Matthieu Ricard : «Et n’oublie pas d’être heureux»

Lune

Avec Et n’oublie pas d’être heureux , notre ami Christophe André nous offre, une fois de plus, un trésor d’inspiration et de sagesse bien ancrée dans l’expérience vécue, la vie quotidienne et la bonne science. Christophe se garde de nous promettre la lune — le Dalaï-lama disait une fois que l’un des problèmes de nos contemporains est qu’ils voudraient que le fruit du chemin de transformation intérieure soit « facile, rapide et bon marché, » — mais il pointe un doigt avisé vers la lune de la plénitude à laquelle nombre d’entre nous aspire.

Jusqu’aux années 1980, peu de chercheurs s’étaient penchés sur les moyens permettant de développer les traits positifs de notre tempérament. Si l’on consulte le répertoire des livres et articles consacrés à la psychologie depuis 1887 (Psychological Abstracts), on y relève 136 728 titres mentionnant la colère, l’anxiété ou la dépression contre seulement 9 510 titres mentionnant la joie, la satisfaction ou le bonheur.

Il est certes plus que désirable de traiter les troubles psychologiques qui handicapent, voire paralysent la vie des gens, mais comme le montre Christophe tout au long de son ouvrage, le bonheur ne se résume pas à l’absence de malheur : « La psychologie classique ne vise
qu’à « réparer » ce qui est abîmé dans l’esprit et l’âme des patients.

Mais il faut aussi les aider à développer ce qui les rendra plus heureux. » Et ce, pas seulement pour leur « bon plaisir », mais parce qu’on sait maintenant que le bonheur est un excellent outil de prévention de l’apparition des pathologies mentales ou de leurs rechutes.

Le bonheur n’est pas seulement, « le silence du malheur » comme l’écrivait Jules Renard. Dès 1969, le psychologue Norman Bradburn avait montré que les affects plaisants et déplaisants ne représentent pas seulement des contraires, mais procèdent de mécanismes différents et doivent donc être étudiés séparément.

Se contenter d’éliminer la tristesse et l’anxiété n’assure pas automatiquement la joie et le bonheur. La suppression d’une douleur ne conduit pas nécessairement au plaisir. Il est donc nécessaire non seulement de se libérer des émotions négatives mais aussi de développer les émotions positives.

Cette position rejoint celle du bouddhisme qui affirme, par exemple, que s’abstenir de faire du tort aux autres (l’élimination de la malveillance) ne suffit pas, et que cette abstention doit être renforcée par un effort déterminé à faire leur bien (l’épanouissement de l’altruisme et sa mise en œuvre).

Selon Barbara Fredrickson, de l’université de Michigan, l’une des fondatrices de la psychologie positive, « les émotions positives ouvrent l’esprit et élargissent la palette des pensées et des actions : la joie, l’intérêt, le contentement, l’amour […]. Les pensées positives engendrent des comportements flexibles, accueillants, créateurs et réceptifs ».

La psychologie positive, représentée par une nouvelle génération de chercheurs, a donc pour but d’étudier et de renforcer les émotions positives qui nous permettent de devenir de meilleurs êtres humains tout en acquérant une plus grande joie de vivre.

Christophe souligne qu’il ne faudrait pas minimiser l’importance de la psychologie positive en supposant qu’elle « ne consiste pas à délivrer de vagues bons conseils « prenez la vie du bon côté ! » ou encourager à « positiver ». La psychologie positive est l’étude de ce qui marche bien dans l’esprit humain et nous encourage à rechercher une manière d’être « optimale. »

Selon nombre de recherches scientifiques, le développement d’émotions positives présente un avantage évolutif indiscutable dans la mesure où il nous aide à élargir notre univers intellectuel et affectif, à nous ouvrir à de nouvelles idées et de nouvelles expériences.

À l’opposé de la dépression, qui provoque souvent une plongée en vrille, les émotions positives engendrent une spirale ascendante : elles construisent la force d’âme et influencent la façon de gérer l’adversité ».

Pour cela, il ne suffit pas de se contenter de quelques moments magiques, bienvenus dans l’existence au côté de moments plus sombres, il faut persévérer dans la compréhension des conditions intérieures du bien-être et dans la pratique, au fil des heures et des jours, d’une meilleure intelligence quant à la façon de gérer nos pensées et nos émotions.

Comme l’ajoute Christophe, « C’est une conviction, une science et une pratique. » Une conviction, parce qu’on en aura reconnu le bien-fondé ; une science, parce qu’il ne suffira pas de faire n’importe quoi ; une pratique, parce que rien ne vient en quelques instants simplement parce qu’on le souhaite.

Sinon, on risque de tomber dans le travers de cet apprenti musicien, imaginé par Christophe, qui renonce à l’apprentissage avant de l’avoir entrepris : « J’ai pris le violon, j’ai frotté l’archet sur les cordes, et non seulement rien n’est sorti de beau, mais en plus ça faisait un son horrible. C’est nul le violon ! »

La psychologie positive ne nous garantit nullement une vie à l’eau de rose, sans souffrances, mais peut certainement nous aider à actualiser le meilleur de nous-mêmes.

Matthieu Ricard

Et n’oublie pas d’être heureux, par Christophe André. Odile Jacob, 400p, 23,90 €.

http://www.matthieuricard.org/

23 réflexions sur “Matthieu Ricard : «Et n’oublie pas d’être heureux»

  1. Bonjour Elisabeth !
    Je pense constater que pour beaucoup le malheur est plus présent que le bonheur dans une vie.
    Je ne crois pas, simplement il faut savoir reconnaitre chaque bride de bonheur qu’il nous ai donné de vivre. Et puis Elisabeth, si nous n’avions pas quelques malheurs dans celle-ci, je pense que nous n’en apprécierions pas les bonheurs.
    Je crois aussi que nous sommes dans une société où tout doit-être bien, rapide, mais en réalité ce n’est pas ainsi 😉 Dans une société aussi où l’on envie le voisin et ne supporte pas d’avoir moins que celui-ci, belle erreur…
    Sans vouloir être fataliste, je pense que l’un ne va pas sans l’autre. A nous de banaliser les p’tits malheurs et de savoir reconnaitre le bonheur, de vivre positivement 😉

    Belle fin de semaine Elisabeth, toujours avec quelques notes, pas toute neuves celles-ci 😉
    Plein de tendres bisous, à bientôt 🙂

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    • Bonsoir Fanfan,
      Je pense… que je pense exactement comme toi 😀
      Quel bonheur d’écouter cette chanson, elle a tant de charme et de sagesse simple : « Toute la vie… si je le veux ! »
      Émerveillée par tes trouvailles, toujours si appropriées…
      Belle fin de semaine avec toute ma tendresse

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  2. Coucou ma douce 🙂 ….
    Un peu comme la petite graine à qui l’on offre toute attention … le bonheur s entretien chaque jour quoi qu’il arrive … et l’on partage et lon transmet …
    et comme tout : rien est facile … mais tout est possible 😉 !
    merci Élisabeth ♡♡
    Je t embrasse et te serre contre mon ♡ rempli de soleil !!!!!
    A bientôt 😘

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    • C’est une si belle métaphore, merci, Marie-Nancy. La petite graine, qui a poussé entourée de la tendre attention, devient un arbre magnifique…
      « Rien n’est facile … mais tout est possible » je te retrouve si bien dans cette affirmation.
      Merci à toi, ma douce, tes passages m’apportent un grand coup de soleil dans le cœur.
      Je t’embrasse tendrement

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  3. J’aime beaucoup ces deux personnes. La psychologie classique s’est effectivement longtemps évertuée à regarder ce qui ne va pas et à tenter de « réparer » comme dit dans l’article. Mais bien sûr ça ne suffit pas, sinon ça se saurait. D’ailleurs personne ne s’étonne qu’une jambe cassée, après s’être remise, a besoin de rééducation à la marche. Les êtres humains ont aussi besoin d’une rééducation au bonheur. D’ailleurs, l’Univers a horreur du vide, si on ne met pas quelque chose d’autre à la place de ce qui ne va pas, il le comblera lui même, et prendra ce qui est habituel chez le sujet. ça risque fort de ne pas lui plaire.
    Et il semble tellement évident que quelqu’un qui a sombré dans la dépression ne sait, tout bonnement, plus comment être heureux. Il a besoin d’un coup de pouce, de quelques indications pour prendre une nouvelle route.
    Alors moi je dis longue vie à la psychologie positive.

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    • Magnifique commentaire, merci, Maria… j’aime beaucoup : « sinon ça se saurait »… Quinze ans sur le divan et parfois, les patients vont encore plus mal… Cette rééducation au bonheur est nécessaire car rien dans notre éducation, notre culture ou notre façon de vivre ne nous y a préparé.
      Et comme l’Homme a trop peur de l’inconnu, souvent il s’accroche à son mal-être, puisque c’est l’état qu’il connaît bien.
      Alors moi, je dis oui à un coup de pouce 😀

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      • Parler de ce qui ne va pas sans contrepartie est nocif. Plus on parle de ce qui ne va pas, plus nous avons cette illusion de comprendre, mais en réalité nous ne faisons que monter la mayonnaise. Et chaque jour qui passe la mélasse dans laquelle nous sommes embourbés devient plus épaisse, plus consistante, plus « emprisonnante ».
        Il est un temps pour voir ce qui ne va pas et il est un temps pour passer à autre chose.
        Il y aura toujours quelque chose à comprendre, quelque chose que nous ignorons, il s’agit de notre passé que diable, il regorge de moments oubliés, de liens avec untel et untel, de souvenirs cachés etc… Il y aura toujours quelque chose… Nous ne serons jamais prêts… à moins de le décider…
        A un moment donné il s’agit de savoir si nous vivons notre vie en arrière ou en avant.

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        • « A un moment donné il s’agit de savoir si nous vivons notre vie en arrière ou en avant », voilà une belle sagesse, Maria…
          Merci encore pour ce commentaire si pertinent et imagé 😀
          Les sagesses orientales le disent depuis toujours, à force de ressasser les choses, nous les ancrons de plus en plus profondément. Comme elles s’emploient à vivre davantage dans le corps, contrairement à nous qui « pédalons » sans cesse dans nos têtes. A vide, qui plus en est…
          Alors, oui, entièrement d’accord avec toi, réglons nos passés, exprimons nos émotions, pansons nos blessures mais n’attendons pas d’être parfaits pour agir… nous ne le serons jamais

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  4. Oh oui! Il faudrait tellement investir dans le bonheur… en tant qu’individu…mais aussi en tant que société…. On sait déjà que le rire est thérapeutique…Je crois aux vertus du bonheur,,,, Je ne sais pas jusqu’;a que point on peut le cultiver…. mais avoir la chance d’avoir le bonheur facile est une richesse!
    Mes amitiés

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    • Cela serait un investissement si rentable, Kleaude car, comme tu le dis : « Je crois aux vertus du bonheur ». Il y a des personnes qui ont cette joie de vivre, dès la naissance, pour d’autres, c’est plus difficile mais je reste convaincue que le bonheur se cultive.
      D’ailleurs, Christophe André, dépressif et anxieux a non seulement aidé des milliers des patients mais a écrit ce livre au titre magnifique.
      Toutes mes amitiés et belle soirée à toi

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  5. Je l’adopte définitivement ce Christophe André et ce livre qui en effet me semble un trésor …a la première phrase de cet article déjà le mot approuvé se pointait << un trésor d'inspiration et de sagesse basée sur l'expérience vécue ,la vie quotidienne et la bonne science.
    Je ne l'ai pas encore lu … mais noté dans mon petit cahier .
    Le bonheur ne se résume pas en l'absence du malheur …Il faut les aider a développer ce qui les rendra plus heureux … et pas seulement pour leur bon plaisir ,mais parce que l'on sait que le bonheur est un excellent outil pour la prévention des pathologies mentales ou de leurs rechutes APPROUVÉ…..
    c'est un vrai bijou cet article Élisabeth …il contient des véritables pierres précieuses.
    merci

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