Byron Katie : Soumettez vos pensées aux questions

Le moral en berne, l’humeur maussade, la pensée confuse… Comment prendre du recul ? En s’appuyant sur la méthode américaine de Byron Katie : The Work. Notre journaliste l’a testée. Convaincant.

Phare

Soirée pluvieuse sur Strasbourg-Saint-Denis, à Paris. Un environnement peu ensoleillé pour découvrir la dernière technique d’épanouissement « in » sur la côte californienne… Mais puisque cette vague vient jusqu’à nous, autant plonger.

Byron Katie, la soixantaine rayonnante, est la créatrice de ce travail sur soi sobrement baptisé The Work (Le travail, en français). Son livre, paru en 2003, est un best-seller et Time Magazine a classé son auteur parmi les « leaders spirituels les plus innovateurs ».

Aujourd’hui, des groupes mensuels animés par certains de ses élèves naissent à travers toute l’Europe… et dans notre capitale. Il était donc temps de découvrir l’un de ces « cercles d’investigation ». Pas de meilleur endroit, en effet, pour comprendre cette méthode qui cherche à nous libérer de notre confusion intérieure. Ni thérapie ni dogme spirituel ou philosophique, The Work est une expérience à vivre.

Je me raconte des histoires

Ce soir, ça se passe dans un centre associatif. Dans la salle réservée au « travail », un éclairage improbable, huit chaises de plastique bleu alignées en demi-cercle. Vacances obligent, nous sommes peu nombreux : quatre femmes et deux hommes, dont Frank Kane, chef d’orchestre de la soirée. Traducteur technique de profession, il a suivi une formation – deux grands stages de neuf jours – qui l’autorise désormais à transmettre The Work.

« Pratiquer régulièrement cette technique a changé ma vie, explique-t-il. J’ai de plus en plus de mal à croire mes “histoires”, ce que je me raconte toute la journée. Une de mes préférées parmi ces pensées qui me font souffrir, c’est : “Ma femme ne se rend pas compte de tout ce que je fais pour nous”…

Aujourd’hui, quand je vois ce scénario arriver, je n’y adhère plus. Ou plutôt, lui semble me lâcher. En pratiquant le “Turn around” (inversion) , j’intègre très vite de nouvelles options : “Je ne vois pas tout ce que ma femme fait pour nous”, ou “Ma femme voit ce que je fais pour nous”. Cela renouvelle mon énergie, un peu comme quand on essaie une nouvelle chemise. »

Suit une lecture d’un extrait du livre de Byron Katie sur cette technique d’inversion. Pour elle, en effet, toute pensée que nous nous répétons et qui engendre de la souffrance mérite d’être revisitée sous différentes formes, notamment en se l’appliquant à soi-même.

« Tant que vous estimerez que la cause de votre problème est extérieure à vous, tant que vous supposerez que quelque chose ou quelqu’un d’autre est responsable de votre souffrance, la situation restera sans espoir. […] Ramenez la vérité à vous-même et conquérez votre liberté », écrit-elle.

C’est donc un travail approfondi sur nos projections, quand nous reprochons aux autres ce que nous ne voulons pas voir en nous, que sa technique propose.

Je m’étonne de ce côté interchangeable de toutes nos pensées : « Mais si tout ce que nous pensons est aussi facilement transformable, est-ce que ça veut dire que rien de ce que nous pensons n’est vrai, fondé ? » Frank me répond que la vérité ultime, c’est ce qui peut apparaître, enfin, lorsque toutes ces pensées inutiles se sont évaporées. Je pense à la recherche du vide mental : The Work serait-il une forme occidentale, accélérée, de l’ascèse zen ?

Ma pensée au crible

Après la théorie, la pratique. Frank nous invite à écrire l’une des pensées qui nous traversent régulièrement l’esprit. J’écris : « Le monde, les gens sont durs. » Mes voisins sont concentrés sur leur papier. Frank nous invite à mettre celui-ci dans un chapeau.

« Nous allons tirer l’une de ces pensées au sort, indique-t-il, et la soumettre au “travail”. » C’est une phrase rédigée par ma voisine qui est choisie : « Le perfectionnisme tue la créativité. » Pendant une vingtaine de minutes, alternant le rôle de « facilitateur » (celui qui pose les questions) et celui de « client » (lorsqu’on répond), nous allons passer cette phrase au crible des questions.

Le brouhaha va grandissant dans la pièce. Je perçois des bribes de dialogues : « Est-ce vrai ? »
« Oui, quand je commence un travail, je veux tellement bien faire que ça m’empêche toute fantaisie, originalité. » Je demande au « client » assis en face de moi : « Peux-tu absolument savoir si c’est vrai ? » Il hésite.

« Non, parce que parfois en étant très précis et appliqué, perfectionniste, me répond-il, j’ai vu arriver de bonnes idées… » J’enchaîne : « Quelle réaction suscite en toi cette pensée ? » Il ferme les yeux, se tait un moment. « Ça me coupe les ailes, je retarde le moment de commencer mon travail… »

Et ainsi de suite jusqu’à ce que cette pensée, apparemment si personnelle, précieuse, profonde, soit essayée par tous, « triturée » en quatre ou cinq inversions possibles, au point de perdre finalement tout son impact.

Son auteur, ma voisine, rit, s’amuse de voir tous les scénarios que son texte de départ a suscités avant d’être comme dissous dans l’espace. Je me dis que c’est là l’effet Karcher du « travail », une sorte de nettoyage radical et en profondeur nous évitant de rester « accrochés » aux pensées qui nous encombrent.

Je change mon regard

Arrive le moment fort de la soirée. Le face-à-face entre Frank et une volontaire. Voir comment notre mental fait barrière à notre bien-être est très pédagogique. Déborah, la belle quarantaine, expose son problème : « Pierre, mon compagnon, n’est pas assez intime avec moi. Il ne s’intéresse pas à moi, ramène toujours la conversation à lui… »

Frank rappelle une des consignes de Byron Katie : « Laissez le mental poser les quatre questions, laissez le cœur y répondre. » Puis il commence l’investigation : « Est-ce vrai ? » « Oui, j’aimerais bien qu’il s’intéresse plus à moi, mais il s’intéresse plus à ce que je pense de lui… » Frank demande alors à Déborah de se visualiser dans une pièce avec son compagnon. « Vous regardez Pierre et vous pensez : “Il ne s’intéresse pas à moi.”… Êtes-vous certaine que c’est vrai ? »

« Oui, je le vois indisponible, isolé, il me semble difficile à approcher… » Frank l’arrête : « Et vous, qu’est-ce que vous ressentez ? » « J’en ai assez de cette situation, je me sens résignée, en crise toute seule dans mon coin… » « Comment seriez-vous sans cette pensée ? », continue le facilitateur.

« Eh bien… je crois que je me dirais simplement : “Tiens, il lit son journal”, je pourrais alors être plus légère, plus libre d’aller lui parler… » Peu à peu, Déborah réalise combien elle s’éloigne de toute intimité avec Pierre. Frank lui propose d’inverser sa pensée de départ, qui devient : « Je devrais m’intéresser plus à lui », ou encore : « Je devrais m’intéresser plus à moi-même. »

Le dialogue, intense, dure près de trente minutes. Pour Déborah, l’idée qu’« un homme doit s’intéresser à sa femme » mène le bal. Mais cette pensée est-elle enrichissante, ouvre-t-elle à des pistes d’épanouissement ou d’aliénation ? Déborah découvre qu’elle a toutes les réponses en elle. The Work lui a permis d’aller les chercher.

Je quitte le stage avec la sensation d’être prête à vivre avec un esprit plus ouvert, allégé. Je me dis qu’en France, où l’on est tellement attaché à ses idées, on aura du mal à comprendre ce genre de technique. Puis, très vite, je pense : « Est-ce vrai ? »

Chemin forêt

« Derrière chaque sensation désagréable se cache une pensée qui n’est pas vraie pour nous », affirme Byron Katie. Lorsque vous ressentez un malaise, menez un travail d’investigation : soumettez votre pensée à quatre questions, toujours les mêmes. N’hésitez pas à vous munir d’une feuille et d’un crayon, ou à vous adresser à un proche.

A propos de cette pensée, demandez-vous :

– « Est-ce vrai ? »
Écrivez ou énumérez différents développements de cette pensée.

– « Pouvez-vous absolument savoir si c’est vrai ? »
Avez-vous des preuves concrètes de ce que vous avancez ? Si oui, lesquelles ? Quels éléments vous permettent d’affirmer cela avec certitude ?

– « Quelle réaction suscite en vous cette pensée ? »
Entrez en contact avec les sentiments que fait naître en vous cette pensée. Quels comportements en découlent ?

– « Qui seriez-vous sans cette pensée ? »
Imaginez-vous libéré d’un tel scénario. Que feriez-vous de différent? Comment cela changerait-il?

Retournez votre phrase. Plusieurs types d’inversions sont possibles : on retourne le jugement vers soi-même, vers l’autre et vers son contraire. Exemple : « Paul devrait m’aimer » peut devenir « Je devrais m’aimer », « Je devrais aimer Paul », « Paul ne devrait pas m’aimer. » Inversez l’affirmation initiale à votre guise jusqu’à ce que vous trouviez l’inversion qui vous touche le plus.

Katie Byron

Femme d’affaires alcoolique, dépressive et constamment sous tranquillisants, Byron Katie mène jusqu’en 1986 une vie sans espoir. Elle alterne crises de boulimie et périodes d’abattement, jusqu’à la sensation de vivre un « effondrement de la personnalité ». Elle intègre alors un centre de cure.

Durant son séjour et ses longues marches dans le désert Mojave, elle vit une forme d’éveil :
« C’est comme s’il n’y avait plus de moi, écrit-elle. J’ai pu voir monter toutes les pensées qui m’envahissaient, et surtout je ressentais leur impact sur mon corps. » Peu à peu, à force de questionner ces pensées, elle s’en libère et se transforme.

Depuis 1992, elle dispense son enseignement dans tous les États-Unis, dans les prisons, les écoles et les hôpitaux. Son livre, Aimer ce qui est Éditions Ariane, 2003, est devenu une véritable référence.

Pascale Senk

http://www.thework.com/francais/

http://www.byron-katie-paris-2014.com/

 

 

 

 

 

 

22 réflexions sur “Byron Katie : Soumettez vos pensées aux questions

  1. Que voilà une recette universelle que l’on devrait appliquer à bien des situations de vie ! Savoir prendre ses distances face à soi-même et savoir aborder la perspective de l’autre…. tout en sachant relativiser les choses. Apprendre aussi à mettre un frein aux idées sombres qui nous submergent mais aussi et surtout apprendre à déceler leurs amorces. Il devient ainsi plus aisé de les gérer en ne se laissant pas submerger par la « crise ».
    Et comme dans bien des cas…. savoir ne pas prendre ses propres perceptions comme étant celles de l’autre.
    Alors bravo pour cet autre article.
    Mes amitiés sincères

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    • Bravo encore, Kleaude, pour ta si belle compréhension du travail proposé. Tu soulignes un point important… en étant attentifs à nos pensées et émotions, nous pouvons les stopper, avant qu’elles ne nous submergent complètement.
      Le rapport à l’autre est aussi essentiel car, essayer de voir la situation de son point de vue, évite la communication si souvent « brouillée » par nos suppositions, et par ce que nous comprenons, et non pas à ce que la personne exprime à sa façon.
      Merci et amitiés sincères à toi

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  2. Cela me semble typiquement américain. Cette méthode semble s’adresser à des individus assez puérils, mais enfin, si ça fait du bien à certains, pourquoi pas?
    Bon, OK, j’ai l’air de mépriser les autres avec ce genre de propos…

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    • C’est typiquement américain et cela peut paraître trop simpliste, Mo 🙂
      Nous, les Européens, nous avons tendance à rendre les choses encore plus compliquées qu’elles ne le sont déjà, tandis que les Américains, toujours pragmatiques, ont inventé des thérapies brèves et efficaces. Pas toujours adaptées aux grandes névroses mais qui fonctionnent et évitent des années sur le divan, qui souvent, ne résolvent rien…
      Et si tu as envie d’approfondir, tu verras que cette méthode s’approche beaucoup de la méditation, par le fait d’observer constamment ses pensées et changer d’angle de vue, pour sortir des schémas qui nous font tourner en rond et nous rendent malheureux…
      Et la plupart de nos tracas quotidiens ne sont ils pas puérils ? 🙂

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        • Ne te tracasse surtout pas, Mo, comme je l’ai dit, à première vue, cette méthode peut sembler trop simpliste…
          Je te remercie car c’est une très belle qualité de savoir reconnaître que l’on a exprimé un jugement un peu hâtif… et venir le dire exige un beau courage…

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      • Je suis d’accord avec toi Elisabeth ….C’est parfois si simple…

        Remplacer les scénarios avec lesquels le mental nous harcèle par d’autres plus constructifs, plus positifs…surtout plus créatifs et respectueux face à l’Être véritable que nous sommes…

        Il y a un  » mantra  » que je récite régulièrement :  » Je remplace toutes mes pensées de peur par des pensées de foi dans ma réussite et mon accomplissement  » …et voilà que la plupart du temps, les scénarios lumineux se mettent en place, chaque fois que le mental revient semer la pagaille dans mon esprit …

        J’aime beaucoup la méthode que tu préconises ici …c’est vraiment génial !!!

        Encore une fois, merci pour cette merveille …!
        Tendresse
        Manouchka

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        • « Les scénarios respectueux face à l’Être véritable que nous sommes »… voilà la plus belle des raisons de changer nos pensées et comportements… reconnaître notre nature profonde et la faire émerger.
          Les mantras ont toujours eu ce pouvoir de rediriger nos pensées dans une bonne direction, face à ce mental qui rumine et sape le moral, et le tien est si beau.
          Juste un peu de discipline pour garder le cap…
          Merci pour ta méthode, elle est encore meilleure car personnelle. Tendresses, Manouchka

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          • Tu es gentille Elisabeth ….mais j’ai écouté longuement plusieurs entrevues sur video et vraiment je suis épatée par sa méthode …cela dépasse de loin la mienne …l’approche est complètement différente…et super géniale …Merci encore ….Bonne nuit douce Elisabeth

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            • Effectivement, ses vidéos sont épatantes mais ce n’est pas tout que de les écouter, sans mettre en pratique… alors, que tu continues à répéter tes mantras, en y incluant d’autres « outils », ce qui compte, c’est l’attention que tu y accordes car rien ne marche sans intention sincère et suivie, comme la tienne… et je crois que les comparaisons sont superflues 🙂
              Merci à toi et toute ma tendresse, chère Manouchka

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        • Géniales les vidéos ….et on peut activer les sous-titres français sur tout …Peut-être que vous le saviez, mais au cas où : il y a petit rectangle avec cc dessus dans le bas de l’écran…on clique et on active les sous-titres ….Voilà ….
          Bisous

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          • Les vidéos que j’ai mises sont déjà traduites ou sous-titrées automatiquement mais en allant sur Youtube, il y en a d’autres, en anglais.
            Alors, merci, Manouchka, de rappeler cette astuce que tous ne connaissent pas car il y en a beaucoup de très instructives.
            Bisous

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  3. Je suis surprise en liant la bio courte de l’auteur de ces livres de me rendre compte que comme toujours pour arriver à apprécier la vie, à savoir en tirer le meilleur parti, il faut avoir traversé de grandes phases de désespoir. belle soirée à toi Elisabeth

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    • Effectivement, c’est un parcours quasi obligatoire, Cathie, plonger très profondément, pour ressortir à la lumière. Les existences trop lisses, ne permettent pas de vraiment apprécier la vie, ni d’apprendre à trouver en soi non seulement la force d’avancer mais surtout de changer et devenir une aide pour les autres…
      Je te souhaite un doux week-end ensoleillé

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  4. C’est vraiment une approche très intéressante, j’ai découvert son Travail il y a peu de temps et visionné toutes les vidéo, en français. c’est le questionnement qui est très intéressant car comme dit Byron Katie :  » Je ne lâche pas mes concepts. Je les questionne. Ensuite ce sont eux qui me lâchent ». Mais derrière cette « méthode », il y a surtout la découverte que les pensées arrivent spontanément dans notre mental, qu’on peut les accueillir ou les laisser passer comme les nuages passent dans le ciel bleu. Cela c’est le début de la vraie libération.
    Entre parenthèse, je viens de commander son dernier livre…j’ai hâte de le découvrir!
    Avec tendresse.

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    • C’est exactement cela, Marylaure car si la méthode peut paraître simple, elle implique cette vigilance constante à nos pensées, un travail de chaque instant. Observer ce qui vient, questionner et ensuite « laisser passer comme les nuages passent dans le ciel bleu ». Car, au dessus des nuages, même les plus sombres, notre Ciel intérieur est toujours limpide.
      Et en cela, le Travail s’apparente à de la méditation, qui nous libère de tout ce qui parasite le calme naturel, qui est l’apanage de l’Être…
      Tu me diras pour son dernier livre, pas encore fini le précédent…
      Et tu sais qu’elle vient à Paris le 12 juillet…
      Tendresses à toi et doux week-end…

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