantent et lui crient : « Hosannah ! » « C’est Lui, c’est Lui-même ! » répète tout le monde, « ce doit être Lui, ce ne peut être que Lui. »

Il s’arrête sur le parvis de la cathédrale de Séville au moment même où un petit cercueil blanc est porté dans le temple, au milieu des lamentations : dans cette bière ouverte repose une enfant de dix-sept ans, la fille d’un des notables de la ville. Le petit cadavre est couché sur des fleurs. « Il ressuscitera ton enfant », crie-t-on dans la foule à la mère en pleurs.

L’ecclésiastique venu à la rencontre du cercueil regarde d’un air étonné et fronce le sourcil. Mais soudain la mère éplorée de la défunte fait entendre sa voix : « Si c’est Toi, ressuscite mon enfant ! » s’écrie-t-elle, en se prosternant à ses pieds. Le cortège s’arrête, on dépose le cercueil sur le parvis, devant Lui. Il le considère avec une expression de pitié et une fois encore ses lèvres prononcent doucement : « Tâlipha Koumi — lève-toi, jeune fille ! »

La morte se soulève dans le cercueil, s’assied, sourit ; ses yeux s’ouvrent et elle promène autour d’elle un regard étonné. Elle tient dans les mains le bouquet de roses blanches avec lequel on l’a ensevelie. Le peuple est saisi de stupeur, on n’entend que des cris, des sanglots.

Et voilà que dans ce moment même passe tout à coup sur la place, près de la cathédrale, le grand inquisiteur en personne. C’est un vieillard presque nonagénaire, à la taille haute et droite, au visage d’une maigreur ascétique ; ses yeux sont profondément enfoncés dans leurs orbites, mais l’âge n’en a pas encore éteint la flamme.

Oh ! il ne porte plus maintenant le superbe costume de cardinal qu’il offrait hier à l’admiration du peuple, pendant qu’on brûlait les ennemis de l’église romaine, — non, dans l’instant présent il n’a sur lui que sa vieille et grossière soutane de moine.

Ses sombres collaborateurs et les estafiers du Saint-Office le suivent à distance respectueuse. Il s’arrête en face de la foule et observe de loin. Il a tout vu, il a vu qu’on déposait le cercueil aux pieds de l’Étranger, il a vu la résurrection de la jeune fille, et son visage s’est assombri. Il fronce ses épais sourcils blancs et son regard brille d’un éclat sinistre.

Il tend le doigt et ordonne aux estafiers de Le saisir. Sa puissance est telle, il a si bien habitué le peuple à lui obéir en tremblant, qu’aussitôt la foule s’écarte devant les sbires ; au milieu d’un silence de mort, ceux-ci mettent la main sur Lui et L’emmènent. La multitude, comme un seul homme, se courbe jusqu’à terre devant le vieil inquisiteur qui la bénit, silencieusement et continue son chemin.

Les estafiers conduisent le Captif à la prison de la Sainte-Inquisition où ils L’enferment dans une étroite et obscure cellule. La journée se passe ; arrive la nuit, une nuit de Séville, sombre, chaude, étouffante. L’odeur des lauriers et des citronniers remplit l’atmosphère. Au milieu des ténèbres, la porte de fer du cachot s’ouvre tout à coup, livrant passage au grand inquisiteur lui-même.

Une lampe à la main, le vieillard s’avance lentement. Il est seul, la porte se referme aussitôt sur lui. Il s’arrête à l’entrée et longtemps, pendant une ou deux minutes, il contemple le visage du Prisonnier. À la fin il s’approche doucement, pose la lampe sur la table et Lui parle :

— C’est Toi ? Toi ?

Mais, sans attendre la réponse, il se hâte de poursuivre :

— Ne réponds pas, tais-Toi. D’ailleurs, que pourrais-Tu dire ? Je sais trop bien ce que Tu dirais. Mais Tu n’as pas le droit d’ajouter quoi que ce soit à ce qui a été dit déjà par Toi auparavant. Pourquoi donc es-Tu venu nous déranger ? Car Tu es venu nous déranger, et Tu ne l’ignores pas. Mais sais-Tu ce qui arrivera demain ?

Je ne sais qui Tu es et ne veux pas savoir si Tu es Lui ou seulement son image, mais, quoi qu’il en soit, demain je Te condamnerai et Te ferai périr dans les flammes, comme le plus pervers des hérétiques ; et ce même peuple qui aujourd’hui a baisé Tes pieds, demain, sur un signe de moi, s’empressera d’apporter des fagots à Ton bûcher, — sais-Tu cela ? Oui, Tu le sais peut-être, ajoute-t-il d’un air pensif, en tenant toujours ses yeux attachés sur le visage de son prisonnier.

— Je ne comprends pas du tout ce que c’est que cela, Ivan, observa en souriant Aliocha qui jusqu’alors avait écouté sans rien dire : — est-ce une fantaisie, ou une erreur du vieillard, quelque impossible quiproquo ?

Ivan se mit à rire.

— Accepte la dernière hypothèse, si le réalisme contemporain t’a gâté à un tel point que tu ne puisses rien supporter de fantastique : tu veux que ce soit un quiproquo, va pour un quiproquo. D’ailleurs, c’est bien naturel, poursuivit-il avec un nouveau rire, — le vieillard est nonagénaire et son idée a pu le rendre fou depuis longtemps.

Il se peut que le prisonnier l’ait frappé par son extérieur. Enfin ce peut n’être qu’un pur délire, le rêve d’un vieillard de quatre-vingt-dix ans qui touche à sa dernière heure, et dont l’imagination est encore échauffée par le spectacle de la veille : l’autodafé de cent hérétiques. Mais, fantaisie ou quiproquo, qu’est-ce que cela nous fait ? Il n’y a ici qu’une chose importante, c’est que le vieillard parle et révèle à haute voix ce qu’il a tu pendant quatre-vingt-dix ans.

— Et le captif reste silencieux ? Il se borne à le regarder sans dire un seul mot ?

— Mais, dans tous les cas, Il doit se taire, reprit gaiement le narrateur. — Le vieillard même lui fait observer qu’il n’a pas le droit d’ajouter une syllabe à ce qui a déjà été dit. Si tu veux, c’est là le trait le plus fondamental du catholicisme romain, à mon avis, du moins : « Tout, dit-il, a été transmis par Toi au pape ; tout, par conséquent, appartient maintenant au pape, donc nous n’avons que faire de Ta présence, ne viens pas nous déranger ».

C’est dans ce sens que parlent et écrivent les jésuites. Moi-même j’ai lu cela dans leurs théologiens. « As-Tu le droit de nous annoncer un seul des secrets du monde d’où Tu es venu ? » — Lui demande mon vieillard, et il fait lui-même la réponse : — « Non, Tu n’en as pas le droit, puisque agir ainsi, ce serait ajouter à ce qui a été déjà dit auparavant et ôter aux hommes cette liberté dont Tu soutenais si ardemment la cause quand Tu étais sur la terre.

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Tout ce que Tu révélerais de nouveau porterait atteinte à la liberté de la foi chez les hommes, car cette révélation leur apparaîtrait comme un miracle, et autrefois, il y a quinze siècles, rien ne T’était plus cher que la liberté de leur foi. N’est-ce pas Toi qui alors disais si souvent : « Je veux vous rendre libres » ?

Mais voilà que maintenant Tu as vu ces hommes « libres », ajoute brusquement le vieillard avec un sourire méditatif. — Oui, cette affaire nous a coûté cher, continue-t-il en le regardant sévèrement, — mais enfin nous l’avons achevée, en Ton nom. Pendant quinze siècles cette liberté nous a donné bien du mal, mais à présent, c’est fini, bien fini. Tu ne le crois pas ?

Tu jettes sur moi un doux regard et Tu ne me fais même pas l’honneur de T’indigner ? Mais sache que jamais ces gens ne se sont crus plus complètement libres qu’aujourd’hui, et pourtant eux-mêmes nous ont apporté leur liberté et l’ont déposée humblement à nos pieds. Mais c’est nous qui avons fait cela ; était-ce cela, était-ce une pareille liberté que Tu voulais ? »

— Voilà encore une chose que je ne comprends pas, interrompit Aliocha, — il fait de l’ironie, il plaisante ?

— Pas du tout. Il considère précisément comme un mérite pour lui et pour les siens d’avoir enfin supprimé la liberté, en vue de rendre les hommes heureux. « Car maintenant pour la première fois (il parle, bien entendu, de l’époque où s’est établie l’inquisition) il est devenu possible de songer un peu au bonheur des hommes. L’être humain a été créé rebelle ; est-ce que des rebelles peuvent être heureux ? On T’avait prévenu, Lui dit-il.

Ce ne sont pas les avertissements et les conseils qui T’ont manqué, mais Tu ne les as pas écoutés. Tu as repoussé le seul moyen par lequel on pût rendre les hommes heureux ; mais, par bonheur, en T’en allant, Tu nous as légué la besogne. Tu as promis, Tu as donné Ta parole, Tu nous as conféré le droit de lier et de délier, et, sans doute Tu ne peux plus maintenant penser à nous retirer ce droit. Pourquoi donc es-Tu venu nous déranger ? »

— Et que signifient ces mots : « Ce ne sont pas les avertissements et les conseils qui T’ont manqué » ? demanda Aliocha.

— Tu vas le voir, la suite du discours l’explique :

« L’esprit terrible et intelligent, l’esprit de la négation et du néant, continue le vieillard, — le grand esprit T’a parlé dans le désert et les livres nous racontent qu’il T’a « tenté ». Est-ce vrai ? Et pouvait-on dire quelque chose de plus vrai que ce qu’il T’a annoncé dans les trois questions ou, pour employer le langage de l’Écriture, dans les trois « tentations » que Tu as repoussées ?

Si jamais il s’est accompli sur la terre un miracle authentique, foudroyant, c’est ce jour-là, le jour des trois tentations. Le fait seul que ces trois questions ont été posées est par lui-même un miracle. Admettons par simple hypothèse que ces trois questions du terrible esprit aient complètement disparu des livres, et qu’il faille les inventer, les imaginer de nouveau pour les y replacer ; supposons que dans ce but on réunisse tous les sages de la terre — hommes d’État, princes de l’Église, savants, philosophes, poètes, et qu’on leur dise : imaginez, composez trois questions qui non-seulement correspondent à la grandeur de l’événement, mais, de plus, expriment en trois mots, en trois phrases humaines, toute l’histoire future du monde et de l’humanité, — penses-Tu que ce congrès de toutes les intelligences de la terre pourrait inventer quoi que ce soit d’aussi fort et d’aussi profond que les trois questions qui T’ont été posées alors dans le désert par le puissant et intelligent esprit ?

Rien que d’après ces trois merveilleuses questions, on peut déjà comprendre que ce n’est pas à un esprit humain, contingent, que Tu as eu affaire, mais à l’esprit éternel, absolu. Car dans ces trois questions est, pour ainsi dire, condensée et prédite toute l’histoire ultérieure de l’humanité ; ce sont comme les trois formes dans lesquelles se concrètent toutes les insolubles contradictions historiques de la nature humaine sur toute la terre.

Alors cela ne pouvait pas être encore aussi évident, parce que l’avenir était inconnu, mais maintenant que quinze siècles se sont écoulés, nous voyons que tout a été si bien deviné et prévu dans ces trois questions, qu’on ne peut rien y ajouter, rien en retrancher.

Décide donc Toi-même qui avait raison : Toi ou celui qui T’a interrogé alors ? Rappelle-Toi la première question ; en voici le sens, sinon le texte : « Tu veux aller dans le monde et y aller les mains vides, promettant une liberté que dans leur bêtise et leur perversité innées ils ne peuvent même pas comprendre, dont ils ont une peur affreuse, — car pour l’homme et pour la société humaine il n’y a jamais rien eu de plus insupportable que la liberté !

Mais vois-Tu ces pierres dans ce désert aride et nu ? Change-les en pains, et l’humanité courra derrière Toi, comme un troupeau, reconnaissante et soumise, quoique tremblant toujours que Tu ne retires Ta main et que Tes pains ne lui soient ôtés. » Mais Tu n’as pas voulu priver l’homme de la liberté et Tu as repoussé cette proposition, car que deviendrait la liberté, as-Tu pensé, si l’obéissance était achetée par des pains ?

Tu as répondu que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais sais-Tu qu’au nom de ce même pain terrestre l’esprit de la terre se dressera contre Toi, qu’il Te livrera bataille, qu’il Te vaincra, et que tous le suivront en s’écriant : « Qui est semblable à cette bête ? Elle nous a donné le feu du ciel ! »

Sais-Tu que des siècles passeront et que l’humanité proclamera par la bouche de ses savants et de ses sages qu’il n’y a pas de crime et, par conséquent, pas de péché, qu’il n’y a que des affamés ? « Nourris-les et alors demande-leur des vertus ! » Voilà ce que la science et la sagesse humaine écriront sur le drapeau qu’elles lèveront contre Toi et par lequel Ton temple sera renversé.

À la place de cet édifice il s’en fondera un autre, une nouvelle tour de Babel qui, sans doute, ne sera pas plus achevée que ne l’a été la première, mais Tu aurais pu en prévenir l’édification et épargner aux hommes mille ans de souffrances, — car ils viendront à nous après avoir, pendant mille ans, peiné à construire leur tour !

Alors de nouveau ils nous chercheront sous terre, dans les catacombes où nous nous cacherons (car nous serons encore persécutés et martyrisés), ils nous trouveront et crieront vers nous : « Nourrissez-nous, car ceux qui nous avaient promis le feu du ciel ne nous l’ont pas donné ». Et alors nous achèverons leur tour, car celui-là l’achèvera qui les nourrira, et nous seuls les nourrirons, en Ton nom : nous leur dirons faussement que c’est en Ton nom.

Oh, jamais, jamais ils ne se nourriront sans nous ! Aucune science ne leur donnera du pain, aussi longtemps qu’ils resteront libres, mais, en fin de compte, ils déposeront leur liberté à nos pieds et ils nous diront : « Asservissez-nous, pourvu que vous nous donniez à manger ».

Eux-mêmes finiront par comprendre que la liberté est incompatible avec le pain terrestre en abondance suffisante pour chacun, parce que jamais, jamais ils ne sauront faire le partage entre eux ! Ils se convaincront aussi qu’ils ne pourront jamais être libres, attendu qu’ils sont faibles, vicieux, nuls et mutins. Tu leur as promis le pain du ciel, mais, je le répète, peut-il entrer en comparaison avec celui de la terre, aux yeux de la race humaine qui est faible, qui est éternellement vicieuse et ignoble ?

Et si, au nom du pain céleste, Tu attires à Toi des prosélytes par milliers et par dizaines de milliers, que deviendront ces millions, ces dizaines de millions, qui ne seront pas capables de mépriser le pain de la terre pour celui du ciel ? Ou bien n’aimes-Tu que les grands et les forts qui se comptent par dizaines de mille ; et les autres, nombreux comme les sables de la mer, ces êtres faibles mais qui T’aiment, les regardes-Tu seulement comme des matériaux pour les grands et les forts ?

Non, à nous les faibles aussi sont chers. Ils sont vicieux et insubordonnés, mais à la fin ils ne laisseront pas de devenir obéissants. Ils nous admireront et nous regarderont comme des dieux parce que, en nous mettant à leur tête, nous aurons consenti à supporter le poids de la liberté et à régner sur eux, — tant, à la fin, ils auront peur d’être libres !

Mais nous dirons que nous sommes Tes disciples et que nous régnons en Ton nom. Nous les tromperons encore, car nous ne Te laisserons pas approcher de nous. Dans cette imposture consistera notre souffrance à nous autres, attendu que nous devrons mentir.

Voilà ce que signifiait la première question dans le désert, et voilà ce que Tu as repoussé au nom de la liberté que Tu mettais au-dessus de tout. Et pourtant dans cette question était renfermé le grand secret de ce monde. En acceptant les « pains », Tu aurais répondu à l’éternelle et unanime préoccupation de l’humanité : — « devant qui s’incliner ? »

Il n’y a pas de souci plus constant et plus douloureux pour l’homme laissé libre, que de chercher au plus tôt un objet de vénération. Mais l’homme veut s’incliner devant ce qui est incontestable, devant ce qui réunit tous les humains dans un commun respect, car l’effort de ces lamentables créatures consiste à chercher non l’objet d’un culte particulier à moi ou à un autre, mais un être en qui tous croient, devant qui tous s’inclinent également.

Ce besoin de l’universalité dans l’adoration est le principal tourment de l’homme individuel aussi bien que de l’humanité tout entière depuis le commencement des siècles. C’est pour réaliser cette adoration universelle qu’ils se sont exterminés par le glaive. Ils ont créé des dieux et ils se sont dit les uns aux autres : « Abandonnez vos dieux et venez adorer les nôtres, sinon mort à vous et à vos dieux ! »

Et il en sera ainsi jusqu’à la fin du monde, et lorsque les dieux auront disparu de la terre, ce sera la même chose : l’humanité se prosternera devant des idoles. Tu savais, Tu ne pouvais ignorer ce secret fondamental de la nature humaine, mais Tu as repoussé le drapeau qu’on Te mettait dans la main et qui seul T’aurait assuré sans conteste l’hommage de tous les hommes, — le drapeau du pain terrestre ; Tu l’as repoussé au nom de la liberté et du pain céleste.

Regarde ce que Tu as fait ensuite. Et encore toujours au nom de la liberté ! Il n’y a pas, Te dis-je, de souci plus douloureux pour l’homme que de trouver à qui déléguer au plus tôt ce don de la liberté avec lequel vient au monde cette malheureuse créature.

Mais celui-là seulement s’empare de la liberté des hommes, qui tranquillise leur conscience. Le pain Te fournissait un drapeau incontestable. Devant celui qui lui donnera le pain, l’homme s’inclinera, parce qu’il n’y a rien de plus indiscutable que le pain ; mais si en même temps quelqu’un, en dehors de Toi, s’empare de la conscience humaine, — oh, alors l’homme abandonnera même

Ton pain pour suivre celui qui séduira sa conscience. En cela Tu avais raison. Car le secret de l’existence humaine ne consiste pas seulement à vivre, mais à avoir un motif de vivre. Si l’homme ne se représente pas fortement pourquoi il doit vivre, il ne consentira pas à vivre et se détruira plutôt que de rester sur la terre, lors même qu’il aurait autour de lui la plus grande quantité de pains. Tu as compris cela, mais quel parti as-Tu tiré de cette vérité ?

Au lieu de confisquer la liberté des hommes, Tu l’as rendue plus large encore ! Ou bien as-Tu oublié que l’homme préfère la tranquillité, la mort même, au libre choix dans la connaissance du bien et du mal ? Rien ne séduit plus l’homme que la liberté de sa conscience ; rien aussi ne le tourmente davantage.

Et voilà qu’au lieu de principes fermes, destinés à calmer la conscience humaine une fois pour toutes, Tu as pris tout ce qu’il y a d’extraordinaire, de conjectural, d’indéterminé, tout ce qui dépasse les forces des hommes, et, ce faisant, Tu as agi comme si Tu ne les aimais pas, Toi qui es venu donner Ta vie pour eux ! Au lieu de confisquer la liberté humaine, Tu l’as élargie et Tu as introduit pour toujours de nouveaux éléments de souffrance dans le domaine moral de l’homme.

Tu désirais que celui-ci T’aimât d’un libre amour, qu’il Te suivît librement, séduit, subjugué par Toi. Au lieu de la dure loi ancienne, il devait d’un cœur libre décider désormais lui-même ce qui est bon et ce qui est mauvais, n’ayant devant lui pour se guider que Ton image, mais comment n’as-Tu pas pensé qu’il finirait par repousser et par contester même Ton image et Ta vérité, s’il était chargé d’un fardeau aussi terrible que la liberté du choix ?

Ils s’écrieront à la fin que la vérité n’est pas en Toi, car il était impossible de les laisser dans l’embarras et dans la perplexité plus que Tu ne l’as fait, en leur léguant tant de soucis et de problèmes insolubles…

A suivre…

Le Grand Inquisiteur est un récit contenu dans le roman  Les Frères Karamazov  de Fiodor Dostoïevski. Traduction de Victor Derély
Texte établi par
http://bibliotheque-russe-et-slave.com/index1.html

Nous sommes malades de ne pas être ce que nous sommes vraiment

Energie

Suite de : https://tarotpsychologique.wordpress.com/2015/04/08/lintelligence-symbolique-du-corps/

N.C. : Il y a donc des universaux, mais savoir ce qu’une maladie exprime réellement est avant tout un travail de prise de conscience individuelle ?

O.S. : Oui. D’autant plus que la question n’est pas seulement de savoir quel problème vient signaler la maladie, quelle incohérence entre les différents niveaux de l’être elle dénonce. Il s’agit aussi de trouver le mouvement, en moi-même, qui est en difficulté : qu’est-ce qu’il faut travailler, faire évoluer, changer – ou ne pas changer ?

Beaucoup d’écrits, ces derniers temps, ont abordé le sens des maladies, mais ils nous limitent souvent à une vision animale « biologique » qui nous ramène au niveau physiologique de la survie. La question centrale – et spécifique à notre époque, me semble-t-il – est selon moi, plutôt celle-ci : qui parle quand je suis malade ?

Et quand nous guérissons, qui guérit ? Est-ce notre part animale qui cherche à survivre ? Ou notre histoire personnelle et notre héritage transgénérationnel ? Ou encore notre être essentiel, qui tient à s’exprimer au travers de tout cela et vient nous proposer une initiation ?

Je pense que nous sommes malades de ne pas être ce que nous sommes vraiment, de ne pas nous accomplir totalement. Le corps le supporte pendant un temps, puis il envoie des messages d’alarme. C’est ainsi qu’il faut comprendre la phrase de Jung : « Vous ne guérirez pas de vos maladies, ce sont vos maladies qui vous guériront. »

Tout se passe comme si à un endroit de nous se trouvait la conscience de ce que nous pouvons être, et quand nous nous en éloignons trop, cette conscience nous parle et nous fait tomber malade. J’appelle cela « le saint homme qui marche dans le symptôme » : quel accomplissement notre être profond vise-t-il ?

N.C. : Ce serait cela, le propre de l’humanité : chaque personne serait un psychosoma cherchant à écrire une histoire singulière sur une page blanche ?

O.S. : L’animal n’a rien, ou très peu, à écrire : il ne change pas dans le cadre d’une génération. Les pattes du kangourou ont mis des millions d’années à rétrécir. Il est lion ou souris, ni méchant ni gentil, il est comme ça, c’est tout. Vous connaissez l’histoire de l’homme qui se retrouve sur le point de se faire dévorer par un ours, et qui prie le Seigneur d’accorder des sentiments chrétiens à son agresseur ? Il voit alors l’ours faire le signe de croix et remercier Dieu… de lui avoir procuré un bon repas !

Un ours reste un ours et c’est normal. Ni bien, ni mal. L’être humain, lui, est libre, il peut remettre en question la justesse de ses actes, la pertinence de ses croyances. Je crois donc en l’idée (sartrienne ou chrétienne !) de la page blanche, qu’il faut cependant nuancer. L’être humain a une part libre, qu’il lui appartient d’écrire et qui lui permet d’avancer à l’intérieur de sa génération.

Cette part est communément appelée la liberté humaine ou libre arbitre. Cependant, dès la naissance, elle est partiellement envahie par les règles écrites par l’histoire et par les générations précédentes. L’homme a la mission personnelle de se réapproprier ces pages pour les changer ou les rechoisir et augmenter ainsi l’espace libre.

N.C. : Et au niveau collectif ? Les épidémies aussi seraient des « messages » ?

O.S. : Pour aborder le problème des épidémies, il faut parler des microbes, ces co-facteurs fondamentaux de la vie. Le microbe est à la fois ce qui va nous aider, nous confronter, nous tester, travailler pour nous. Prenons le staphylocoque, par exemple. Il est le gardien de la porte, défendant et testant notre intégrité en permanence.

Nous en avons plusieurs centaines de millions sur la peau, blancs ou dorés, qui interviennent dès que celle-ci est agressée par une coupure, une écharde, etc., provoquant une réaction, avec arrivée massive de globules blancs, création de pus, d’un abcès, jusqu’à élimination du corps étranger.

Qui se montre particulièrement sensible aux staphylocoques ? Les malades opérés, les enfants en réanimation néonatale, les adolescents en évolution sur leur image corporelle (l’acné, c’est du staphylo). De façon générale, le staphylocoque signale donc des problèmes d’intégrité. On comprend que symboliquement, il soit lié au père protecteur ou à la mère nourricière.

Et c’est un autre microbe, le streptocoque, qui est lié au père initiateur ou à la mère initiatrice. Car un enfant n’a pas seulement besoin d’être protégé, il lui faut aussi un parent initiateur, pour rencontrer la difficulté, la surmonter au prix d’une épreuve, et apprendre à se déployer – « strepto », en grec, signifie « plié ». Les rhumatismes articulaires aigus, certaines maladies cardio-vasculaires et rénales, sont des maladies à streptocoques.

Elles touchent l’axe fondamental rein-cœur des acupuncteurs : identité (rein) + amour (cœur), souvent en difficulté, surtout si l’on n’a pas pu déployer certaines parties de soi au travers d’expériences et avec l’aide d’une fonction d’initiation.

L’épidémie joue le même rôle de confrontateur que le microbe, mais à l’échelle de l’humanité, qu’elle vient confronter à un problème précis. La grippe, par exemple, vient régulièrement questionner chacun dans sa gestion des problèmes trangénérationnels. La peste noire, à la fin du Moyen-Âge, vient poser la question de l’amour et de l’indifférence, au moment où on entre dans l’individuation des êtres humains, sortant du groupe-masse où la vie n’a pas de valeur.

C’est la question du rat – la partie de nous-mêmes qui ne vit que pour soi : comment gérer une société d’individus ne vivant que pour eux-mêmes, si ce n’est par l’amour ? Camus décrit bien, au début de son livre La Peste, un monde de chacun vers soi. La tuberculose, massive au XIX° siècle, pose la question du changement de mode de vie : comment survivre dans des conditions nouvelles ? Ce problème se pose encore aujourd’hui, notamment aux émigrants.

N.C. : Vous pensez donc que ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, les épidémies s’attaquent au système immunitaire, au moment où l’individualisme est au programme ?

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O.S. : L’immunité, scientifiquement, c’est la définition même de l’identité : elle définit le soi et le non-soi. Les maladies auto-immunes traduisent comme une guerre civile intérieure entre les parties de moi. L’organisme s’est bâti de telle manière qu’une partie ne reconnaît pas l’autre et l’attaque.

Or, on se constitue par le contact avec l’autre, qui est souvent microbien. L’immunité est un soi qui se construit dans la réalité et la confrontation à la vie. L’évitement systématique des infections les plus bénignes, que l’on appelle aujourd’hui « l’hypothèse hygiéniste », risque de ne pas permettre à l’organisme de se trouver en situation de confrontation. Le soi immunitaire n’y retrouve plus ses petits. Si je reprends votre question, l’individualisme serait un soi isolé, sans confrontation et courant le risque de ne pas avoir de sens.

N.C. : Mais donner autant de sens aux maladies, n’est-ce pas très culpabilisant ?

O.S. : Quand on s’engage dans cette réflexion, on rencontre forcément le problème de la culpabilité et de la responsabilité. Parce qu’il n’a pas toute l’information, le malade tend à déléguer les responsabilités à ceux qui savent, le personnel médical, le médecin. La tentation est grande de se dire qu’il n’y a rien à comprendre.

Certaines personnes souhaitent ne pas aborder d’autres sens de la maladie, et la médecine répond parfaitement bien à leur demande dans sa prise en charge. Pour d’autres personnes, c’est psychologiquement et ontologiquement insatisfaisant. De plus, la véritable prévention, celle qui permettra un jour d’enrayer la progression des coûts médicaux, relèvera probablement d’une attention et d’un soin à soi-même, et à sa lignée.

Ce n’est pas une idée nouvelle, mais une idée à redécouvrir. Les Chinois en ont parlé il y a trois mille ans : « Attendre d’être malade pour se soigner, c’est attendre d’avoir soif pour creuser un puits. » On retrouve le problème de la connaissance dont nous avons parlé : si je peux l’entendre, elle me responsabilise, me donne une autre possibilité. Chacun doit pouvoir aller chercher le sens au fur et à mesure de son besoin, et de sa capacité à entendre pour ne pas être écrasé par la culpabilité – la médecine assurant, elle, le maximum de moyens techniques pour chacun et quoi qu’il en soit.

N.C. : Comment franchir le pas entre prendre conscience de quelque chose et vraiment l’intégrer, de manière opérationnelle ?

O.S. : Notre conscience est multiple, notamment dans notre cerveau, où coexistent : l’instinctif reptilien, le dominant/dominé paléolimbique, l’émotionnel néolimbique, qui agit de concert avec la part « officiellement consciente », le cortex. Au grand dam des cartésiens, tous ces niveaux, nos instincts, nos sensations, nos émotions, notre conscience réfléchie sont en interaction permanente ( L’erreur de Descartes, Pr. Antonio Damasio, éd. Odile Jacob, 1995.).

Il faut ici dépasser la classique séparation entre cerveau droit et gauche, intuition et raison. La vraie clef semble plutôt dans la partie antérieure des deux hémisphères : le préfrontal, où s’élaborent les processus les plus complexes.

C’est le siège de cette partie de nous qui sait avant que nous sachions, cette petite voix intuitive qui nous dit quand nous sommes sur la voie juste, qui nous fait faire des découvertes… et qui s’agite quand nous sommes angoissés, nous envoyant le signal que nous sommes en train de nous tromper, de nous mentir, de nous fourvoyer.

Mieux vaudrait alors l’écouter, plutôt que de la faire taire avec des tranquillisants, qui agissent à ce niveau en déconnectant le cerveau préfrontal. Mieux vaudrait développer celui-ci – car il existe des méthodes pour cela – plutôt que de saboter cette tête chercheuse par des injonctions comme « surtout ne fais pas plusieurs choses à la fois », « ne change pas tout le temps de sujet », etc.

L’humour, le jeu, la création spontanée nourrissent la conscience du préfrontal. Se laisser guider par ce qui arrive, écouter son intuition, découvrir des liens surprenants, voilà des démarches tout aussi créatrices et génératrice de solutions et de conscience. Car si l’ange habite en nous quelque part, c’est dans le préfrontal !

Entretien avec le docteur Olivier Soulier par Sylvain Michelet pour le magazine Clé

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Équilibre de l’âme, entre corps et esprit

Avant d’être un état physique défini comme « absence de maux », la santé peut se concevoir comme une cohérence entre nos actes et nos aspirations profondes. Au fil de centaines de consultations, Michel Odoul a élaboré une approche de cet équilibre de l’âme, entre corps et esprit.

Définir ce qu’est le corps d’un être humain me paraît inutile, car il est, en tant que réalité physique perceptible et tangible, connu de tous. Il est en revanche nécessaire de revenir sur les notions d’âme et d’esprit, sans entrer toutefois dans un discours théologique ou religieux.

Ce n’est ni mon propos, ni l’objectif de cet article qui vise à montrer comment la pratique thérapeutique peut s’inspirer d’une vision de l’être humain radicalement différente de celle qui a cours actuellement dans nos sociétés. L’âme comme l’esprit sont des champs subtils, qui se dérobent aux tentatives d’explication.

fille bulles

La différence entre les deux est pourtant essentielle. Avec l’âme, nous nous situons à un niveau subtil qui a toutefois une relation directe avec le corps, voire avec la psychologie. Source de la conscience individuelle, l’âme est cette partie de la psyché humaine que l’on peut associer au Soi, à ce que les orientaux qualifient de Maître Intérieur.

Sa particularité réside dans sa « verticalité », dans son essence céleste. Nous sommes ici très près du Chenn (esprit incarné), des orientaux. Troisième composante d’un être humain, l’esprit est en amont de l’âme, il est indissociable du champ spirituel. Il est à l’individu incarné ce que l’air de la surface est au scaphandrier en eau profonde : un monde aérien dans lequel il peut aller chercher de l’air, du souffle et s’en nourrir sans que cela ne coûte rien à personne.

L’esprit est la source de l’âme, l’océan cosmique des orientaux d’où sont issus tous les Chenn – les esprits incarnés. Il est la matrice de l’âme, qui reste reliée à lui comme une sorte de cordon ombilical.

L’harmonie naît de l’esprit qui est le champ de l’équilibre parfait, de l’homéostasie, et c’est pour cela que cette notion est purement spirituelle. Il ne s’agit pas de la perfection figurée par la sagesse béate d’un vieillard barbu, mais d’une notion d’harmonie et de cohérence. Dans cette proposition de vision du sujet, le corps devient la résonance de ces champs plus subtils qui le transcendent.

Il se conçoit comme le « véhicule » de cet esprit qui n’est relié à lui que par ce fil ténu, sensible et fragile qu’est l’âme. Il en est le champ exécuteur, réalisateur et en même temps l’interface qui à la fois exprime ce qui émane de l’esprit, et à la fois lui renvoie les informations résultantes de ce qui a été exécuté, incarné. C’est donc sans doute ainsi qu’il va être possible pour l’homme de percevoir si l’harmonie existe entre son corps (et ce qu’il en fait) et son esprit (et les aspirations qui en émanent).

Cartographie de l’âme et du corps

L’esprit est un état de référence à la fois très élevé et simple à percevoir. Il se traduit par une cohérence de l’individu entre ce qu’il est, ce qu’il fait, et le contexte dans lequel les événements se déroulent. La psychologie nous permet de le subodorer, puisque l’on constate que lorsque nos actes au quotidien sont en cohérence avec nos aspirations profondes au niveau inconscient, nous connaissons un état d’équilibre et d’harmonie.

Nous avons tous connu des phases dans notre vie où nous nous sommes sentis étonnamment bien, en prise avec le monde, en paix, en tranquillité. Ce sont des signatures de cette cohérence. Cela nous permet de mieux envisager quand la souffrance s’inscrit et pourquoi.

C’est lorsque ce lien de l’être humain « conscient » avec sa source, son essence la plus subtile et la plus noble (inconsciente et à laquelle il n’a pas directement accès), se tend, se tord voire se coupe que l’individu ressent au plus profond de lui et dans son corps, cette rupture. Si l’âme est coupée de l’esprit, l’être humain est lui aussi perdu car il a rompu son lien avec la vie.

Il entre en survie, ou plutôt en survivance. Les maladies ou les souffrances que nous ressentons nous disent que notre âme est vrillée, tordue ou nouée. Le rôle du praticien est alors, à partir du type de tension qui existe au niveau corporel, d’identifier le type de distorsion de l’âme qui lui correspond.

« Il y a une cartographie relationnelle entre les zones du corps et les zones de l’âme»

Pensons à tous ces moments où l’on est dans sa vie à côté de ce qu’on devrait être et faire. Lorsque nous n’avons pas agi en notre âme et conscience, ne ressentons-nous pas un malaise ? Et ce malaise a une conséquence et une réalité physiologique. Répété, le comportement finit non seulement par s’inscrire dans le corps, mais par le léser, et en particulier les zones corporelles en relation avec cette structure particulière de l’âme.

En cela, l’âme est comparable à la colonne vertébrale. Selon la zone de la myéline qui est lésée, c’est telle ou telle partie du corps qui ne fonctionnera pas bien. De la même façon, selon le pan de l’âme qui a été blessé de façon répétitive, des conséquences physiologiques se produiront dans telle ou telle partie du corps.

Prenons l’exemple d’un événement vécu comme une trahison ou un abandon. Ces notions s’imprègnent dans la structure profonde de la personne. Sur le plan psychique et sur un plan plus spirituel, cela signifie qu’on ne peut plus s’appuyer sur celui ou celle qui a trahi. Les jambes, qu’on utilise pour aller vers les autres, et leur point d’appui, les hanches et le bassin, sont en résonance avec cela.

Lorsqu’on est amené à soigner des personnes qui ont des problèmes de hanche – arthrose, douleur etc. – il est troublant de constater qu’elles font souvent émerger un vécu de trahison et d’abandon. Il y a donc une cartographie relationnelle entre les zones du corps et les zones de l’âme. Nous sommes là en présence d’un système non pas magique, mais biochimique, qui fait le lien et l’interface entre ce qui passe dans les structures de l’âme et dans la réalité corporelle.

Insight

En thérapie, dans toute la phase de l’entretien, de la discussion, le rôle du praticien va être de décoder les tensions physiques, d’aider le patient à donner sens à ce qui lui arrive, et de le reconnecter avec ce qui est élevé et subtil en lui. C’est une méthodologie qui défroisse l’âme, même si elle peut amener parfois à donner sens à la pire des erreurs.

L’enjeu pour le patient, c’est d’avoir ce qu’on appelle en psychologie un « insight », ou dans les religions « une révélation », ce moment de reconnexion avec le sens que recouvre la douleur physique en fonction d’un comportement qu’on a eu.

Au bout de cinq ans de pratique de l’aïkido, je me suis mis à avoir mal aux poignets. Je ne comprenais pas pourquoi, j’avais de plus en plus mal et je continuais à pratiquer. Jusqu’au jour où je ne pus plus tenir et serrer les partenaires. Fait troublant : comme je ne pouvais plus les tenir et les serrer, mes techniques marchaient mieux ! Et là, j’ai eu un moment d’insight, de compréhension : mon corps me disait que dans mon rapport à la vie, j’avais tendance à trop serrer les choses, croyant que je pourrais ainsi les maîtriser.

Deux ans de tendinite aux poignets ont disparu en une semaine ; ça a été un effet de type
« révélation ». Ce sont des phases privilégiées, même si elles sont douloureuses, où l’on sent que l’on respire mieux, que l’on est plus léger. On s’est en fait reconnecté à quelque chose de plus aérien, on s’est en quelque sorte re-verticalisé.

En consultation, les gens ont souvent les larmes aux yeux à ce moment-là. Il est capital, car il sort le patient de la posture de victime et le rend acteur de la transformation. Il sait qu’il ne pourra s’éviter la souffrance liée à la distorsion que s’il change de comportement. A lui de voir de quelle manière et à quel rythme il peut le faire.

Signatures d’acceptation

La notion d’esprit est également importante dans les techniques énergétiques, en particulier lorsqu’on travaille sur le champ qualitatif le plus élevé. En médecine traditionnelle chinoise, un certain nombre de points sur tous les méridiens permettent de travailler non pas la quantité d’énergie mais sa qualité, sa dynamique ou valeur fréquentielle.

Moine lotus

Ce champ du qualitatif se subdivise en deux champs. L’un a trait au qualitatif basique et simple : par exemple, on va cadrer une présence de feu excessive qui se traduit par une sorte de tension émotionnelle. Dans un deuxième champ plus sophistiqué, on peut travailler sur ce que je qualifie de « signatures d’acceptation ».

Ce type de travail consiste à amener l’individu à accepter ce qui se joue dans son corps pour le reconnecter avec la dimension élevée de lui-même. Sans pour autant ignorer le symptôme, la nécessité de « lutter contre » lui est alors dépassée, au profit de sa compréhension dans une perspective globale.

Ce niveau d’action incroyable rejoint une notion majeure dans la médecine chinoise évoluée, non symptomatique : le ciel ordonne et la terre exécute. Cela signifie que c’est du subtil que vient la racine des choses. Ce qui se passe dans le dense, dans le manifesté, est l’exécution d’un «ordre» qui a émané du subtil.

Comme dans toute structure, lorsque l’exécutant n’exécute pas les ordres, il y a une tension. Dans cette perspective, la capacité de sens est cruciale. Elle suppose de prendre la chose telle qu’elle est, de l’accueillir au plus profond de soi. C’est la capacité de se distancier, parce qu’on va lui donner du sens, de quelque chose qui peut être une horreur.

En réunifiant l’être, la question du sens ramène un nouveau souffle dans nos âmes et nos esprits. Elle reconstitue le lien avec le causal, rendant ainsi au phénoménal sa juste place, celle de
« conséquence ». La question du sens, enfin, pacifie l’être, voire le soigne, comme je le crois profondément et comme le pensait aussi par exemple Victor Frankl, père de la « logothérapie » ou thérapie par le sens, tirée de son expérience de survie dans les camps nazis.

Combien de fois ai-je vu en consultation des cancéreux en phase terminale me dire : « J’ai parfaitement compris que je n’avais pas d’autres moyens de m’en sortir. » La personne sait qu’elle a été capable de rouvrir les connexions entre ces champs physiques dans lesquels elle souffre, qui vont peut-être la perdre, et des champs plus subtils dans lesquels manifestement une pacification a eu lieu.

Lorsque quelqu’un sait, au plus profond de lui-même, qu’il va vers la mort, il n’a ni envie, ni besoin de mensonge. La vérité transpire par tous les pores de la peau, par le regard, par le comportement. Et quand on travaille sur le corps de telles personnes, c’est extrêmement bouleversant, car c’est l’occasion de leçons de vie absolument incroyables. Jusqu’au dernier moment, la personne est capable de vous regarder sereinement dans les yeux, de vous parler, voire de se préoccuper plus de vous que d’elle…

La liberté contre la sécurité

Dans nos vies, nous avons réduit notre champ de conscience parce que nous sommes en état de survie, voire de survivance. Autrefois, durant les moments de prière, de méditation, on arrivait à faire un peu de silence en nous, pour que des informations venant de zones un peu plus profondes puissent émerger.

Aujourd’hui, le silence n’existe plus dans nos vies. La seule issue dans ces moments-là, c’est que quelque chose se mette à hurler en nous. Ça fait alors très mal. Plus on veut avancer dans la connaissance de soi, plus une grille minimale de lecture de la symbolique du corps va être nécessaire.

Mais en amont de cela, on peut résoudre 80 % des situations en s’arrêtant simplement quelques minutes lorsqu’on a une tension, une maladie ou une souffrance, et en se posant la question :
« de quoi cela me parle-t-il dans ma vie ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Pas lorsqu’on se fait une petite entaille en épluchant un oignon bien sûr ! Mais si on attrape froid trois fois de suite, on a mal au dos, on se met à avoir des migraines de façon répétitive, on se cogne plusieurs fois au même endroit, on a un accident, on se casse quelque chose.

« L’enjeu de cette réflexion sur le corps, l’esprit et l’âme, c’est de mener sa vie différemment »

RochersL’enjeu de cette réflexion sur le corps, l’esprit et l’âme, c’est de mener sa vie différemment, et de laisser des espaces libres et souples en nous où elle puisse s’exprimer. Nous sommes dans des sociétés et des cultures dans lesquelles tout est risque. On dit même que «ça risque de marcher»!

Il y a un virus de l’insécurité et de la peur. La perte du lien avec l’âme et l’esprit se traduit dans un domaine précis de nos vies, qui signe indéniablement la perte de confiance dans la vie et induit la tentation, la recherche absolue de sécurité. Or, on a constaté une chose : plus on est dans le mouvement, dans la liberté, dans l’autonomie, plus les choses qui en apparence apportent de l’insécurité, libèrent en fait la réalité physique, ce qui a pour conséquence une diminution des pathologies.

C’est en fonction de la manière dont l’individu aménagera des espaces de respiration dans sa vie qu’il instaurera un champ de liberté. La peur qui terrorise les individus parce que leur champ conscient est devenu dominant est la peur de la mort. La mort étant la fin du conscient, elle semble être aussi la fin de la vie.

Pourtant, fuyant la mort à tout prix, on l’instaure dans le vivant. Comment donner un sens à la vie sans donner un sens à la mort et dépasser ainsi l’image sclérosante du néant qui lui est associée ? Ne pourrait-on envisager, en cohérence avec ce qui précède, que la mort ne soit pas la rupture du lien, ni l’inverse de la vie, mais plutôt l’inverse de la naissance et un retour aux sources ?

Michel Odoul

 

L’éternelle danse du yin et du yang

Oiseau de feu

Suite de https://tarotpsychologique.wordpress.com/2015/03/31/homme-interieur-femme-interieure/

— Bert : vous parlez aussi du fait de faire descendre l’esprit dans le corps.

— Marion : C’est exact. C’est un peu difficile à expliquer. Si vous regardez un bébé lorsque sa mère entre dans la pièce, tout son corps frémit. Pas que la tête, le sourire et les mains. Le corps tout entier est impliqué. Il me semble que dans notre société, nous sommes coupés de la réponse cellulaire. C’est bloqué. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’adolescents parlent de « se renfermer ». En fait ils se coupent du corps.

Mais dans ce cas la vie devient vite ennuyeuse. Vous ne voyez pas la beauté de l’automne avec le corps tout entier. Vous ne sentez pas, ne goûtez pas, ou même ne voyez pas de tout votre être. Vous expérimentez seulement avec la tête. Mais vivre quelque chose depuis la tête diffère totalement de l’expérience que l’on en fait avec le corps.

— Bert : les médias se moquent des « mouvements masculins » qui utilisent beaucoup le tambour. Les hommes qui l’utilisent disent que c’est une façon de quitter le monde de l’esprit et d’être en contact avec leurs sentiments. Ils sentent la puissance et le rythme dans leur corps. Que pensez-vous du tambour ?

— Marion : je l’utilise systématiquement dans le travail avec les femmes pour les mêmes raisons. Si vous jouez du tambour pour devenir plus conscient, c’est très, très puissant. Si vous utilisez le tambour pour voyager dans l’inconscient, c’est une autre histoire.

Mais cela est vrai quand vous faites l’amour, quand vous mangez, ou pour toute autre activité instinctuelle. Vous pouvez être dans l’inconscience, engloutir la nourriture, sans en être conscient. Vous êtes endormi. Vous pouvez vous endormir en jouant du tambour, et continuer dans un état de transe.

Ou vous pouvez battre le tambour en toute conscience. Vous pouvez devenir totalement vivant si vous percevez vraiment le pouls de la terre, le pouls des autres. Et vous sentez vraiment la présence de l’esprit dans le tambour. Non seulement votre tambour, mais le tambour de chacun, qui vibre du même esprit.

— Bert : C’est ce qui se passe au Wisdom Council quand 200 hommes sont dans la même pièce.

— Marion : Absolument. Le tambour vous emmène sur un plan transcendant. Tout le monde est habité par le même esprit. C’est parfois très puissant. La première fois que cela m’est arrivé, j’étais électrisée. Je me sentais épuisée et sentais que je ne pouvais pas continuer. Et la personne à côté de moi a frappé le tambour exactement au même instant que moi, mais dans une tout autre énergie.

Et nous avons pris conscience que l’ensemble du groupe avait évolué de la même façon. Et quelque chose de complètement différent s’est produit. Vous y contribuez, je suis sûr que c’est quelque chose que vous connaissez. C’est particulièrement vrai dans la nature, quand vous percevez le pouls de la terre à travers le rythme.

— Bert : J’aimerais parler un peu de votre livre, The Ravaged Bridegroom.

— Marion : Je voudrais souligner que le titre du livre est The Ravaged Bridegroom : ravagé, pas ravi. Le sous-titre de Addiction to Perfection est « The Still Unravished Bride. » (l’épouse non encore ravie). Et il y a une énorme différence, Bert. J’ai été critiquée pour n’avoir pas fait ressortir le côté positif dans The Ravaged Bridegroom. Cela n’apparaît que dans le dernier chapitre. Mais ce que je dis, c’est que le masculin est tellement ravagé chez les femmes, qu’il leur faut le voir.

Nous ne pouvons parvenir au ravissement, qui est la pleine acceptation de l’amour, tant que nous n’avons pas travaillé le côté ravagé. Ce sont deux significations totalement différentes. Ravir,  c’est faire l’amour jusqu’au moment de la transcendance. Mais ravager, c’est détruire. Vous ravagez une ville. J’ai choisi ce mot exprès. Vous voyez, un époux ravagé ne peut pas ravir une épouse.

Ce que je mets en avant dans The Ravaged Bridegroom c’est l’agonie du masculin chez les femmes. Je fais ce que je peux avec les femmes pour guérir le masculin. Les hommes tentent de guérir le masculin en eux-mêmes, je le sais. Ce que je dis, c’est que tant qu’hommes et femmes ne trouvent pas la vierge enceinte en eux-mêmes, ne guérissent pas le féminin et le masculin en eux-mêmes, ils ne pourront pas goûter au mariage intérieur.

— Bert : Je dois avouer que la subtilité de la distinction m’avait échappé.

— Marion : Je pense qu’il est très important que nous ne perdions pas de vue ces subtilités. C’est cela que nous travaillons aujourd’hui, et non l’aspect grossier des grandes questions. Je pense que c’est l’une des énormes difficultés pour les féministes qui regardent les mouvements masculins.

Elles ne comprennent pas la différence entre l’archétype de la mère et la mère personnelle. Par conséquent, elles pensent que les hommes dénigrent la mère personnelle. Mais ce n’est pas du tout ce qu’ils dénigrent. Ils dénigrent le côté négatif de la mère archétypale.

— Bert : L’un des thèmes principaux dans The Ravaged Bridegroom est le « soul-making ». Le livre contient une description des plus succinctes de la relation entre l’âme et l’esprit que je n’aie jamais vue. L’âme est ce qui nous manque dans ce monde mécanisé et spécialisé qui nous empêche d’être des êtres humains à part entière. L’âme est la médiation entre l’esprit et le corps; c’est à travers l’âme que nous amenons l’esprit dans le corps. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

— Marion : cela rejoint un grand nombre de choses dont nous avons déjà parlé. Pour moi, l’âme est la partie éternelle qui vit dans le corps. Elle vit dans les limites des cinq sens, et utilise ce que l’on vit à travers les cinq sens pour créer de la poésie, écrire de la musique, pour danser. Tous les arts naissent à travers l’âme.

Mais si vous êtes un danseur, et que vous avez travaillé très très dur pour que votre corps adopte la parfaite posture, que vos muscles soient puissants, et que vous êtes vraiment en mesure de laisser passer votre âme à travers la danse, souvent quelque chose se produit qui vous électrise. Par exemple, la musique pénètre votre corps, ou vous sentez l’esprit s’installer. Et vous êtes dansé.

Ou, si vous êtes un écrivain, il y a un moment où vous avez fait tout ce que vous pouviez pour développer votre technique, mais vous ne faites encore que des gribouillis en provenance de l’ego. Si l’esprit vient, cela s’écrit à travers vous.

C’est vrai pour n’importe quel art. C’est pour moi le mariage intérieur : le moment où l’âme et l’esprit se rencontrent. L’âme a fait tout ce qu’il fallait pour se préparer, mais il faut encore l’esprit pour passer vraiment au niveau transcendant. L’ego est considérablement élargi, et dans une autre dimension.

— Bert : Si on n’est pas consumé par le processus.

— Marion : C’est une possibilité.

— Bert : Dans The Ravaged Bridegroom vous évoquez une violoncelliste qui entre dans votre bureau, sourit et dit « Trop d’esprit ». Puis elle joue un morceau. Et vous voyez un lien, qu’elle n’avait pas vu auparavant, entre sa compétence technique, et l’âme et l’esprit à travers elle.

— Marion : Elle jouait du Wagner, nuit après nuit. Chaque soir, avec le violoncelle, elle percevait l’énergie de la musique wagnérienne, qui passait directement à travers son corps. Et son corps allait vers l’épuisement professionnel en raison de l’intensité du rythme archétypal. Elle a discipliné son corps et son ego pour être en mesure de prendre le pouvoir sur cette musique. Il faut une force énorme pour s’ouvrir à l’autre côté.

— Bert : Vous parlez de force physique et de la force de l’ego.

— Marion : et de force d’âme.

— Bert : Contrairement, par exemple, à Keats, terrassé par l’Oiseau de feu à 25 ans.

— Marion : Oui, c’est vrai. Mais il avait aussi la tuberculose. Son corps ne pouvait pas supporter ce qui lui arrivait. Mais, oui, la plupart des romantiques ont été consumés vers la trentaine. La même chose s’est produite avec les femmes. Regardez Sylvia Plath, Anne Sexton ou Emily Brönte. Elles aussi ont été consumées par l’Oiseau de feu. L’énergie qui les habitait était plus qu’elles n’en pouvaient supporter.

Je pense aussi que lorsque l’on entre en contact avec l’autre côté, il est parfois difficile d’en revenir. Certains scientifiques disent qu’Albert Einstein a vu la formule de Dieu et est devenu un avec elle. Ou regardez les derniers quatuors de Beethoven. Beethoven est vraiment dans l’autre dimension. Vous pouvez percevoir cela en les écoutant. Vous entrez dans un espace d’où vous avez du mal à revenir. Il y a cependant des moments où il est juste de composer avec cela. Mais uniquement au moment opportun.

— Bert : Du point de vue de Robert A. Johnson (point de vue traditionnel jungien), l’âme est féminine, chez l’homme et la femme. Ça ne me parle pas. On dirait que le féminin est le pont vers l’âme d’un homme, et le masculin est la porte de l’âme pour les femmes, mais que l’âme est un équilibre yin-yang entre masculin et féminin. A quel point suis-je largué ?

— Marion : Je ne me soucie pas trop des catégories, Bert. A mon avis, et je pense que Robert Johnson serait d’accord, l’âme est le réceptif, cette part de réceptivité qui peut s’ouvrir à l’esprit. Je pense que si vous considérez l’âme comme yin et yang à la fois, vous devez aussi considérer l’esprit à la fois comme yin et yang. Ensemble ils forment un microcosme, celui du Dieu et de la Déesse. En d’autres termes, l’individu a en lui un microcosme, relié au macrocosme du Dieu et de la Déesse dans une étreinte divine.

— Bert : Dans la danse.

Marc Chagall Cantique-des-cantiques-I

— Marion : Dans la danse, oui. Mais je garderai aussi en tête que le yin contient en lui une part de yang, et que le yang contient du yin en lui. Il doit y avoir un peu de yang dans le yin pour que le féminin puisse s’affirmer. Ils évoluent constamment dans une danse.

Les deux sont nécessaires pour que le féminin découvre le masculin dans son entier et que le masculin fasse l’expérience du féminin dans son entier. Que l’on danse ou que l’on fasse l’amour, il faut que le féminin active sa part masculine pour que le féminin s’ouvre en l’homme. Cela se poursuit, dans une ronde, de sorte que chacun goûte à la totalité de lui-même.

— Bert : Parvenir simultanément à la totalité de soi et se perdre dans l’autre à la fois.

— Marion : C’est ça. Momentanément. Ou mieux encore, se dépasser soi-même, ce qui nous ouvre à un autre niveau de conscience.

— Bert : Dans l’histoire d’Ivan et de l’Oiseau de feu, dans la série On Men and Women, Ivan découvre l’improbable maison de Baba Yaga qui tourne sur une patte de poulet. Il dit : « Arrête, comme lorsque ton père était en vie. » L’image qui me vient, c’est que la maison est votre conteneur, c’est là où vous habitez. Baba Yaga était une sorcière parce que, son père étant mort, sa vie tournait à la folie. Pouvez-vous évoquer pour nos lecteurs le rôle que jouent les pères pour leurs filles ?

— Marion : C’est certainement un des enjeux qui m’est le plus cher. La relation au père peut ou bien construire ou bien détruire une jeune fille. Si le père n’est pas présent, s’il s’est fait tuer à la guerre, s’il est ivre, ou divorcé, ou quoi que ce soit d’autre, elle peut l’idéaliser à un point tel qu’elle ne peut se tourner vers d’autres hommes, parce qu’elle se met à penser : « Si seulement papa était là, tout irait bien. »

Elle se tourne vers les hommes pour que tout soit parfait. Naturellement, ils ne peuvent la satisfaire. Alors, elle devient amère, toujours à la recherche de la perfection que son père, à ce qu’elle croit, pourrait apporter. Comme vous le disiez à propos de Baba Yaga, l’énergie peut être contenue, et la maison peut cesser de tourner sur sa patte de poulet quand il existe une énergie masculine suffisamment puissante pour la contrôler.

C’est une chose plutôt rare dans notre culture, trouver ce genre de force capable d’arrêter cette énergie qui tourne en boucle. C’est ce dont nous parlions tout à l’heure, le tourbillon d’énergie qui veut tout balayer.

— Bert : Le perfectionnisme.

— Marion : Oui. L’énergie qui veut encore abattre d’autres arbres, avaler plus de nourriture, acheter plus de choses dans les magasins, regarder davantage la télévision, c’est un tourbillon. Tout va si vite que les gens ne peuvent pas s’arrêter. Mettre fin à ce tourbillon requiert une autorité intérieure qui permet de se dire : « Assieds-toi, reprends-toi, et médite. » Le corps doit aussi être apaisé et rééquilibré de cette façon. Combien de personnes sont capables de faire cela au sein de ce tourbillon ?

— Bert : Si l’on continue sur le sujet père-fille, la fille atteint l’adolescence, sa sexualité et sa beauté s’épanouissent. Le père, qui la tenait autrefois sur ses genoux, l’embrassait et la serrait dans ses bras, semble avoir du mal à composer avec sa fille et peut parfois démissionner.

— Marion : Je pense que cette séparation est normale. Et cela nous ramène maintenant à la raison pour laquelle les hommes doivent travailler de leur côté, de même que les femmes, avant de se retrouver à un tout autre niveau. Une fille qui découvre sa féminité naissante se comportera avec son père d’une façon très différente.

Elle ne peut plus être aussi ouverte parce qu’elle a maintenant affaire à un être également tourné vers la sexualité. Naturellement, cela la fait reculer. Dans des circonstances normales, elle se retirerait dans la compagnie d’autres femmes jusqu’à ce qu’elle puisse avoir confiance dans sa propre féminité. Mais il est rare dans notre culture d’avoir cette opportunité. De la même façon, pour les garçons, le père doit rester présent.

Si le père ressent une attirance sexuelle envers la fille, il doit le reconnaître. S’il le fait, sa fille ne le percevra pas à un niveau inconscient, et elle est donc libre. De même, si la mère reconnaît consciemment ce qui est, elle libère son fils. Elle n’a pas besoin de l’évoquer, juste à en être consciente.

— Bert : Cela évoque le travail sur l’ombre.

— Marion : C’est un travail sur l’ombre, oui. Un gros travail sur l’ombre. Je pense que cela rejoint ce que nous évoquions au tout début. Le travail sur l’ombre doit se faire chez les hommes, et il doit se faire chez les femmes, pour prendre conscience des énergies enfouies dans le corps. Une fois qu’elles sont acceptées et reconnues comme leur appartenant, les gens n’ont plus à craindre l’autre sexe.

— Bert : Le travail sur l’ombre est exactement ce qui doit se produire dans le travail entre personnes du même sexe.

— Marion : C’est juste. Et lorsqu’ils se retrouvent, quelque chose de totalement différent se produit. Parce que chacun peut percevoir sa propre ombre. Ou, comme vous le disiez plus tôt, ils n’ont plus de difficulté à accepter leurs propres appétits parce qu’ils font partie d’eux. Et vous savez que, si vous composez avec cela consciemment, cela ne sera pas hors contrôle.

— Bert : Donc si un homme parle de l’avidité d’une femme ou de sa cupidité, elle ne réagira pas immédiatement en le niant farouchement et en se fâchant. Parce qu’elle reconnaît qu’il dit juste. Il peut donc dire : « Je peux t’aimer malgré cela, te respecter et me relier à toi. Je vois que c’est là, mais je ne te condamne pas en tant que totalité. »

— Marion : Oui. Je pense que, de nos jours, l’un des plus grands problèmes entre les hommes et les femmes qui travaillent vraiment dur, c’est que les femmes tentent d’aller vers ce que je appelle leur propre virginité — c’est-à-dire la femme véritable — parce qu’elle est qui elle est. Je n’utilise pas le mot « vierge » dans le sens de chaste, mais plutôt : « Voilà qui je suis. J’ai travaillé, j’ai tenu mon journal, j’ai travaillé sur mon corps, j’ai travaillé dur pour accepter mon propre système de valeurs. »

— Bert : Vous avez dit quelque chose d’autre, aussi, dans votre livre, que la vierge est une femme qui a préparé son corps pour donner naissance à l’enfant divin.

— Marion : Tout à fait. Cet enfant divin, vous voyez, c’est la nouvelle conscience. Mais ce qui se passe en termes de relations humaines, c’est que souvent la femme se tourne vers l’homme qui l’aime et dit : « Voilà ce que je pense. » Et ce n’est peut-être pas du tout ce que l’homme pense ou ressent ; de son côté, il peut sentir que cela vient de la méchante sorcière, de la mauvaise mère. Et il le perçoit une fois encore comme la même vieille rengaine. Il a travaillé tellement dur pour faire face à ce côté de lui-même, et la voilà qui le lui ressert de nouveau.

Je pense qu’il est vraiment très important de reconnaître la différence entre la voix de la vierge et celle de la mauvaise mère. Je n’aime plus utiliser le mot « sorcière ». C’est le mot utilisé dans les contes de fées pour décrire cette sombre énergie en lien avec Baba Yaga qui terrassera toujours un homme.

Mais la voix de la vierge est beaucoup plus calme ; elle dit : « Tu sais, je suis différente de toi. Ce sont mes sentiments et mes pensées. Oui, ils sont différents des tiens. Nous n’allons pas nous entendre là-dessus. Mais tout va bien. » Je pense qu’il y a beaucoup d’hommes découragés et en colère lorsqu’ils sentent cela poindre chez une femme.

— Bert : L’expression de la différence est perçue comme une expression de défiance ?

— Marion : Oui. Je pense que les femmes qui ont travaillé dur sur elles-mêmes ne sont pas le moins du monde concernées par le défi. Ce qui les intéresse, c’est de s’en tenir à leur propre réalité, que cela convienne à leur partenaire ou pas.

— Bert : Du côté des hommes, il y existe une tendance à réprimer nos propres sentiments ou nos désirs pour devenir ce que l’on pense que les femmes veulent que l’on soit. Les hommes devraient également se dire : « C’est que je pense, c’est ce que je ressens, voilà où j’en suis. »

— Marion : Oui. En d’autres termes, ils doivent aussi cultiver leur propre vierge. Les deux sexes doivent passer par le développement du masculin et du féminin. Je pense que beaucoup d’hommes se sentent emprisonnés par la mère, et quand les femmes s’expriment de cette voix de vierge, ils pensent que c’est encore un de ces vieux trucs. Mais cela n’a rien à voir avec cela, c’est quelque chose de nouveau.

— Bert : Une des choses qui commencent à se produire dans certains cercles du Wisdom Council est que les hommes qui étaient en colère contre leur père sont à présent en colère contre leur mère. Dans The Ravaged Bridegroom, vous décrivez ce qui s’est produit dans l’un des ateliers de Robert Bly sur la Grande Mère, lorsque vous avez demandé ce qu’évoquait le mot « mère ». Les femmes ont répondu des choses comme « sûr » et « nourrir ». Les hommes restaient silencieux. Vous les avez questionnés, et tout le monde a été choqué par ce qu’ils ont répondu :
« castration », « domination ».

— Marion : Les femmes ne pouvaient pas croire ce qu’elles entendaient ! Mais ces sentiments doivent sortir. Et il doit y avoir un espace suffisamment accueillant et sûr pour qu’ils puissent s’exprimer. C’est à ce niveau-là, je pense, que beaucoup d’entre nous sont en difficulté dans les groupes.

Le contenant n’est pas assez solide pour un amour transcendant. Cela demande un amour immense pour faire tenir ensemble ces polarités. Je pense que nous devons avoir des rituel au début, au milieu et à la fin, afin de faire tenir les contraires ensemble. Je ne vois pas d’autres moyens pour qu’ils puissent tenir ensemble.

— Bert : Je pense que vous avez raison sur ce point. J’apprécie le temps que vous m’avez consacré. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire à nos lecteurs ?

— Marion : Simplement qu’il est vraiment important de prendre ce temps. Mon objectif est de maintenir la vitalité du dialogue entre les sexes et d’essayer d’aller vers un tout nouvel espace. Je suis donc honorée de parler avec vous.

— Bert : Et je suis honoré que vous parliez ainsi avec moi  et nos lecteurs.

Interview de Marion Woodman par Bert H. Hoff
Article original, « Inner Man, Inner Woman, an interview with Marion Woodman », est publié sur le site http://www.menweb.org/woodman.htm

Traduction française : Michèle Le Clech

 

 

Équinoxe de printemps : S’ouvrir à l’équilibre

mégalithe

A travers l’Histoire

S’il est vrai que l’on accordait une grande importance aux solstices et que, dans certaines régions, l’équinoxe d’automne ait été très bien considéré, il peut paraître étonnant que l’équinoxe de printemps ait été presque oubliée. Toutefois, cette période de l’année n’est pas complètement dénuée de fêtes.

Dans le calendrier anglo-saxon, Il n’y a pas moins de 3 jours « saints » au mois de mars. Saint David au pays de Galles le 1er mars, Saint Patrick en Irlande le 17, et le « Lady Day », le jour de la Sainte Vierge le 25 mars. Concernant cette dernière fête, il se pourrait qu’elle soit la résurgence d’un festival qui se serait perdu avec le temps, et qui était centré autour d’une ancienne déesse avant que la fête juive de Pâques instaurée par le christianisme, ne devienne la principale célébration au printemps.

Là encore, il pourrait y avoir un lien avec une tradition plus ancienne car la fête de Pâques est célébrée à la première lune après l’équinoxe de printemps, tout comme les anciens peuples Germains qui célébraient la déesse lunaire Ostara à cette date.

En Irlande, des monuments mégalithiques mettent en évidence que l’équinoxe de printemps a été célébré bien avant l’arrivée des tribus celtes. Le plus connu des temples mégalithiques de l’ancienne Irlande qui sont orientés sur les équinoxes, est Knowth qui se trouve près de Newgrange. Knowth possède un long passage qui permet au premier rayon du soleil, le matin de l’équinoxe de printemps et d’automne, d’atteindre une pierre située au coeur du monument. Ce moment astronomique particulier a été inscrit dans la pierre avec une grande précision il y a six mille ans, et on peut constater encore aujourd’hui le même phénomène.

L’hiver semble parfois si long que nous pourrions nous demander si le printemps sera jamais de retour. Mais la déesse du printemps est simplement endormie durant l’obscurité de l’hiver et, même si elle ressuscite à Imbolc, elle est complètement réveillée au moment de l’équinoxe de printemps. Un temps où les signes et les sons de la vie renaissante sont de plus en plus évidents.

Au jour de l’équinoxe de printemps, les forces de la Lumière et celles de l’obscurité sont équilibrées, mais à partir de maintenant, la lumière va aller en croissant pour atteindre son apogée au moment du solstice d’été, trois mois plus tard. Dans le druidisme, le printemps est considéré comme si important que trois festivals lui sont dédiés: Imbolc, qui marque les premiers signes du printemps, Alban Eilir qui marque le printemps de façon beaucoup plus évidente, et Beltan qui marque le moment de sa plénitude, avant que le soleil ne se développe ensuite dans l’énergie très différente de l’été.

TriskellLa plante symbolique de l’équinoxe de printemps est le trèfle; une plante que les Irlandais ont pour coutume de porter le jour de la St Patrick le 17 mars, une date très proche de l’équinoxe. L’explication habituelle de cette coutume serait que St Patrick aurait utilisé le trèfle pour illustrer la doctrine de la trinité lorsqu’il partit convertir l’Irlande au christianisme, mais le fait que le trèfle devint le symbole de l’Irlande est peut-être aussi lié au fait qu’il couvre pratiquement tout le territoire, et que la symbolique du nombre trois était très présente dans la civilisation celtique dont un des symboles les plus connus est le triskell ou triple-spirale. St Patrick n’a peut-être fait que se réapproprier des coutumes locales pour son entreprise de conversion des Irlandais. Le trèfle, tout comme le triskell, est un symbole solaire. Il nous ramène donc non seulement au jeune soleil du printemps, mais également à l’enseignement de l’Awen et au concept de la Triple-Déesse.

L’équilibre

Alban Eilir, situé au point d’équilibre entre Imbolc et Beltan, est également le point d’équilibre entre le jour et la nuit. Il s’agit d’un moment privilégié pour nous ouvrir à la qualité de l’équilibre dans nos vies. Équilibre entre notre être extérieur et notre être intérieur; entre rationalité et créativité. Mais l’équilibre ne peut être que temporaire, c’est un moment, un passage. Sinon il devient rigidité et conduit à l’inertie. A l’image d’une balance, il nous faut chercher à équilibrer les deux plateaux en nous aidant de l’aiguille indicatrice et ne pas céder à la tentation de bloquer l’aiguille pour se faire croire que les plateaux sont équilibrés.

lever soleilLes semailles

C’est le temps des semailles. Le temps de semer dans nos vies les graines de ce que nous voulons voir se réaliser, le temps de prendre nos vies en main.

L’accent est également mis sur ce temps qui est le temps des nouveaux commencements, c’est le temps des potentialités, le temps de laisser le passé derrière soi et de se tourner libre vers l’avenir, avec seulement « ce que l’on peut emmener sur son dos ». Il est important de savoir semer ce que l’on voudrait voir éclore dans nos vies car, même si nous sommes plongés dans une histoire commune, nous sommes responsables de ce qui nous arrive.

L’aube naissant

Symboliquement, le printemps est l’aube de la vie, le temps de l’adolescence. C’est à cette période de la vie que l’on s’éveille à la spiritualité, que l’on tourne son cœur vers le jour qui se lève, en quête de cette douce lumière qui apparaît. Ensuite, le chemin que nous emprunterons nous appartient.

Poursuivrons-nous notre quête ou nous satisferont nous des illusions du monde matériel ? Serons-nous attirés par le Soleil ou par ses multiples reflets ? Continuerons-nous d’écouter cette petite voix qui nous appelle vers des hauteurs insoupçonnées, ou bien la ferons-nous taire définitivement ?

L’équinoxe de printemps : L’exaltation de la Vie

fleurs oiseau Bientôt, la durée du jour sera égale à celle de la nuit : étymologiquement, le mot équinoxe vient du latin æquinoctium, de æquus « égal” » et nox, noctis « nuit ».

Moment important car il permet de situer avec précision les points cardinaux, ce jour-là le soleil se lève plein Est et se couche tout à fait à l’Ouest.

L’équinoxe de printemps est associé à l’Est car il annonce la renaissance de la vie au sortir de l’hiver, tout comme le soleil en se levant à l’Est annonce le jour naissant. Symboliquement, c’est de l’Est que vient la Lumière que recherchent ceux qui s’engagent dans une démarche spirituelle.

L’élément Air, associé à cette période, symbolise l’inspiration, l’intuition, l’intellect, la communication. L’Oiseau est associé à l’Est et à l’Air, puisque les hommes ne pouvant pas voler, les oiseaux étaient considérés comme les messagers des dieux, leur apportant l’inspiration. Dans le corps humain, l’élément Air est celui qui permet la respiration et qui est en relation permanente avec l’extérieur.

C’est la saison du renouveau et du nouveau feu, c’est le début du cycle de la fertilité et de l’abondance, c’est le temps des semailles.

L’équinoxe de Printemps est une célébration d’équilibre car ce n’est plus l’hiver et pas encore l’été. C’est le temps magique entre les deux saisons, ou Dame Nature se réveille doucement, sortant lentement de sa léthargie hivernale. En cette période, les Grecs célébraient le retour à la surface de la terre pour six mois, de Perséphone. Fille de Zeus et Déméter, elle fut enlevée par Hadès, qui la fit reine des Enfers.

Hadès avait conclu un pacte avec Déméter, partageant ainsi son épouse entre le monde de la Lumière et le royaume des Ténèbres. Ce mythe exprime le mouvement de la végétation qui meurt à l’approche de l’hiver pour resurgir à nouveau avec le printemps.

Dans le culte, la fête célébrant le départ de Perséphone avait lieu en automne, la belle saison étant associée à son retour.

L’équinoxe de printemps est un moment fugace, instant qui marque l’équilibre entre le jour et la nuit, un passage où les forces de la lumière augmentent.

ostaraOn perçoit l’influence nordique de cette fête, avec le nom qu’on lui donne généralement : Ostara. En effet, il provient d’Éostre : une Déesse germanique de la fertilité à qui on faisait des offrandes d’œufs peints pour assurer la venue du printemps. Cette porte de l’année était aussi associée à la déesse romaine Aurora, à la déesse grecque  Éos et à la déesse hindou Ushas (toutes dérivées du prototype indo-européen du nom de Hausos).

Elle serait également associée à Freya dans la mythologie nordique. Déesse de l’aurore et de la fécondité printanière, elle est associée au symbolisme des œufs et du lièvre. Son association à la création du monde a généré la coutume de peindre des œufs. Ceux-ci représenteraient l’Œuf Cosmique.

Chargée de symboles anciens, l’équinoxe de printemps est toujours fêtée aujourd’hui. Nous mangeons des lapins en chocolat (le lièvre est l’animal sacré d’Éostre en tant que symbole de fertilité), des poules et des œufs. Le mot Easter qui signifie Pâques en anglais vient d’ailleurs du nom de cette Déesse.

La symbolique de l’œuf est très chargée. En effet, il détient en lui la genèse du monde, il est une réalité primordiale qui contient en germe la différenciation des êtres. En égyptien le mot œuf est féminin et de lui le Dieu jaillira, il organisera le Chaos en donnant naissances aux êtres différenciés (Il est à la fois Fils et Père). On retrouve ce symbole dans de nombreuses religions et son sens est toujours le même.

L’œuf est souvent une représentation de la puissance de la lumière. Ainsi il apparaît comme un des symboles de la rénovation périodique de la nature. Mais attention il n’est pas autant naissance que ré-naissance, c’est le retour, la résurrection (d’où la récupération de la fête pour la Pâques chrétienne : mort et résurrection de Jésus).

Les coutumes païennes veulent que l’on allume des feux à l’aube pour symboliser le renouveau de la vie et la protection des récoltes. On célèbre ce Sabbat mineur en faisant sonner les cloches, décorant des œufs, plantant des graines, s’occupant du jardin rituel ou non, faisant un grand nettoyage de Printemps (physique et spirituel, en se débarrassant des énergies négatives et des problèmes générés par la pensée). Pendant ce nettoyage, il est recommandé que chaque mouvement soit fait dans le sens des aiguilles d’une montre car cela remplit la maison de bonnes énergies.

Entrée dans le signe astrologique du Bélier

BélierLe Bélier  symbolise le feu originel qui se manifeste à l’entrée du printemps, le jaillissement des forces brutes de la vie (éclatement des bourgeons, sortie des pousses de la terre, rut des animaux…). Le rythme vital, sous ce signe, est celui d’un bond en avant, d’une accélération : commencement, renouvellement, propulsion, impulsion, jet, éclatement, explosion…

C’est le souffle du feu prométhéen, ce feu à la fois créateur et destructeur, aveugle et généreux, chaotique et sublime, capable de fuser dans toutes les directions; c’est la décharge irruptive, fulgurante, indomptable de la foudre, la violence du feu animal indifférencié, la poussée anarchique, dévorante, d’instincts primitifs vigoureux, une libération de forces nouvelles, inclassables et inadaptées, aux généreuses promesses portées vers leur essor.

Les fêtes Celtes nous parlent toujours de la fin d’une étape et le commencement d’une autre. Quelque chose meurt et autre chose naît. C’est pour cela que le cercle est un symbole important dans la tradition druidique. Un cercle, c’est comme la somme d’une infinité de point. Chaque point que nous voulons observer, analyser sur le cercle est compris grâce à ce qu’il y a avant et ce qu’il y a après lui.

C’est d’ailleurs par la compréhension de ce qu’il y a avant et après que nous pouvons nous approcher de ce point. Mais jamais nous ne l’atteignons car le point est un élément hors espace-temps. Le cercle est aussi l’expansion du point, l’unité Divine.

Les fêtes druidiques d’aujourd’hui expriment une vision cyclique du temps, et une des fonctions de ces célébrations est d’inscrire le cycle humain dans le grand cycle de la nature, d’harmoniser les rythmes de l’homme sur les plans physiques, psychologiques et spirituels. Pour eux la Nature, image de la Déesse-Mère, est célébrée comme une source d’inspiration, une conseillère de sagesse et de beauté. Ils pensent que l’homme n’est qu’un des éléments de la grande harmonie naturelle.

Chaque fête revêt donc une dimension spirituelle et véhicule un enseignement au travers d’un symbolisme inspiré de la période de l’année. La succession des fêtes au cours de l’année symbolise à la fois le cheminement intérieur de l’être humain et les grandes phases de l’existence humaine.

L’Est, l’Air, l’oiseau

L’équinoxe de Printemps est un symbole de renaissance à la vie, de vitalité, de joie et de bonheur. Le jour est de même durée que la nuit. C’est une porte qui s’ouvre et nous sommes invités à la franchir et à accueillir l’énergie nouvelle qui se présente. Nous sommes incités à sortir de la Nuit, à redevenir actifs. L’Enfant Intérieur a grandi, il doit maintenant lâcher la main de la Mère et s’autonomiser. Il doit semer les graines de sa future vie. C’est aussi une phase d’apprentissage.

C’est la fête du temps des semailles

Le temps de faire de nouveaux projets, de renouveler ce qui doit l’être. Nous pouvons pour cela nous ouvrir à l’inspiration et être réceptifs à ce qui nous guidera pour accomplir nos projets. Cette période est symbolisée par la lumière du jour naissant à l’Est. L’équinoxe de printemps est associé à l’adolescence, à la période de 7 à 14 ans. Le maître mot de cette fête est « réceptivité »

Le printemps est associé à l’élément Air

Cette saison est caractérisée par l’éclosion des bourgeons, par la floraison. Le printemps favorise la prise de conscience de la nouvelle vie qui mène vers l’expansion, il apporte les prémices des futures chaleurs, des réalisations à venir.

L’équinoxe est un moment d’équilibre et de stabilité ; la nuit et le jour sont égaux. Celui qui parcourt le chemin connaît le calme intérieur et la paix de l’âme.

La Déesse Ostara favorisait les naissances, des humains et des animaux, et la germination des végétaux. La légende dit qu’ Ostara est née d’un œuf, symbole de la vie en devenir, et qu’elle était accompagnée d’un lièvre, animal prolifique s’il en est. Dans la tradition germanique, cet animal lunaire est associé au passage, il montre des chemins entre l’univers des hommes et des mondes merveilleux.

En pays germanique, c’est lui qui souvent apporte les œufs de Pâques. On dit même qu’il les pond! Cet œuf, que nos ancêtres décoraient avec minutie, était à l’origine plutôt peint en rouge, couleur associée au printemps.

Oeuf 2

Mais cet œuf symbolise aussi l’éternité et la fécondité de la vie et surtout d’une vie qui semble s’autogénérer. C’est pourquoi l’œuf faisait l’objet d’un culte au moment de l’équinoxe de printemps. D’où son assimilation naturelle par le christianisme qui l’associe à la résurrection du Christ.

L’équinoxe de printemps marque la fin de la période sombre, celle du travail intérieur très intense. L’objectif est toujours le même : intégrer le Divin qui est en nous accroître notre foi… En nous connaissant mieux nous  pouvons continuer notre chemin.

De l’autre coté du point de l’équinoxe nous avons l’éclosion de la vie. Et la vie est celle que nous choisissons d’avoir. De ce fait, nous semons les projets que nous voudrions voir germer. Nous les mettons donc en terre, inscrit sur des œufs. L’œuf est un grand symbole. Il contient toutes les potentialités, il est symbole de la Vie qui s’autogénère. Sa teinte rouge rappelle la semence d’Ouranos, son sang, qui féconde Gaïa dans la cosmogonie grecque. Nous allons donc ensemencer nos vœux dans la matrice de la Vie pour qu’ils se matérialisent dans les mois qui suivront.

Cette symbolique est aussi représentée par Kernunnos fécondant la Déesse Mère dont le fruit, Bélénos, naitra neuf mois plus tard au solstice d’hiver. Kernunnos parfois imagé par un serpent à tête de bélier et corps de poisson. Ceci certainement parce que l’équinoxe se situe entre le signe du Poisson (dernier signe astrologique) et celui du Bélier (premier signe astrologique) dans le cercle de l’année, représenté par le serpent. Le poisson, image de l’inconscient, des eaux intérieures, de notre monde caché. Le bélier, force vive, impulsion, exaltation. Kernunnos réveille nos sens visibles et invisibles.

Bélénos quant à lui symbolise la Lumière. Faire le vœux d’atteindre la Lumière est peut-être l’unique objectif à avoir en son être intérieur car de ce souhait découle Tout, tout le reste et surtout l’accès au monde de la Plénitude.

Bélénos, dont la Lumière sort de Terre en ce jour d’équinoxe à travers le symbole du trèfle. De couleur verte il représente l’équilibre entre ses trois feuilles. Trois énergies qui sont le Progéniteur, la Déesse Mère et le Fils Bélénos, il est donc le Divin, la Lumière, l’Unique. Il est également associé au triban : Amour, Sagesse, Spiritualité.

Dans la nature qui se déploie, le lièvre représente cette vie qui explose. Il est à deux facettes comme l’équinoxe qui est cet équilibre entre la nuit et le jour, la lune et le soleil, la Déesse Mère et Kernunnos, deux polarités. Dans la tradition chinoise on trouve le mythe du lièvre de Jade.

zodiaqueLe lièvre de Jade habite dans la lune et prépare avec des plantes le breuvage d’immortalité. On rejoint là la quête du Graal, de la Lumière qui est notre vœu formulé pour ce rituel. Dans les contes le lièvre est l’animal qui guide le masculin (Dieu ou homme) vers le féminin (femme ou Déesse Mère), il participe donc à cette Union des éléments, à l’équilibre du Yin et du Yang.

A l’équinoxe de printemps nous fêtons l’exaltation de la Vie, sa puissance mystérieuse. Grâce au passé nous avons acquis des enseignements et pour la suite nous formulons vœux de continuer.

Différentes survivances des célébrations de l’Équinoxe de printemps, autour du 21 mars, ont existé ou subsistent de nos jours. Feux de joie ou noyade de lumière de cette époque, dont les usages se manifestent sous des formes très variées mais précèdent de la même pensée initiale : la libération de l’obscurité hivernale, par exemple, en mettant en scène des moyens d’éclairage artificiel (bougie, lampe à huile ou lanterne symbolisées) dont on se débarrasse par noyade.

On trouve aussi des usages liés à un gâteau que l’on offre à une divinité ou encore à un mannequin de paille que l’on brûle ou précipite à l’eau afin de « détruire l’hiver ».

L’équinoxe de printemps, appelé Alban Eilir dans le druidisme contemporain, marque la fin assurée de l’hiver, le retour des beaux jours. C’est un temps d’équilibre, une porte entre l’hiver et le printemps; entre ce qui n’est plus et ce qui va advenir.

C’est le moment de la naissance du jeune soleil, du jour nouveau porteur de tous les espoirs, de toutes les promesses et de toutes les potentialités. Temps pour l’oiseau de quitter le nid et d’inventer sa vie. Graines des futurs projets plantées en terre, Porte franchie pour sortir de la Nuit et accueillir l’Aube naissante, aube qui revient toujours pour nous offrir toutes les possibilités de la Vie.

A suivre…