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Seule la lenteur permet d’être à la hauteur des choses et dans le rythme du monde

Pour l’anthropologue David Le Breton, le zapping permanent nuit au développement des individus. Il propose de se réapproprier la lenteur.

Lenteur

Les chemins de sens qui menaient au-delà du présent immédiat sont aujourd’hui rompus, la transmission cède le pas à l’expérimentation du fait de la multitude des transformations qui affectent la trame sociale sous l’égide notamment des technologies. Ainsi, toute déduction du futur au regard du présent est rendue impossible.

Nous sommes dans une société de l’éphémère, de l’instant, de la volatilité, une société liquide dit Baumann. Le zapping et le surfing deviennent des morales essentielles du rapport au monde, une manière de se jouer de la surface pour éviter de choisir et multiplier les expériences sans s’engager.

Un individu contemporain qui ne se soutient que de lui-même est confronté en permanence à une multitude de décisions. Il est soumis à l’écrasement du temps sur l’immédiat puisque le monde n’est plus donné dans la durée.

La fragmentation de l’existence rend difficile l’établissement d’un sentiment d’identité solide et cohérent, susceptible de s’inscrire dans la durée ou de mobiliser les ressources pour rebondir d’une situation à une autre. L’individu doit être en mesure pour lui et les autres de produire la cohérence d’un récit sur soi.

Il lui revient de suturer les éventuelles failles, d’opérer des jonctions sans toujours savoir d’où il vient et où il va. D’où le succès de la notion de résilience, le fait de ne pas être démoli par l’adversité mais de faire face pour se reconstruire ; l’importance croissante dans les librairies des rayons d’ouvrages consacrés aux recettes pour se venir en aide soi-même ou même « devenir soi-même ». Le mot d’ordre est de tenir le coup, de s’ajuster au changement. Dans le monde de l’obsolescence généralisée, il faut se faire soi-même obsolescent, fluide, recyclable.

Hantise de la désynchronisation

La hantise est celle de la désynchronisation, celle de ne plus être en phase avec l’actualité de sa propre vie prise dans le filet de l’actualité sociale et professionnelle. Cet effacement permanent de soi dans une urgence qui n’en finit jamais empêche de jouir de son existence, et amène à un temps séquencé allant d’une tâche à une autre, ou plutôt de la résolution d’une tension à une autre. Mais les capacités de résistance ne sont pas extensibles à l’infini, elles épuisent l’individu et aboutissent à la fatigue d’exister.

Pourtant une forte résistance politique et citoyenne se mobilise peu à peu en faveur de la lenteur. Slow food, slow cities, etc. Et surtout, des centaines de millions de nos contemporains découvrent la marche avec jubilation. Ils s’immergent dans une durée qui s’étire, flâne, se détache de l’horloge.

Cheminement dans un temps intérieur, retour à l’enfance ou à des moments de l’existence propices à un retour sur soi, remémoration qui égrène au fil de la route des images d’une vie, la marche sollicite une suspension heureuse du temps, une disponibilité à se livrer à des improvisations selon les événements du parcours.

Il ne s’agit plus d’être pris par le temps mais de prendre son temps et de le perdre avec élégance. La frénésie de la vitesse, du rendement, appelle en réaction la volonté de ralentir, de calmer le jeu. La marche est une occupation pleine du temps, mais dans la lenteur.

Elle est une résistance à ces impératifs du monde contemporain qui élaguent le goût de vivre. Aujourd’hui les forêts, les sentiers sont emplis de flâneurs qui cheminent à leur guise, à leur pas, en leur temps, en conversant paisiblement ou en méditant le nez au vent. Seule la lenteur permet d’être à la hauteur des choses et dans le rythme du monde.

David Le Breton Marcher : éloge des chemins et de la lenteur, Métailié 2012

 

Laisser le temps faire son œuvre

Gare à la précipitation ! Avoir la patience de s’écouter, de ressentir, de laisser monter en soi le désir d’agir est une étape cruciale. Petite leçon de pause bienfaitrice.

Laisser le temps

« Ne demande pas ton chemin, tu ne pourrais pas t’égarer », disait rabbi Nahman de Bratslav, grande figure du hassidisme. Le conseil peut paraître extravagant à nos contemporains, obsédés par l’efficacité, les résultats rapides et le profit immédiat, qui, à force de courir, s’éparpillent et se perdent.

Si la connaissance de soi et la réalisation de soi sont plus et mieux que trouver un emploi ou encore un hôtel pour la nuit, si elles concernent la vie entière d’une personne, le temps représente le matériau indispensable pour édifier la demeure intérieure, et d’abord en assurer les fondations.

Prendre son temps, ce n’est pas ne rien faire, mais partir à l’aventure : se découvrir, apprécier ses ressources personnelles, mesurer ses faiblesses, développer des qualités (écoute, patience, attention, discernement), étudier et approfondir toute chose. C’est aussi prendre du recul et de la hauteur par rapport au quotidien, aux modes et modèles imposés. C’est la voie d’apprentissage de la liberté.

Rien de bon ne survient dans la précipitation, qui s’avère souvent convoitise. On connaît l’histoire du roi Midas qui, pour avoir rendu un grand service au dieu Bacchus, obtint de formuler un vœu : sans réfléchir, Midas demanda que tout ce que son corps toucherait se transformât en or.

Et le roi infantile se réjouit, changeant à son gré un caillou, une branche en or, jusqu’au moment où il eut faim. Mais à son contact, les mets et les boissons devenaient métal précieux, immangeables. Et Midas supplia le dieu de le délivrer de ce pouvoir empoisonné.

La voie buissonnière paraît hasardeuse, risquée, mais elle est ouverte, dynamique, propice à l’inattendu, aux rencontres étonnantes. Déjà, ce temps de recul et de réflexion permet de se dégager des divers conditionnements et de ses propres illusions. Devenir soi, c’est d’abord ne pas imiter, ne pas suivre ni répéter, mais creuser sa propre route.

Se pose alors la question majeure, capable d’orienter toute une vie : quel est mon désir
essentiel ? Ce n’est pas : comment répondre à la demande, faire plaisir à mes proches, me conformer à ce que l’on attend de moi ? Ce désir, propre à chacun, ouvre de larges horizons. Comme l’affirment tous les mystiques, c’est la soif qui fait surgir la source.

Rester en silence, fermer les yeux, écouter, ce n’est pas s’enfermer, se couper des autres et du monde, mais aller vers l’intérieur, devenir attentif et disponible; c’est entendre sa petite musique à nulle autre pareille, accueillir les signes et les songes qui, pour l’âme, sont plus fiables que les cartes routières et les GPS.

Ainsi, dans la légende de Tristan et Iseut, le roi Marc refuse de se marier, malgré l’insistance de ses barons qui lui désignent de bons partis. Un jour, par la fenêtre ouverte, entre une hirondelle qui dépose sur l’épaule du roi un long cheveu blond étincelant au soleil. Le roi déclare que la femme qu’il épousera est celle à qui appartient ce cheveu. Et il la trouvera.

Il n’est pas si aisé de ne pas se presser : il faut résister au rythme ambiant et faire preuve d’une belle patience. Je me demande si la vertu de patience est comprise de nos jours, on la ressent plutôt comme une restriction, une résignation, une vie à petit feu.

Or, la patience est la mise à l’épreuve de la ferveur, elle permet de maintenir et d’affiner le désir. « Patiente, ô mon cœur », murmure à soi-même Ulysse, alors tout près du but puisqu’il est parvenu, après vingt ans de tourments et d’absence, à son île d’Ithaque où demeure Pénélope. Une colère intempestive, un instant d’inattention risquent de détruire toute son entreprise et de l’éloigner d’un amour si longtemps attendu.

Laisser le temps faire son œuvre est d’une grande sagesse sur laquelle toutes les traditions s’accordent. Lao-tseu énonce : « Le grand carré n’a pas d’angles, le grand vase est long à parfaire, la grande musique est au-delà du son. » L’Évangile rappelle qu’avant de bâtir une tour, il est bon de s’asseoir et de méditer afin d’aller jusqu’au bout de sa tâche.

C’est encore l’adage cher aux humanistes de la Renaissance, festina lente (« hâte-toi
lentement »); ou l’exemple de Socrate qui, condamné à mort, prend le temps de réunir ses amis et converse paisiblement avec eux tandis que la ciguë gagne son corps, mais n’atteint pas son âme immortelle.

C’est, plus légère, l’histoire du moine zen parti se promener dans la montagne. À son retour, le disciple intrigué et zélé demande avec insistance où le maître est allé, quel chemin il a emprunté. Et le moine répond simplement : « J’ai suivi l’odeur des fleurs du chemin et j’ai flâné au gré des jeunes pousses… »

La vie est vaste, si vaste. C’est nous, souvent, avec nos projets, nos calculs et nos plans, qui la rapetissons, la rendons triste et ennuyeuse. Se réaliser, c’est aussi respirer le parfum des fleurs et aller dans le vent.

Jacqueline Kelen

L’analyse de Michel Lacroix

« Prendre son temps est capital, car c’est ce qui permettra de bien choisir. Et si je ne choisis pas, je reste dans le virtuel et dans le rêve adolescent du “tout est possible”. L’existence se construit essentiellement à travers nos choix : choix d’un conjoint, d’un métier, d’un lieu de vie…

Le philosophe Soren Kierkegaard parle d’ailleurs du “baptême du choix” pour expliquer que notre personnalité est fouettée, dynamitée à partir du moment où nous avons choisi. Mais là où le philosophe me semble imprudent, c’est qu’il ajoute que tout choix est bon. Je pense le contraire.

Dès lors, choisir demande un grand discernement, donc de prendre le temps de la réflexion et de la maturation. Le temps de laisser monter en soi les désirs profonds. Cela n’empêche pas de se tromper de voie, mais au moins le choix aura-t-il été fait en conscience. C’est cela aussi, s’inventer. »

Michel Lacroix, Se réaliser Robert Laffont

 

 

Il est urgent de ralentir

Nous sommes submergés, débordés, pressurés… Et nous accusons le temps de ne pas se soumettre à nos exigences. En renonçant à courir contre la montre, nous en ferons notre meilleur allié. Pour une vie réellement bien remplie.

Ralentir

Bravo ! Si vous lisez ces lignes, c’est que vous vous accordez implicitement dix minutes. Et même si c’est pour zapper vers d’autres pages, votre choix de vous poser et de lire est de toute façon un luxe qui vous honore. Vous avez su trouver du temps. Ou, plutôt, vous avez su le prendre. A une époque où beaucoup, entraînés dans le tourbillon du « marathon quotidien », se plaignent de voir ce bien précieux leur échapper, c’est une attitude quasi héroïque !

Voilà l’un des grands paradoxes de notre… temps. Depuis un siècle, ce capital s’est réellement accru : notre espérance de vie a augmenté de 10 %, nous dit le sociologue Gérard Mermet (in Francoscopie (Larousse, 2005). Tous les autres chiffres cités proviennent également de cet ouvrage) : sept ans pour les hommes, neuf pour les femmes.

Et notre durée de temps libre s’est dilatée de façon spectaculaire, augmentant de près de deux heures par jour, en semaine, depuis 1975. Jamais nous n’avons disposé d’une telle tranche
de vie ! Or 34 % d’entre nous éprouvent le sentiment de manquer de temps (contre 33 % en 1997). Et notre sensation de pénurie n’a pas cessé d’augmenter. Pourquoi ? Comment enrayer une telle frustration ?

Un quotidien à choix multiples

Si les journées font pour tout le monde vingt-quatre heures, les possibilités de les remplir se sont, elles, démultipliées. Bruno Koeltz, médecin psychothérapeute, résume ainsi la situation : « Dans un passé lointain, il suffisait de satisfaire des besoins assez basiques (manger, dormir, travailler…), ce qui n’impliquait pas mille choix à faire pour remplir son temps.

Aujourd’hui, l’accès aux moyens techniques, notamment aux nouvelles technologies, oblige à faire des choix moins essentiels, certes, mais vertigineux en nombre et en fréquence, ce qui provoque chez certains l’impression de perdre pied. »

La confusion – voire des dilemmes cruels – nous frappe par intermittence : « Ce soir, qu’est-ce que je fais ? Je téléphone à cette vieille amie, je termine ma recherche sur Internet ou je regarde un film avec mes enfants ? »

Une situation qui se généralise et crée, pour Gérard Mermet, un mode de vie très contraignant :
« Comme le téléphone portable, le téléviseur ou l’ordinateur, chaque individu reste aujourd’hui en état de veille permanente ; comme eux, il dépense ainsi une partie de son énergie. On peut alors se demander si l’augmentation du temps libre se traduit pour le bénéficiaire par une plus grande liberté ou par un asservissement accru », ose-t-il interroger.

Les nouveaux esclaves, ce sont tous ceux que l’on appelle « les malades du temps ». « Ils se disent : “Je dois tout faire, entreprendre tout ce qui m’est proposé, et tout réussir !” » résume Bruno Koeltz. Ils essaieront de tout caser dans le même laps et, en perdant le sens des réalités, bourreront leur agenda telle une valise sur laquelle on s’assoit pour la fermer. De là à s’asseoir sur sa propre vie…

Les renoncements nécessaires

Peine perdue : même en faisant au plus serré et au plus rapide, c’est la frustration et le sentiment de vide qui l’emportent. « Même en courant, je n’aurai pas le temps », chantait-on dans les années 1960. Comment se libérer d’un tel joug ? Certains refusent l’état d’urgence, en privilégiant systématiquement un rythme plus lent dans leur vie.

D’autres travaillent leur conscience du moment présent, leur perception intérieure du temps plutôt que sa seule consommation. Après tout, des occupations a priori agréables, comme aller à un cours de yoga ou faire l’amour, peuvent être entreprises de façon mécanique, urgente. En revanche, il arrive que l’on achève dans une grande joie des travaux difficiles, contraignants. Cela prouve l’extrême relativité du temps.

En réalité, il n’y a sans doute qu’une issue face à la spirale d’un temps qui nous dévore : renoncer. Privilégier certaines activités, en éviter d’autres. En ce sens, le temps est vraiment un maître impitoyable. Il nous oblige à nous sonder régulièrement : « Qu’est-ce qui est le plus important pour moi ? Qu’est-ce qui compte vraiment ? »

Une introspection qui demande, elle aussi, du temps, et qui, en plus, n’aura pas forcément d’effet! Car les professionnels de la psyché, notamment les psychanalystes, le savent bien : derrière la phrase « Je n’ai pas le temps » se cachent des croyances qui nous gouvernent à notre insu !

Parmi elles : « Je ne mérite pas (d’aller à ce cours de chant) », « Je vais prendre le temps des autres (si je leur rends visite) », « Je ne dois pas réussir (donc je ne révise pas mes cours) »…

« Dire ”Je n’ai pas le temps” est un système de défense, résume la psychanalyste et coach Luce Janin-Devillars. Une façon de se dédouaner pour éviter à la fois ce que l’on a envie de faire et ce que l’on n’a pas envie de faire. »

Autrement dit, de ne pas assumer ses désirs. Observez donc comment une personne occupe son temps, le gère ou le libère, l’habite ou le néglige, et vous en saurez plus sur elle que par ses plus beaux discours.

S’accorder l’illimité

Le temps est vraiment une étrange matière, qui se dérobe lorsqu’on veut le saisir et se donne généreusement quand on oublie son existence. Alors comment s’en sortir ? « Bien vivre son temps implique d’être réflexif, d’être en lien avec soi, rien d’autre, précise Luce Janin-Devillars.

A savoir, à travers les choix que nous faisons, les activités que nous privilégions, ne pas oublier de rejoindre régulièrement le “cœur de nous-même”. Certaines activités seront plus propices que d’autres à cela : des rencontres qui nous nourrissent, des moments créatifs ou qui demandent de la concentration… »

Une façon de dire : peu importe le temps que nous avons pourvu que nous soyons là pour le vivre! Mais aussi un moyen pour que nous nous accordions régulièrement des miniplages de temps… illimité, des plongées dans des moments où il est possible de ne pas se sentir pris à la gorge : week-end sans contrainte, après-midi sans rendez-vous, flânerie saisie à l’improviste lorsque, au détour d’une journée, quelques heures s’offrent à nous.

Alors nous serons comblés et courrons après moins de lièvres. Cela vous semble difficile ? Impossible ? N’oubliez pas ceci : ce que vous appelez « temps », c’est votre vie. Votre durée de vie. Ni plus ni moins. S’en souvenir peut vraiment aider. De temps à autre.

Pascale Senk

A lire

Carl Honoré Eloge de la lenteur Éditeur : Marabout

Vivre le temps autrement de Pierre Pradervand.
Un sociologue propose des pistes pour nous aider à améliorer notre rapport au temps et nous réapproprier le présent (Jouvence, 2004).

L’Art de ne rien faire de Catherine Laroze.
L’auteur, docteur en philosophie, nous emmène à la reconquête de nous-même via un autre rapport au temps (Aubanel, 2002).

 

 

Ni l’avenir, ni le passé n’existent

Pensées temps

Qu’est‑ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n’y aurait pas de temps passé; que si rien n’arrivait, il n’y aurait pas de temps à venir; que si rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent.

Comment donc, ces deux temps, le passé et l’avenir, sont‑ils, puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l’éternité, Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons‑nous déclarer qu’il est aussi, lui qui ne peut être qu’en cessant d’être ? Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que te temps est, c’est qu’il tend à n’être plus…

Ce qui m’apparaît maintenant avec la clarté de l’évidence, c’est que ni l’avenir, ni le passé n’existent. Ce n’est pas user de termes propres que de dire « il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir.  » Peut‑être dirait‑on plus justement : « il y a trois temps: le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur.  »

Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire; le présent du présent, c’est l’intuition directe; le présent de l’avenir, c’est l’attente. Si l’on me permet de m’exprimer ainsi, je vois et j’avoue qu’il y a trois temps, oui, il y en a trois.

Que l’on persiste à dire  » il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir « , comme le veut un usage abusif, oui qu’on le dise. Je ne m’en soucie guère, ni je n’y contredis ni ne le blâme, pourvu cependant que l’on entende bien ce qu’on dit, et qu’on n’aille pas croire que le futur existe déjà, que le passé existe encore. Un langage fait de termes propres est chose rare très souvent nous parlons sans propriété, mais on comprend ce que nous voulons dire.

Saint Augustin Les Confessions, Livre XI, Ch. 14-20

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours; or nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste.

C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les cho­ses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

Pascal, Pensées, posth., II, 172

 

 

Le temps, cette notion si relative

Pourquoi cette impression de passer notre vie à courir ? Ne savons-nous plus savourer le présent? Réponses de la philosophe Brigitte Sitbon.

Professeur à l’École pratique des hautes études et chercheuse au CNRS, Brigitte Sitbon est agrégée de philosophie. Ses recherches portent sur les rapports entre sociologie et philosophie dans la perception du fait religieux. Férue de psychanalyse, elle est également connue pour ses travaux sur Henri Bergson. Elle a dirigé l’ouvrage Bergson et Freud (PUF, 2014).

Temps

Psychologies : Comment notre rapport au temps et sa définition ont-ils évolué au fil des siècles ?

Brigitte Sitbon : Ce lien que nous entretenons avec le temps est relatif. Il est lié à la diversité des individus, à leur singularité, et surtout à l’histoire humaine elle-même. Dans la Grèce antique, par exemple, le temps, souvent personnifié dans la mythologie par Chronos dévorant ses enfants, est conçu comme cyclique, à l’image des révolutions planétaires ; d’où l’idée chez le sujet grec d’un éternel retour du même.

Platon pense ainsi le temps comme l’image immobile de l’éternité. Plus tard, les monothéismes, juif puis chrétien, introduiront la vision linéaire du temps, qui prédomine aujourd’hui en Occident, imposant l’idée d’un progrès orienté d’un début vers une fin. Notre rapport au temps reste hanté par cette perspective, l’idée que nous sommes mortels.

En ce qui concerne la définition même du temps, si on a pu mesurer celui-ci très tôt et le quantifier grâce à la répétition régulière de certains phénomènes naturels (les saisons, le jour, la nuit, etc.), aucun philosophe, mystique ou scientifique n’a jamais vraiment réussi à en montrer l’identité objective.

D’ailleurs, à quoi bon le définir puisque, comme l’écrivait si bien Pascal, « tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire, en parlant du temps, sans qu’on le désigne davantage ». Sa définition se fait donc le plus souvent à partir d’images, de métaphores et d’approximations.

Qu’est-ce que Bergson et Freud ont à nous apprendre sur notre rapport au temps ?

Brigitte Sitbon : Le temps bergsonien est d’ordre psychologique et implique l’idée fondamentale de mémoire. Nous sommes à chaque moment de notre vie la résultante de tous nos moments passés et à venir, même si tous ne sont pas conscients. Bergson a découvert et mis en lumière la « durée pure », désignant un temps vécu, calqué sur nos états de conscience.

Les êtres et l’univers « durent », c’est-à-dire qu’ils manifestent du changement, se transforment, à l’image d’un verre d’eau sucrée où l’eau et le sucre prennent leur temps pour se mélanger. À chacun son rythme, sa durée. Et cette dernière n’est pas constituée par une succession d’instants juxtaposés, comme dans le temps des physiciens et des horloges, mais plutôt par leur fusion. 

Comme dans une mélodie, chaque note de musique engendre la suivante et est inséparable de la précédente. Freud rejoint Bergson, car, pour lui, chaque sujet possède son histoire propre, mélange entre son passé refoulé et son présent actualisé. Mais le psychanalyste va plus loin avec sa découverte de l’inconscient, dans lequel le temps objectif n’existe plus : passé, présent, futur peuvent s’y chevaucher, voire se mêler. Le temps ne se résume pas pour l’homme à une donnée purement quantifiable et mesurable.

Qu’est-ce que le temps met intimement en jeu chez chacun d’entre nous ?

Brigitte Sitbon : Deux choses fondamentales : notre « inquiétude » originelle et notre volonté de maîtrise qui, finalement, sont liées. L’homme est naturellement « inquiet », car il est en permanence mû par des désirs multiples, toujours nouveaux, qu’il cherche frénétiquement à satisfaire. Mais il a aussi conscience qu’il est mortel et ne peut les assouvir tous. D’où cette impatience qui le caractérise.

Impatience et désir de « jouir à tout prix », selon l’expression du psychanalyste Charles Melman, se sont accentués avec la démultiplication des besoins (réels ou virtuels) et un effondrement des limites. Cette recherche éperdue d’objets de plaisir toujours plus nombreux, que nous imaginons nécessaires à notre bien-être, est la cause de l’angoisse existentielle des temps modernes. Le temps est aujourd’hui facteur de dépression, car il met en cause notre frustration et notre désillusion face à la jouissance, qui se dérobe à nous sitôt atteinte.

Est-ce pour cette raison que nous avons l’impression que le temps s’est accéléré, qu’il nous échappe et nous déborde ?

Brigitte Sitbon : Il ne peut pas s’accélérer en soi, il peut paraître s’accélérer pour soi. « C’est en toi mon esprit que je mesure le temps », écrivait saint Augustin dans ses Confessions. Le temps ne change pas de vitesse. Ce qui a changé, c’est notre attention, « divertie » par nos rythmes de travail, la nécessité du rendement, de la productivité, l’incitation à la consommation, etc. ; d’où cette impression d’une « fuite du temps ».

La sensation qu’il nous échappe provient du fait que nous ne sommes jamais dans le temps présent, mais toujours occupés par nos souvenirs ou dans l’attente d’un futur où nous nous projetons. « C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse », affirme Pascal, car s’il est agréable, nous voulons le retenir, s’il ne l’est pas, nous nous tournons vers l’avenir. « Ainsi nous ne vivons jamais, nous espérons de vivre », ajoute-t-il.

Tenter de vivre l’instant présent serait donc un leurre ?

Brigitte Sitbon : Pas forcément. C’est ce que préconisait la célèbre formule d’Horace inspiré par Épicure, « carpe diem », qui signifie « cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ». Vivre l’instant présent, c’est savourer le présent et en tirer toutes les joies, sans s’inquiéter ni du jour ni de l’heure de notre mort, qui est inscrite en nous (consciemment ou non).

C’est, en définitive, se dégager de la représentation angoissante de notre mortalité et donc de l’urgence à vouloir tout faire dans un temps trop restreint. Bref, c’est vivre en quelque sorte dans l’idée que l’on est éternel. C’est possible, mais cela suppose de détacher la vie de la matérialité qui nous déborde véritablement.

Est-il possible de décélérer ?

Brigitte Sitbon : Cela semble difficile à imaginer, à moins de réprimer en nous cette nécessité qui nous pousse à agir vite, dans un laps de temps fini. Cela impliquerait de renoncer à l’individu agissant qui peuple nos sociétés modernes et de se tourner vers l’homme contemplatif, oisif, qui vivait dans le mythique et paradisiaque Éden ; de faire l’éloge de la paresse et de stigmatiser le travail plutôt que de le survaloriser !

Mais ces efforts nous imposeraient de renoncer un moment à l’action, qui nous fait justement exister. Le monde représente aujourd’hui, pour nous, un ensemble d’outils. Il faudrait apprendre à ne plus considérer ce qui nous entoure de manière instrumentale, ne plus raisonner en termes d’objectifs à atteindre, mais s’arrêter à l’acte même qui nous pousse vers eux ; par exemple, ne plus penser que les aliments sont là pour notre bonne santé, mais s’attacher au plaisir de manger lui-même ; ne plus croire que le grand air nous oxygène, mais apprécier la joie de marcher. Au fond, notre rapport au temps révèle notre disposition profonde à vivre heureux.

Hélène Fresnel

TEST

Savez-vous vivre dans le présent ? Le rapport au temps présent, nous rappellent les psys, est le reflet du rapport que nous entretenons avec nous-mêmes. Ce rapport est-il serein ? Faites le test

 

 

Savourer le quotidien, un exercice difficile

Angoissés par l’avenir, stressés par le temps, rien ne nous semble plus illusoire que de vouloir vivre pleinement l’instant présent.

Femme oiseaux noirs

Tout semble froid, gris, triste. Dehors, c’est la crise, à laquelle je ne comprends pas grand-chose, sauf qu’on va tous finir par perdre notre emploi, se taper les uns sur les autres et mourir dans un accident nucléaire.

Alors, l’instant présent, là, tout de suite, je n’ai pas envie d’en profiter…, à moins qu’il ne s’agisse des cinq délicieuses minutes avant 8 heures où je suis au chaud dans mes rêves, juste avant d’écouter les infos.

Le reste du temps, j’aime autant me raconter de joyeuses petites histoires, me souvenir d’une anecdote qui me fait encore rire ou tirer des plans (optimistes) sur la comète. Les rayons des librairies ont beau déborder de livres m’invitant à « être zen », à « méditer pour ne plus déprimer » ou à « vivre mieux ici et maintenant », je ne vois pas comment plonger dans l’instant présent sans sombrer dans l’angoisse.

Et je ne suis pas la seule puisque, à les entendre, mes amis aussi passent plus de temps à regretter le passé ou à le ruminer, à idéaliser l’avenir ou à l’appréhender.

Pourquoi est-ce si difficile de vivre dans le présent, la seule réalité qui semble à ma portée ? Mon cerveau (et le vôtre) en est, tout simplement, incapable. « Nous n’avons pas de récepteur spécifique pour saisir l’instant, contrairement aux saveurs ou aux odeurs », rappelle Pierre Buser, neurobiologiste, auteur avec Claude Debru du Temps, instant et durée, de la philosophie aux neurosciences (Odile Jacob, 2011).

Nous nous en remettons donc aux horloges, lesquelles n’ont rien à voir avec notre conception subjective de la durée. Une heure chez le dentiste me semble une éternité et une semaine de vacances, un bref instant.

Surtout, précise-t-il, « nous élargissons toujours l’instant en le colorant du passé immédiat et du futur proche », comme nous lions les notes de musique entre elles pour constituer une mélodie. D’où cette sensation qu’il nous échappe, que le temps de nous dire qu’il faut en jouir, il est déjà trop tard…

Parvenir à vivre dans l’ici et maintenant est en fait une capacité de l’enfance, de l’époque où nous ne nous posions pas la question. « À mesure que nous grandissons, nous acquérons la dimension du temps. Tout petits, nous apprenons à raconter notre journée, à préparer notre cartable, donc à nous remémorer le passé et à prévoir l’avenir », résume Alain Braconnier, psychiatre et psychanalyste.

Bien sûr, dans des moments de jeu ou de gaieté, je retrouve parfois la spontanéité, l’insouciance de l’enfance, et je goûte avec plaisir cette liberté. « Mais, le plus souvent, vous devez analyser ce que vous avez bien fait ou mal fait, anticiper, choisir… Pour un adulte, être en permanence dans le présent serait d’ailleurs irresponsable », reprend le psychiatre.

Pour certains de mes amis, profiter du moment, même un tout petit peu de temps à autre, est absolument impossible ! Constamment dans leurs souvenirs, ils ne peuvent pas s’empêcher de répéter que « c’était mieux avant », regrettent leurs actes ou ruminent leurs échecs au point de limiter leurs possibilités.

«Si je n’avais pas raté le concours d’infirmière il y a dix ans, je serais plus heureuse aujourd’hui», regrette ainsi Catherine, 45 ans, qui reconnaît aussi avoir manqué des occasions de rebondir.
« Dans la répétition, nous cherchons la réparation, éclaire Katia Denard, psychanalyste. En rejouant la même scène, nous espérons intimement qu’enfin quelque chose va changer. »

L’inconscient, disait Freud, ne connaît pas le temps : nos souffrances anciennes non réglées restent actives comme si elles dataient d’hier. Et puis, révèle Katia Denard, « en ruminant le passé, nous cherchons à rester dans ce que nous connaissons déjà, même si c’est désagréable.

Pourquoi changer pour un scénario actuel mais étranger et qui nous fait si peur ? ». D’autres entachent plutôt le présent de leur peur de l’avenir. Perfectionnistes, ils ne peuvent apprécier l’instant, trop imparfait comparé à un idéal inaccessible. Anxieux, ils sont incapables d’en tirer profit, hantés par la crainte de ce qui pourrait arriver (de pire, forcément).

Peur d’être vraiment là ?

Pour moi, goûter le bonheur réveille également une forme de culpabilité. Comme s’il y avait quelque chose de honteux à profiter, que je n’en étais pas digne. Ou, superstitieuse, que ma réjouissance attire le mauvais œil ou que le passé se répète. Longtemps, je me suis ainsi empêchée de vivre pleinement les bons moments.

Au point, parfois, de frôler la prophétie : « Ne te réjouis pas trop, ça ne va pas durer. Fais-toi de beaux souvenirs », me susurrait une petite voix un poil déprimante. Aujourd’hui, j’ai fait des progrès, j’arrive à être heureuse la plupart du temps.

Je ne pense plus, par exemple, lorsque mon compagnon me donne un baiser, que c’est peut être le dernier, qu’il va me plaquer ou se faire écraser par un bus. Si, alors que je suis dans ses bras, je m’inquiète d’être en retard au bureau, c’est parce que si je goûtais vraiment l’instant présent je ne le quitterais pas…

« En empoisonnant un peu le plaisir de l’instant, vous tentez d’atténuer la souffrance liée à sa disparition possible, souligne Marie-José de Aguiar, gestalt- thérapeute. Le plein bonheur, c’est parfois trop. Craignant que le réveil soit rude, vous choisissez inconsciemment de le parasiter. »

Je réalise alors qu’être dans le contact total avec l’autre me renvoie à la peur de la fusion, de la perte de contrôle, de l’engloutissement… et devient mortifère. « Être vraiment là, en conscience, est une posture très “impliquante”, poursuit la gestalt-thérapeute.

Cela peut même être insupportable si, en plus, cela vous rappelle combien vous avez manqué de ces moments-là auparavant. Ou si cela ouvre sur un besoin de l’autre qui paraît sans fond, terriblement angoissant. »

Pour l’atténuer, par pudeur et pour me protéger, je préfère alors regarder ailleurs, gesticuler, parler du passé, de l’avenir, avoir l’air pressée. Bref, je m’organise pour ne pas me dévoiler, ne pas dire mes émotions, mes sensations, ni voir ce qui advient dans la rencontre et le silence.

« Pourquoi pas, me rassure Marie-José de Aguiar, si c’est plus sécurisant. Le tout, c’est que vous en ayez conscience. » Avec, tout de même, un petit bémol, car « être dans l’instant est très créatif. C’est en regardant ce qui se passe entre vous deux, maintenant, qui est inédit et unique, que vous pouvez faire du nouveau ensemble ».

Tandis qu’accrochés à nos croyances, à ce que nous imaginons de l’autre ou projetons sur lui, nous ne faisons que reproduire ce que nous savons faire, dans un dialogue de sourds.

Coeur nuages

Chercher le bon ajustement

Comment, dès lors, parvenir à goûter le moment présent ? En allant voir ce qui, dans le passé, nous en empêche, et comment nos peurs et nos souffrances se réactualisent aujourd’hui. Après quelques années de thérapie, et même s’il me reste du chemin, je sais que les revisiter m’a bien aidée à les cicatriser. « Accepter ce qui a été, c’est aussi endosser votre responsabilité aujourd’hui à changer les choses », me dit Katia Denard.

« C’est également avoir conscience que vos expériences anciennes ont modelé votre façon d’être, de percevoir la réalité, et que vous l’abordez avec votre subjectivité », m’explique en écho la psychiatre Stéphanie Hahusseau. Faire le lien entre hier et demain, tirer le fil entre ce qui m’a construite et mes projets me permet de savourer pleinement mon existence aujourd’hui.

« En revenant à votre relation amoureuse et en constatant qu’elle est solide, satisfaisante, vous pouvez aussi avoir confiance et vous rassurer : l’expérience du moment vous prouve que le passé ne se reproduit pas », expose Marie-José de Aguiar.

À moi, ensuite, de trouver le bon ajustement avec le présent. M’en protéger ou le remettre à plus tard, lorsqu’il n’est pas adéquat. M’y plonger pleinement quand il m’est agréable. Ou le faire durer des heures quand je le trouve un peu trop court. Avec la sensation délicieuse et inouïe de pouvoir arrêter le temps.

Et quand le moment présent est trop dur ?

Un deuil, une maladie, des fins de mois angoissantes… On donnerait tout pour faire autre chose, être ailleurs, avec des gens dont l’instant présent est joyeux et contagieux, quand le nôtre est sombre et oppressant.

Pour le moine bouddhiste Thich Nhât Hanh, mieux vaut pourtant reconnaître notre douleur, la prendre dans nos bras « comme une maman avec son bébé qui pleure » et, ainsi, petit à petit, attendre qu’elle s’apaise.

« La décrire afin de l’apprivoiser, conseille la psychiatre Stéphanie Hahusseau. Est-ce qu’elle brûle, est-ce qu’elle tord le ventre ? Est-ce qu’elle est ronde, pointue ? » Certains préfèrent se rendre utiles en faisant du café pour toute la famille endeuillée, ou aller courir et ne penser qu’à leur foulée. Une manière comme une autre de s’appuyer sur l’instant – une cuillerée de sucre après l’autre – ou de revenir à sa respiration.

Cécile Guéret