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Devenir un individu libre et relié selon Jung

Les étapes du processus d’individuation peuvent donner sens à notre besoin de changement et nous permettre de l’accueillir avec davantage de confiance.

Libre et relié

La phase d’accommodation

Elle correspond à l’enfance et aux premiers temps de notre vie d’adulte, lorsque nous apprenons à obtenir une sécurité affective en réglant nos comportements en fonction de ce qui est attendu de nous. Cette tendance nous conduit à adopter un personnage qui ne reflète pas la totalité de notre être.

La prise de conscience

Avec l’âge, ce personnage commence à nous étouffer. Nous avons le sentiment de nous être perdus en route, parfois d’avoir été bernés, ou encore d’être un imposteur. Ce que Carl Gustav Jung appelle notre « ombre » – ce qui sommeille en nous et que nous n’avons pas encore choisi d’être – se rappelle par vagues de nostalgie.

Le face-à-face

C’est le temps du doute. Nous commençons à réévaluer les fondements de notre existence, jusqu’à remettre tout en question. Nous vivons une tristesse qui s’apparente à un deuil : nous croyons pleurer notre jeunesse, nous pleurons le personnage que nous avons été. Celui-ci se fissure et laisse émerger le refoulé, dans ses aspects positifs et négatifs. La colère, les dérapages sont au rendez-vous.

Le début de l’intégration

L’incertitude et la confusion perdent du terrain. Les ajustements progressifs vont dans le sens d’une plus grande cohérence. La quête d’approbation a cédé le pas au désir de ne plus se trahir. C’est le moment où nous pouvons choisir de réorganiser nos priorités, trouver le moyen d’exprimer nos potentiels. Ces transformations positives s’accompagnent de heurts relationnels.

L’individuation

C’est, dans l’idéal, le moment où l’on devient un individu complet, doté d’une meilleure connaissance de soi. Nous accueillons avec plus de souplesse nos qualités et nos défauts, nos désirs contradictoires, nos conflits intérieurs. Et accédons à l’intégrité : la capacité à nous voir tels que nous sommes en tant qu’individus, mais aussi membres de la communauté humaine, reliés au vivant et à l’ensemble de l’univers.

D’après Christophe Fauré, Maintenant ou jamais ! Albin Michel

Test : Vous sentez-vous libre ? Qui n’a jamais eu la sensation de subir sa vie, de ne pas être libre de choisir, de décider ? D’obéir à ce que les autres attendent de nous ? Découvrez où vous en êtes sur le chemin de liberté en répondant à ce test !

 

Dépasser ses résistances pour évoluer

Identifier ce qui vous empêche d’avancer, c’est déjà progresser. Décryptage des phrases paralysantes qui peuvent tourner en boucle dans votre tête.

Résistances

Nous avons les moyens de fragiliser nos résistances, d’abord en tentant de les identifier. Quelles sont les situations, les pensées qui se répètent dans ma vie et que je ressens comme autant d’empêchements ? D’où me vient, par exemple, ce sentiment de me faire toujours avoir ou de n’être jamais écouté ? En quoi est-ce que je participe à la répétition de ce scénario ?

« On peut, au fil d’un long travail sur soi, découvrir ce programme qui nous constitue, explique Valérie Blanco, psychanalyste et auteure de Dits de divan (L’Harmattan, 2010), mais on n’en changera pas. En revanche, on peut décider d’y répondre autrement. » Moins dupe de soi, il s’agit d’apprendre à « se voir venir » : je me sens trahi, encore une fois… mais allez, non : je sais que je me fais mon film. L’objectif est de pouvoir avancer malgré, voire avec, ses résistances.

Outre ces blocages inconscients, nous sommes empêchés par quantité de peurs, souvent conscientes, elles, mais rarement rationnelles, et qui s’expriment dans toutes les mauvaises excuses que nous nous donnons pour ne pas agir. Analyses et conseils pour dépasser les plus courantes d’entre elles.

« Je sais ce que je perds, mais pas ce que je gagne »

Le nombre croissant de chômeurs et de travailleurs précaires est une réalité qui ne peut que favoriser l’angoisse de la chute financière et sociale. Pourtant, cela n’empêche pas certains de garder un esprit d’entrepreneur et le goût de l’aventure, de l’inconnu. « La peur de l’inconnu, c’est la peur du surgissement du réel, analyse Valérie Blanco, c’est-à-dire tout ce contre quoi on se cogne, que l’on ne comprend pas. Et, par excellence, la mort. »

D’après la psychologue et psychothérapeute Cécile Kapfer, auteure de Dépasser ses peurs (Ellébore, 2011), « cette peur est exacerbée par le fait que nous avons tendance à vivre en pilotage automatique la majeure partie de notre temps, refusant de nous remettre en question ».

La psychologue Marie Andersen, auteure de L’Art de sa gâcher la vie (Ixelles Éditions, 2012) y voit une marque de notre éducation : « Oser marcher sur un territoire non balisé, cela s’apprend dès l’enfance, pas à pas. Mais si on nous en a préservés, ou si l’on nous a fait comprendre que cet inconnu était source de danger, il restera pour nous un obstacle démesuré. »

Conseils : Cécile Kapfer propose d’abord de « prendre conscience que tout change, et nous aussi, y compris lorsque nous pensons ne pas changer : en devenir, chaque expérience, chaque rencontre, nous modifie ».

Marie Andersen ajoute : « Nous avons souvent l’impression qu’il faut faire un grand saut dans le vide entre ce que nous “perdons” et ce que nous gagnerons. Alors que, dans la pratique, ce n’est jamais une falaise entre deux territoires ; les événements s’entremêlent de façon complexe et inattendue. »

« Et si je me trompais ? »

En période d’instabilité, le réflexe est de se conformer toujours plus à la norme, et de faire taire l’audace que nos projets personnels expriment. Pour Valérie Blanco, cette crainte de « faire fausse route » renvoie à l’incertitude intrinsèque de tout désir : « Ce mouvement qui nous pousse en avant reste, par essence, une force méconnue ; elle peut s’incarner dans de petites choses comme dans de grands projets, mais il demeure impossible de s’en saisir pleinement. »

Marie Andersen, elle, entend là la peur de l’échec : « Nous avons tendance à diviser le monde de façon binaire, entre échecs et réussites, alors que la vie est davantage faite de demi-échecs et de demi-réussites : un échec est une tentative qui n’a pas abouti, mais qui est souvent riche de leçons, alors que certaines réussites peuvent nous envoyer dans des directions peu intéressantes. »

Conseils : considérons nos échecs passés. Pourquoi nous ont-ils autant marqués ? Ont-ils été aussi douloureux que nous le croyons a posteriori ? Que pouvons-nous en retenir de positif ?
« Pensons au sauteur en hauteur, suggère Marie Andersen : combien de barres a-t-il fait tomber avant de faire le saut qu’il souhaitait ? Des centaines, des milliers ! Et pourtant, qui peut dire qu’il a ainsi perdu son temps à “échouer” ? »

« Pour qui est-ce que je me prends ? »

Selon Valérie Blanco, « cela revient à dire : où est ma place ? À quelle place puis-je prétendre ? Et, au fond, à se demander : qui suis-je ? Question impossible, car c’est la question de l’être, insaisissable »… Cette peur fait également écho au sentiment d’imposture que la psychanalyse dit inévitable chez tout être humain : dès l’enfance, il met en place une stratégie de
« semblants » pour faire avec la castration imaginaire (ou frustration). Elle ajoute que, « ce sentiment d’imposture est peut-être plus fréquent aujourd’hui, car dans un monde moins ordonné, plus fluide, moins pyramidal, il est moins évident pour chacun de trouver sa place ».

Quant à Marie Andersen, elle entend dans cette interrogation la peur de réussir : « À l’instar de ces partis politiques qui préfèrent rester dans l’opposition sans chercher à obtenir le pouvoir, beaucoup de gens optent pour ne pas trop “se mouiller”. Parce qu’ils craignent qu’en cas de réussite leur situation soit pire : trop de responsabilités à assumer, et des risques d’échec encore plus importants auxquels se confronter. »

Conseils : regarder ce que nous avons accompli par nous-mêmes et les efforts que cela a pu nous demander nous permettra d’en tirer de la fierté, de la confiance, et de vouloir recommencer pour retrouver ces sensations positives. De même, voyager, pour se nourrir de l’énergie propre à d’autres cultures qui, elles, valorisent l’esprit d’initiative.

« J’attends le déclic »

J’attends d’être tout à fait prêt, j’attends que l’économie se porte mieux… Cette procrastination cache souvent un perfectionnisme : le projet doit être parfait ou ne doit pas être. Ce trait de personnalité est propre aux grands narcissiques, qui cultivent une image majestueuse d’eux-mêmes, mais aussi extrêmement fragile : au moindre échec, à la moindre faille, le risque de dépression devient une menace.

Mais « attendre », c’est aussi garder son désir insatisfait, donc, d’une certaine façon, l’entretenir. Ce qui, rappelle Valérie Blanco, est caractéristique de la névrose hystérique.

Conseils : s’il est évidemment utile de considérer son projet de changement à moyen et long terme et dans son ensemble, reste que c’est au quotidien, pas à pas, que celui-ci s’opère. Plutôt que de se fixer des objectifs démesurés, il est essentiel de se fixer un programme progressif, divisé en étapes à franchir. Une méthode des « petits pas » qui permet non seulement de relativiser l’apparent bouleversement que nous entamons, mais aussi d’être plus efficaces et de gagner en confiance.

« Je ne vais pas y arriver seul »

« Dès que l’on suit son désir propre, on peut bousculer la norme sociale, familiale, et les habitudes ou desiderata de l’autre, détaille Valérie Blanco, et cela nous renvoie à une certaine solitude. Néanmoins, le désir est un mouvement ; il nous entraîne donc de facto vers la sphère sociale et permet de faire lien. »

Pour Marie Andersen, cette crainte, « révélatrice de l’hyperindividualisme ambiant », renvoie aussi « au manque de confiance en notre capacité à nous débrouiller : je le vois surtout dans la génération des jeunes adultes qui, trop béquillés par leurs parents, n’ont pas eu à se frotter suffisamment au réel et à éprouver leur propre boîte à outils intérieure ». Ce manque d’autonomie éprouvée se manifeste ensuite dans la soumission très forte à la norme sociale, au groupe dont nous attendons qu’il agisse avant nous et nous porte.

Anne-Laure Gannac

Test : Que changeriez-vous dans votre vie ? Si j’avais un métier plus intéressant, si j’avais plus de temps pour moi, si j’étais mieux entouré(e)… Quand on réfléchit à sa vie, on est tenté de croire qu’elle se passerait beaucoup mieux si l’on pouvait en modifier quelques paramètres. Quels seraient ceux que vous aimeriez changer en priorité ? Faites le test !

Jusqu’où pouvons-nous changer ?

Il est dans notre nature d’aspirer à un mieux-être, mais aussi de résister aux évolutions. Dans un monde en mutation, saurons-nous nous réinventer ?

Changer

Le besoin de changer procède le plus souvent d’un mal-être. Ce que nous avons construit ne nous satisfait plus. Notre existence semble s’être rétrécie, l’ennui s’est installé, ou bien le sentiment d’être prisonniers d’un fonctionnement, d’une situation que nous aimerions pouvoir transformer. Comment ? Chacun a son idée : changer de métier, arrêter de fumer, perdre du poids, changer de coiffure, oser aimer, se séparer, quitter la ville, s’installer à l’étranger, se mettre à son compte, aller voir un psy, débuter une formation…

Changer un peu ou changer tout, l’envie s’exprime individuellement, collectivement : il est question aujourd’hui de changer d’économie, de société, de paradigme. Elle implique, dans une certaine mesure, de se dégager du connu, de se séparer d’une part de soi.

« La tâche, écrivait le psychanalyste J.-B. Pontalis, est aussi douloureuse qu’inéluctable et même nécessaire pour qui ne consent pas à rester sur place et que porte le désir d’avancer. » (in Le Dormeur éveillé, Gallimard, Folio, 2006). Pourtant, nous avons parfois du mal à reconnaître celui-ci à nous l’autoriser, à l’accueillir. À quoi correspond-il ? Sommes-nous d’éternels insatisfaits, d’incorrigibles utopistes ? Pouvons-nous réellement changer ?

Un refus inconscient

Le psychiatre et psychothérapeute Christophe Fauré, dont l’ouvrage Maintenant ou jamais ! a été couronné par le prix Psychologies-Fnac, s’est intéressé à la transition du milieu de la vie. Chez nombre de ses patients, il a constaté, généralement entre 45 et 60 ans, mais aussi parfois plus tôt, la survenue d’un moment de tristesse et de confusion semblable à une dépression. Sans que rien ne puisse vraiment le justifier, leur vie semble avoir perdu de son sens.

Pour l’avoir éprouvé lui aussi, Christophe Fauré décrit ainsi le sentiment qui domine : « Tout se passe comme si l’identité que nous nous étions construite dans la première moitié de notre vie ne correspondait plus à la personne que nous sommes en train de devenir. »

Il explique ce décalage comme la manifestation de ce que Carl Gustav Jung appelait
le « processus d’individuation », une expérience psychique à laquelle aucun de nous n’échappe : il s’agit de devenir enfin qui nous sommes profondément, de laisser advenir le sujet qui, dans l’enfance et dans les premiers temps de construction de sa vie d’adulte, a d’abord appris à se réprimer pour se conformer à ce qui était attendu de lui. Cette transition peut être subtile et progressive, ou nous déséquilibrer brutalement, affectant nos vies amoureuse, familiale, professionnelle.

Idées clés

Il ne suffit pas de vouloir changer pour y parvenir. Inconsciemment, nous adoptons parfois des comportements contraires à nos désirs profonds.

45 ans-60 ans, le tournant. Il s’agit de devenir enfin qui nous sommes. Une transition qui peut être brutale chez les uns et progressive chez d’autres.

Se changer soi, c’est changer le monde. En nous autorisant à changer individuellement, nous pouvons impulser un élan collectif.

Cependant, assure le psychiatre et psychothérapeute, « ce n’est pas tant le processus intérieur de transition qui pose problème que le refus, conscient et inconscient, d’accueillir les changements qui se profilent ». Il faut au contraire accepter cette phase comme une promesse d’épanouissement et se donner les moyens d’exprimer ses potentiels en écoutant ses envies.

Or, dans l’époque « maniaco-dépressive » qui est la nôtre (l’expression est du philosophe Frédéric Worms, auteur de Revivre, Flammarion, 2012), notre espoir légitime d’un avenir meilleur se heurte à l’angoisse générée par le sentiment d’un effondrement global du monde.

Nous avons ainsi tendance à minimiser nos insatisfactions dans l’idée qu’elles ne sont que des états d’âme de privilégiés par rapport aux difficultés que vivent d’autres, plus durement touchés par la crise, les catastrophes écologiques ou la guerre. Notre projet individuel de changement entre en concurrence avec l’idée que l’urgence est d’abord de changer le monde, une tâche si complexe et colossale qu’elle inhibe notre puissance d’agir.

Un besoin collectif

« Comment bouger si nous n’avons pas la motivation d’une promesse ? Comment ne pas se laisser submerger par l’impuissance, le piège de l’attente ? » interroge le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag, estimant que nos sursauts d’indignation peinent souvent à déboucher sur autre chose que la plainte et la victimisation : « Je voudrais changer ma vie, mais je ne peux pas. Ma hiérarchie, l’économie, les autres m’en empêchent. » De fait, il nous est difficile de changer seuls. Nous avons besoin d’encouragements, d’un contexte porteur.

Bonne nouvelle : après des années de crise, notre société semble entrer dans une phase de résilience, sur le plan psychologique du moins. Selon une récente enquête Ipsos, les Français aspirent aujourd’hui à sortir du fatalisme ambiant. Certes, beaucoup subissent une baisse de pouvoir d’achat, le chômage, la discrimination, et ont perdu confiance dans les institutions.

Mais ils ont la volonté de rebondir et sont convaincus que le changement ne peut venir que d’en bas, porté par des initiatives individuelles et un nouvel esprit de solidarité. Cette énergie collective devient porteuse pour chacun, et réciproquement : en nous autorisant individuellement à changer, il est probable que nous alimentions cet élan collectif.

Cependant, il ne suffit pas de vouloir changer pour y parvenir. Freud l’affirmait déjà, nous tenons plus à nos névroses qu’à nous-mêmes. Blessés par l’expérience, nous mettons en place des mécanismes de défense qui nous protègent de l’anxiété et de la dépression, mais limitent nos capacités d’épanouissement.

Ces stratégies inconscientes nous conduisent à nier la réalité de nos pensées et de nos émotions. Elles peuvent nous conduire à adopter des comportements contraires à nos désirs profonds. Et nous nous enferrons dans des conduites d’échec et dans la répétition de nos erreurs.

Dans sa préface à la réédition du célèbre ouvrage d’Étienne de La Boétie, De la servitude volontaire, Miguel Benasayag souligne l’étonnante actualité de cette notion pour rendre compte de notre attachement à nos propres chaînes.

Hommes et femmes, écrit-il, « souhaitent être plus respectés, améliorer leurs conditions de vie, mais, contrairement à ce qu’ont cru les mouvements révolutionnaires, les mouvements libertaires, les héritiers de l’humanisme, ils ne souhaitent pas la liberté, qui est une chose toute différente ». Au contraire, nous pouvons même désirer une servitude qui s’exprime moins dans l’obéissance à un tyran – patron, conjoint… – que dans la recherche d’automatismes sécurisants dans lesquels couler nos existences.

En adoptant un régime végétarien, en nous adonnant intensivement au yoga, en nous tournant vers une pratique spirituelle nouvelle, nous introduisons un changement dans notre vie. Mais est-il le reflet de notre liberté ou une nouvelle expression de notre besoin de carcans ?

Un nouveau regard

Le changement n’est véritablement satisfaisant que s’il est précédé ou accompagné d’un changement intérieur : une forme de libération rendue possible au prix, parfois, d’un travail thérapeutique. « Changer, affirmait encore J.-B. Pontalis, c’est d’abord changer de point de vue sur soi, sur les autres. Et cette mutation fait que, percevant le monde autrement, on y vit différemment. »

Mais il ne s’agit pas seulement de changer « contre » quelque chose qui nous fait souffrir. Il convient aussi de s’interroger sur le « pour » : qu’espérons-nous atteindre par le changement ? Pour le philosophe Robert Misrahi, « notre désir le plus profond est un désir de joie ». Or nous ne le prenons pas au sérieux, car nous avons appris à voir en lui un manque qui ne peut jamais être comblé.

A l’opposé du bouddhisme, qui prône une extinction du désir, Robert Misrahi invite à le réhabiliter. Car il est l’essence même de notre dynamisme, ce qui nous attire vers l’avenir et nous mène aussi bien à des assouvissements élémentaires – étancher sa soif, parvenir au terme d’un voyage – qu’à un bonheur plus substantiel, lorsque notre être s’épanouit pleinement. Cette joie, prévient le philosophe, ne nous est accessible que si nous opérons trois « conversions intérieures ».

La première est de cesser de croire que nous sommes le résultat d’un déterminisme – le jouet de notre inconscient, le produit d’un système : nous sommes aussi source de liberté. La deuxième est de cesser de voir en l’autre un instrument ou un maître, et d’établir avec lui des relations de réciprocité qui permettent l’accomplissement de chacun.

La troisième, enfin, est de comprendre que notre vie se passe entre la naissance et la mort. « Le bonheur, écrit-il, ne peut pas être simplement défini comme un regard rétrospectif sur nos vies. Il doit être une expérience au présent, une joie active, une création de chaque instant. »

Prêts ? Changez !

Laurence Lemoine

Laissez s’exprimer l’enfant pour libérer l’adulte

Pour mieux se connaître, il est important de réveiller sa part d’enfance. Une étape essentielle pour découvrir les plaisirs de la maturité, rappelle la psychanalyste Kathleen Kelley-Lainé.

Peter-Pan-Disney

Psychologies : Pour quelle raison nos souvenirs d’enfance ont-ils une telle intensité ?

Kathleen Kelley-Lainé : Je crois qu’ils ont la saveur particulière des premières expériences. A tout âge, la « première fois » (premier amour, première rupture) marque plus que les suivantes. En plus de ça, l’enfance laisse des traces sensorielles. Lorsque nous venons au monde, nous sommes informés et littéralement formés – modelés – par le bain de parfums, de sons, de lumière dans lequel nous grandissons.

Une épice, une mélodie, un mot ont le pouvoir de nous ramener en enfance comme vers un paradis perdu. Ce qui reste dans nos mémoires, ce sont aussi des souvenirs forts de grandes frayeurs, de chagrins dramatiques, de bonheurs un peu idéalisés. Ils correspondent en général à des événements qui ont dépassé l’entendement de l’enfant que nous étions ou qui ont provoqué une excitation pulsionnelle qu’il n’a su contenir. L’expérience n’a pu donc être totalement « digérée » psychiquement et reste déformée dans notre souvenir.

Nous conservons aussi des traces inconscientes…

Notre psychisme se protège de ce qui lui fait violence : il rejette, occulte, oublie. Ainsi, certains de nos souvenirs constituent des « souvenirs-écran » : ils sont mis en lieu et place de souvenirs plus conflictuels, qu’il a fallu enfouir dans les profondeurs de l’inconscient.

On voit beaucoup ça sur le divan de l’analyste : des adultes qui fonctionnent bien par ailleurs, mais qui ont dû refouler toute une partie de leurs peurs, de leurs désirs ou de leur agressivité pour survivre psychiquement. Et tout ça reste tapi comme un monstre à l’intérieur d’eux-mêmes, comme un enfant sauvage qui surgit parfois avec une avidité, une rage ou un chagrin intacts.

Tant qu’on ne trouve pas la source de ses tourments, ce petit enfant est très difficile à apaiser.

Est-ce toujours l’enfant en nous qui se confie au thérapeute ?

Dans la plupart des cas, c’est effectivement lui qui s’exprime, sans que l’adulte qui consulte en soit forcément conscient. Mais on voit bien que ce qui l’empêche d’avancer, d’aimer ou de construire est lié à son enfance. Alors il faut aider l’enfant à prendre sa place dans le passé pour libérer l’adulte. Ce n’est pas toujours facile, parce que beaucoup de gens ont peur de toucher à leur part d’enfance. Ils craignent de manière inconsciente que cela n’aboutisse à la tuer.

Or, dans l’analyse, il ne s’agit pas de renoncer complètement à l’enfant que l’on a été, mais de négocier avec lui pour qu’il nous laisse tranquille. Il faudra tenter de satisfaire ou de renoncer à certains de ses besoins, de défaire ou de resserrer certains liens. C’est un travail qui nécessite du temps mais qui porte ses fruits.

Pourquoi certains d’entre nous ont-ils si peur de grandir ?

De fait, nous sommes tous très attachés à notre enfance. Soit parce qu’elle laisse de merveilleux souvenirs que nous préférons à la réalité, soit parce qu’elle a été si terrible qu’elle continue de nous hanter. Mais bien sûr, cela n’empêche pas les uns de devenir adultes quand d’autres restent de grands enfants. Je crois qu’il y a une multitude d’explications à la peur de grandir. Il y a bien sûr le spectre de la mort qui se rapproche à mesure que nous vieillissons. Il y a surtout la peur de ce que signifie le fait d’être adulte.

Être adulte, c’est être autonome, responsable. C’est surtout être capable de faire des choix, c’est-à-dire de renoncer à tout avoir, à tout pouvoir, à être aimé de tous. Or la société dans laquelle nous vivons valorise l’infantilisme. Elle nous maintient dans des illusions de toute-puissance : grâce à l’argent, je peux être le plus beau, le plus fort, je peux obtenir de l’autre qu’il comble tous mes désirs. En évacuant toute frustration et toute soif, la société de consommation nous prive peu à peu de la possibilité de grandir.

Des thérapeutes préconisent de retrouver l’enfant en soi pour développer sa créativité. Qu’en pensez-vous ?

Si cela signifie garder la capacité de jouer, je suis d’accord. Mais je crois que la création est aussi une affaire d’adultes. Les enfants ont beaucoup de spontanéité, mais ils s’éparpillent. Or pour créer, il faut également travailler pour approfondir son univers et sa technique. Il faut une capacité de symboliser, une liberté de penser, une aisance d’expression que n’ont pas les enfants. Je trouve terrible que l’état d’adulte soit devenu péjoratif à ce point.

A mon sens, les plaisirs de la maturité sont infiniment plus intéressants que ceux de l’enfance. Si l’on reste dans l’assouvissement de besoins primaires comme la société actuelle nous le propose, c’est l’ennui et la dépression à coup sûr. Devenir adulte, ce n’est pas attendre d’être rempli de l’extérieur, c’est aussi avoir besoin de donner, d’aimer, d’être utile. C’est être dans la profondeur, la transformation, la pleine expression de soi.

Que retrouve-t-on de sa propre enfance en devenant parent ?

Tout un ensemble de désirs et d’angoisses qui, pour la plupart, restent inconscients, mais qui apparaissent, par exemple, dans la manière dont on interprète les pleurs de son enfant ou dans les soins qu’on lui prodigue. Mais ce qui ressurgit avec la plus grande « viscéralité », ce sont les enjeux vécus dans la fratrie.

Notre mémoire a tendance à édulcorer la jalousie, la haine, la peur de l’abandon que tous ceux qui ont des frères et sœurs connaissent dès leur plus jeune âge, mais ces expériences laissent dans notre psychisme des cicatrices très profondes, qui se réveillent quand naissent nos enfants. On voit ainsi de jeunes papas qui se sentent délaissés, qui se mettent en rivalité avec le bébé, ou des mamans qui ont le sentiment que le petit leur prend tout et ne leur laisse rien. Ce sont des réminiscences archaïques.

Écouter l’enfant en soi nous permet, dans une certaine mesure, de donner mieux que ce que nous avons reçu. Mais parfois, il se superpose à l’enfant qui naît. Mieux vaut s’occuper de lui avant de le faire subir à nos propres enfants.

Laurence Lemoine

La tristesse de Peter Pan

Les héros des contes plaisent aux enfants et inspirent les psychanalystes. Kathleen Kelley-Lainé s’est penchée sur les aventures de Peter Pan pour mettre à jour la détresse du petit garçon « gai, innocent et sans cœur ». En évoquant sa propre enfance et son exil de Hongrie après la Seconde Guerre mondiale, l’auteur explique comment l’enfant triste qui ne peut pas pleurer choisit de ne pas grandir pour échapper à son destin d’adulte. S’il semble ne rien ressentir, c’est qu’il s’est envolé avec sa tristesse vers un lieu inaccessible, l’île du « Jamais-Jamais ». Avec une grande sensibilité, elle montre combien les grands enfants cachent de grandes douleurs.

Peter Pan ou l’Enfant triste de Kathleen Kelley-Lainé Editions Calmann-Lévy

Petits Contes cruels de la mondialisation de Kathleen Kelley-Lainé et Dominique Rousset. Avec une pertinence glaçante, une psychanalyste et une journaliste économiste dépeignent le monde globalisé comme un monde infantile où de gros bébés repus soumettent les populations au seul projet qu’ils puissent former : consommer, Editions Bayard

L’enfance, le trésor souvent oublié

Laisser parler l’enfant en nous n’est pas forcément régresser. C’est d’abord retrouver la fraîcheur et l’intensité de nos premières années. Pour mieux s’épanouir.

Enfants et ballons

Il y a quelques années, une pub pour un parc aquatique était sur tous les écrans de cinéma : au milieu d’une nuée d’enfants qui piaillaient en descendant un toboggan géant, on apercevait un homme bedonnant, la bonne cinquantaine, le bonnet de bain vissé sur les oreilles.

« Cet homme était encore il y a une heure Jean-Bernard S., PDG redouté par ses deux mille collaborateurs », disait une voix off. Oui, celui-là même qui se bidonnait et glissait sur l’eau en faisant mille grimaces était aussi, à d’autres heures, un adulte responsable, productif, rigoureux. Ce parc aquatique qui avait le pouvoir de réveiller ce qui reste d’enfantin en lui, n’était-ce pas l’Éden ?

Voilà un point au moins sur lequel publicité, d’une part, et psychothérapie, littérature, art, d’autre part, s’accordent : la part d’enfance en nous est comme une manne. C’est l’alpha et l’oméga de notre existence, une terre d’origine décisive, un pays que nous avons besoin de revisiter pour remettre de la fraîcheur dans nos vies, éprouver à nouveau des sensations perdues : l’innocence, la fantaisie, la légèreté, la spontanéité.

Pour certains artistes et créateurs, c’est clairement une source de créativité. Mais n’en est-il pas de même pour la plupart d’entre nous ? Retrouver nos regards d’enfants dans nos vies d’adultes, n’est-ce pas une grâce qui peut nous réveiller, nous secouer, nous replonger dans
plus d’intensité ?

Demandez autour de vous et vous en aurez sûrement confirmation : c’est souvent par le goût, le toucher, l’odorat que l’enfance se représente à nous. Un retour qui s’opère pour Marc, 46 ans, quand il « joue au baston » avec son fils et n’est plus que corps, peau, force en action. Pour Marthe, 55 ans, lorsqu‘elle court en pleine nature et sent le vent sur son visage. Pour Pierre,
22 ans, quand, buvant un chocolat chaud, la mousse se dépose au coin des lèvres et lui rappelle ses vacances à la montagne.

Comme Marcel Proust, nous avons tous une ou plusieurs madeleines capables de nous brancher sur ces plaisirs entiers, ces joies sans mélange des premières années. Des moments gratuits, que nous ne maîtrisons pas, et qui sont pourtant essentiels pour s’épanouir… et grandir.

« Croître psychiquement, c’est avoir une tranquillité suffisante pour accueillir l’enfant que l’on a été, explique le psychiatre Philippe Jeammet. C’est assumer progressivement une certaine continuité sans jamais se couper de sa vulnérabilité première. »

Distinguer l’enfance de l’infantilisme

Aussi faut-il s’entendre sur l’expression « accueillir l’enfant que l’on a été ». A l’heure des soirées « Casimir gloubi-boulga » pour trentenaires nostalgiques, des candidats « jamais sans mon doudou » présentés par certaines émissions de télé-réalité, on pourrait croire qu’il suffit de se travestir en brassière et couche-culotte ou d’entonner une comptine pour se reconnecter à cet âge délicieux. Or, pour certains thérapeutes, ces attitudes visant à singer l’enfant reviennent surtout à célébrer l’immaturité.

« Dans ces représentations, succédanés de l’enfance, il peut y avoir confusion entre l’enfant idéal, qui ne grandira pas, et le retour authentique à la fraîcheur des premières années », commente Muriel Mazet, psychothérapeute. Dans notre panthéon moderne, c’est alors Peter Pan qui triomphe, l’enfant qui ne veut pas grandir.

Sa silhouette aérienne, son esprit malicieux (essentiellement égoïste) habitent sûrement chacun d’entre nous ; mais chez certains, les attitudes infantiles qu’il incarne dominent, pouvant gâcher toute une vie. Car l’infantilisme a plusieurs visages : égocentrisme, dépendance, désir de toute-puissance, frustration, incapacité à différer le plaisir…

Autant de stades de l’évolution psychique que l’on aurait pu dépasser, mais qui sont devenus des points d’ancrage impossibles à quitter.

Oser retourner vers soi

Cet enfant tyrannique et impatient, nous le rencontrons le plus souvent au cours d’une thérapie. A la suite de la psychanalyse freudienne, qui, la première, a évoqué les empreintes de l’infantile en nous, la plupart des théories psychologiques nous invitent en effet à chercher dans les premières années de notre vie la cause de nos difficultés à l’âge adulte. Cela ne se fait pas sans douleur, ni réticences. Certains passent de longs mois face à leur psy ou sur le divan sans parvenir à retrouver les souvenirs tant attendus.

« Dans un premier temps, beaucoup de patients ne parviennent pas à côtoyer l’enfant qu’ils ont été parce que certaines blessures ont comme recouvert les souvenirs plus agréables », explique Muriel Mazet. Une analyse que confirme le psychiatre Philippe Jeammet :

« A l’adolescence, certains se sont rigidifiés psychiquement pour passer plus vite à l’âge adulte, remarque-t-il. Désormais, ils répriment par exemple toute fantaisie ou toute vulnérabilité, parce qu’ils considèrent qu’il est humiliant de paraître faible et petit. »

Les conséquences d’un tel refoulement peuvent être dramatiques, notamment lorsqu’ils deviennent eux-mêmes parents : un père incapable d’exprimer la moindre tendresse à ses enfants ne s’est réveillé que le jour où l’un d’eux a fugué. « Les émotions refoulées sont comme autant de bombes à retardement, commente le psychiatre : elles se manifestent sous forme de ruptures brutales dans la famille, le couple ou au travail… »

Au fur et à mesure des séances, une fois que les événements ont été pensés, parlés, que les douleurs ont été cicatrisées, les patients désirent peu à peu retrouver le « meilleur » de leur enfance et deviennent capables de le faire. Certaines approches, comme celles de « l’Enfant intérieur » aux États-Unis, parlent alors d’un processus de « re-parentage » : il s’agit, à l’âge adulte, de retourner psychiquement vers l’enfant que l’on a été pour le cajoler, mettre des mots sur ses souffrances et libérer le potentiel joyeux en soi.

Car, rappelle l’écrivain Marie-Louise Audiberti, « l’enfant est en communion avec le grand Tout, alors que l’adulte est souvent abandonné par les choses et les gens, séparé. Pris dans le somnambulisme quotidien, il oublie parfois qu’il vit : cet escalier, je l’ai monté sans m’en rendre compte ; cette personne, je lui ai parlé sans la voir. L’enfant est toujours dedans, une table est une table, et ni la joie ni le chagrin n’ont de fin. » Cette intensité de vie est sans doute toujours à notre portée. Pourquoi ne pas tenter de la contacter à nouveau ?

Pascale Senk

A lire :

L’Enfant qui a mal de Muriel Mazet. Pour apprendre à distinguer les blessures essentielles au développement de la personnalité de l’enfant, et celles dont il faut le protéger Desclée de Brouwer, 2003

Écrire l’enfance de Marie-Louise Audiberti. En s’appuyant sur les extraits d’œuvres littéraires de grands écrivains du XXe siècle, une romancière explore les domaines de l’enfance : école, parents, rêves… Autrement, 2003

Guérir son enfant intérieur Moussa Nabati, Fayard, 2006
Prendre soin de l’enfant intérieur Thich Nhat Hanh Belfond

Apprivoiser le côté mal aimé de soi

« Les côtés mal aimés de nous-mêmes que nous tentons en vain d’éliminer de nos vies se projettent sur les autres, et nous forcent à les reconnaître. » Jean Monbourquette

Apprivoiser son ombre

L’ombre et la connaissance de soi

Sans la connaissance de son ombre, impossible en effet de bien se connaître ! Le travail personnel qu’on effectue sur son ombre constitue une condition essentielle pour qui souhaite devenir une personne équilibrée et entière. Sa reconnaissance et sa réintégration permettent de récupérer des parties de soi qu’on a refoulées par crainte de rejet social.

Au cours de son développement, il arrive que l’on ressente de la honte ou de la peur vis-à-vis de sentiments ou d’émotions, de qualités, de talents ou d’aptitudes, d’intérêts, d’idées ou d’attitudes, de peur qu’ils soient mal appréciés dans son milieu.

On a alors tendance à les refouler et à les reléguer dans les dédales de l’inconscient. Or, ces éléments mal aimés de soi, même une fois refoulés, survivent et cherchent à s’affirmer. Si leur propriétaire n’en reconnaît pas l’existence, ils se retourneront contre lui, lui feront peur et lui créeront de sérieux ennuis d’ordre psychologique et social.

Faire émerger les ressources inexploitées de son être, aussi menaçant que cela puisse paraître, permettra de se les approprier et de les réintégrer. On remplira ainsi la première condition de tout développement humain : « Connais-toi toi-même », célèbre précepte inscrit au portail du temple de Delphes.

L’ombre et l’estime de soi

Faire la paix avec son ombre et se lier d’amitié avec elle constitue la condition fondamentale d’une authentique estime de soi. Car comment pourrait-on s’aimer et avoir confiance en soi si une partie de soi, son ombre, est ignorée et agit contre ses propres intérêts ?

Je suis étonné de constater que les ouvrages actuels sur l’estime de soi ne s’intéressent pas davantage aux effets désastreux d’une ombre laissée à l’état sauvage, car celle-ci devient une source importante de mésestime de soi et d’autrui.

Carl Jung rappelle que le psychisme humain est le lieu de luttes intimes : « On le sait, les drames les plus émouvants et les plus étranges ne se jouent pas au théâtre, mais dans le cœur d’hommes et de femmes ordinaires. Ceux-ci vivent sans attirer l’attention et ne trahissent en rien les conflits qui font rage en eux, à moins qu’ils ne deviennent victimes d’une dépression dont ils ignorent eux-mêmes la cause. »

On ne peut donc pas se permettre de faire l’économie de la réintégration de son ombre. Qui refuse ce travail sur lui-même s’exposera à des déséquilibres psychologiques. Il aura tendance à se sentir stressé et déprimé, tourmenté par un sentiment diffus d’angoisse, d’insatisfaction de lui-même et de culpabilité ; il sera sujet à toutes sortes d’obsessions et susceptible de se laisser emporter par ses impulsions : jalousie, colère mal gérée, ressentiment, inconduites sexuelles, gourmandise, etc.

Parmi les dépendances les plus communes, mentionnons l’alcoolisme et la toxicomanie qui font tant de ravages dans nos sociétés modernes.

Sam Naifeh, dans un excellent article sur les causes de la dépendance, affirme : « La dépendance est un problème de l’ombre. » En effet, l’attrait compulsif pour l’alcool et les drogues provient de la recherche incohérente du côté ombrageux de son être.

On a beau accuser les substances toxiques d’être la cause de déchéances humaines, en vérité, elles n’en sont que la cause indirecte en permettant à leur utilisateur de franchir les limites du conscient. Ainsi, pour un moment, l’utilisateur peut s’identifier au côté sombre de lui-même qui l’obsède constamment. La partie sobre de l’alcoolique se trouve dans une constante insatisfaction tant qu’elle n’a pas retrouvé la partie alcoolique cachée dans l’ombre.

L’ombre et la créativité

L’écrivain Julien Green, faisant allusion à l’activité de son ombre, notait : « Il y a quelqu’un qui écrit mes livres que je ne connais pas, mais que je voudrais connaître. » Le travail patient et intelligent de l’apprivoisement de son ombre mettra au jour d’immenses potentialités restées enfouies à l’état sauvage dans l’inconscient. Leur actualisation produira un surcroît de vitalité en même temps qu’elle stimulera la créativité dans toutes les dimensions de la vie.

Article paru sur http://www.editions-arqa.com/editions-arqa/

Jean Monbourquette Apprivoiser son ombre : Le côté mal aimé de soi  Bayard 2001

Dialogue avec l’Ombre

Notre ombre s’attache fidèlement à nos pas. Au matin et au soir, imposante par sa taille, elle se réduit à rien à midi, lorsque le Soleil grimpe au zénith. Cette constatation quotidienne alimentera notre réflexion si nous désirons méditer sur les rapports des corps et de la lumière, analogie facile à transposer sur le plan symbolique.

Dialogue avec l'ombre

Dramaturgie de l’Ombre

Dans la psychologie de Jung, l’Ombre joue un rôle capital. Elle représente tout ce que nous cachons aux autres et à nous-mêmes pour ressembler à un modèle idéal. C’est en fait notre partie obscure, le pôle complémentaire, mais négatif, de notre complexe du Moi. Au cours de notre vie, cette zone ignorée reçoit le dépôt de plus en plus épais de nos actes passés, du refoulement de nos désirs illicites, de tout ce que nous avons entrepris et raté, dépôt alimentant notre culpabilité et notre amertume.

Plus nous ignorons volontairement cette lie, plus elle devient noire et épaisse. Ce dépôt ne représente pas forcément le Mal en nous, mais plutôt tout ce qui est primitif, aveugle, inadapté. Il alimente notre peur. En fait, l’Ombre incarne notre inconscient personnel. Mais, à cause de ses racines archétypiques, elle peut figurer aussi bien le Mal absolu, surtout sur le plan collectif. C’est alors que surgit le Diable, entouré de ses créatures maléfiques.

La plupart du temps, l’on projette son ombre sur autrui. C’est lui qui a toujours tort. Cette projection de toutes nos négativités alimente nos aversions incompréhensibles et nos haines viscérales. Mais elle est aussi un moyen de voir clair en nous, à condition de prendre conscience de cette projection.

Comment affronter cette inconnue si puissante ? Nous nous rendrons vite compte qu’elle possède une énergie qui nous dépasse; la forcer nous fait risquer le pire. Il faut plutôt tenter de dialoguer avec elle. Sa réponse survient un jour, toute seule, évidente, d’une façon imprévisible. Nous devons ainsi dépasser le conflit, plutôt que le résoudre.

C’est à ce prix que nous intégrerons notre Ombre, sans répercussion fâcheuse. Si nous refusons ce marché – et la tentation est grande -, l’Ombre régentera en secret notre existence et nous tendra des pièges, peut-être mortels (accidents). C’est le cas pour « l’homme qui a perdu son ombre », celui qui croit tout savoir de lui-même et devient la victime de son outrecuidance.

Seul, le Soi peut transcender le problème de l’Ombre. Car celle-ci communique avec les grands archétypes, l’Anima (âme féminine de l’homme) et l’animus (pôle masculin de la femme). Elle a donc une fonction de relation qui n’est pas entièrement négative; et même une fécondité créatrice. Le processus psychologique consiste à prendre conscience de son Ombre et à l’intégrer à sa conscience, au-delà de tous les préjugés moraux et sociaux qui l’entachent.

On ne doit pas « avoir peur de son ombre ». Pourtant, l’approcher soulève une résistance considérable. Cette prospection se manifeste par de puissantes vagues émotionnelles et peut tourner à l’obsession. On parlera alors de « possession par l’Ombre ». Pour la neutraliser, nous devrons avoir le courage de « descendre en enfer », afin de rencontrer le couple divin, Anima-Animus, qui nous permettra de remonter vers le soleil du Soi, cet accomplissement libérateur.

Il s’agit d’un processus initiatique millénaire que l’on retrouve aussi bien dans les légendes universelles, la dialectique alchimique, le processus d’individuation jungien, les œuvres géniales des poètes (Dante et la Divine Comédie) que dans les productions du Rêve éveillé, accessibles à tous.

Au sein des rêves, l’Ombre se manifeste sous diverses formes qui évoquent toutes les ténèbres. Ses personnifications peuvent paraître déroutantes surtout lorsqu’elle s’allie aux grandes figures archétypiques.

Noir plus noir que le noir

L’Ombre a pour caractéristique la noirceur la plus absolue. Elle témoigne ainsi de son imperméabilité à la lumière, c’est-à-dire à la pleine conscience. Mais Bachelard, qui cite la formule alchimique Nigrum nigrius nigro, rappelle que dans les ténèbres de la Terre germent les graines du futur. Cette fécondité ne doit pas être oubliée lorsqu’on parle de l’Ombre. Certes, celle-ci représente le Mal, mais elle est aussi matrice énergétique de l’avenir. Une telle dualité ambiguë se retrouve chez les rêveurs.

Prenons pour exemple le charbon. Il est noir et résulte d’une fossilisation millénaire, donc d’une pétrification inexorable. Mais, dans nos cheminées, il alimente le feu, la chaleur et la lumière. On voit que le symbolisme de la mine de charbon présente plusieurs facettes, dont l’une est positive sur le plan de nos énergies mobilisables.

Dans le rêve se confondent espace et temps. Le temps est conçu comme un espace à parcourir. Il fait ainsi souvent référence au processus, aux étapes et au but de la vieille alchimie, sous la forme d’un itinéraire symbolique vers le Centre. Jung avait déjà fait de ce parcours le modèle anticipateur de son processus d’individuation.

Rien en nous n’est foncièrement mauvais. La nature humaine demeure ambiguë, avec sa part de lumière et sa part d’ombre. L’essentiel est de conserver le contact entre nos différents opposés. L’affrontement se fait parfois brutal, mais doit toujours permettre le dialogue. L’essentiel est de reconnaître cette force en nous afin de lui rendre la parole.

Comme au théâtre. Et les répliques se font souvent inattendues et mordantes. Ce dialogue en toute franchise peut devenir comique ou dramatique. L’essentiel est l’émergence du non-dit et la parole donnée à l’inexprimable, au honteux.

Sous le travestissement des rôles, les réparties circulent librement. On se dit enfin crûment la vérité. On rétablit la dynamique intrapsychique, paralysée par l’angoisse. On désarme les méfaits de l’Ombre en en faisant une part appréciée de nous-même. Reconnue, elle perd sa virulence et son agressivité pour s’allier aux forces positives dans leur marche vers l’équilibre pacifique du Soi.

David Guerdon

Devenir conscient de son soi, c’est permettre à l’univers de devenir conscient de lui-même

Trouver du sens, écouter ses intuitions, se relier à ce qu’il y a de plus irrationnel en nous : ces objectifs si contemporains, à la base du développement personnel, nous les devons à Carl Gustav Jung, ce psychiatre inventeur de la « psychologie analytique ». Redécouverte d’une pensée trop souvent méconnue.

Devenir soi

C’est clair, il faut s’accrocher ! L’œuvre de Jung est difficile à lire, pleine d’idées déroutantes, plongeant dans la psychologie, la spiritualité, voyageant de l’alchimie à l’astrologie, du bouddhisme à la kabbale, de la Bible aux contes de Grimm. Mais l’enjeu en vaut la peine.

Aux antipodes du pessimisme de Freud, pour qui l’être humain est destiné au déchirement intérieur permanent, Jung propose un chemin vers la positivité et l’harmonie, destinations paradisiaques en temps de crise, où nous avons envie de rêver, d’échapper aux dures lois de la raison, de nous dire que le vrai pouvoir est celui de l’esprit. Jung répond parfaitement à ces besoins. D’où l’utilité de le découvrir ou de le redécouvrir aujourd’hui.

Au-delà de la raison

Pour suivre Jung, nous devons abandonner notre bon vieux matérialisme et nous ouvrir à la poésie, à l’imaginaire, à ce qui nous dépasse. Pour lui, en effet, pas de vie réussie sans nourriture spirituelle et bonnes relations avec tous ces mystères qui échappent à la raison. « Corps et esprit ne sont pour moi que des aspects de la réalité psychique, écrit-il. Le corps est aussi métaphysique que l’esprit. »

Mieux : « La psyché n’est pas entièrement soumise à l’espace et au temps, déclarait- il en 1959 au journaliste anglais John Freeman. On peut avoir des rêves ou des visions du futur. Seule l’ignorance dénie ces faits. » Pour Jung, l’intuition, cette « fonction non rationnelle de la psyché », est aussi importante que la pensée rationnelle, l’émotion ou la sensation.

« Je » est quatre

Notre réalité intérieure, dans une optique jungienne, s’organise autour de quatre éléments : l’ego, la persona, le soi et l’ombre. L’ego, centre de la conscience, des sensations, des émotions, me permet de me sentir moi à toute heure du jour et de la nuit. La persona (mot latin signifiant « masque ») est la personnalité sociale que chacun endosse pour s’adapter aux attentes des autres et se faire accepter.

Le soi fait de nous une totalité corps-esprit : un être humain. Ce soi jungien n’est pas celui de la psychologie classique : il s’apparente à l’âme, c’est notre « part divine », quel que soit le sens que l’on donne à cet adjectif : « On peut aussi bien l’appeler Dieu que le mystère ultime de la vie, affirme Juliette Allais, thérapeute et analyste de rêves.

Impalpable mais omniprésent, il règne sur nos existences. » Enfin, il y a l’ombre, qui « comprend tous les aspects de notre personnalité que nous ne reconnaissons pas comme nôtres, car inacceptables au regard de l’image que nous voudrions avoir de nous-même et donner à autrui ».

Un inconscient peuplé de divinités

Contrairement à Freud, Jung affirme que nous possédons deux inconscients : l’un individuel, où parlent nos névroses et conflits personnels ; et l’autre collectif, qui nous raconte une histoire universelle, peuplée de héros (Œdipe, Icare ou… la Belle au bois dormant) et de symboles communs à toute l’humanité.

Dans une optique jungienne, en rêvant d’une pomme, je me retrouve aux côtés d’Adam et Ève, je revis symboliquement le mythe fondateur du paradis terrestre. Transmis de génération en génération, réalité psychique mais aussi biologique, cellulaire, l’inconscient collectif est le dépositaire de toutes les réactions typiques de l’espèce humaine : la peur, l’intuition d’un danger, l’amour, l’angoisse de la mort.

Nous sommes là dans un univers bien différent de la vie intérieure selon Freud, avec ses obsessions érotiques, scatologiques, inavouables. « Il est plus agréable et valorisant de se voir plongé dans un inconscient peuplé de divinités que dans l’univers de fantasmes sexuels jaillis du cerveau reptilien », remarque Jean-Jacques Antier, auteur d’une excellente biographie de Jung. En tout cas, en ces temps de désenchantement, cela fait du bien.

De l’ego au grand soi

Selon Jung, le but d’une vie est de passer de l’ego, notre petite personne, au grand soi grâce
au « processus d’individuation ». Il s’agit d’un cheminement intérieur par lequel nous allons tenter de devenir le plus conscient possible, afin de nous « autoengendrer » en tant qu’individu particulier, homme parmi les hommes, mais unique. Une seconde naissance, en quelque sorte.

Pour Jung, l’enjeu est d’importance. Car « devenir conscient de son soi, c’est permettre à l’univers de devenir conscient de lui-même ». « En général, l’individuation devient possible après la crise de la cinquantaine, dans la deuxième moitié de la vie, la première étant accaparé par l’ego suractif. » Pour y parvenir, nous devons nous confronter avec notre ombre (cette part dont nous avons honte), avec notre persona (notre image sociale), avec notre anima et notre animus.

Nous devons cesser de nous mentir et de rejeter ce qui nous dérange en nous. Nous ne réussirons jamais totalement, bien sûr, l’essentiel est d’essayer. Plus qu’un grand ménage, c’est un effort d’intégration et d’assimilation des différents aspects de notre personnalité que nous devons entreprendre.

Mais, prévient Jung, nous ne sommes pas des anges : « Une vie sous le signe de l’harmonie
totale », sans aspérités, serait « très ennuyeuse et déprimante ». Pire, « inhumaine ». Ce trajet initiatique peut passer par un travail sur soi, l’analyse des rêves, la méditation, la prière, la contemplation, l’écriture…

Cette démarche est mystique, idéaliste, naïve même, mais la rationalité pure et dure rend-elle plus heureux ? Fournit-elle des réponses à nos questions existentielles : comment être plus heureux, surmonter la souffrance, aimer, être aimé, faire face à la maladie, le deuil, la mort ?
En 1946, à un vieil ami qui lui demandait quelle attitude adopter pour achever son existence dignement, Jung répondit : « Vivre sa vie. »

Vivre, c’est tout.

Isabelle Taubes

A lire

Essai d’exploration de l’inconscient de Carl Gustav Jung Le livre testament où sont examinés les points principaux de la théorie jungienne, qui est aussi le plus accessible pour les non-initiés (Gallimard, “Folio essais”, 1988).

C.G. Jung ou l’Expérience du divin de Jean-Jacques Antier La plus récente des biographies de Jung et l’une des plus complètes (Presses de la Renaissance, 2010).

 

 

 

Le but de l’acceptation n’est pas de renoncer à l’action, mais, au contraire, d’agir au mieux

Enquête et Débat a beaucoup parlé de bonheur ces derniers temps. Sujet important s’il en est ! Sujet que Christophe André aborde avec compétence, gentillesse et simplicité. L’estime de soi est inhérente à la nature humaine. Sans estime de soi, pas de bonheur possible….

Acceptation

« Tout d’abord parce que l’estime de soi est indissociable de la conscience de soi. Nous sommes dotés de la capacité de réfléchir sur nous, de nous observer en train d’agir. Cette « conscience de soi réflexive » est une chance extraordinaire offerte à notre espèce : elle permet d’avoir du recul sur soi, de s’observer, de s’analyser, donc de se changer, de s’adapter, de s’améliorer.

Mais elle peut aussi servir à se détester, se mépriser, se critiquer. À se rendre la vie impossible et inconfortable. Et stérile parfois, car ces agressions vis-à-vis de soi peuvent paralyser toute forme d’action.

Ensuite, parce que l’estime de soi est liée à notre statut d’animal social. En tant qu’humains, nous sommes condamnés à une existence en groupe, car notre survie ne peut se concevoir qu’au milieu de nos semblables, dans un rapport plus ou moins étroit à eux. Et donc dans le souci, parfois l’appréhension, de ce qu’ils pensent et ressentent vis-à-vis de nous.

Nous sommes naturellement dotés d’un « sens de l’autre » afin de pouvoir, au moins assez grossièrement, décoder ses besoins : pouvoir supposer, imaginer, ce que pense autrui est une chance. Cela nous permet de voir que nous sommes acceptés et de nous adapter si nous ne le sommes pas.

C’est aussi une malchance parfois, si cette fonction de détection devient fonction d’imagination : on se met à supposer plus qu’à observer, à redouter plus qu’à attendre de voir ce qui se passe. « On finit par ne plus voir en l’autre qu’un regard intrusif et un jugement sévère. A redouter le rejet au lieu de susciter l’acceptation. A craindre l’échec au lieu de chercher la réussite. »

Et je vois trop de jeunes enseignants malheureux de « se savoir » incapables d’arriver aux résultats demandés par l’inspection, incapables d’obtenir la discipline dans une classe surpeuplée, incapables…. Nous sommes tous incapables de réaliser l’impossible, nous devons tous arriver à des compromis qui nous laissent le temps de vivre et l’occasion d’être heureux. Seul un prof heureux d’être prof peut rendre ses élèves heureux d’être élèves ! Seule une infirmière heureuse d’être infirmière peut donner un vrai réconfort à ses malades….

La vraie estime de soi, c’est savoir s’accepter tel qu’on est parmi les autres, accepter de rire de ses faiblesses tout en travaillant à s’améliorer… et ce travail prend toute une vie ! Celui qui ne se prend pas trop au sérieux, qui résiste à la tentation de se comparer aux autres, qui ne s’appesantit pas sur ce qui ne peut être changé, qui sait donner, pardonner, rigoler, se consacrer à une action intéressante… a toutes les chances d’être heureux. L’estime de soi c’est donc bien savoir qu’on n’est pas grand’ chose et ne pas en faire tout un plat parce qu’on se sent à l’aise… imparfait, libre et heureux!

Évidemment plus facile à dire qu’à faire et, même, qu’à comprendre. Ainsi, la personne à piètre estime de soi à qui on suggérera de se prendre un peu moins au sérieux, risque fort de répondre : « Justement, je ne fais que ça, je m’écrase, je me fais petit, je la boucle… et je me sens de plus en plus mal ! » Cette personne qui « se fait » petite a une mauvaise image globale d’elle-même, elle n’accepte pas ses imperfections… qu’elle accepterait si elle se prenait moins au sérieux…

« Ne pas se prendre au sérieux, c’est s’accepter tel qu’on est, reconnaître que les choses sont comme elles sont et non comme on voudrait qu’elles soient. « On se change mieux en s’acceptant. »

« Pour progresser, il faut se reconnaître et s’accepter imparfait. Pas coupable, pas minable, mais imparfait ! » Rien de plus difficile, soyons réalistes, et « surtout, à l’opposé total des réflexes qui, depuis tant d’années, nous incitent à feindre d’être plus beau, plus efficace, plus intelligent que nous ne sommes. ». « Le but de l’acceptation des faits n’est pas de renoncer à l’action, mais, au contraire, d’agir au mieux. »

« La non-acceptation de soi est rigide. Moins vous acceptez vos limites, plus vous en êtes prisonnier ! ». « L’attitude d’acceptation repose d’une part sur le respect de soi : être convaincu de sa valeur en tant qu’être humain, être convaincu que ses imperfections ne condamnent pas une personne et que sa valeur réside au-delà de l’existence de ses faiblesses.

Elle repose d’autre part sur le pragmatisme : de toute manière, à quoi servent la colère ou la tristesse envers ce qui ne va pas chez moi ? A me faire plus de mal encore ? A me figer dans la plainte et la réactivité épidermique ? Dans ces « vaines révoltes » dont parle Marc-Aurèle : « Ce concombre est amer ; jette-le. Il y a des ronces dans le chemin ; évite-les. Cela suffit. N’ajoute pas : « Pourquoi cela existe-t-il dans le monde? »

Comment arriver à changer en pratique ? Christophe André donne des domaines dans lesquels un travail est nécessaire, il montre que ce travail est possible et peut même être amusant (mais
oui !). Un exemple typique est la gentillesse : les personnes qui s’estiment peu se croient souvent « trop gentilles ».

La réponse est toute simple : on n’est jamais trop gentil – l’attention bienveillante à autrui nous rend heureux – et « le problème n’est donc pas d’être trop gentil, il est de ne pas être assez affirmé par ailleurs. Il ne faut pas être que gentil. Il faut aussi ajouter à son répertoire la capacité de dire « Non » ! »

Alors, un petit exercice ? Dites « Non » – « Non, je ne veux pas » ou « Non, je ne suis pas d’accord » – la prochaine fois qu’on vous heurtera. L’étonnement de votre interlocuteur vous amusera. Et faites plaisir quand cela vous fait aussi plaisir, quand c’est vraiment possible et tout le monde se sentira bien. Rien de plus communicatif que la sensation « je me sens à l’aise » ! (Cela est même prouvé par de récentes études statistiques).

N’oublions surtout pas que l’être humain est avant tout un être social qui aime « bien » vivre avec les autres, sans conflits inutiles ! Cela est encore plus vrai pour un enseignant que pour Monsieur ou Madame n’importe qui et c’est la raison pour laquelle ce livre rencontre un succès réel auprès d’enseignants qui se demandent comment arriver à concilier intérêt des élèves et intérêt personnel, comment être à l’aise dans un monde qui nous demande la perfection – nous profs bien imparfaits – et qui nous « offre » critiques, plaintes quand ce n’est pas révolte en classe ou avocat à la fin de l’année !

Nous voulons être heureux ? Au travail comme ailleurs ? Réfléchissons à cette petite phrase de Thucidyde (471 – 400 av.JC) : « Le secret du bonheur est la liberté et le secret de la liberté est le courage. » Vous me direz : « Quel rapport avec ce livre ? » et la réponse est toute simple : il faut un sacré courage pour admettre qu’on n’est pas important, qu’on est imparfait… et ensuite la sensation de liberté est immense, bienfaisante !

Et je terminerai ce petit digest par une citation de l’empereur Marc-Aurèle : « Tout homme qui fait une injustice est impie. En effet, la nature universelle ayant créé les hommes les uns pour les autres, afin qu’ils se donnent des secours mutuels, celui qui viole cette loi commet une impiété envers la divinité la plus ancienne : car la nature universelle est la mère de tous les êtres, et par conséquent tous les êtres ont une liaison naturelle entre eux. » Marc-Aurèle parle comme Dostoïevski 17 siècles plus tard, comme tous ceux qui estiment que la vie est déjà assez pénible et que « la liaison naturelle entre êtres humains » doit alléger le poids de cette vie au lieu de l’alourdir.

Et une citation d’un philosophe moderne, André Comte-Sponville : « L’homme humble ne se croit – ou ne se veut – pas inférieur aux autres : il a cessé de se croire – ou de se vouloir – supérieur. » Cet « homme humble » se sent bien, il est sûr de lui, il a une bonne estime de soi puisqu’il n’a rien à prouver et il voit sa ressemblance avec les autres plus que sa différence. Ressemblance qui l’incite à agir au lieu de s’appesantir sur des problèmes trop personnels pour être importants.

Mia Vossen dans http://www.enquete-debat.fr/

Christophe André Imparfaits, libres et heureux, Odile Jacob, 2006

 

 

 

 

 

 

Antidote contre l’isolement et l’aliénation

Isolement

Suite de https://tarotpsychologique.wordpress.com/2015/04/20/la-solitude-heureuse/

L’isolement

L’isolement est le côté sombre de la solitude. Être sans les autres lorsque ce sont les autres qui éclairent toute notre conscience, nous réduit à souffrir sans cesse de l’ennui et de la langueur du manque. Celui qui ressent l’isolement n’est malheureusement plus avec lui-même et avec ses ressources.

Il ne contacte que l’absence des autres et ne peut se vivre alors que comme l’attente douloureuse de leur présence. Pour l’éloigner de cette souffrance, il faut l’aider à apprécier sa solitude plutôt que rapidement la dénigrer en tentant notamment de le distraire de lui-même.

L’intensité du ressenti de l’isolement varie en fonction de divers facteurs, exemples : la force ou la faiblesse de l’identité de l’isolé, du type et de la densité des liens avec les autres, du jeu des intérêts et des ressources. Toutes ces dimensions, seules ou en interaction, peuvent augmenter ou diminuer l’intensité de l’isolement.

Cependant, si nous désirons comprendre en quoi l’isolement, être sans les autres, est porteur de souffrance, c’est plutôt au plus profond de chacun dans sa lutte entre la vie et la mort qu’il nous faut chercher. C’est effectivement dans son rapport à la mort que l’isolement fait souffrir. La souffrance de tout isolement nous conduit tous, quelque part, à l’angoisse de la mort.

En réalité, la personne isolée prend conscience que sans les autres, sans la solidarité humaine, elle risque de mourir. Sa fragilité toute humaine ne peut pas affronter toutes les menaces de destruction qui rôdent autour d’elle. Elle ne peut pas croire que seule, elle arrivera à surmonter les menaces à son existence.

Elle pense que sans l’autre, elle sera détruite, elle va disparaître, mourir. Le sentiment de l’isolement reste intimement relié à l’anxiété de la mort, ce qui explique sa souffrance essentielle. En conséquence, celui qui désire rejoindre le sens d’une solitude harmonieuse doit obligatoirement confronter les ressentis d’isolement, pour ensuite en transcender la condition afin de parvenir à intégrer sa solitude. 

Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir (Rainer-Maria Rilke, Lettres à un jeune poète).

Cette démarche implique nécessairement un cheminement de longue date. En effet, puisqu’on commence son existence en ne faisant qu’un avec l’autre, pour devenir une personne, l’être humain doit lentement s’arracher au lien fusionnel avec sa mère pour graduellement apprendre à vivre de lui-même, sur « ses deux petites jambes », même si la nostalgie de cet état fusionnel ne cesse de le poursuivre.

C’est alors que commence la période de l’isolement radicale qu’il faut confronter. Cette nostalgie se manifestera pour plusieurs dans l’ennui et persistera durant toute la vie de la personne avec plus ou moins d’intensité jusqu’à ce qu’elle parvienne à conquérir pleinement sa solitude. En somme, pour tout être humain, l’isolement précède la solitude qui doit donc se peiner et se conquérir.

L’aliénation de soi-même

L’aliénation de soi-même constitue une forme particulière de l’isolement. Il s’agit de l’isolement par rapport à soi-même, c’est-à-dire que la personne n’est plus en contact avec elle-même. De là, elle n’arrive pas à connaître ses goûts, ses attentes ou ses besoins. N’étant plus avec elle-même c’est comme si elle n’avait plus d’elle-même. N’ayant plus d’elle-même, elle n’est plus elle-même. Elle ne sait plus qui elle est.

Elle conserve bien sûr son étiquette sociale, son nom et le réseau de ses relations mais, sans subjectivité intérieure, elle se vit à travers tout ça comme un pantin, sans âme. Ce type d’isolement, l’aliénation de soi-même, transporte une souffrance terrible dont l’atrocité s’explique par le fait qu’elle occupe toute la place de la vie intérieure de la personne.

Sa souffrance est la seule chose qu’elle ressent. Comme un grand brûlé, elle est sensible de partout, sa souffrance est envahissante, rien en elle-même n’évoque autre chose que la douleur. L’aliénation de soi-même repose beaucoup plus sur la mort de l’identité que sur son non-avènement. Déjà dans le passé, la personne réussissait à élaborer son identité et à s’individualiser sauf que ses imprudences pour la consolider et ses avidités pour avoir plutôt que pour être l’ont conduite à laisser aller des morceaux d’elle-même.

Elle en vient à se délaisser de plus en plus jusqu’au jour où elle se détruit pour une façade, un masque. Elle n’est plus dorénavant elle-même avec elle-même. Puisqu’il faut être présent à soi-même pour être avec l’autre, la personne qui n’est plus avec elle-même, n’arrive pas plus à être avec les autres. Si la personne n’est pas avec elle-même, il n’y a personne, ou c’est comme s’il n’y avait personne. La relation interpersonnelle devient en quelque sorte impossible.

Ainsi, d’une certaine façon, l’isolement résulte de l’aliénation avec soi-même. Si le sens de l’identité et de la subjectivité est à la source du sens de la solitude et de ses vertus, l’aliénation de soi-même peut être entendue comme étant à la source de l’isolement et de ses misères.

Choisir la solitude

La personne peut choisir sa solitude ou bien s’adapter à celle qui est imposée. La solitude imposée (suite à un divorce, une séparation, un deuil ou un rejet) peut rapidement prendre la coloration de l’isolement. La personne se sent alors mise-à-part. Ce sentiment d’exclusion s’accompagne la plupart du temps d’une crainte de ne plus avoir de contrôle sur ses relations avec les autres, de perdre à jamais l’autre et peut s’étendre ensuite, par contagion, à l’ensemble de la vie.

La menace de cette misère d’être mis-à-part par la vie (un deuil, une perte) ou par les autres (un divorce ou un rejet) risque de conduire certains à plonger d’eux-mêmes dans la solitude ou plutôt dans l’isolement. La solitude s’apparente alors à un retrait et constitue en fait une manière ultime de se défendre et de se protéger.

En effet, l’expérience réelle ou fantaisiée de cette solitude imposée par des événements extérieurs contient tellement de souffrances que la personne préfère les soulager ou s’en prémunir en choisissant elle-même de s’isoler. Cette solitude, d’une certaine façon, choisie en même temps qu’imposée risque cependant d’être plus terne, plus atone que revivifiante, car elle indique davantage la fuite de la souffrance qu’une relation de quiétude et de satisfaction avec soi-même.

La solitude choisie de manière authentique constitue un acte de la conscience éclairée. Elle doit être choisie pour ses vertus propres, comme une source de vitalité plutôt que comme une défense devant la menace de la mise-à-part, de l’isolement. Le caractère sain du choix de la solitude réside dans la capacité à goûter aux plaisirs de l’interpersonnel et des relations humaines.

Dans la solitude choisie, la personne doit être tout autant capable d’apprécier être seule avec elle-même que d’être en relation avec les autres. La capacité à être en contact avec l’autre peut même être considérée comme une condition essentielle de la réussite de la solitude choisie. Plus une personne apprécie les relations humaines, plus elle se donne effectivement l’assurance de la santé du choix de sa solitude.

Moines

Chez les moines contemplatifs, les meilleurs candidats à la vie de solitude et de silence sont souvent des joviaux qui aiment la compagnie des autres. Ce type de solitude choisie sert beaucoup plus le développement de la personne puisqu’elle connaît le prix de sa solitude à savoir le sacrifice de la joie d’être avec l’autre.

Transformer la solitude imposée en solitude heureuse

Si la personne sait bien la négocier, même la solitude imposée peut à certaines époques de la vie s’avérer profitable à la personne. L’isolement peut devenir dramatique pour une personne qui par résistance ou par un mécanisme de défense se replie sur elle-même, mais il peut aussi devenir un tremplin vers la solitude heureuse et mener cette même personne (qui, souvent, s’est toujours dévouée à répondre aux besoins des autres) à profiter d’une vie nouvelle plus satisfaisante.

Encore faut-il qu’elle valorise sa solitude et que les autres autour d’elle cessent de la lui reprocher comme s’il s’agissait d’une tare. Plus une personne demeure figée dans son isolement, plus elle risque le déclenchement d’une maladie mentale (paranoïa, dépression, etc.).

Plus elle est authentiquement seule (avec elle-même), plus elle augmente sa vitalité, en faisant travailler sa subjectivité et en se donnant, à l’intérieur de ses limites, une créativité nouvelle. Ainsi elle sent que sa vie vaut la peine de continuer parce qu’elle se sent utile.

Chaque personne possède le potentiel qu’il faut pour apprendre à se sentir bien lorsqu’elle est seule, à établir ce contact développemental avec elle-même, qui n’est pas un retrait ni un obstacle à la qualité des liens qu’elle entretient avec les autres. C’est par l’actualisation de ses potentialités, l’élargissement de son monde et l’utilisation de sa pleine humanité que le développement de toute personne s’effectue.

Ce développement n’a jamais de cesse. Toute personne doit donc se ménager un espace personnel suffisant, propre à chacune, pour se donner la dose de solitude qu’il faut pour atteindre ces objectifs.

Accepter d’être seul devant l’autre

Être vraiment seul, entièrement avec soi-même, tout en étant devant une autre personne devient pour bien des gens le niveau le plus élevé qu’il soit possible d’atteindre dans la capacité de solitude. En fait, de nombreuses misères humaines et plusieurs drames interpersonnels (par exemple la violence conjugale) seraient probablement évités si les personnes parvenaient plus souvent à cette forme plus évoluée de solitude, la capacité d’être seul devant les autres.

Expliquons-nous. Être seul, c’est-à-dire avec soi-même, tout en étant devant et avec l’autre, se situe à un point extrême d’un continuum. L’autre point extrême s’organise autour d’une fusion complète dans l’autre de telle façon qu’être avec l’autre implique de ne plus être avec soi-même. Toutes les nuances de présence à soi et de présence à l’autre se retrouvent tout au long de ce continuum. 

La solitude devant l’autre implique la rencontre de deux forces. D’une part, l’affirmation de son identité – ou encore de la vie intérieure qui remplit la conscience plutôt que d’être habitée et dérangée par l’autre et ses préoccupations – d’autre part, la sécurité, la chaleur et souvent l’amour apportés par la présence de l’autre pour explorer et nommer l’expérience intrapersonnelle. Bienheureux celui chez qui ces deux forces se synergisent pour développer encore plus cette capacité à être seul devant et avec l’autre. 

La plupart du temps ce n’est pas facilement qu’en sa présence l’autre nous laisse aller à notre solitude. Ce voyage vers nous-mêmes peut lui apparaître suspect ou être ressenti comme une injure à son égard. Souvent il estime, à tort, que notre capacité de solitude devant lui est en proportion avec le désintérêt qu’il suscite chez nous.

L’autre peut s’insulter de ne pas être assez intéressant pour nous soustraire à notre solitude. En conséquence, au lieu de ressentir l’humiliation et la blessure de se vivre comme inintéressant, il pourrait être tenté de faire tout en son possible pour nous distraire de notre solitude et pour garder ou obtenir notre attention.

Parfois c’est la personne qui n’ose pas aller vers la solitude comme si elle se sentait retenue par la présence de l’autre. Elle impose d’elle-même un frein à son élan vers la solitude pour demeurer uniquement attentive à son sentiment de responsabilité face à la satisfaction de l’autre. Elle demeure donc vigilante à l’humeur de l’autre, inquiète de son bonheur et complètement habitée par le souci de lui plaire.

C’est souvent l’attente du regard bienveillant de l’autre qui mène à l’arrêt de l’élan vers la solitude. La personne se croit créée par ce regard de l’autre et elle conserve le sentiment d’exister bien peu en dehors de lui. De là, elle se charge d’entretenir ce regard sinon elle risque, croit-elle, elle-même de disparaître.

Plonger dans sa solitude comporte alors le danger de se perdre soi-même puisqu’en dehors de ce regard de l’autre, elle a l’impression de ne pas exister. La solitude devant l’autre est donc la plus difficile à domestiquer mais elle est aussi la plus riche de croissance et de développement pour les êtres de relations et de solitude que nous sommes. 

C’est maintenant à chacun, dans sa solitude, de compléter à sa façon ces propos, de s’approprier ces idées, de les faire siennes pour les recréer de telle manière qu’elles serviront à développer encore plus sa vitalité et sa créativité. La femme ou l’homme capable d’être seul aime sa solitude autant que le courage, l’effort et la peine qu’elle exige.

La solitude peut devenir une véritable compagne pour ceux qui cherchent le développement et l’actualisation. Si ces pages ont pu créer quelque part en chacun de vous, multiplicateurs d’influence, cette amitié tellement enrichissante entre vous-mêmes et votre solitude, de nombreuses personnes en profiteront pour leur propre individualité et leur propre créativité. 

Jules Bureau, (1933-2011) Psychologue et Sexologue, Québec, Canada