
Suite de https://tarotpsychologique.wordpress.com/2015/04/20/la-solitude-heureuse/
L’isolement
L’isolement est le côté sombre de la solitude. Être sans les autres lorsque ce sont les autres qui éclairent toute notre conscience, nous réduit à souffrir sans cesse de l’ennui et de la langueur du manque. Celui qui ressent l’isolement n’est malheureusement plus avec lui-même et avec ses ressources.
Il ne contacte que l’absence des autres et ne peut se vivre alors que comme l’attente douloureuse de leur présence. Pour l’éloigner de cette souffrance, il faut l’aider à apprécier sa solitude plutôt que rapidement la dénigrer en tentant notamment de le distraire de lui-même.
L’intensité du ressenti de l’isolement varie en fonction de divers facteurs, exemples : la force ou la faiblesse de l’identité de l’isolé, du type et de la densité des liens avec les autres, du jeu des intérêts et des ressources. Toutes ces dimensions, seules ou en interaction, peuvent augmenter ou diminuer l’intensité de l’isolement.
Cependant, si nous désirons comprendre en quoi l’isolement, être sans les autres, est porteur de souffrance, c’est plutôt au plus profond de chacun dans sa lutte entre la vie et la mort qu’il nous faut chercher. C’est effectivement dans son rapport à la mort que l’isolement fait souffrir. La souffrance de tout isolement nous conduit tous, quelque part, à l’angoisse de la mort.
En réalité, la personne isolée prend conscience que sans les autres, sans la solidarité humaine, elle risque de mourir. Sa fragilité toute humaine ne peut pas affronter toutes les menaces de destruction qui rôdent autour d’elle. Elle ne peut pas croire que seule, elle arrivera à surmonter les menaces à son existence.
Elle pense que sans l’autre, elle sera détruite, elle va disparaître, mourir. Le sentiment de l’isolement reste intimement relié à l’anxiété de la mort, ce qui explique sa souffrance essentielle. En conséquence, celui qui désire rejoindre le sens d’une solitude harmonieuse doit obligatoirement confronter les ressentis d’isolement, pour ensuite en transcender la condition afin de parvenir à intégrer sa solitude.
Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir (Rainer-Maria Rilke, Lettres à un jeune poète).
Cette démarche implique nécessairement un cheminement de longue date. En effet, puisqu’on commence son existence en ne faisant qu’un avec l’autre, pour devenir une personne, l’être humain doit lentement s’arracher au lien fusionnel avec sa mère pour graduellement apprendre à vivre de lui-même, sur « ses deux petites jambes », même si la nostalgie de cet état fusionnel ne cesse de le poursuivre.
C’est alors que commence la période de l’isolement radicale qu’il faut confronter. Cette nostalgie se manifestera pour plusieurs dans l’ennui et persistera durant toute la vie de la personne avec plus ou moins d’intensité jusqu’à ce qu’elle parvienne à conquérir pleinement sa solitude. En somme, pour tout être humain, l’isolement précède la solitude qui doit donc se peiner et se conquérir.
L’aliénation de soi-même
L’aliénation de soi-même constitue une forme particulière de l’isolement. Il s’agit de l’isolement par rapport à soi-même, c’est-à-dire que la personne n’est plus en contact avec elle-même. De là, elle n’arrive pas à connaître ses goûts, ses attentes ou ses besoins. N’étant plus avec elle-même c’est comme si elle n’avait plus d’elle-même. N’ayant plus d’elle-même, elle n’est plus elle-même. Elle ne sait plus qui elle est.
Elle conserve bien sûr son étiquette sociale, son nom et le réseau de ses relations mais, sans subjectivité intérieure, elle se vit à travers tout ça comme un pantin, sans âme. Ce type d’isolement, l’aliénation de soi-même, transporte une souffrance terrible dont l’atrocité s’explique par le fait qu’elle occupe toute la place de la vie intérieure de la personne.
Sa souffrance est la seule chose qu’elle ressent. Comme un grand brûlé, elle est sensible de partout, sa souffrance est envahissante, rien en elle-même n’évoque autre chose que la douleur. L’aliénation de soi-même repose beaucoup plus sur la mort de l’identité que sur son non-avènement. Déjà dans le passé, la personne réussissait à élaborer son identité et à s’individualiser sauf que ses imprudences pour la consolider et ses avidités pour avoir plutôt que pour être l’ont conduite à laisser aller des morceaux d’elle-même.
Elle en vient à se délaisser de plus en plus jusqu’au jour où elle se détruit pour une façade, un masque. Elle n’est plus dorénavant elle-même avec elle-même. Puisqu’il faut être présent à soi-même pour être avec l’autre, la personne qui n’est plus avec elle-même, n’arrive pas plus à être avec les autres. Si la personne n’est pas avec elle-même, il n’y a personne, ou c’est comme s’il n’y avait personne. La relation interpersonnelle devient en quelque sorte impossible.
Ainsi, d’une certaine façon, l’isolement résulte de l’aliénation avec soi-même. Si le sens de l’identité et de la subjectivité est à la source du sens de la solitude et de ses vertus, l’aliénation de soi-même peut être entendue comme étant à la source de l’isolement et de ses misères.
Choisir la solitude
La personne peut choisir sa solitude ou bien s’adapter à celle qui est imposée. La solitude imposée (suite à un divorce, une séparation, un deuil ou un rejet) peut rapidement prendre la coloration de l’isolement. La personne se sent alors mise-à-part. Ce sentiment d’exclusion s’accompagne la plupart du temps d’une crainte de ne plus avoir de contrôle sur ses relations avec les autres, de perdre à jamais l’autre et peut s’étendre ensuite, par contagion, à l’ensemble de la vie.
La menace de cette misère d’être mis-à-part par la vie (un deuil, une perte) ou par les autres (un divorce ou un rejet) risque de conduire certains à plonger d’eux-mêmes dans la solitude ou plutôt dans l’isolement. La solitude s’apparente alors à un retrait et constitue en fait une manière ultime de se défendre et de se protéger.
En effet, l’expérience réelle ou fantaisiée de cette solitude imposée par des événements extérieurs contient tellement de souffrances que la personne préfère les soulager ou s’en prémunir en choisissant elle-même de s’isoler. Cette solitude, d’une certaine façon, choisie en même temps qu’imposée risque cependant d’être plus terne, plus atone que revivifiante, car elle indique davantage la fuite de la souffrance qu’une relation de quiétude et de satisfaction avec soi-même.
La solitude choisie de manière authentique constitue un acte de la conscience éclairée. Elle doit être choisie pour ses vertus propres, comme une source de vitalité plutôt que comme une défense devant la menace de la mise-à-part, de l’isolement. Le caractère sain du choix de la solitude réside dans la capacité à goûter aux plaisirs de l’interpersonnel et des relations humaines.
Dans la solitude choisie, la personne doit être tout autant capable d’apprécier être seule avec elle-même que d’être en relation avec les autres. La capacité à être en contact avec l’autre peut même être considérée comme une condition essentielle de la réussite de la solitude choisie. Plus une personne apprécie les relations humaines, plus elle se donne effectivement l’assurance de la santé du choix de sa solitude.

Chez les moines contemplatifs, les meilleurs candidats à la vie de solitude et de silence sont souvent des joviaux qui aiment la compagnie des autres. Ce type de solitude choisie sert beaucoup plus le développement de la personne puisqu’elle connaît le prix de sa solitude à savoir le sacrifice de la joie d’être avec l’autre.
Transformer la solitude imposée en solitude heureuse
Si la personne sait bien la négocier, même la solitude imposée peut à certaines époques de la vie s’avérer profitable à la personne. L’isolement peut devenir dramatique pour une personne qui par résistance ou par un mécanisme de défense se replie sur elle-même, mais il peut aussi devenir un tremplin vers la solitude heureuse et mener cette même personne (qui, souvent, s’est toujours dévouée à répondre aux besoins des autres) à profiter d’une vie nouvelle plus satisfaisante.
Encore faut-il qu’elle valorise sa solitude et que les autres autour d’elle cessent de la lui reprocher comme s’il s’agissait d’une tare. Plus une personne demeure figée dans son isolement, plus elle risque le déclenchement d’une maladie mentale (paranoïa, dépression, etc.).
Plus elle est authentiquement seule (avec elle-même), plus elle augmente sa vitalité, en faisant travailler sa subjectivité et en se donnant, à l’intérieur de ses limites, une créativité nouvelle. Ainsi elle sent que sa vie vaut la peine de continuer parce qu’elle se sent utile.
Chaque personne possède le potentiel qu’il faut pour apprendre à se sentir bien lorsqu’elle est seule, à établir ce contact développemental avec elle-même, qui n’est pas un retrait ni un obstacle à la qualité des liens qu’elle entretient avec les autres. C’est par l’actualisation de ses potentialités, l’élargissement de son monde et l’utilisation de sa pleine humanité que le développement de toute personne s’effectue.
Ce développement n’a jamais de cesse. Toute personne doit donc se ménager un espace personnel suffisant, propre à chacune, pour se donner la dose de solitude qu’il faut pour atteindre ces objectifs.
Accepter d’être seul devant l’autre
Être vraiment seul, entièrement avec soi-même, tout en étant devant une autre personne devient pour bien des gens le niveau le plus élevé qu’il soit possible d’atteindre dans la capacité de solitude. En fait, de nombreuses misères humaines et plusieurs drames interpersonnels (par exemple la violence conjugale) seraient probablement évités si les personnes parvenaient plus souvent à cette forme plus évoluée de solitude, la capacité d’être seul devant les autres.
Expliquons-nous. Être seul, c’est-à-dire avec soi-même, tout en étant devant et avec l’autre, se situe à un point extrême d’un continuum. L’autre point extrême s’organise autour d’une fusion complète dans l’autre de telle façon qu’être avec l’autre implique de ne plus être avec soi-même. Toutes les nuances de présence à soi et de présence à l’autre se retrouvent tout au long de ce continuum.
La solitude devant l’autre implique la rencontre de deux forces. D’une part, l’affirmation de son identité – ou encore de la vie intérieure qui remplit la conscience plutôt que d’être habitée et dérangée par l’autre et ses préoccupations – d’autre part, la sécurité, la chaleur et souvent l’amour apportés par la présence de l’autre pour explorer et nommer l’expérience intrapersonnelle. Bienheureux celui chez qui ces deux forces se synergisent pour développer encore plus cette capacité à être seul devant et avec l’autre.
La plupart du temps ce n’est pas facilement qu’en sa présence l’autre nous laisse aller à notre solitude. Ce voyage vers nous-mêmes peut lui apparaître suspect ou être ressenti comme une injure à son égard. Souvent il estime, à tort, que notre capacité de solitude devant lui est en proportion avec le désintérêt qu’il suscite chez nous.
L’autre peut s’insulter de ne pas être assez intéressant pour nous soustraire à notre solitude. En conséquence, au lieu de ressentir l’humiliation et la blessure de se vivre comme inintéressant, il pourrait être tenté de faire tout en son possible pour nous distraire de notre solitude et pour garder ou obtenir notre attention.
Parfois c’est la personne qui n’ose pas aller vers la solitude comme si elle se sentait retenue par la présence de l’autre. Elle impose d’elle-même un frein à son élan vers la solitude pour demeurer uniquement attentive à son sentiment de responsabilité face à la satisfaction de l’autre. Elle demeure donc vigilante à l’humeur de l’autre, inquiète de son bonheur et complètement habitée par le souci de lui plaire.
C’est souvent l’attente du regard bienveillant de l’autre qui mène à l’arrêt de l’élan vers la solitude. La personne se croit créée par ce regard de l’autre et elle conserve le sentiment d’exister bien peu en dehors de lui. De là, elle se charge d’entretenir ce regard sinon elle risque, croit-elle, elle-même de disparaître.
Plonger dans sa solitude comporte alors le danger de se perdre soi-même puisqu’en dehors de ce regard de l’autre, elle a l’impression de ne pas exister. La solitude devant l’autre est donc la plus difficile à domestiquer mais elle est aussi la plus riche de croissance et de développement pour les êtres de relations et de solitude que nous sommes.
C’est maintenant à chacun, dans sa solitude, de compléter à sa façon ces propos, de s’approprier ces idées, de les faire siennes pour les recréer de telle manière qu’elles serviront à développer encore plus sa vitalité et sa créativité. La femme ou l’homme capable d’être seul aime sa solitude autant que le courage, l’effort et la peine qu’elle exige.
La solitude peut devenir une véritable compagne pour ceux qui cherchent le développement et l’actualisation. Si ces pages ont pu créer quelque part en chacun de vous, multiplicateurs d’influence, cette amitié tellement enrichissante entre vous-mêmes et votre solitude, de nombreuses personnes en profiteront pour leur propre individualité et leur propre créativité.
Jules Bureau, (1933-2011) Psychologue et Sexologue, Québec, Canada
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